
Une jeune fille de l’aristocratie finlandaise, Matilda Wrede, consacra sa vie à visiter les prisons et les prisonniers. Voyant qu’elle réussissait dans cette œuvre et se faisait respecter, son père lui fit don d’une ferme, qu’elle transforma en un centre d’accueil pour les détenus libérés.
Elle visita un jour le plus dangereux et le plus vicieux des hommes. À son entrée, le prisonnier la regarda avec méfiance.
– Vous voyez cette entaille dans le mur ? grogna-t-il, décidé à terrifier cette jeune femme calme et tranquille. Je fais de la charpenterie et on m’a donné une hache, aussi ai-je l’intention de tuer un des gardiens. J’ai lancé cet outil dans sa direction, mais j’ai manqué mon but et l’outil s’est planté ici dans le mur.
La visiteuse ne parut ni choquée ni impressionnée. Il continua :
– Savez-vous qui je suis ? Je suis le pire des criminels de Finlande – n’êtes-vous pas effrayée ? Vous devez me haïr ?
– Je sais qui vous êtes, et je n’ai pas peur ; je ne vous hais pas ; Dieu vous aime, pourquoi pas moi aussi ?
C’étaient les premières paroles aimables que l’homme ait jamais entendues. Il en fut profondément touché, mais se ressaisit rapidement pour reprendre son ton arrogant et méchant ; il sauta sur ses pieds et se mit à parcourir sa cellule de long en large, tout en proférant des jurons et des menaces. Matilda attendit qu’il se soit calmé.
– Vous trouverez de l’amour et des consolations dans le Nouveau Testament, dit-elle. Lisez-le.
– Je l’ai jeté à la face du gardien.
– Alors, prenez le mien, dit-elle en le lui mettant dans la main.
– Je ne le jetterai pas loin, promit-il ensuite.
Un jour de Noël, elle visitait la prison de Kakola ; elle passait de cellule en cellule, remettant à chacun un petit cadeau qu’elle avait apporté. Tout à coup on entendit des cris stridents. Un prisonnier avait réussi à se procurer un couteau de cordonnier et menaçait de tuer, soit le gardien, soit lui-même.
– Il faut nous élancer sur lui avec un matelas, dit un des gardiens, l’attacher, lui prendre le couteau, puis le mettre aux fers.
– C’est Noël, dit Matilda, l’amour de Christ doit être le plus fort. Permettez-moi d’aller vers lui.
Elle se rendit dans la cellule, parla longuement à l’homme qui ne voulait pas céder ni lui donner le couteau.
– J’ai juré, disait-il, je ne permettrai à personne de me le prendre. C’est un serment, et je ne veux pas le rompre.
– Alors ne le rompez pas, répondit Matilda en souriant gentiment. Donnez-le moi comme cadeau de Noël.
Et l’homme ne put le lui refuser.
Son exemple servit aux gardiens qui comprirent tout ce que cette faible femme pouvait faire en témoignant beaucoup d’amour à ces malheureux, et en leur parlant de l’amour de Christ. Elle-même dira : « Le secret du succès dans cette œuvre de sauvetage, c’est d’aimer ceux que nous désirons sauver, sans compter recevoir quoi que ce soit en retour. Que serait-il advenu de nous si Christ ne nous avait pas aimés et n’était pas venu à notre secours ? »
En 1912, l’administration de la prison décréta qu’elle ne devait pas continuer ce service.
– Pourquoi ? demanda-t-elle. Qu’ai-je fait ? Ils hésitèrent avant de lui répondre :
– Vous avez attiré l’indignation de la ville sur nous.
Grâce à Matilda Wrede en effet, ses concitoyens avaient appris à quel point les prisonniers étaient maltraités.
Le président se leva.
– Notre décision est prise. Au revoir, Mademoiselle Wrede.
L’œuvre qui lui avait tant tenu à cœur était terminée, au moment où la Première Guerre mondiale éclata. Le pays fut bientôt parcouru par des bandes d’hommes affamés qui faisaient des coups de main, rasaient, pillaient, détruisaient. L’une de ces bandes pénétra un jour dans son petit appartement.
– Que désirez-vous ? dit-elle.
– De l’argent, répondit l’un.
– À manger, répondit un autre.
– J’ai de l’argent ici, mais il est destiné à des malades et des gens dans le besoin. Vous le voulez tout de même ?
Les hommes pleins de confusion finirent par articuler :
– Gardez l’argent pour eux, et donnez-nous à manger.
Ils se mirent à table, comptant sur une nourriture abondante et riche, mais elle leur servit du chou cuit à l’eau et du pain de seigle.
– C’est là mon repas, dit-elle ; si vous voulez, vous pouvez le partager avec moi.
L’un des hommes la regarda curieusement et finit par dire :
– Je vous connais ; vous êtes Matilda Wrede.
Il paraissait être le chef de la bande, et croyait certainement gagner à leur cause cette femme si connue.
– Vous aidez les opprimés, continua-t-il ; nous sommes des ouvriers, joignez-vous à nous.
Elle secoua la tête.
– Non, répondit-elle. Votre credo est de prendre ; mon Maître m’ordonne de donner ; je n’appartiendrai pas à un autre parti que le sien.
La guerre terminée, de nouvelles autorités furent nommées à la tête de la prison ; ils la prièrent de reprendre ses visites. Mais elle se faisait âgée et devenait de plus en plus faible ; avec regret elle dut renoncer. Ils envoyèrent une députation, non des autorités, mais des prisonniers.
– J’ai maintenant si peu de forces, commença-t-elle.
– Nous avons besoin de vous.
– J’ai si peu de force, répéta-t-elle. Mais c’est l’œuvre de Dieu et II me donnera la force. Oui, je viendrai.
Trois cents condamnés l’attendaient lorsqu’elle pénétra dans la cour de la prison de Kakola. Quand ils virent arriver la petite femme menue, âgée, qui venait pour eux, ils entonnèrent un chant.
– Merci, mes amis, dit-elle. Personne n’est venu à la prison de Kakola avec plus d’empressement que moi. Aussi longtemps que je vivrai, je travaillerai pour vous et les vôtres.
Ils lui offrirent un bouquet de roses, puis la portèrent sur leurs épaules à l’intérieur de la prison.
Lorsqu’elle mourut en 1928, plus d’un condamné au cœur dur pleura. Elle avait donné sa vie pour les amener à Christ.
D’après Almanach Évangélique 1970