
Le nom du docteur Barnardo reste attaché, en Angleterre, aux nombreuses institutions destinées à accueillir l’enfance abandonnée, à laquelle il se consacra entièrement dès l’âge de vingt et un ans et jusqu’à sa mort.
Né à Dublin en 1845, le petit Tom eut des débuts pénibles, causant de graves soucis à ses parents ; à deux ans, il tomba dangereusement malade, les médecins le considéraient même comme perdu, mais son excellente constitution reprit le dessus et le bébé fut sauvé. Pendant ses années d’école, ses professeurs le jugeaient un « élève difficile », au caractère vif, fougueux, et qui ne témoignait d’aucune capacité particulière. Peu après avoir commencé à gagner sa vie, une heureuse expérience spirituelle le transforma, au sujet de laquelle il écrira par la suite : « Je fus converti à l’âge de dix-sept ans ; cet événement, par la grâce de Dieu, demeure pour moi quelque chose de réel et d’effectif. J’ai vécu depuis lors dans une atmosphère de prière ».
Désireux de servir son Maître, le jeune homme s’occupa d’évangélisation dans les bas quartiers de Dublin ainsi que d’un refuge pour les enfants délaissés. Au bout de quatre ans, se croyant appelé à être missionnaire en Chine, il s’inscrivit comme étudiant à l’hôpital de Londres, mais il logeait en dehors. Là aussi, il employait ses heures de liberté à prêcher l’Évangile et s’intéressait à l’enfance misérable des mauvais quartiers de la grande ville. Un jour qu’il vendait des Bibles à l’entrée d’une salle publique, il fut assailli par des individus agressifs ; en dépit de nombreuses contusions et de deux côtes cassées, il ne se découragea pas. La même année, une épidémie de choléra éclata et il se dépensa sans compter auprès des victimes ; il eut à soigner entre autres un meneur connu d’une bande de voyous, nommé William Notman. Quelque temps après, ce dernier se rendit, dans l’intention d’y faire du scandale, à une réunion présidée par Barnardo ; il reconnut le médecin, fut couvert de honte, puis se convertit et devint plus tard un aide infatigable pour son bienfaiteur.
Dans ses pérégrinations, Tom découvrit une fois une cabane en planches qu’il pu louer à bas prix ; il la répara, l’arrangea de façon à y créer une atmosphère avenante et l’ouvrit comme refuge pour enfants miséreux. Un soir qu’il allait fermer la porte et partir, il vit un petit garçon en guenilles blotti près du feu. « C’est le moment de rentrer à la maison », dit doucement le médecin. L’enfant alors supplia qu’on le laissât rester, ajoutant : « Je n’ai pas de maison, Monsieur ; je n’ai pas d’amis et je n’habite nulle part ». Interdit et incrédule, le docteur questionna le garçonnet ; Jim Jarvis raconta une histoire authentique d’enfant abandonné, sans foyer, et qui dormait où il pouvait. Mais plus douloureuse encore fut la révélation que lui fit Jim en lui parlant de ses camarades qui vivaient dans les mêmes conditions ; Tom ayant manifesté le désir d’en juger par lui-même sans tarder, ils partirent tous deux, Jim conduisant son nouvel ami à travers un dédale de rues sordides jusqu’à ce qu’ils atteignent un mur élevé. Ayant réussi à l’escalader, ils virent onze garçons endormis, les pieds dans une rigole, protégés seulement, contre le vent qui soufflait, par les maigres haillons qui couvraient leurs corps frêles. Frappé d’horreur par ce spectacle, Barnardo ramena Jim chez lui, lui prépara un repas et lui donna un lit pour la nuit.
Peu après, lors d’une réunion où l’un des orateurs manquait, Barnardo fut prié de le remplacer. Encore impressionné par ces scènes de détresse, le jeune médecin profita de cette occasion unique pour entretenir son auditoire de ce qui le préoccupait. Ses paroles simples et convaincantes émurent grandement le public, si bien qu’à la fin de la séance, une jeune fille vint lui offrir pour les orphelins tout ce que contenait son porte-monnaie : soit vingt-sept centimes. Le lendemain la presse présentait un compte rendu de cette conférence dans l’espoir de rendre le monde attentif à cette situation. Cet article tomba sous les yeux du comte de Shaftesbury, chrétien éminent et pionnier de nombreuses réformes sociales. Pour en savoir davantage et connaître plus de détails, il invita aussitôt à dîner le témoin entreprenant et courageux et convoqua également quelques amis. Poussé à prouver ses dires, Barnardo entraîna cette société de gens élégants et raffinés dans un labyrinthe de rues misérables ; il leur montra sous une bâche 73 garçons endormis, vêtus de guenilles, et dont l’âge variait entre 7 et 17 ans. Le comte et ses amis emmenèrent ces pauvres enfants dans une auberge voisine, ouverte toute la nuit, où ils furent réconfortés par un substantiel repas, le premier probablement depuis plusieurs jours. Promettant son appui, Lord Shaftesbury pressa le jeune homme à rechercher les directions de Dieu quant à sa carrière future. Ébranlé, mais se croyant toujours appelé à partir pour la Chine lointaine, Barnardo se mit à prier avec ferveur et fut finalement convaincu que Dieu désirait le voir consacrer sa vie aux enfants abandonnés.
Ainsi, en 1867, à l’âge de 22 ans, le docteur Barnardo fit un premier essai en ouvrant un asile pour enfants dans l’East End, le quartier de Londres le plus misérable. Trois ans après, sa foi l’engagea dans une nouvelle entreprise, le premier refuge pour garçons, entièrement dépendant de dons volontaires. Un jour, un jeune garçon, surnommé Carotte, demanda à être hospitalisé ; bien à contre-cœur, Tom dut refuser vu le manque de place, mais il donna à l’enfant un peu d’argent en lui disant de revenir une semaine plus tard ; avant que les huit jours soient écoulés, deux ouvriers trouvèrent le pauvre Carotte mort de faim et de froid. Profondément troublé par ce tragique incident, Barnardo fit apposer un écriteau sur la porte de la maison, portant ces mots :
L’entrée ne sera refusée à aucun enfant abandonné.
Tel est le principe qui gouverna ses institutions depuis lors, et qui les régit aujourd’hui encore. Lorsque les garçons atteignaient l’âge de sortir de l’établissement qui les avait recueillis, le docteur trouvait encore moyen de les suivre et de s’occuper d’eux. C’est ainsi que, par groupes, un grand nombre d’entre eux partirent pour le Canada, où ils pouvaient parfaire leur éducation et où ils étaient préparés en vue de leur établissement dans ce grand pays.
En 1873, Barnardo acheta une belle propriété à Limehouse, aux environs immédiats de Londres ; il la convertit en un centre missionnaire, et y créa également un foyer pour les ouvriers qui trouvaient là du café et des repas à bon marché ; enfin l’évangéliste venait y prêcher le dimanche soir et quelquefois dans la semaine devant un public nombreux.
La même année, il épousait Syrie Elmslie et eut deux fils et deux filles. Bien qu’autoritaire et emporté, Barnardo aimait les enfants et jouissait de leur compagnie, jouant et gambadant avec eux chaque fois qu’il en trouvait le temps dans sa vie surchargée. En 1905, exténué par un travail incessant en faveur d’enfants sans feu ni lieu, cet intrépide chrétien mourait d’une maladie de cœur à l’âge de soixante ans.
Son œuvre de charité subsiste ; innombrables sont encore aujourd’hui les orphelins qui, grâce à lui, trouvent un asile, une maison accueillante. Quelle reconnaissance ne doivent-ils pas avoir envers l’homme qui répondit à l’appel de Dieu, mettant en pratique ces paroles de Jésus : « En tant que vous l’avez fait à l’un des plus petits de ceux-ci qui sont mes frères, vous me l’avez fait à moi » (Mat. 25. 40). Le Sauveur du monde a témoigné d’un amour beaucoup plus grand, Lui qui ne délaisse personne, et ne méprise personne, en donnant sa vie pour nous afin de nous sauver et de nous acquérir une vie éternelle. C’est ce qu’Il dit de Lui-même : « Personne n’a un amour plus grand que celui-ci : que quelqu’un laisse sa vie pour ses amis » (Jean 15. 13).
D’après Almanach Évangélique 1958