LUMIÈRE DES ÉTOILES

« Non, il ne doit pas mourir », murmurait une jeune femme indienne, assise devant sa hutte, observant ce qui se passait autour d’un feu qu’on venait d’allumer. Des guerriers aux visages cruels étaient groupés autour de son père, le chef Plume d’Aigle ; les yeux tournés vers lui, ils attendaient son verdict sur le sort d’un prisonnier solidement attaché à un arbre. Lumière des Étoiles, tel était le nom de la jeune fille, demeurait fascinée par cet homme, le premier visage pâle qu’elle voyait de sa vie : il ne donnait aucun signe de crainte lorsqu’il considérait ses ravisseurs ; il marquait seulement une tristesse infinie en portant ses regards sur un objet, un livre, un livre noir qu’on avait jeté près du feu. « Ah ! se dit Lumière des Étoiles, ils vont brûler son livre ; tiendrait-il plus à son livre qu’à sa vie ? » Et soudain elle se souvint des récits de sa grand-mère.

Un visage pâle était déjà venu au village alors que tous les hommes étaient partis à la chasse ; il s’était entretenu plusieurs fois avec grand-mère ; au bout de trois jours, il s’en était allé mais grand-mère avait gardé une bonne mémoire de ses paroles.

– Enfant, avait-elle raconté à Lumière des Étoiles, il disait : « Je suis malade et ne peux pas rester, mais d’autres viendront. Attendez-les, ils vous expliqueront mieux que moi ». Pour lui, c’était mal de pécher, de haïr, de tuer ; il parlait d’un grand Dieu qui nous aime, dont le Fils était mort pour nous, pour nous sauver, et pour nous conduire dans une contrée où nous ne serons jamais malades ni tristes, et où nous verrons le grand Dieu pour vivre éternellement avec Lui et avec son Fils. Ah ! mon enfant, que de bonnes choses il nous disait !

– Mais comment sais-tu qu’il disait la vérité ? avait demandé Lumière des Étoiles.

– Parce qu’il m’a montré les mots dans son livre, et parce que je voyais sur son visage qu’il ne pouvait pas mentir. Enfant, je suis vieille, mais toi, tu dois attendre ; et quand l’homme viendra, écoute-le, prends bien garde aux paroles de son livre, car notre peuple connaîtra le vrai bonheur quand l’homme au livre reviendra.

Grand-mère n’était plus, mais l’homme au livre était là, tel qu’elle l’avait décrit, un homme qui ne pouvait pas mentir, de cela Lumière des Étoiles en était absolument convaincue. Et s’ils le tuaient, comment trouveraient-ils le bonheur ? Elle joignit ses mains et soupira de nouveau : « Non, il ne doit pas mourir ». Mais comment le sauver ? Il était attaché par des liens solides, et son cheval paissait tranquillement à côté de lui. Le temps était court, que faire ? Soudain une idée germa dans son esprit, une idée dangereuse, mais Lumière des Étoiles, la fille du chef Plume d’Aigle, était courageuse.

Pendant ce temps Denis Wheatley, le prisonnier, ne cessait de considérer sa Bible si proche du feu allumé. Médecin missionnaire, il était venu pour prodiguer des soins et annoncer l’évangile ; mais hélas ! la peur, la cruauté, la superstition avaient tourné les Indiens contre l’homme blanc, et il était destiné à mourir à moins que ne se produise un miracle. « Un miracle peut encore se produire, pensait-il, pour Dieu toutes choses sont possibles ».

À ce moment un cri perçant, suivi par des aboiements des chiens, fit sursauter tout le monde. « Au feu ! au feu ! clamait-on, vite, vite ! le vent chasse ! » et en quelques secondes le camp fut désert. Denis entendait au même instant des pas derrière lui, et une voix murmurait :

– Restez tranquille, mon couteau est tranchant.

Ses liens furent coupés, une jeune fille preste et légère s’empara de sa Bible, dégagea le cheval rendu nerveux par le feu de forêt, et emmena l’homme et sa monture jusqu’à la route. Lorsque le missionnaire voulut remercier la jeune fille :

– Partez vite ! dit-elle, tandis qu’une clameur les avertissait que la fuite du prisonnier était découverte. Denis comprit aussitôt qu’il ne pouvait laisser la frêle enfant aux mains de ceux qui, sans aucun doute, voudraient se venger, et il la fit monter en croupe devant lui, et le cheval prit le galop.

Des semaines, des mois passèrent ; la maladie décima le camp, beaucoup de gens moururent, d’autres restaient sans soins et sans remèdes. Le grand chef lui-même n’y échappa pas. Un jour qu’il se sentait particulièrement abattu par la fièvre, il eut soudain l’intuition d’une présence à côté de lui, il ouvrit les yeux.

– Lumière des Étoiles ! s’exclama-t-il.

– Oui, père, c’est moi, répondit-elle en s’approchant de lui.

– Mon enfant, ma petite enfant, tu es revenue ! je t’ai attendue durant de si nombreuses lunes !

– Oui, père, souriait-elle ; quand tu seras mieux, je te raconterai tout.

Au fur et à mesure qu’il reprit ses forces, elle expliqua sa nouvelle situation. L’homme au visage pâle, son ancien prisonnier qui s’était enfui avec Lumière des Étoiles, était revenu accompagné de sa femme Betty, et tous deux travaillaient jour et nuit pour lutter contre la maladie, distribuant drogues et médicaments ; les villageois reconnaissants l’avaient surnommé : « Guérisseur Courageux », et ne le considéraient plus comme un ennemi, mais comme un ami – et prêtaient même grande attention aux paroles de son livre. Lumière des Étoiles raconta à son père comment Denis et Betty avaient pris soin d’elle, lui avaient enseigné beaucoup de choses, mais surtout, qu’ils lui avaient parlé du vrai Dieu et de son Fils qui l’avait tant aimée qu’Il était mort pour elle. Aujourd’hui Denis pouvait annoncer l’évangile au milieu de ce camp où il avait failli mourir. « Maintenant, disait-il, je vais parler à ce grand Dieu, je vais lui dire que vous désirez voir vos péchés pardonnés et que vous désirez Le connaître. Faites comme moi, joignez vos mains pendant que je prie ». Le grand chef lui-même joignait ses mains humblement, ses lèvres répétaient les paroles qu’il entendait : « afin que nous te connaissions, toi le seul vrai Dieu, et ton Fils Jésus Christ que tu as envoyé pour nous sauver. Amen ».

Lumière des Étoiles ne se sentait plus de joie ; grand-mère avait raison, son peuple avait trouvé le bonheur quand l’homme au livre était revenu.

D’après Almanach Évangélique 1964