1. C’est tellement amusant !
Quels vifs-argents, ces enfants ! Il faut les voir, déclarait l’institutrice. Toutefois, ce n’était pas elle, ni même maman, encore moins papa qui les avait surnommés « ces insupportables Barbesou », c’était la vieille dame d’à côté…
Mlle Demierre n’avait jamais vécu avec des enfants. Installée jusqu’alors dans une maison de campagne spacieuse, entourée d’un vaste jardin, elle n’apercevait que rarement ses plus proches voisins ainsi fort éloignés d’elle. Elle n’était donc pas habituée à voir rebondir des balles sur sa pelouse, aussitôt rejointes par leurs petits propriétaires. Ceux-ci ouvraient bruyamment le portail, puis se précipitaient vers les plates-bandes pour retrouver leur bien.
Depuis son arrivée à la « Villa des Roses », Mlle Demierre s’était vue obligée de supporter cette série de têtes qui émergeaient au-dessus de la haie mitoyenne et ces yeux bruns ou bleus qui la fixaient en pétillant de malice lorsqu’elle prenait place dans sa chaise-longue. Elle n’avait jamais expérimenté cela et ne l’appréciait pas du tout. Aussi, en parlant des enfants, les nommait-elle de sa voix courroucée : « ces insupportables Barbesou ».
Ils étaient quatre : Pierre, âgé de huit ans, Janette, de sept ans, Roger de quatre ans et demi et Tim, un bambin de trois ans. S’ajoutait encore Roseline Mivel, la fillette de la maison d’en face qui ne rêvait que des Barbesou et jouait avec eux presque chaque jour. Roseline et Janette étaient de grandes amies. Mais, il faut savoir que si Janette était le boute-en-train, Roseline et les garçons la suivaient de près.
Loin d’eux, pourtant, la pensée d’être méchants ! Comme bien des enfants, ils parvenaient à jouer une quantité de tours et de farces sans avoir voulu le faire exprès. Leur Nounou qui les avait tous vus au berceau, affirmait que les garçons étaient épuisants, mais que Janette était la plus farfelue. Sa jeune cervelle fourmillait d’idées mirobolantes qu’elle voulait réaliser à tout prix. Si au moins ses idées avaient été bonnes, constructives ! Par malheur, elles étaient presque toujours fâcheuses.
On ne pouvait résister au plaisir de taquiner Mlle Demierre ! Peut-être était-ce à cause de l’air vexé qu’elle prenait sous ses lorgnons ? Janette n’aurait su le dire, mais chaque fois qu’elle y pensait, elle partait d’un fou rire.
Non seulement les balles de caoutchouc passaient par-dessus la haie, mais encore le ballon de plage de Tim, le cerf-volant de Roger, la baudruche de Roseline ou le volant de Janette. Les beaux modèles d’avions de Pierre, après un vol remarquablement réussi, atterrissaient immanquablement eux aussi sur la terrasse de leur voisine. Un va-et-vient perpétuel s’établissait entre les deux jardins puisqu’il fallait continuellement récupérer ces jouets chez Mlle Demierre.
De plus, Pierre avait un canon à petits pois. N’était-ce pas plus amusant de tirer par-dessus la barrière que de prendre les arbres du jardin pour cible ? Ces farceurs s’amusaient à voir sursauter la vieille demoiselle chaque fois qu’un petit pois claquait avec un bruit sec sur son parasol.
En plus des projectiles, la joyeuse bande s’entendait à faire du tintamarre. Tim battait du tambour, Roger tirait de son sifflet un son aussi strident que celui de l’agent de police de la place. Pierre et Janette soufflaient des sons aigus dans leur musique à bouche et Roseline secouait son tambourin de toutes ses forces. Lorsque ces cinq instruments jouaient à plein rendement, « Médor », le chien de la maison, y joignait ses hurlements. Le vacarme était alors à son comble.
Le but était de le faire éclater près de la haie de Mlle Demierre. La première fois ce fut réussi. La vieille dame prenait justement son thé sous le tilleul. La surprise lui fit faire un tel saut qu’elle lâcha sa tasse. Le thé bouillant se répandit sur sa belle robe d’été et la fine porcelaine fut brisée. Les rires étouffés partant de la haie ne lui échappèrent point et ne firent que renforcer son opinion sur « ces insupportables Barbesou ».
L’autre voisin de la famille Barbesou était un capitaine de vaisseau au long cours, à la retraite, arrivé récemment. Il ne paraissait nullement incommodé par les projectiles et par le bruit. Pour faciliter l’accès de son jardin aux enfants, il avait fait élargir le trou de la haie par son jardinier. Chose étonnante, les cerfs-volants, le gros ballon et les balles de caoutchouc ne passaient que rarement chez lui. Peut-être le vent soufflait-il toujours du même côté…
Et lorsque les cinq petits espiègles se glissaient par l’ouverture de la haie sur la pointe des pieds et faisaient leur tintamarre derrière lui, il ne sursautait jamais. Il ne semblait pas les avoir remarqués et poursuivait sa lecture. Alors les enfants commençaient à rire tout doucement en attendant ce qui allait se passer…
D’un bond, le capitaine se levait avec un rugissement de lion et leur donnait la chasse tout autour du jardin. Hors d’haleine, ils se laissaient enfin tomber dans l’herbe. Le capitaine mettait la main dans sa poche et en sortait des bonbons qui, assurait-il, réclamaient d’être mangés. Les enfants heureux de se sentir aimés et désirés à toute heure lui demandaient tout en suçant :
– Oncle Sam, raconte-nous une histoire. Oui, oui, raconte, Oncle Sam. Il va sans dire que Sam n’était pas le vrai nom du capitaine. Les grandes personnes le nommaient capitaine Samovitch, mais c’était si long que les enfants avaient très vite trouvé ce surnom.
C’est que l’Oncle Sam s’y entendait à raconter des histoires de naufrages, de pirates, d’icebergs, de phares, de requins et de baleines, de pieuvres et de bancs de maquereaux, de pays très chauds ou très froids, d’hommes noirs, jaunes ou rouges comme les Indiens.
Les enfants écoutaient bouche bée ses récits plus captivants que n’importe quel livre d’aventures.
– Oncle Sam, dit un jour Janette, si seulement vous habitiez des deux côtés de notre jardin, à la place de Mlle Demierre.
– Oh ! non, répondit Pierre, il faudrait le partager en deux et cela lui ferait mal. Et puis, murmura-t-il pensivement, en faisant un clin d’œil à Roseline, sans la vieille dame à taquiner, nous n’aurions plus rien à inventer !
2. La farce
Un beau matin, Janette s’éveilla très tôt et une de ses fameuses idées lui traversa l’esprit. Mais si elle-même la trouvait lumineuse, il est probable qu’une certaine voisine n’eût pas été du même avis. Rien que d’y penser Janette riait aux éclats.
C’était encore de très bonne heure et Nounou ne lui permettait pas de sortir de sa chambre pour aller éveiller ses petits frères. Janette qui ne tenait plus en place, se glissa discrètement jusqu’à la porte qu’elle trouva entrebâillée.
– Pierre, chuchota-t-elle, viens ! J’ai quelque chose de très important à te dire.
Pierre rêvait précisément de sa jolie tortue « Jackie » qui, chose extraordinaire, se sauvait à toutes jambes. Toute la famille, même papa, était à ses trousses sans pouvoir la rattraper. Il entrouvrit les yeux.
– Qu’y a-t-il ? marmonna-t-il à moitié dans son rêve.
– Allons, Pierre, réveille-toi s’il te plaît. C’est si drôle, dit Janette en éclatant de rire. Il s’agit de la farce que tu as achetée ; tu sais, le grogneur qu’on met sous un coussin et qui grince horriblement quand on s’assied dessus. J’ai remarqué que Mlle Demierre a un coussin sur la chaise-longue que sa servante installe au jardin longtemps avant qu’elle sorte. Si nous glissions ce grogneur sous son coussin, quel sursaut elle ferait !
– Mais, comment aller le poser ? demanda Pierre.
– Rien de plus facile ! continua Janette. Nous lançons une balle ou autre chose sur la pelouse dès que la chaise-longue est prête et un de nous, en la recherchant, glisse le grogneur sous le coussin.
Pierre, tout à fait réveillé, rit de bon cœur :
– D’accord, déclara-t-il, c’est magnifique. Tu as toujours des idées géniales, Janette.
La pluie, hélas, les empêcha de réaliser leur projet et les enfants en trépignaient d’impatience.
Le jour suivant, le temps était au grand beau et le jardin, rafraîchi par l’ondée, attirait les visiteurs.
Hélène, la bonne, sortit la chaise-longue de Mlle Demierre sitôt après le déjeuner.
– Ne perdons pas une minute, conseilla Janette, car la vieille dame ne va pas tarder !
Pierre expédia une balle qui roula à côté de la chaise ; puis il passa le portail et, faisant semblant de rechercher son jouet, souleva le coussin en y plaçant le grogneur. A son retour, Janette et lui montèrent la garde à plat ventre dans l’herbe, près d’un trou de la haie. Ils n’eurent pas longtemps à attendre.
– La voilà ! chuchota Janette. Ah ! non, ce n’est pas elle. C’est de nouveau Hélène qui apporte deux chaises et son aide avec deux autres encore.
– Eh bien ! dit Pierre, elle pourrait bien recevoir des visites tout à l’heure. Nous ferions mieux d’aller rechercher le grogneur et de renvoyer la farce à un autre jour.
C’était malheureusement trop tard car Mlle Demierre sortait du salon accompagnée de deux grandes et belles dames et de deux messieurs. Les enfants reconnurent l’un deux. C’était le docteur Le Blond qui les avait soignés pour la rougeole et les oreillons. Les visiteurs se promenèrent tout d’abord dans le jardin, admirant les fleurs et plus particulièrement les roses qui parfumaient l’allée. Pierre et Janette retenaient leur souffle tout en espionnant comme deux fouines par les trous de la haie.
Les deux dames s’assirent tout d’abord, puis Mlle Demierre prit place, mais pas dans son fauteuil habituel.
– Oh là, là ! qu’allait-il se passer ?
A son tour le monsieur inconnu choisit une chaise et il ne restait maintenant plus que le siège où se trouvait le grogneur pour le docteur Le Blond qui s’attardait vers le massif d’œillets avant de prendre le thé ! Mais c’était assez peu probable.
Le docteur était un homme imposant, grand et fort, aussi lorsqu’il eut fini son tour de jardin, se laissa-t-il tomber lourdement dans le fauteuil de Mlle Demierre.
Un grincement affreux s’ensuivit. Personne ne releva la chose, ignorant ce que c’était. A chaque geste du docteur, le même bruit désagréable se produis ait. Il dut penser que la chaise était bien vieille et disjointe. Il essaya de rester tranquille et pourtant les bruits étranges continuaient. Janette et Pierre, tout en réalisant qu’ils étaient des polissons, ne pouvaient s’empêcher de rire en cachette.
Par mégarde, Mlle Demierre laissa tomber son mouchoir. Aussitôt le docteur se pencha pour le ramasser. C’est alors qu’un grognement étrange, affreux et prolongé se fit entendre qui étonna toutes les grandes personnes.
– Au monde qu’est-ce que ce bruit horrible ? demandèrent deux ou trois d’entre elles.
Le docteur Le Blond, certain maintenant qu’aucune vieille chaise ne pouvait produire de pareils grincements, se mit à inspecter son siège et, en soulevant le coussin, découvrit le grogneur.
– Quelle affaire ! commença Mlle Demierre, je suis navrée, Docteur. Je crains bien que ce soit un tour de ces insupportables Barbesou et je déplore que ce soit justement vous qui en supportiez les conséquences.
– Ce n’est rien, dit le docteur Le Blond en riant, il n’y a pas de mal. Est-ce que vos jeunes voisins vous ont choisie comme cible de leur malice ?
– Je regrette de devoir dire qu’ils méritent pleinement le qualificatif d’«insupportables». Sans doute qu’ils me trouvent austère et très vieille mode et cela ajoute du piment à leur plaisir. Mais changeons de conversation, proposa-t-elle, comme Hélène et sa jeune aide arrivaient portant des plateaux garnis de pâtisseries.
Les enfants, qui avaient tout entendu, étaient fort mal à l’aise. Pour calmer leur mauvaise conscience, ils s’en allèrent à l’autre bout du jardin et jouèrent sans faire de bruit.
Cet incident serait tombé dans l’oubli si le docteur Le Blond n’avait pas croisé M. Barbesou en rentrant chez lui.
– Bonjour ! M. Barbesou, dit-il de sa voix joviale. Il paraît que vos enfants sont renommés par ici !
– Renommés ? Que voulez-vous dire, Docteur ? demanda M. Barbesou intrigué.
– Je sors à l’instant de chez votre voisine, Mlle Demierre, qui nous avait invités pour le thé. Elle les qualifie d’«insupportables». Le docteur éclata de rire et raconta la farce du grogneur. M. Barbesou eut l’air si catastrophé que le docteur s’en mordit les lèvres.
– Mais cela prouve qu’ils sont intelligents, assura le docteur. Ne prenez donc pas la chose au tragique ! Cela leur passera.
M. Barbesou prit mal la chose, très mal en vérité. Arrivé chez lui, il monta directement à la salle de jeux et fit aligner ses quatre enfants en face de lui. Il avait l’air très, très fâché. Les enfants, effrayés de voir leur papa en colère auraient voulu rentrer sous terre, tant ils se sentaient honteux et malheureux de l’avoir déçu.
– Je vous défends d’ennuyer les voisins, gronda-t-il. Vous me faites honte. Je ne serai satisfait que le jour où la même personne pourra utiliser un adjectif honorable à votre égard. Je vais partir pour l’Amérique, et vous donne jusqu’à mon retour, c’est-à-dire à Noël, pour relever notre nom, principalement auprès de Mlle Demierre. Qu’on s’en souvienne !
– En attendant, nous sommes aujourd’hui vendredi et je vous interdis l’accès du jardin jusqu’à lundi. Vous resterez dans votre chambre et ne sortirez en promenade qu’avec Nounou. Compris ?
Janette éclata en pleurs et Pierre avait les larmes aux yeux. Entre deux sanglots, Janette essaya de dire :
– Papa ! Roger et Tim n’ont rien fait. Ils n’en savaient même rien. C’est tout de ma faute, c’était mon idée.
– Ce n’est pas seulement Janette, papa, interrompit Pierre. Je suis aussi fautif. J’ai porté le grogneur. Les petits ne sont pas coupables.
Le papa, en voyant ses aînés si désolés, s’attendrit un peu.
– Dans ce cas, dit-il, Roger et Tim pourront jouer au jardin comme d’habitude. Vous, les grands, devriez leur donner un meilleur exemple !
Le quatuor se retira, chacun dans son coin, tranquille comme une image. Mais la gaieté s’en était allée. Roger et Tim même, n’avaient plus envie de descendre au jardin pour y jouer seuls.
C’était là, il faut le dire, leur terrain de jeu favori pendant les vacances d’été. Celui-ci se transformait tantôt en jungle où l’on guettait des ennemis, tantôt en océan sur lequel on voguait, ou en désert traversé par des chameaux et même en aéroport d’où l’on s’envolait en jet vers d’autres mondes. Ce jardin était tout ce que l’on voulait et, sans lui, les enfants se sentaient désemparés.
Une nouvelle idée germa dans la tête de Janette. Elle se tourna soudain vers Pierre :
– Je sais ce que nous allons faire, dit-elle. Nous allons faire un vœu. C’est un acte très solennel, tu sais, et quand nous l’aurons fait et bien… – Janette s’arrêta et essaya de penser à quelque chose d’extraordinaire à dire – … quand nous l’aurons fait, nous devrons faire l’impossible pour y parvenir !
Pierre, plus réaliste et objectif que sa sœur, éclata de rire. Il ne pouvait pas suivre aveuglément les élans d’enthousiasme de Janette.
– Explique-toi ! et d’abord qu’est-ce que c’est qu’un vœu ? s’exclama-t-il.
– Tu verras je le dirai d’abord, ensuite ce sera toi, commanda Janette.
– Moi, Janette Barbesou, fais le vœu solennel devant… devant mes trois frères, d’essayer d’atteindre le but proposé par papa, c’est-à-dire que Mlle Demierre nous donne un beau nom et ceci aussi vite que possible !
– Maintenant à toi, dit-elle, en pointant Pierre du doigt.
– Moi, Pierre Barbesou, fais le vœu solennel… qu’est-ce qui vient après ? demanda-t-il. …Ah ! oui, devant les autres, d’obliger Mlle Demierre à nous appeler d’un gentil nom et ceci aussi vite que nous le pourrons.
– Tu n’as pas répété exactement, objecta Janette.
– Je ne me souvenais pas très bien, mais cela revient au même. De toute façon, moi, je n’ai pas trois frères, rétorqua Pierre.
Pour une fois, personne ne lambina pour aller au lit. Nounou, qui ne pouvait pas supporter d’entendre un enfant pleurer dans son lit, entendit soudain des sanglots dans la chambre de Janette et courut à elle pour la consoler. Janette se recroquevilla contre elle, en sécurité dans ses bras aimants.
– Oh ! Nounou, dit-elle, comme j’aimerais ne pas être méchante. Si seulement je pouvais être gentille ! Crois-tu que je le deviendrai si nous respectons notre vœu ?
3. «Joli-Cœur»
Les enfants se sentaient moins tristes le lendemain matin, néanmoins la journée du samedi leur parut interminable. La visite de Roseline et deux bonnes randonnées avec Nounou n’empêchèrent pas les heures de s’écouler lentement. Nounou proposa une promenade plus longue encore le dimanche matin et, à leur retour, ils trouvèrent une petite lettre à leur adresse. Pierre l’ouvrit et se mit à lire avec Janette :
«Mon cher quatuor,
Un petit oiseau m’a raconté que des difficultés avaient surgi et que l’accès du jardin vous était interdit. Cette tranquillité inhabituelle m’a intrigué et j’en ai parlé à votre père. J’ai découvert que la défense ne s’étendait pas à mon jardin, aussi je vous invite cet après-midi. Il vaudrait mieux entrer par le portail principal. J’ai dit à mon domestique, M. Valéry, que j’attendais quatre amis pour le thé. Venez à trois heures. J’aurai peut être une histoire pour vous.
Oncle Sam.»
C’était merveilleux de se retrouver dans un jardin. D’emblée les enfants entourant leur vieil ami, se mirent à lui raconter leur farce. Oncle Sam prit un air consterné mais des éclairs de gaieté passaient dans son regard.
– Lorsqu’un bateau va à la dérive, dit-il, la seule chose à faire est de diriger le gouvernail sur la bonne ligne à suivre. Savez-vous, mes enfants, nous sommes souvent comme des navires, nous aussi. Nous commençons le voyage à notre naissance et nous avançons tant bien que mal sur l’océan de notre vie jusqu’au jour où nous mourons. Tout dépend du pilote. Certaines personnes cherchent à être le pilote de leur propre vie ; celles-là vont sûrement au devant d’un naufrage. Si nous avons le Seigneur Jésus comme pilote, notre navire sera conduit par une main sûre jusqu’au port qui est le ciel.
Personne, si ce n’est Oncle Sam, ne leur parlait de la Bible et du Seigneur Jésus, aussi ce langage était-il nouveau pour eux. Ils écoutaient chaque fois avec intérêt et commençaient à comprendre un peu mieux le sens de ces paroles.
– Oncle Sam, dit Janette, Pierre et moi avons fait un vœu, un vœu très spécial : celui d’obtenir de Mlle Demierre un nouveau nom. Papa nous a demandé d’y parvenir d’ici à Noël. Nous ne le satisferons pleinement qu’à cette condition. C’est un but à atteindre.
Avant qu’Oncle Sam eût le temps de répondre, Pierre s’exclama d’une voix contenue :
– Oh ! regardez, là, là, cet oiseau vert dans l’arbre.
Tous les regards se tournèrent vers l’érable où un oiseau se dissimulait dans le feuillage et semblait les fixer.
– Oh ! C’est « Joli-Cœur » ! dit Janette. Nous avons lu une annonce dans la vitrine ce matin avec Nounou. Une récompense est promise à celui qui le capturera.
– Mais, comment pouvons-nous l’attraper ? Oncle Sam, veux-tu me soulever le plus haut possible ?
– Non, non, mon garçon, je ne veux pas que tu te casses la tête. Nous allons bien imaginer un moyen de le faire descendre. J’ai trouvé, dit-il après un moment de réflexion, nous avons une échelle derrière la maison et un filet à oiseau très spécial que j’ai acheté à l’étranger. Cela va faire l’affaire et nous allons capturer l’oiselet.
– Oncle Sam ! laisse-moi monter sur l’échelle et l’attraper, supplia Pierre.
– Écoute, mon garçon, je trouve que tu es un peu trop jeune et moi un peu trop vieux. Nous ferions mieux d’attendre le retour de Valéry. Il est parti chez ses amis et ne va pas tarder à revenir. C’est l’homme qu’il nous faut. Il avait l’habitude de monter à la dunette et grimpait autrefois comme un singe. Commençons par chercher l’échelle. Nous l’appuierons contre l’arbre sans effrayer « Joli-Cœur ».
Oncle Sam, dit Jeannette, crois-tu que Mlle Demierre nous donnerait un beau nom si nous lui rapportions « Joli-cœur » ?
– Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, fut la réponse incompréhensible d’Oncle Sam.
Entre-temps, Valéry était revenu et acquiesçait avec la meilleure volonté du monde à tout ce qu’on lui demandait. La tâche n’était pas facile, car « Joli-Cœur » se montrait à la fois timide et malicieux. Sitôt que Valéry appuyait l’échelle de son côté, il s’envolait de l’autre côté de l’arbre. Ce manège dura assez longtemps. Enfin le bel oiseau se trouva sain et sauf dans le filet. Valéry, le grand ami des animaux, le sortit délicatement et le calma avant de le confier à Pierre. Puis ils allèrent tous deux jusqu’à la porte de Mlle Demierre. La dame était au jardin. Pierre s’avança en souriant :
– Voici, Mlle Demierre, nous avons retrouvé « Joli-Cœur ». Il s’était posé sur l’érable d’Oncle Sam et Valéry est monté sur l’échelle et l’a capturé.
Au premier abord, Mlle Demierre eut l’air satisfaite, puis se ravisant, elle regarda Pierre d’un air sévère :
– Je t’aurais remercié de m’avoir rapporté mon oiseau, dit-elle aigrement, si je ne savais pas que tu as fait exprès d’ouvrir la cage pour lui donner la liberté et me causer tous ces tracas.
Les yeux de Pierre étincelèrent.
– Ce n’est pas vrai, dit-il indigné. Je ne savais pas qu’il était perdu jusqu’à ce matin où nous avons lu l’annonce dans la vitrine.
– Pardon, continua Mlle Demierre, d’une voix glacée, tu ne dis pas la vérité. Le jardinier t’a vu ouvrir la porte de la cage. Il était trop éloigné pour t’en empêcher.
– Hélène, dit-elle, en se tournant vers la servante qui attendait, veuillez chercher la cage de « Joli-Cœur » et m’apporter mon sac en même temps. Mlle Demierre n’essaya pas de prendre l’oiseau elle-même. Pierre l’introduisit avec précaution et ferma la porte de la cage.
– Je dois tenir ma promesse et te récompenser. Mlle Demierre sortit deux francs de son porte-monnaie et les lui tendit.
Pierre secoua la tête.
– Non merci, dit-il, je ne veux pas d’argent. Je vous assure que je ne l’ai pas laissé partir.
– Je serais bien aise, ajouta Mlle Demierre, comme Pierre redescendait les marches du perron, si vous pouviez vous dispenser à l’avenir d’entrer dans mon jardin. Si des balles passent par-dessus la haie, mon jardinier vous les rendra très certainement.
Pierre courut vers Oncle Sam, les joues cramoisies.
– Elle est horrible, cette vieille dame. Elle m’accuse d’avoir sorti l’oiseau de sa cage. Je ne l’ai jamais fait. Je la déteste.
– Doucement, jeune homme, doucement ! Oncle Sam l’entoura de son bras et le serra contre lui. Au même moment, Roger éclata en larmes. Il sanglotait si fort qu’il en étouffait.
Oncle Sam passa son autre bras autour de ses épaules.
– Du calme ! mon vieux, dit-il, essaie de nous dire ce qui se passe.
Avec le bon bras d’Oncle Sam autour de lui et son immense mouchoir pour essuyer ses larmes, Roger se tranquillisa un peu.
– C’est moi, avoua-t-il entre deux sanglots, c’est moi qui l’ai fait.
– Qu’as-tu fait, fiston ?
– Je l’ai laissé sortir. Je ne le voulais pas. Ma balle a passé au dessus de la haie, samedi matin. La cage était au jardin. Je l’ai à peine touchée et la porte s’est ouverte et il s’est envolé…
– Pourquoi ne l’as-tu pas dit, petit, questionna Oncle Sam.
– J’avais peur de papa. Il était si fâché.
En disant ces mots, Roger se remit à pleurer de plus belle. Oncle Sam souleva l’enfant sur ses genoux.
– Bon, réfléchissons à ce que nous pouvons faire, suggéra-t-il en se tournant vers Pierre.
– Tu écris assez bien, n’est-ce pas ? Si tu écrivais une gentille lettre à Mlle Demierre pour lui dire que ce n’est pas toi, mais ton petit frère et qu’il en est désolé.Cette idée les réconforta. Réunis dans la chambre d’Oncle Sam, autour d’une table sur laquelle Valéry venait de poser du papier et de l’encre, ils firent place à Pierre qui écrivit :
« Veuillez m’excuser, Mlle Demierre, je ne savais pas tout à l’heure que c’était mon petit frère qui avait laissé échapper « Joli-Cœur ». Il ne l’a pas fait exprès et en est désolé. Nous espérons tous que vous voudrez bien lui pardonner. Il n’a pas tout à fait cinq ans ».
On mit la lettre sous enveloppe. On inscrivit l’adresse, mais Pierre refusa net d’aller la porter.
– Non, dit-il, je ne peux pas. Elle a dit que nous ne devions plus mettre un pied dans son jardin.
Le courage manquait également à Janette, aussi Valéry accepta-t-il d’aller mettre la lettre dans la boîte de Mlle Demierre.
Quand tout fut fini, c’était déjà l’heure du thé et Oncle Sam pensa que ses petits invités avaient besoin de détente. Il leur raconta des histoires si amusantes que les enfants oublièrent leur tristesse et rirent tant et si bien que Mlle Demierre les entendit à travers leur jardin. Elle pensa que ces « insupportables Barbesou » ne devaient pas être très repentants pour rire de la sorte.
Elle ne se rendait pas compte de ce qui se passait dans le cœur de ses jeunes voisins. Mais Quelqu’un le savait, Lui, le Seigneur Jésus, qui connaît toutes nos pensées. Lui savait que Janette se repentait d’avoir été sotte si souvent envers Mlle Demierre. Il voyait que, dans son cœur d’enfant, elle désirait réellement l’avoir comme Pilote de son propre bateau.
4. La surprise.
Oncle Sam affectionnait les enfants et les comprenait parfaitement. Il réfléchit longuement à ces « insupportables Barbesou » et se demanda de quelle manière il pourrait leur venir en aide.
Lui-même ne les trouvait pas du tout « insupportables », mais les prenait tout simplement pour des enfants charmants, parfois un peu polissons. Mais dans le cœur d’Oncle Sam grandissait le désir que ces petits amis apprennent, comme lui, à connaître le Seigneur comme leur Sauveur.
Le capitaine savait que les enfants n’iraient pas à la campagne, comme chaque année, aussi se disait-il que les choses s’aggraveraient encore en les laissant jouer au jardin toute l’année.
Soudain une bonne idée lui vint et il appela Valéry qui s’empressa d’arriver.
– N’avions-nous pas l’intention de nous rendre, dans quelques semaines, à notre résidence au bord de la mer ? Ne pourrions-nous pas avancer le départ et inviter les deux plus grands de nos jeunes voisins ?
Valéry se gratta la tête.
– A vos ordres, capitaine, nous partirons dès que possible. Je présume que nous pourrions faire face à la tâche s’il ne s’agissait que de garçons, mais la petite demoiselle est en dehors de mes compétences à moins qu’elle ne sache s’occuper d’elle-même.
– Je me demandais si ma sœur ne pourrait pas la loger et veiller sur ses vêtements. Elle n’habite qu’à un jet de pierre de notre mas.
– Dans ces conditions, capitaine, cela ira parfaitement bien, j’en suis sûr. Il faudra seulement qu’ils nous obéissent si nous voulons les ramener entiers chez eux.
Oncle Sam connaissait le Seigneur Jésus. Il avait l’habitude de Lui parler ; aussi avant de partir chez M. Barbesou pour faire son invitation, il se mit à genoux :
« Divin Maître, dit-il, Tu sais combien j’aimerais que ces petits apprennent à Te connaître et à Te recevoir comme Pilote de leur vie. Prends la direction de cette invitation au bord de la mer. En Ton nom précieux, Amen ».
Deux jours plus tard, Pierre et Janette jouaient au jardin tandis que Nounou mettait les deux petits au lit. Ils entendirent tout à coup un léger coup de sifflet qui se répéta trois fois.
C’était leur signal secret avec Oncle Sam qui signifiait : « J’aimerais vous voir. Pouvez-vous venir ? »
A peine avait-on entendu le troisième coup de sifflet que deux petites personnes se faufilaient dans le trou de la haie et s’élançaient vers Oncle Sam.
– Au secours ! cria-t-il. Quelle avalanche ! Que me voulez-vous ?
– Oncle Sam, s’exclama Janette, en secouant un de ses bras, tandis que Pierre s’emparait de l’autre, tu as sifflé pour nous. C’est toi qui nous as appelés.
– Donnez-moi une minute pour réfléchir, dit-il. Ah ! oui, je me souviens vaguement de quelque chose.
– Oncle Sam ! Cesse de nous taquiner et dis nous vite, commanda Janette. Je meurs d’envie de savoir.
Oncle Sam regarda les bonnes joues roses de la fillette et se mit à rire.
– Tu n’as pas trop l’air de mourir, dit-il. Enfin, que diriez-vous de passer une semaine dans mon mas, au bord de la mer, avec Valéry et moi ?
– Youpi, Oncle Sam ! Au bord de la mer pendant toute une semaine ! Nous n’y avons jamais été qu’occasionnellement et pas plus d’une journée. Est-ce sérieux ? Tu es vraiment un oncle extraordinaire, mais… et papa qu’en pensera-t-il, demanda soudain Janette ?
– Tout est en ordre. J’ai vu votre papa hier et je lui ai donné ma parole que vous vous comporteriez bien. Il ne faudra pas me faire manquer à ma promesse, jeune demoiselle.
La perspective de s’en aller tous seuls avec leur cher Oncle Sam au bord de la mer, les remplissait de bonheur. Que pouvaient-ils désirer de plus ?
– N’oublions pas notre vœu, rappela Janette à Pierre, nous voulions vite le faire.
– D’accord, nous le ferons le plus vite possible, mais ici à la maison, c’est exclu. Elle nous interdit l’accès de son jardin. Si nous partons, nous pourrons du moins lui envoyer une carte avec une belle vue.
Janette, ravie de cette suggestion n’eut plus de regrets. Les jours suivants, ils furent très excités et si soucieux de plaire à leur père qu’ils évitèrent de jouer près du jardin de Mlle Demierre. Ils ne s’aperçurent donc pas que la chaise-longue n’était plus roulée sur la pelouse et que Mlle Demierre n’y venait plus tricoter et y prendre le thé avec des visites.
Enfin le vendredi tant attendu arriva ; les bagages furent empilés dans l’auto d’Oncle Sam. On se dit « au revoir » et l’auto démarra. Valéry conduisait ; Pierre était devant à son côté ; Janette derrière, avec Oncle Sam. Peut-on dire qu’elle était assise ? Dans sa surexcitation, elle ne pouvait rester tranquille un instant. Elle se jetait à la fenêtre, se retournait, voulait voir par l’autre fenêtre, gesticulant tant et si bien que le pauvre Oncle Sam était tout meurtri par sa voisine si remuante. Elle s’était réveillée de bonne heure et avait déployé tant d’énergie qu’elle s’endormit soudain profondément, la tête contre le bras d’Oncle Sam.
Pierre pouffa de rire lorsqu’il l’aperçut. Lui prenait les choses plus calmement et il trouvait drôle de dormir à 10 heures du matin.
Un peu plus tard, Janette s’éveilla d’un seul coup.
– Sommes-nous arrivés ? demanda-t-elle.
– Non pas encore, mais puisque tu es réveillée, jeune demoiselle, que dirais-tu si nous prenions notre pique-nique dans la campagne ?
Valéry avait préparé la corbeille. Il connaissait bien les goûts des enfants et avait choisi tous leurs mets préférés. Quand chacun eut fini, il disparut et revint avec une grosse boîte de glace qu’il avait découverte en passant devant une boutique voisine. C’était, pour les enfants, le summum du festin.
L’arrivée au mas fut très amusante. Madame Blanchart, la sœur d’Oncle Sam, avait tout épousseté, fait les lits, le goûter et dans la soirée, elle emmena Janette chez elle. Elle était aimable et gaie et les enfants l’aimèrent d’emblée.
– Tu sais, chuchota Janette à l’oreille de Pierre, elle est presque aussi « sympa » qu’Oncle Sam.
Et de sa part, c’était un grand éloge.
5. Une pelote de laine rouge.
Le samedi matin fut passionnant : tout d’abord, l’achat des espadrilles, des caleçons de bain, des pelles, des filets à crevettes, des petits voiliers et du ballon ; et il y aurait encore eu bien d’autres achats si, après le ballon, Oncle Sam n’eut dit : « c’est tout », d’une voix que Valéry appelait la voix du commandant.
Ensuite, ils se dirigèrent vers les dunes, puis vers la mer. Ils pataugèrent dans les mares, se baignèrent, bâtirent des châteaux, creusèrent des tranchées, attrapèrent des crabes, mangèrent une glace. Tout fut merveilleusement réussi.
– C’est le moment de déjeuner, dit Oncle Sam en regardant sa montre, voyons ce que Valéry nous aura préparé.
Pierre était en train d’observer un petit terrier blanc et brun qui courait autour d’un garçon, cherchant à attraper la balle que ce dernier s’amusait à pousser du pied. Dans les parages, une dame tricotait dans une chaise-longue. Soudain la pelote rouge de son tricot tomba de ses genoux et s’en alla rouler sur le sol. Sans faire la différence, le chien aperçut cette autre balle, bondit sur le peloton de laine, le saisit entre ses dents et se faufila entre les jambes des vacanciers qui cherchaient en vain à l’arrêter. Il courait dans toutes les directions et arriva ainsi vers Pierre et Janette. Ceux-ci, habitués à commander leur chien, surent s’y prendre pour le faire obéir.
– Ici, laisse tomber ! commanda Pierre d’un ton ferme. Le chien s’arrêta. Avec un air malicieux, il ouvrit la gueule et la pelote tomba. Pierre la saisit rapidement. Le fil s’était évidemment cassé en cours de route et la pelote mouillée de la salive du chien, puis roulée dans le sable paraissait inutilisable.
Oncle Sam essaya de la frotter pour enlever le sable et la rendre un peu présentable. Pierre et Janette partirent en courant vers la dame pour lui rendre son bien. La chaise-longue leur tournait le dos. Ils en firent prestement le tour.
– Pardon, Madame, voici votre pelote de laine, commença Pierre. Puis … il s’arrêta net car, derrière les lunettes noires et sous le grand chapeau de soleil, il voyait, à n’en pas douter, Mlle Demierre.
– Eh bien ! dit-elle, est-ce possible que ces insupportables Barbesou soient encore ici ? J’ai fermé ma maison pour partir en vacances jusqu’à la rentrée des classes et maintenant vous trouvez encore moyen de me suivre ici.
Janette ne put retenir un fou rire. Mlle Demierre, surprise par cette vive contrariété, devint écarlate, mais les yeux de Pierre étincelèrent de colère.
– Nous ignorions que vous étiez ici, s’exclama-t-il, sans quoi, nous aurions joliment laissé le chien garder votre vieille laine pour toujours. Viens, Janette, dit-il en prenant sa sœur par la main et, en une minute, ils eurent rejoint Oncle Sam.
La colère de Pierre se fondit dans un éclat de rire. Qu’est-ce qui me prend, fit-il, j’étais furieux et maintenant je trouve cela cocasse !
– Je n’en sais rien, répondit Janette très sérieusement. Au commencement, je trouvais cela très drôle, et maintenant je pense que c’est attristant. Nous n’allons jamais atteindre le but que papa nous a donné ni accomplir notre vœu, si cela continue ainsi.
– Maintenant n’y pensez plus, dit sagement Oncle Sam. Allons prendre notre repas et ensuite nous irons en mer.
– En mer ? En mer ? crièrent les enfants d’une seule voix.
Oncle Sam possédait son propre bateau, un petit vapeur nommé la « Joyeuse Anna ». Un des pêcheurs, du nom de Tom, en assumait l’entretien et l’utilisait parfois en été pour promener des touristes. A trois heures, la « Joyeuse Anna » les attendait au pont d’embarquement. Que c’était exaltant de fendre les belles vagues bleues ! Janette ne pouvait retenir des cris de joie.
– Quelle chance ! disait-elle. C’est la première fois de ma vie que je vais en mer. Que j’aimerais y vivre toujours !
Tom sourit.
– La mer est calme maintenant, Mamzelle, dit-il, mais en hiver, de nuit, dans la tempête, avec des vagues hautes comme des montagnes, qui risquent de vous submerger à chaque instant, peut-être n’y seriez-vous pas si à l’aise.
– Oui ! et puis il faut un bon pilote ; dit Janette, l’air pensif.
Pierre parcourait le bateau en tous sens et questionnait chacun sur le fonctionnement des appareils. Il était justement en train de regarder dans les lunettes d’approche d’Oncle Sam, cherchant vainement à fixer son regard sur un transatlantique à l’horizon.
– Je ne vois rien d’autre que la mer et le ciel, gémissait-il.
– Voyons un peu, dit Oncle Sam, en regardant à son tour. Soudain il poussa un cri … A fond à bâbord ! Tom. Un jeune homme se cramponne à un canot renversé.
– A vos ordres, capitaine. Et Tom poussa à fond le petit vapeur.
C’était le moment, car le garçon épuisé n’aurait pu tenir une minute de plus. Même les vagues du bateau le firent lâcher prise. Il coula.
– Horreur ! il se noie, hurla Pierre.
Mais au même instant, Valéry qui s’était débarrassé de sa veste et de ses souliers, plongeait, empoignait le garçon et le ramenait à la surface, lui aidant encore à remonter sur la « Joyeuse Anna ».
Le jeune garçon, répondant au nom de Jim, n’avait aucun mal. Ils le gardèrent pourtant dans leur bateau et attachèrent son canot à la poupe de la chaloupe. Ils firent demi-tour vers le port.
La petite troupe arriva bientôt à la maison. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Valéry avait allumé un bon feu. Imité par Jim, il se débarrassa de ses vêtements mouillés et se frotta énergiquement avant d’enfiler des habits secs.
Jim n’avait que quinze ans. Il était petit pour son âge. Janette éclata de rire en le voyant à demi enseveli dans les pantalons et la blouse de matelot de Valéry.
– Que tu as l’air comique ! Pensais-tu que tu allais te noyer ? Avais-tu peur ? demanda-t-elle.
– Eh bien ! Mamzelle, je pensais que je ne pourrais plus tenir bien longtemps lorsque j’ai vu votre bateau venir à moi. Non, je n’avais pas peur, mais il y a quelques semaines, j’aurais été terrifié.
– Pourquoi n’avais-tu pas peur ?
– Voyez-vous Mamzelle, je vais à « Béthel des Marins » le dimanche. Il y aura trois semaines demain, un prédicateur nous a dit : « Demandez au Seigneur Jésus d’entrer dans votre cœur » ; et il ajouta « c’est comme si vous lui demandiez de piloter votre bateau ». Il expliquait ainsi : « Vous les gars, vous avez besoin d’un pilote pour le voyage de votre vie ». Je savais bien que j’avais besoin de Lui et je Lui ai demandé d’entrer dans mon cœur le même soir. Mais pt’être que vous ne comprenez pas.
– Si je comprends un peu parce qu’Oncle Sam nous l’a dit. Qu’est-ce que c’est le « Béthel des Marins » ?
Oncle Sam qui entrait à ce moment-là, entendit la dernière question. Il y répondit :
– C’est l’église des pêcheurs ; voulez-vous y venir avec moi demain ?
– Oui, avec plaisir, dit Janette. Que j’aimerais déjà être à demain, sans avoir besoin d’aller au lit !
6. Avez-vous besoin d’un pilote ?
Après cette journée passée en mer, dans cet air vivifiant, les enfants dormirent tant et si bien le dimanche matin qu’ils furent tous justes prêts pour accompagner Oncle Sam et Mme Blanchard à la réunion de « Béthel des Marins », à dix heures et demie.
La salle était décorée et les enfants examinaient tout avec grand intérêt. Tout d’abord, le podium avait la forme d’un pont de navire. Au centre se dressait un grand gouvernail, à la poupe pendait une ancre, même deux, une de chaque côté ; et à la proue, un mât raccourci laissait flotter le drapeau bleu de Pierre le marin. Des filets de pêche bruns, bleus, grenat et verts tombaient des rebords en longues guirlandes. Des caisses à langoustes témoignaient de la spécialité du pays et venaient s’ajouter aux rames et aux roues de commandes disposées en contrebas de la plate-forme. Deux falots en forme de boules, l’un rouge et l’autre vert, éclairaient le tout.
Il y avait tant à voir que Pierre et Janette écarquillaient leurs yeux. Dans la salle presque pleine, principalement occupée par des pêcheurs en costume de marin, un chant puissant et mélodieux s’éleva :
En route vers le port, marins
En route vers le port…
La plénitude d’espérance qu’apportaient ces paroles amplifiait encore leurs voix et leur force semblait vouloir soulever le plafond.
Au cours du récit biblique qui suivit, Pierre découvrit une ancre immense dessinée dans le linoléum. Il la fit remarquer immédiatement à Janette. Pour la voir, celle-ci dut se tortiller dans tous les sens et finit par se glisser sous le banc.
Soudain, les deux enfants furent saisis par le collet. Ils se retournèrent d’un seul coup pour faire face, le croirez-vous à Mlle Demierre en personne.
Janette ne put réprimer un fou rire, mais Pierre fronça les sourcils. Mlle Demierre les regarda d’un air visiblement ennuyé.
Par bonheur, à ce moment-là, un grand marin au visage heureux monta sur le pont du navire. D’un large sourire, il salua tous les enfants de l’auditoire et commença aussitôt à leur enseigner un petit cantique :
Voudrais-tu qu’un pilote
D’une main sage et forte
Dirige ton bateau
Vers un port calme et beau ?
Ce pilote est Jésus
Qui peut conduire au but
Ta barque, cher enfant,
A travers l’Océan.
Viens à Lui, aujourd’hui !
Tes péchés, Il a pris.
Sur la croix du Calvaire
Pour toi, il a souffert.
A Toi, je voudrais être
Divin Pilote et Maître.
Fais de moi ton enfant,
Fidèle et confiant.
Ils le chantèrent plusieurs fois. Pierre et Janette joignirent leur voix de toute leur force. Janette serrait la main d’Oncle Sam pour lui montrer combien elle aimait ce chant.
Ensuite, ils apprirent un petit texte par cœur qui se terminait par ces mots : « Même le vent et la mer lui obéissent ». Enfin le grand marin leur parla du divin Pilote.
Mme Blanchard sortit avec Pierre, Janette et les autres enfants. Tout en marchant sur l’esplanade le long de la mer, Janette pensive réfléchissait à ce qu’elle avait entendu. Elle ne comprenait pas tout. C’était si nouveau pour elle qu’elle désirait en parler à Oncle Sam au cours de la promenade de l’après-midi.
Vous auriez dû voir les yeux d’Oncle Sam lorsque les enfants lui parlèrent de l’intervention de Mlle Demierre.
– Oh la la ! qui aurait jamais pensé qu’elle viendrait là ! Elle demeure chez des pêcheurs qui louent des chambres. Je suppose qu’elle a voulu se faire une idée de « Béthel des Marins ». C’est fort dommage qu’elle ait été dérangée !
– Cela m’est égal de l’avoir dérangée, dit Janette franchement ; mais c’est notre vœu… Elle ne changera pas notre nom et nous n’atteindrons jamais le but que papa nous a donné.
– Jamais est une très longue journée, jeune demoiselle. Il me semble qu’avec le vrai Pilote à bord, notre bateau ne peut être que sur la bonne voie et que tout va finir par s’arranger.
– Oncle Sam, j’aimerais tant ! s’exclama Janette. J’aimerai tant connaître le Pilote du cantique. Comment dois-je faire ?
Ils étaient alors assis dans l’herbe au bord de la falaise, en train de regarder de grands navires qui glissaient à l’horizon.
– C’est très simple ma petite, répondit Oncle Sam. Il s’agit d’ouvrir son cœur et de demander au Seigneur Jésus d’y entrer et d’être ton Pilote.
– Est-ce qu’Il prend garde aux bêtises que nous pouvons commettre ? questionna Pierre.
– Oui, jeune homme, Il y prend garde. Le Seigneur Jésus a tellement horreur du mal qu’Il a pris toute notre méchanceté sur Lui-même et qu’Il est mort pour nous sauver.
– Comment a-t-Il fait pour prendre notre méchanceté sur Lui pour nous sauver ? demanda Janette.
– Voilà ! répondit Oncle Sam. Vous souvenez-vous de l’autre jour, quand votre papa vous a défendu d’aller au jardin pendant deux jours, vous obligeant à rester dans la salle de jeu toute la journée excepté les promenades avec Nounou ? C’était parce que vous aviez été polissons en taquinant Mlle Demierre. Votre papa sentait qu’il devait vous punir, n’est-ce pas ?
– Oui, répondirent deux voix intriguées.
– Eh bien ! En supposant que je sois allé chez votre papa et que je lui aie dit :
– Écoutez, Monsieur Barbesou, si je m’abstenais de sortir, excepté les promenades avec Nounou, rendriez-vous la liberté aux deux enfants ?
Ils éclatèrent de rire tous les deux à l’idée d’Oncle Sam allant faire une promenade avec Nounou.
– Est-ce que vous l’avez fait ? demanda Janette confuse.
– Non, dit Oncle Sam, mais si je l’avais fait vous auriez été libres tous les deux. En me punissant, votre père n’aurait pas pu vous punir. Le Seigneur Jésus a fait précisément cela. En prenant notre méchanceté, nos péchés sur Lui, Il en a porté la punition à notre place.
– Oh ! comme Il est bon, dit Janette les larmes aux yeux. Je regrette d’avoir été sotte si souvent. J’aimerais tant qu’Il entre dans mon cœur. Pouvons-nous le Lui demander maintenant ?
– Oui, dit Oncle Sam, maintenant.
Entourant chaque enfant d’un de ses bras, Il exposa au Seigneur Jésus ce que ressentaient les deux enfants. Lorsqu’il eut fini, Janette garda les yeux clos et dit :
– Cher Seigneur Jésus, je suis bien fâchée d’avoir été méchante et je te dis merci de m’enlever le fardeau de mes fautes. Veuille, s’il te plaît, entrer dans mon cœur et devenir le Pilote de mon bateau.
– Moi aussi, je regrette mes fautes, ajouta Pierre. Veuille, s’il te plaît, être mon Pilote.
Comme ils se trouvaient seuls, Oncle Sam entonna le cantique « Voulez-vous qu’un pilote » et ils chantèrent tous ensemble.
Jim se promenait sur la plage et lorsqu’il entendit le chant, il leva la tête, les reconnut et se mit à escalader la falaise. Arrivé près du sommet, il resta pris sous le rebord du rocher au point de ne pouvoir plus ni monter ni descendre.
Oncle Sam se sentait trop raide et trop vieux pour se risquer jusqu’à lui, aussi fut-il soulagé d’apercevoir deux jeunes gens au tournant du chemin qui aidèrent Jim à sortir de sa fâcheuse position.
– Écoute, jeune homme, lui dit Oncle Sam, tu ferais mieux d’attendre et de réfléchir avant de te lancer ainsi à l’aventure. Voici deux jours de suite que nous avons dû venir à ton secours.
Jimmy fit une grimace :
– Oui M’sieu, merci M’sieu, fit-il.
Il craignait un peu Oncle Sam ; mais les enfants se mirent à bavarder avec lui et l’entraînèrent à la maison pour le thé. Ensuite Pierre et Janette demandèrent instamment la permission de retourner à « Béthel des Marins ».
Mlle Demierre n’y était pas. A leur grande joie, on chanta de nouveau le cantique du divin Pilote et d’autres chants de marins.
Un matelot présenta la Parole de Dieu. Les deux enfants, tranquilles comme des images, finirent par s’endormir de chaque côté d’Oncle Sam. A leur éveil, ils étaient aussi vifs que des sauterelles et un joyeux souper acheva la journée.
– C’est le plus beau jour de ma vie, dit tout bas Janette à Oncle Sam, en lui souhaitant le bonsoir. C’est parce que nous avons le Pilote à bord qui nous aidera à gagner le but fixé par papa, n’est-ce pas ?
7. La Fiat verte.
Parlez du loup, il sort du bois …
Janette se réveilla de très bonne heure le lundi matin. Elle arriva au mas avant que Pierre se fut habillé. Quand Oncle Sam se mit à la fenêtre, les deux enfants jouaient au volant avec énergie autour de la pelouse.
– Dépêche-toi, Oncle Sam ! lui cria Janette en lui faisant signe de la main. Viens nous regarder avant de prendre ton petit déjeuner !
Mme Valéry avait mis à frire le lard dans ce qu’elle appelait le restaurant et cela sentait si bon que bientôt chacun se précipita à l’intérieur.
– Oncle Sam ! J’ai une idée.
Pierre se mit à rire. Janette commençait toujours ainsi et souvent ses idées ne valaient pas grand-chose.
– Eh bien ! petite dame, de quoi s’agit-il ?
– Oncle Sam ! J’aimerais accomplir notre vœu et faire quelque chose d’aimable envers Mlle Demierre et je me demandais si nous pourrions lui offrir un tour en mer aujourd’hui.
– Oui, ma chérie, mais je ne sais pas si Mlle Demierre … enfin il faut y penser. Peut-être ne supporte-t-elle pas la mer ? Certaines personnes sont malades.
Les enfants se mirent à rire. Comment était-ce possible d’être malade sur cette magnifique mer !
– Ne pourrait-on pas le lui proposer malgré tout ? continua Janette.
Oncle Sam réfléchit une minute.
– Je crois, dit-il, que nous ferions mieux de nous adresser au Pilote avant d’aller plus loin.
– Le consultes-tu pour tout, Oncle Sam ?
– Oui, en toute occasion, qu’elle soit importante ou non. Je suis certain qu’Il aime à ce qu’on lui raconte tout et que cela plaît à son cœur.
– Alors, disons-le-Lui tout de suite ! Et Janette se laissa glisser sur ses genoux.
La prière d’Oncle Sam fut très simple. Les enfants avaient l’impression qu’il parlait à un Ami qui se tenait à côté d’eux.
Après le déjeuner, on tourna le bouton de la radio. En général, Oncle Sam était seul à l’écouter, mais, ce matin-là, Pierre s’y intéressa. Il s’agissait de deux hommes qui s’étaient enfuis après avoir commis un vol. La police signalait une Fiat verte et indiquait le numéro de la plaque.
– Qu’ont-ils volé, Oncle Sam, demanda Pierre qui avait manqué la première partie.
– Des bijoux, paraît-il, et en quantité dans un des meilleurs magasins de la région. Cela m’étonnerait qu’ils aillent bien loin, car notre police a l’œil ouvert.
– Maintenant, mes chers amis, j’ai deux lettres à écrire ; pouvez-vous vous amuser seuls pendant une demi-heure ?
– Oncle Sam, nous permets-tu d’aller acheter des cartes postales pour écrire à la maison ? Il y a des magasins tout près d’ici.
Oncle Sam s’en alla à son pupitre tandis que les enfants prenaient le large. Mais, à peine partis, ils revinrent hors d’haleine.
– Oncle Sam, cria Pierre avant même d’entrer dans la chambre, nous avons vu la Fiat verte.
Oncle Sam tourna la tête tranquillement. Il commençait à être habitué à ces voix enthousiastes. Mais, cette fois, à l’ouïe du récit de Pierre tout essoufflé, il ne tarda pas à découvrir que ce n’était pas un fait banal.
– C’est la voiture que la police recherche depuis ce matin, tu sais. Oncle Sam, tu disais que c’étaient des bijoux. Nous l’avons vue. Deux hommes en sont sortis et l’ont abandonnée. Elle est verte. Elle a les lettres et les numéros indiqués par la radio. Oncle Sam se leva.
– Où est-elle, fils, demanda-t-il ?
– Elle est dans l’allée qui passe derrière la mare, interrompit Janette qui ne voulait pas rester en arrière.
Ils se hâtèrent donc vers l’endroit désigné.
– La voici ! dit Pierre en la montrant du doigt. Regarde, ils l’ont même si bien camouflée dans les buissons qu’on ne la remarque presque pas.
En effet, la couleur, la forme, la plaque, tout correspondait aux indications données. Il fallait avertir la police au plus vite. En quelques minutes, la voiture arriva et ils s’engouffrèrent derrière les policiers pour retourner une seconde fois dans l’allée derrière l’étang.
Le chef de la police posa des quantités de questions à Pierre : « A quelle heure exactement avaient-ils vu la Fiat ? » Oncle Sam regarda sa montre et fit le calcul à rebours. « Quel motif les avait poussés à laisser la voiture ? » Pierre avait lu le numéro de la plaque au moment où elle contournait l’allée.
– Tu es intelligent et observateur, remarqua l’officier de police. Peux-tu me décrire les hommes ?
Ici Janette s’avança. Elle était certaine que l’un avait des cheveux très blonds et ondulés et que l’autre en avait des foncés, presque noirs et très courts. L’un portait un manteau de pluie clair et l’autre était en manche de chemise avec un pull-over gris.
– Quelle direction les hommes ont-ils prise en quittant la voiture ? poursuivit le gendarme.
– Ils ont été à travers champs, dit Pierre, et ils avaient l’air pressés.
– Hum ! Ça c’est le chemin de la gare…
Ici le chef s’interrompit. Il donna l’ordre à ses gens de téléphoner à tous les bureaux de police, de surveiller toutes les gares le long de la ligne et de faire rapport immédiatement s’ils apercevaient les fuyards.
– Je pense que nous devrions revoir ce jeune homme et sa sœur, dit-il à Oncle Sam en les raccompagnant. Ils méritent d’être félicités tant pour leur sens d’observation que pour leur vivacité d’esprit.
– C’était gentil ce qu’il a dit de nous, n’est ce pas, Oncle Sam ? demanda Janette qui n’avait pas bien compris ; car, quand papa disait qu’ils méritaient quelque chose, c’était toujours mauvais signe et avant-coureur d’une punition.
– J’aimerai bien qu’il le dise à papa, ajouta-t-elle, lorsqu’elle fut certaine d’avoir bien agi.
– Mais cela ne servirait à rien puisque cela ne concerne pas Mlle Demierre, objecta Pierre. Comme j’aimerai qu’elle cesse de nous appeler « insupportables » !
– Elle le fera bientôt, repris Janette. Je demande chaque jour au Seigneur Jésus de me montrer ce que je peux faire pour elle.
Tout en discutant, ils avaient atteint la jetée.
– Allons voir la « Joyeuse Anna », suggéra Pierre. La voici ! Et ils descendirent les escaliers auprès desquels le bateau était amarré.
Oncle Sam marchait plus lentement et vit quelqu’un que les enfants n’avaient pas remarqué et qui était… Mlle Demierre. Elle se tenait devant une pancarte qui annonçait l’heure de départ des différentes excursions en mer. Elle écoutait les mariniers qui criaient l’un plus fort que l’autre :
– Deux heures en mer…. Par ici, sur la « Vague d’argent » !
– Deux heures de croisière avec les « Trois Garçons » !
– Une heure, seulement le long de la côte, avec visite aux grottes !
Oncle Sam, en homme très poli, souleva son chapeau en s’approchant d’elle :
– Bonjour Madame ! commença-t-il, Quelle belle matinée ! Aimeriez-vous l’eau ? Je me demandais si une promenade en mer, sur mon bateau, vous ferait plaisir ? Nous pourrions partir à l’heure qui vous conviendrait.
– Comme je vous remercie et vous suis obligée, cher Monsieur ! Sur les bateaux publics, c’est la cohue à cette période de l’année. Soudain, sur son visage enchanté, une ombre passa.
– Puis-je vous demander si ces insupportables Barbesou y seront ? S’ils viennent, je n’oserai pas accepter votre invitation.
Oncle Sam réfléchit rapidement.
– Non ! Madame, dit-il. Si vous avez envie de venir cet après midi, les enfants resteront sur la plage avec ma sœur. A vrai dire, c’était le désir de Janette de vous inviter à une croisière.
Ils fixèrent l’heure et Oncle Sam retourna vers ses petits amis et leurs raconta sa rencontre.
– Oh ! que c’est dommage, dit Janette, nous n’aurons pas de sortie en mer et je me réjouissais tant !
– Peut-être pourrons nous y aller demain matin et plus longtemps, suggéra Oncle Sam. Vous voyez, enfants, ajouta-il, le Pilote ne nous conduit pas toujours où nous désirons aller, mais Il choisit le meilleur chemin.
Pierre serra une des larges mains d’Oncle Sam et Janette s’empara de l’autre pour lui donner son accord.
8. Le festival de pêche.
Les enfants avaient été si raisonnables en acceptant de ne pas aller en bateau avec Mlle Demierre que le lendemain, le temps étant au beau, Valéry emballa un volumineux pique-nique afin de passer toute la journée sur la « Joyeuse Anna ».
– Que dirais-tu, Pierre, de faire un saut chez Jim pour l’inviter aussi ? suggéra Oncle Sam. Il vous attend pour le thé en fin d’après-midi, n’est-ce pas ? Nous serons de retour à temps.
– Mme Blanchard m’a recommandé de revenir mettre une robe propre et de faire un brin de toilette avant d’aller à cette invitation, remarqua Janette. Elle sera là pour m’aider.
– Oui, tous les deux vous en aurez besoin, je pense, dit Oncle Sam en admirant leurs belles joues rouges.
– C’est Valéry qui me débarbouille, ajouta Pierre, mais je sais le faire tout seul à vrai dire. Je suis prêt pour l’internat.
A mi-chemin déjà, ils rencontrèrent Jim qui sauta de joie à la perspective d’un jour en mer. Il courut en avertir sa maman.
– Monsieur, confia-t-il à Oncle Sam dès son retour, c’est aujourd’hui le Festival de pêche pour les enfants. Il y a des prix pour ceux qui ont pris le plus de poissons : une série de prix pour les enfants en dessous de 11 ans et une autre série pour ceux de 11 à 16 ans. Pourrions-nous essayer ?
– Bien sûr ! jeune homme. Oncle Sam lut soigneusement les conditions. Je vois que nous avons juste le temps. Nous devons nous inscrire avant de partir. Le premier coup de canon est à onze heures pour le départ et le second à quatre heures pour le retour.
Les trois enfants, très excités, se mirent tout de suite au travail. Tom connaissait les meilleures places où passaient les poissons et Oncle Sam donnait ses conseils pour les appâts et la manière de pêcher. Tom apporta les seaux. Jim y déposa le premier poisson, bientôt imité par ses deux compagnons.
Au bout d’un moment, Janette en eut assez et préféra courir sur le pont et causer avec Oncle Sam ; mais les deux garçons continuèrent sérieusement.
Le repas fut pris sur le pouce. Oncle Sam fut stupéfait de voir la quantité de sandwiches au jambon, de pains aux raisins, de bananes, de biscuits sucrés et de boissons gazeuses qui disparut en quelques minutes.
– Jim pense que j’en ai pris le plus, Oncle Sam. Penses-tu que je gagnerai le prix ? demanda Pierre.
– Je n’en sais rien, jeune homme. Sur tous ces bateaux, il y a des gens qui pêchent. Ils essaient tous.
Cette maigre chance d’emporter le prix piqua au vif, malgré tout, fort bien les garçons. Parfois l’un pensait en avoir plus que l’autre et Janette faisait l’arbitre en soulevant les bidons.
– Est-ce qu’ils gardent le poisson ? demanda-t-elle à Jim.
– Non, Mamzelle, ils ne font que le peser, puis nous le redonnent.
– Que va-t-on faire de tout çà ? soupira Janette.
– Je vendrai les miens dans une des poissonneries et je puis vendre les tiens aussi, si tu veux.
Pour finir, on décida que Jim les vendrait tous au marchand désireux de les prendre et qu’on partagerait l’argent gagné en trois parts, puisque Janette renonçait à pêcher l’après-midi de peur d’attraper les poissons des garçons.
– A combien se vendent-ils ? demanda Pierre. Assez pour acheter un appareil photo ?
– Pierre économise pour acheter un appareil, expliqua Janette, mais il dépense son argent avant même de l’avoir mis dans son porte-monnaie. Quant à moi, je pense acheter quelque chose pour Mlle Demierre. Je me demande si elle aimerait un mouchoir comme toutes les vieilles dames. Que feras-tu du tien, Jim ?
– Moi, dit Jim, j’ai l’habitude de diviser mon argent par dix. Je donne 8 dixièmes à maman pour mon entretien et j’en garde un pour moi.
Pierre réfléchit un instant.
– Mais ce n’est pas tout, dit-il, il y a encore le dernier dixième, n’est-ce pas ? Qu’en fais-tu ?
Il faisait très chaud malgré la brise marine et Jim avait pris un beau coup de soleil. Il était déjà rouge, mais cette question directe le fit devenir écarlate.
– Voyez-vous, dit-il lentement, l’autre dixième s’appelle la dîme. Elle appartient à Dieu et je la mets dans la boîte des Missions.
– Comment sais-tu qu’elle appartient à Dieu ? demanda Janette. Es-tu forcé de la donner ?
– Non ! dit Jim pensivement, mais le moniteur nous a dit qu’on calculait comme cela autrefois. Dieu aime que nous le fassions aussi. Mon père et ma mère le font toujours, ajouta-t-il.
– Alors Pierre, décida Janette, nous donnerons aussi notre dîme à Dieu. Tu es d’accord ? Cela me ferait plaisir. Il est notre Pilote à nous aussi, expliqua-t-elle à Jim.
Il était près de quatre heures et tous les bateaux rentraient. Bientôt le coup de canon partit et les enfants firent la queue pour faire peser leurs poissons.
Le poids total de la pêche de Pierre atteignait quatre kilos trois cents. Ils attendirent que tous les poissons soient pesés et qu’on annonce les résultats. Un grand nombre d’enfants avaient participé au concours et Pierre vit ses espoirs de gagner s’évanouir peu à peu. La surprise fut d’autant plus grande lorsqu’il entendit : « En dessous de onze ans, la plus grosse prise a été faite par Pierre Barbesou : 4,300 kilos !
Jim, lui, n’avait que 3,900 kilos et fut classé troisième dans le groupe des jeunes de onze à seize ans. Le pesage terminé, les gagnants furent invités à revenir à la jetée, à six heures et demie, chercher leurs prix.
L’excitation était générale. Jim partit vendre le poisson. Les deux autres s’en allèrent se changer et Oncle Sam promit de passer les prendre pour être à temps à la réception des prix.
Jim, courant toujours, mais heureux d’avoir pu vendre tout le poisson, les rattrapa en chemin. Il étala sur un mur les vingt francs et quarante centimes qu’il serrait dans sa main. Un petit calcul leur montra qu’ils avaient droit chacun à six francs quatre-vingts. Janette commença à diviser sa fortune par dix. Ce fut plus long, mais enfin elle décida que cela ferait des parts de soixante-dix centimes.
Pierre, à son tour, offrit sa participation à l’achat du mouchoir de Mlle Demierre.
En se rendant chez Jim pour le thé, ils passèrent devant une mercerie et y entrèrent. Il y avait de très jolies pochettes pour un franc et cinquante centimes. Janette en admirait surtout une, décorée d’une petite fille qui faisait la moue devant une plate-bande de fleurs. Quelques mots, imprimés sous le dessin, traduisaient son expression :
« Daisy, Daisy, as-tu du chagrin ?
Comment pousse ton jardin ? »
Pierre se mit à rire.
– Et si elle ne s’appelle pas Daisy ? objecta-t-il. Elle pensera encore que nous sommes des « insupportables ».
– Oh ! c’est vrai, quel ennui ! Janette n’y avait pas pensé.
– Est-ce que les mouchoirs unis vous plaisent ? J’en ai avec toutes les lettres, proposa le vendeur. Après bien des hésitations, ils décidèrent d’en choisir un avec la lettre D, joliment brodée en bleu.
– Tu feras bien de lui faire remarquer que le D est pour Demierre, conseilla Pierre.
– Oui, je lui dirai que le D est pour Dame et pour Demierre. Elle ne pourra pas se fâcher et, ajouta-t-elle malicieusement, si elle s’appelle Daisy, cela ira aussi bien. Nous emporterons notre cadeau à la plage, demain matin, et nous essayerons de la trouver.
Le thé était prêt lorsqu’ils arrivèrent chez Jim. Sa maman, Mme Desmas, allait justement le porter à sa pensionnaire.
– Oh ! vous avez une pensionnaire ? demanda Janette.
– Oui, chérie, une dame âgée, très tranquille. Elle ne dérange pas du tout, ajouta Mme Desmas, les mains encombrées par le plateau.
– Puis-je vous aider en portant les biscottes ? offrit Janette.
– Merci, ma petite, cela m’évitera des pas.
Janette suivit Mme Desmas jusqu’au salon et là – voulez-vous me croire ? – elle trouva Mlle Demierre assise dans un fauteuil.
– Oh ! c’est Mlle Demierre, s’exclama Janette.
– Vous vous connaissez, chérie ? demanda Mme Desmas.
– Oui, répondit Mlle Demierre, nous sommes voisines.
– C’est la meilleure ! poursuivit Mme Desmas. Quel plaisir de se retrouver ici !
Janette ne put s’empêcher de rire en cachette.
– Mlle Demierre, dit-elle avec empressement, nous avons un mouchoir pour vous, à la cuisine. Je vais le chercher.
– Viens vite, Pierre ! appela-t-elle. Mlle Demierre est ici.
Timidement, Pierre suivit sa sœur qui, d’emblée, présenta leur petit cadeau.
– Voyez, dit-elle, nous avons choisi D pour Dame et pour Demierre.
– C’est très gentil de votre part, mes enfants, dit Mlle Demierre d’une voix affectueuse. Vous ne devriez pas dépenser votre argent pour moi.
– C’est l’argent de notre pêche, expliqua Pierre. Nous avons dépensé chacun un dixième pour vous et nous mettrons la dîme de Dieu pour les Missionnaires.
Ceci dit, Janette se retira précipitamment dans la confortable cuisine.
– Oh ! s’écria-t-elle, n’est-ce pas merveilleux ?
Mlle Demierre a dit que c’était très gentil de notre part et nous a nommés « mes chers petits », Pierre ! continua-t-elle, en prenant son frère par la manche et en le faisant pirouetter, je crois que nous venons de commencer à réaliser notre vœu. Oncle Sam a dit que cela viendrait par petits bouts.
Chacun jasait joyeusement autour de la table garnie. La distribution des prix avait réuni toute une petite troupe très excitée. Pierre, au comble du bonheur, feuilletait un magnifique livre, illustré en couleurs, où se trouvaient reproduites toutes sortes de poissons et de curieuses créatures vivant au fond de la mer.
Somme toute, la journée avait été splendide. Aussi Janette, en s’agenouillant près de son lit, ce soir-là, dit-elle de tout son cœur : « Merci, Seigneur Jésus pour la belle journée ! Et merci encore pour la rencontre avec Mlle Demierre ! S’il-te-plaît, montre-nous ce que Tu désires que nous fassions pour qu’elle change notre nom devant papa ».
9. Étincelle.
– J’aimerais que ce soit le premier jour au lieu du dernier, remarqua Janette tristement, à l’heure du petit déjeuner, le jeudi matin. Oncle Sam, continua-t-elle, ne pourrions-nous pas faire un peu de chaque chose aujourd’hui ?
– Une pêche aux crevettes dans les flaques !
– Un vrai bain.
– Une glace !
– Une sucette !
– Un bonbon !
– Un tour à dos d’âne !
– Une partie de bateau sur la « Joyeuse Anna » !
– Un pique-nique sur la plage !
– Une partie de pêche !
– Et n’attraper qu’un seul poisson…, interrompit Pierre.
– Non ! une quantité, bêta.
– Bâtir un château !
– Regarder une fois dans le télescope et…
– Un…, un…
– Et rencontrer une Mlle Demierre, suggéra malicieusement Pierre, tandis que Janette réfléchissait à d’autres « un ».
– Bien, gloussa Janette. Je ne désire pas rencontrer plus d’une Mlle Demierre, bien qu’elle ait été très gentille avec nous, hier.
– Voyons mes poussins, dit Oncle Sam, si nous voulons mettre tout cela en une journée, nous serons des « cracks » comme disent nos amis américains. Nous pourrions commencer par les petites choses, ce matin, et remettre la sortie en mer, avec la pêche, à l’après-midi ; puis, nous aurons notre thé-pique-nique sur la plage, suivi de ce qui n’aura pas encore été fait.
C’est une bonne chose de faire des projets, mais parfois ils ne se suivent pas comme on le pense et c’est précisément ce qui arriva ce jour-là.
Tout alla bien pour la pêche aux crevettes et le bain. Vint le tour des gourmandises, suivies de la partie à dos d’âne.
L’âne favori de Janette était replet et confortable. Il se nommait Molly. Quand à Pierre, il ne voyait de beau qu’étincelle et prétendait que ses jambes étant plus longues, il allait plus vite que les autres.
– Mon vieil ami Étincelle, lui disait-il en le flattant de la main et en lui passant son bras autour du cou. Mon vieux ! Nous irons comme le vent, n’est-ce pas ? Et d’un coup, il grimpa sur le dos de l’âne.
– Surtout ne le frappe pas, recommanda-t-il au garçon écuyer. Je me charge de le faire avancer. Il le pressa entre ses genoux et lui fit adopter un trot très respectable.
Escortés du garçon, Janette et Molly suivaient au pas. Ils ne parvinrent à rattraper Pierre qu’au moment où le gardien leur cria de rentrer.
Il faut savoir que le plus paresseux, le plus doux des ânes de la plage fait toujours un temps de galop en rentrant à l’écurie. Molly et Étincelle ne faisaient pas exception à la règle. Ils allaient contre le vent – ce jour-là assez fort – et malgré tout, ils galopaient à qui mieux mieux, excités encore par les cris de joie des enfants.
Il paraît que le vent avait emporté un malin petit lutin sur ses ailes qui vit une dame en train de lire son journal. Elle venait justement d’en terminer la première partie et tentait de la glisser par-dessous la seconde en vue de poursuivre sa lecture.
« Voilà une bonne occasion ! » pensa le vent. Il souffla très fort et arracha le journal de la main de la vieille dame. (Ce n’est bien sûr pas très poli d’arracher, mais il ne s’arrêta pas pour y penser). « Qu’allons-nous faire ? se demanda-t-il. Oh ! je sais. Le journal est maintenant bien ouvert. Que ce serait amusant de le souffler sur la tête de l’âne ! »
Étincelle arrivait au même moment et le vent lui appliqua les grandes feuilles imprimées sur le museau. Aucun âne qui se respecte, n’accepte pareil traitement. Étincelle encore moins que les autres.
« Que m’arrive-t-il ? se dit-il en brayant en lui-même. C’est aveuglant. Je vais essayer de m’en débarrasser ».
Il ne pouvait plus voir son chemin, mais il était déterminé à aller quelque part et partit au grand galop. Il allait si vite que Pierre n’arrivait plus à sauter. Il tenta de s’y cramponner, couché à plat ventre sur le dos de l’animal qu’il tenait serré par le cou. Ensemble, ils cabriolaient, bondissaient, sautaient, dépassant de loin l’arrêt habituel.
Plusieurs personnes tentèrent de les arrêter. Mais, lorsqu’Étincelle se mettait martel en tête, il fallait beaucoup plus que des cris pour ralentir sa course. Soudain, Pierre sentit qu’il ne pouvait plus tenir. Étincelle finit par s’affoler complètement.
« Je dois me débarrasser de cet horrible journal, et au plus vite, décida-t-il en se cabrant ».
Il lança son derrière en l’air et fit la culbute. Pierre fut projeté et tomba lourdement quelques mètres plus loin.
Étincelle se tint tranquille pendant un moment.
« Que s’est-il passé ? se demanda-t-il dans sa cervelle d’âne. Un poids est tombé de mon dos, mais cette chose m’aveugle toujours ». Il fit demi-tour et bien sûr, comme le vent soufflait dans l’autre sens, le papier tomba à terre instantanément.
Deux messieurs s’approchèrent de Pierre. Ses yeux étaient fermés et il était très pâle. Avec précaution, ils le portèrent le long de la plage et rencontrèrent Oncle Sam et Janette qui accouraient vers eux suivis d’un promeneur qui était médecin.
– Posez délicatement le petit sur ce manteau, dit-il, je veux l’examiner. Les bras sont en ordre, les jambes aussi, continua-t-il en palpant les articulations. Ah ! qu’avons-nous là ? Une côte cassée, deux peut être. Bien, bien, si c’est tout, nous pourrons être contents, cela aurait pu se révéler plus grave. Nous aurons tôt fait de le remettre sur pied.
Alors la dame dont le journal avait été emporté par le vent entra dans le cercle, très agitée.
– Que je regrette ! commença-t-elle. En reconnaissant son petit voisin, elle s’arrêta net. A ce moment précis, les yeux bleus de Pierre s’ouvrirent et la première personne qu’il vit fut Mlle Demierre.
– Eh ! dit-il faiblement, qu’est-ce qui m’arrive ? Ah ! oui, Étincelle s’est emballé. Où est-il ? Est-il blessé ?
– C’est à cause de mon journal, dit Mlle Demierre en se penchant vers lui, j’en suis navrée.
– Cela ne fait rien, dit Pierre, ce n’est pas grave. Cet accident nous aidera peut être à réaliser notre vœu.
Il essaya de s’asseoir, mais retomba en arrière avec un cri déchirant et ses yeux bleus se refermèrent.
Janette se cramponna à Oncle Sam et devint pâle comme un linge. Elle éclata en pleurs.
– Oh ! sanglota-t-elle, j’ai peur qu’il ne soit mort.
– Rassure-toi, dit le docteur en la regardant gentiment. S’il plaît à Dieu, nous allons le remettre et il pourra de nouveau faire des compétitions avec toi.
Transporté à l’hôpital, Pierre y fut radiographié et la côte cassée (ce n’en était qu’une, après tout) fut réduite et bandée solidement.
– Il vaut mieux nous le laisser jusqu’à demain, dit le docteur. Ensuite il pourra sortir, mais il faudra aller doucement pendant quelques semaines.
– Je viens de téléphoner à votre maman, votre père étant absent, dit Oncle Sam à Janette. Elle offrait de venir, mais je lui ai dit que ce n’était pas nécessaire et qu’elle ne devait pas s’inquiéter. Elle était d’accord avec moi pour trouver préférable de prolonger votre séjour de quelques jours puisque Pierre doit passer encore deux fois au contrôle médical.
– Oh ! Oncle Sam ! Janette ne savait plus s’il fallait rire ou pleurer.
Oncle Sam, réalisant que la pauvrette avait presque autant souffert que son frère, la prit sur ses genoux.
– Sera-t-il bientôt guéri ? demanda-t-elle. C’est merveilleux de pouvoir rester encore ici quelques jours et peut-être d’aller de nouveau en mer ! Mais j’aimerais te dire, Oncle Sam, ajouta-t-elle, Pierre et moi, nous demandons chaque jour au Pilote de diriger nos bateaux et de nous aider à accomplir notre vœu pour satisfaire papa. Penses-tu que Lui-même a permis cet accident ?
– Certainement, mon enfant. Lorsque nos vies et nos soucis sont placé entre Ses mains sages, Il dispose les choses et conduit nos pas d’une main sûre sur la bonne voie.
– Alors il se pourrait maintenant que Mlle Demierre nous aime, finit par dire Janette en sautant sur les genoux d’Oncle Sam.
10. Hi-Han.
Le jour suivant, Pierre reçut la permission de sortir de l’hôpital. On lui recommanda de se mouvoir doucement, lentement et de s’étendre la plupart du temps au cours des trois premiers jours.
Sur le confortable sofa du salon, le temps ne lui parut pas long. Janette, Oncle Sam et Valéry étaient toujours disposés à s’asseoir près de lui, à lui raconter de belles histoires et à jouer à toutes sortes de jeux. Jim vint aussi plusieurs fois et lui apporta des livres intéressant les garçons de son âge. Même l’ânier et son fils passèrent prendre de ses nouvelles.
Le dimanche matin, Janette accompagna Oncle Sam à « Béthel des Marins ». Sitôt que fut fini le quart d’heure des enfants, elle courut à la maison tout raconter à son frère.
Dans l’après-midi, quelqu’un frappa à la porte : c’était Mlle Demierre. Elle leur sourit véritablement et s’assit sur le divan.
– Je viens vous dire, commença-t-elle, combien je regrette d’avoir été la cause de cet accident.
Pierre lui fit une petite moue joyeuse.
– Vous n’y pouvez rien ! De plus, ajouta-t-il avec un malicieux clin d’œil, sans votre journal, nous serions déjà rentrés vendredi dernier. Aujourd’hui, Oncle Sam nous a invités à rester ici encore toute une semaine.
Mlle Demierre lui caressa les cheveux.
– Bien, dit-elle, c’est aimable de votre part de prendre la chose ainsi.
Janette s’était tenue un peu à l’écart pour écouter. Elle s’avança.
– Mademoiselle Demierre, fit-elle timidement, nous regrettons de vous avoir ennuyée si souvent dans votre jardin avec nos balles et le grogneur et toutes les autres choses. Nous savions que c’était mal, mais nous ne voulions pas vous faire de la peine. Nous regrettons tous les deux, ajouta-t-elle, afin d’aider son frère.
– Eh bien mes chers enfants, laissons cela au passé. Nous nous entendrons mieux dorénavant.
– Oui ! déclara Pierre qui voulait faire sa part, vous voyez nous avons le Seigneur Jésus comme Pilote à bord maintenant et Il nous aide à ne pas faire des sottises.
Mlle Demierre rentrant chez elle le lendemain, ils lui dirent « au revoir ».
A partir de ce jour-là, ils eurent une semaine merveilleuse. Valéry transporta une chaise-longue sur le pont de la « Joyeuse Anna », ce qui leur permit de vivre presque entièrement sur mer. Oncle Sam disait qu’ils devenaient si bruns que leur maman allait lui demander s’il ne ramenait pas deux enfants indiens à la place des siens.
Lorsque Pierre put marcher un peu, il voulut aller voir Étincelle encore une fois. Ils se dirigèrent vers l’enclos et il appela sa favorite.
– Hallo ! Étincelle, murmura-t-il au creux d’une de ses grandes oreilles, tu as eu peur, n’est-ce pas ?
Un formidable « hi-han » fit sursauter Pierre. Janette étouffait de rire.
– Oh ! Pierre, il dit qu’il regrette.
– C’est bien, Étincelle, dit Pierre en réponse à son second « hi-han ». Ce n’était pas ta faute, ajouta-t-il en prenant dans sa poche la carotte qu’il avait apportée tout exprès.
A peine l’avait-il sortie que tous les autres ânes accoururent. Janette avait heureusement un cornet plein de morceaux de sucre pour Molly ; elle put en distribuer un à chacun.
– Oncle Sam, supplia Pierre, puis-je le monter encore une fois avant de partir ?
– Non, mon garçon, je crains pour ta côte. Il vaut mieux attendre l’année prochaine.
– Oh ! Oncle Sam, s’écria Janette en s’élançant dans ses bras au milieu des touristes et des ânes, y aura-t-il une année prochaine ? Pourrons-nous réellement revenir ?
– Hum ! poussins, je n’aurais peut être pas dû le dire si vite, mais je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas recommencer si vos parents y consentent. Les enfants étaient muets de joie et Janette commença à danser.
– Oh ! s’exclama-t-elle, je vais faire une liste de toutes les journées et je les rayerai à mesure pour que cela aille plus vite. Ce sont les plus belles vacances que nous ayons eues. Nous avons avancé un petit bout à notre vœu, n’est-ce pas, Oncle Sam ? Et nous connaissons le Seigneur Jésus, ce qui est bien le meilleur de tout !
11. La lecture à haute voix.
Les vacances avaient été passionnantes et, pourtant, il faisait bon revenir à la maison. C’était gai de revoir maman, Nounou et les petits, sans oublier Roseline. Pierre et Janette avaient tant à raconter que cela n’allait pas assez vite : ils se mirent donc à parler les deux ensembles.
– On ne comprend ni l’un ni l’autre, objecta Nounou, quand vous parlez les deux à la fois. Racontez chacun à votre tour un peu de chaque chose. Le résultat fut une vraie salade d’Étincelle, de poissons, de Mlle Demierre, de crabes, de crevettes, de bateaux, de la boîte pour les missionnaires et de la dîme.
L’école recommençait deux jours plus tard pour Pierre et Janette qui suivaient des cours préparatoires à cinq minutes de chez eux. Selon l’avis du médecin, Pierre était autorisé à y assister à la condition de s’abstenir des jeux et de la gymnastique.
– Si seulement le docteur pouvait m’ordonner de ne pas suivre le calcul, soupira Janette, c’est tellement ennuyeux et jamais juste.
– Et pourtant, on ne pourrait pas compter la dîme de Dieu sans le calcul, remarqua Pierre.
Comme ils passaient tout le jour à l’école, ils avaient pris l’habitude de se rendre chaque soir, chez Oncle Sam. Les jeux, les histoires et le plaisir qu’ils partageaient avec lui couronnaient la journée de travail. Deux ou trois semaines s’écoulèrent ainsi. Ils n’entendaient plus parler de Mlle Demierre, bien qu’à deux reprises elle ait fait demander de leurs nouvelles. Puis un jour, en rentrant de l’école, Janette rencontra Hélène, la servante.
– Je suis en souci de Mlle Demierre, ma maîtresse, dit Hélène.
– Est-elle malade, demanda Janette ?
– Ce sont ses yeux. Elle ne voyait déjà plus très bien depuis quelques temps, mais le mal s’est aggravé. Le docteur Morier dit qu’elle devra subir une opération et qu’après sa vue sera de nouveau parfaite. Mais ce qui me fait du souci, c’est que mon cher père est malade. Je dois aller aider maman à le soigner pendant plusieurs semaines.
Berthe, ma collègue, est capable de faire le ménage, mais elle n’a pas l’habitude de lire à haute voix. Le docteur dit que Mlle Demierre ne doit absolument pas se fatiguer les yeux avec des petits caractères ; c’est pourquoi je lui lis le journal chaque jour et cela va bien lui manquer.
– Hélène ! Pourrions-nous lui faire la lecture ? Pierre est un bon lecteur. Il sait lire presque tous les longs mots et je pourrais aussi très bien les épeler.
Le visage d’Hélène s’éclaira.
– Si toi et ton frère vous pouviez le faire, j’en serais soulagée.
Lorsque Pierre apprit la chose, il parut douter du résultat.
– Cela est possible, dit-il, mais signifie que nous n’aurons plus le temps d’aller chez Oncle Sam après le goûter et c’est le seul moment que nous avons.
Ce soir-là, ils racontèrent tout à Oncle Sam.
– Eh bien ! mes poussins, dit-il, parfois notre Pilote choisit un chemin qui n’est pas facile pour nous. Renoncer à quelque chose que nous aimons, même s’il nous en coûte beaucoup, en vaut bien la peine, toujours la peine quand c’est pour Le suivre.
– Oui ! acquiesça Janette, cela pourrait faire partie de notre vœu. Mais Oncle Sam, continua-t-elle lentement, ce n’est plus vraiment à cause de notre vœu et du but de Papa, c’est parce que nous aimerions plaire au Pilote.
Oncle Sam saisit parfaitement leur pensée et le beau sourire qu’il leur adressa en fut la preuve évidente.
Ils débutèrent le jour du départ d’Hélène et Mlle Demierre parut contente de les avoir auprès d’elle. Ce n’était pourtant pas très facile. Les journaux, si peu intéressants et compliqués, lassaient très vite le zèle de Pierre mais il fallait malgré tout parcourir tous les articles que Mlle Demierre voulait entendre. Heureusement qu’ils savaient où chercher du secours, ce qui leur aida à persévérer jour après jour.
Comme prévu, ils avaient fait une sorte de calendrier jusqu’aux prochaines vacances d’été. Que cela paraissait long 350 jours ! Chaque soir, ils en rayaient un… C’était toujours un de moins. Pourtant le temps passa incroyablement vite : l’école toute la journée, puis le goûter, avec maman quand elle était là ; ensuite, la lecture à Mlle Demierre et un moment de jeu avec les petits et, pour terminer, quelques minutes chez Oncle Sam, à la sauvette. Rien d’étonnant à ce que les jours, puis les semaines s’envolassent avec autant d’occupation. Sans même s’en rendre compte, le jour du retour d’Hélène arriva, l’école fut finie et les vacances d’hiver commencèrent. Papa et Noël seraient bientôt là !
– Mais qu’en est-il de notre vœu et du but de papa ? soupirait Janette. Nous prions chaque jour pour cela. Penses-tu qu’il viendra ce nouveau nom, Oncle Sam ? Le Seigneur Jésus peut-Il nous aider ?
– J’en suis sûr, fut la réponse. Le Seigneur Jésus nous conduit toujours dans la bonne voie. TOUJOURS.
12.Le but.
L’excitation était à son comble. Ce soir, papa rentrait. Vite les derniers achats, les emballages des surprises dans des papiers de fête et, demain, on fêterait Noël.
C’était fascinant d’être en face de la petite chambre dont la porte était interdite. De grandes pancartes vous prévenaient : « PRIVÉ ! » – « N’ENTREZ PAS ! » Mais quand les grandes personnes en sortaient, des yeux curieux apercevaient un peu des décors féeriques…
A l’heure du thé, tout fut prêt et maman partit en voiture à la rencontre de papa.
– Oh ! maman, laisse-moi venir aussi, supplia Janette, seulement moi.
– Non ! moi, maman. Je suis l’aîné, se récria Pierre, prends-moi.
Mais le « NON » de maman était catégorique et les enfants s’installèrent dans l’embrasure de la fenêtre pour épier l’arrivée de la voiture.
« Installés » est un bien grand mot, car ils n’étaient nullement assis. Ils sautaient, gesticulaient, riaient.
– Je verrai papa le premier, annonça Pierre, parce que j’ai une tête de plus que vous.
– Non ! dit Janette, ce sera moi parce que je sauterai. Ils étaient si absorbés à discuter qu’à la fin ce fut Roger qui s’écria : « Les voilà ! voilà papa ! » Ce fut alors la dégringolade vers la porte d’entrée.
– Bonsoir, bonsoir ! mes petits, dit papa en déposant tous ses bagages et ses paquets pour embrasser ses quatre enfants et les soulever dans ses bras très forts.
– Oh ! papa, que tu es beau ! s’exclama Janette. Tu as été loin si longtemps. J’avais presque oublié comme tu étais beau.
Papa fit une révérence qui provoqua un rire général et l’heure du thé fut très gaie.
Papa n’a pas parlé du but, dit Janette à Pierre lorsqu’ils furent prêts à aller au lit, mais j’ai la conviction qu’il y pense. Oh ! Pierre, que j’aimerais qu’elle nous donne un beau nom. Prions ensemble ce soir et demandons-Le-lui tout spécialement.
– Cher bon Berger, commença Janette (elle aimait à L’appeler ainsi), s’il te plaît, fais que Mlle Demierre nous donne un joli nom, et, s’il te plaît, fais que papa le sache.
– Oui, s’il te plaît, fais-le, insista Pierre, et veuille le faire sans tarder, Seigneur. En ton nom précieux. Amen.
La toute première chose à laquelle ils pensèrent après le petit déjeuner de Noël fut de passer tous les quatre jours par le trou de la haie pour rendre visite à Oncle Sam. Il leur avait donné rendez-vous et les attendait.
– Joyeux Noël ! mes poussins, leur souhaita Oncle Sam et merci pour les cartes. Elles trônent au centre de ma cheminée à l’étage supérieur. Aïe ! aïe ! qu’est-ce que c’est ? Il avait, tout en parlant, tiré son mouchoir de sa poche et quatre petits paquets venaient de rouler sur le sol. Qui a bien pu remplir ma poche de cette façon ? Elle n’est pas une poubelle ! Ah ! ça par exemple, vos noms y sont inscrits. C’est donc pour vous ?
Pierre fut le premier à ouvrir son paquet.
– Oh ! s’écria-t-il, une boîte de bonbons et cinq francs. Merci beaucoup, Oncle Sam !
Le paquet de Janette était pareil à celui de Pierre. Ceux des deux petits contenaient aussi des bonbons et une pièce d’un franc, toute neuve.
Chacun fut ravi et Janette mit ses deux bras autour du cou d’Oncle Sam et lui donna un gros baiser.
Ce n’était pas tout. Ils avaient quelque chose à dire à Oncle Sam. Pierre exhiba un paquet.
– Dis-lui, toi, chuchota-t-il à Janette.
– Oncle Sam, dit-elle, n’est-ce pas la fête du Seigneur Jésus aujourd’hui ? Nous voudrions Lui donner un cadeau. Vous nous avez dit un jour qu’Il voulait nos cœurs plus que tout autre chose et nous les Lui avons donnés ; mais, pour marquer cette journée, nous Lui avons acheté une Bible avec notre argent. Pierre pensait qu’Il ne désirerait pas une Bible, mais vous nous avez dit que des quantités de personnes n’en ont point : nous avons pensé que Lui saurait mieux que nous la donner à l’une d’entre elles. Seulement, nous ne savons pas comment faire pour aller jusqu’à Lui. Voulez-vous nous aider ?
La frimousse de Janette était devenue toute rouge au cours de son explication et Oncle Sam dut ressortir son mouchoir pour essuyer ses yeux pleins de buée.
– Oui, petite, dit-il, donne-la moi. J’irai la porter à M. Daeschmacker à l’église. Lui saura ce qu’il faut faire.
En rentrant à la maison, ils virent un grand paquet sur la table du vestibule d’entrée. L’adresse était écrite en majuscules et en grosses lettres (sa mauvaise vue ne lui permettait pas d’écrire plus petit) et Pierre lut à haute voix : « A MES CHERS PETITS AMIS – que j’avais l’habitude d’appeler « insupportables », mais que je nomme maintenant MES SERVIABLES PETITS VOISINS, CES CHARMANTS ENFANTS BARBESOU ».
– Oh ! Pierre, as-tu bien lu ? s’exclama Janette en s’emparant du paquet pour s’en assurer elle-même. C’est notre nouveau nom. Le Seigneur Jésus lui en a donné l’idée comme nous le Lui avons demandé.
Les enfants coururent dans toute la maison pour montrer le précieux paquet et chacun eut le plaisir de lire l’adresse, sauf papa.
– Maintenant, il faut le montrer à papa. Où est-il ?
– Janette, objecta Pierre, nous ne pouvons pas le lui montrer. C’est ce qu’on appelle à l’école « se couvrir des plumes du paon ». C’est affreux de se vanter !
– Mais Pierre, c’est précisément ce que papa voulait voir, gémit Janette au bord des larmes.
Papa, heureusement, arriva au bon moment.
– Quoi ! Encore un paquet ? dit-il. De qui est-il ? Il se pencha pour mieux lire… Ha ! Ha ! Ces charmants enfants Barbesou… de Mlle Demierre ! Voilà qui sonne mieux ! Je me demandais justement si vous aviez atteint le but. Bravo ! ajouta-t-il en souriant. C’est magnifique.
A mon tour, je vous dirai que je suis fier de mes enfants qui ont gagné un beau nom. Très bien ! mes chéris. Il caressa affectueusement les quatre petites têtes.
– Ouvrons le paquet maintenant, suggéra Pierre.
– Oh ! non, plaida Janette. Ne l’ouvrons pas, j’aimerais le garder comme il est.
– Tu fais du sentiment, bien sûr qu’il faut l’ouvrir. Nous découperons l’adresse, proposa Pierre gentiment.
Le paquet contenait exactement le désir de chacun des enfants :
– Un couteau de poche pour Pierre, un vrai, avec un tire-bouchon, une lame très tranchante et une pointe qui servait, déclara-t-il, à extraire les pierres de fer à cheval. (Janette pensa que cela ne lui servirait pas à grand-chose puisqu’ils n’avaient pas de chevaux, mais Pierre ajouta plein d’espoir : « Peut-être qu’Étincelle aura une pierre dans son sabot, l’an prochain »).
– Une grande et belle boîte de peinture pour Janette avec des couleurs de qualité. Ses joues roses devinrent rouges de bonheur !
– Pour Roger, un jeu de construction avec beaucoup de modèles.
– Pour Tim, un train mécanique.
Tout paraissait merveilleux aux yeux de Janette, mais, pour elle, l’adresse valait encore plus que le contenu.
Après toute cette excitation, l’heure de se rendre à l’église avec papa et maman sonna au vieux clocher. D’habitude Janette ne se donnait pas la peine de suivre le sermon, mais aujourd’hui ce fut tout différent.
– Mes chers amis, commença M. Daeschmacker, mon texte est court et simple. Il se trouve dans les Proverbes, au chapitre 23, verset 26 : « Mon fils, donne-moi ton cœur ! »
Il ajouta, en terminant :
– Je désire vous dire encore ce qui m’est arrivé ce matin même. Quelqu’un m’a apporté un petit paquet. Il contenait une Bible. Une feuille y était glissée et j’ai lu : « De la part de deux enfants qui désirent marquer la naissance du Seigneur Jésus en Lui offrant un présent ». Ces deux enfants ont déjà réalisé que le cadeau désiré par le Seigneur est, avant tout, leurs jeunes cœurs. Aujourd’hui, ils L’aiment comme leur Sauveur et Pilote et leur vie en est toute transformée. Ils offrent cette Bible avec le souhait que le Seigneur Jésus la donne à quelqu’un qui ne Le connaît pas encore.
Mes chers amis, répondons tous au désir du Seigneur et donnons-Lui notre cœur en retour de ce qu’Il a souffert pour nous sur la Croix.
Ce Noël fut un grand jour. Après cette matinée si heureuse, l’heure du dîner arriva, puis la promenade avec papa, le thé avec les cornets-surprises où papa trouva son bonnet de papier rose, si drôle, enfin l’arbre illuminé et encore des cadeaux. Le jeu de la mer agitée amusa petits et grands et s’acheva par un coucher très tard avec du lait sucré et des chocolats pour chacun.
Malgré l’heure tardive, Janette s’agenouilla au bord de son lit.
– Cher Seigneur Jésus, dit-elle, Pierre et moi, nous te remercions d’avoir dit à Mlle Demierre de nous donner un nouveau nom. S’il te plaît, continue à piloter nos vies tous les jours et aide-nous à être obéissants et serviables en retour de ton grand amour qui nous a sauvés. En ton nom, Seigneur Jésus. Amen.
Lorsque maman et papa passèrent pour border leurs enfants, ils les trouvèrent tous endormis ; seule Janette se retourna et murmura :
– N’est-ce pas merveilleux d’avoir le Seigneur Jésus comme Pilote ?
FIN
De E. May Hooton. D’après La Bonne Nouvelle 1977.