
L’express entrait en gare de P. Sur le quai, les dernières salutations s’échangeaient, et chacun se pressait en se bousculant pour essayer d’obtenir une bonne place dans les voitures déjà remplies de voyageurs. Un évangéliste de passage, à l’écart, prenait congé de quelques amis, jetant un regard sur le train qui allait l’emmener dans une ville voisine où il devait tenir une réunion le soir même. Du fond de son cœur il élevait une prière pour être conduit dans le compartiment où son Maître désirait qu’il soit assis.
Il se dirigea bientôt, résolument, vers l’une des voitures, et prit place en face d’une ouvrière âgée dont le visage reflétait une joie extraordinaire. Après peu de temps le serviteur de Dieu engagea la conversation, désirant savoir ce qui créait une telle joie chez sa compagne de voyage.
« C’est le plus beau jour de ma vie », répondit-elle à ses questions ; « aujourd’hui va s’accomplir le rêve de bien des années ; je pourrai ensuite quitter cette vie tout à fait paisiblement. Je vais au pèlerinage de Z. et je suis sûre d’être bien reçue et d’avoir l’entrée du ciel assurée. Je porte là-bas toutes mes économies, amassées sou par sou pendant quarante ans. Oh ! je suis certaine de trouver là la bénédiction ».
Plein d’intérêt pour une âme aussi ardente, l’évangéliste chercha à lui présenter le salut gratuit que Dieu offre à tous les pécheurs par la foi au sang de Jésus. Mais la dame âgée était si remplie de l’accueil qui lui serait réservé au pèlerinage de Z., que rien ne pouvait la distraire de son idée. N’avait-elle pas supporté des années de privations pour rassembler enfin la somme nécessaire afin que ceux auxquels elle allait s’adresser puissent faire le nécessaire pour le salut de son âme ? Combien d’heures d’un travail pénible n’avait-elle pas passées pour arriver enfin au but de toute sa vie ? Et maintenant elle allait y toucher ; elle allait voir le fruit de tant de nuits de veille, de tant d’années d’attente et de labeur, pendant lesquelles, petit à petit, elle avait réussi à amasser la somme voulue. Comment notre ami aurait-il pu lui dire le néant de tant de peines pour obtenir la vie éternelle ! Comment pouvait-il briser la joie si intense qui faisait briller les traits décharnés de cette femme ? Sentant son impuissance, il se rejeta dans son coin en faisant monter vers Celui qui peut tout une ardente prière pour qu’Il révèle à cette âme précieuse l’inutilité de ses propres efforts, et l’immensité de la grâce. Mais il était attristé de devoir la quitter sans avoir pu lui faire saisir le don de Dieu.
Le lendemain soir, fatigué d’une journée de travail absorbant, l’évangéliste s’apprêtait à retourner à P., où ses amis l’avaient prié de revenir.
Il venait de prendre place dans le train, quand, sur la banquette en face de lui, il fut tout surpris de reconnaître l’ouvrière âgée du jour précédent. À demi-affaissée, elle se tenait prostrée dans son coin, les yeux baissés, les mains tremblantes. Avec bonté, il s’informa du résultat de sa visite au pèlerinage de Z : « Oh ! répondit-elle, tandis que de grosses larmes coulaient sur ses joues flétries, ils ne m’ont pas reçue. Ils ont pris tout mon argent, mais ce n’était pas assez. Et maintenant je suis trop âgée pour amasser la somme qui manque encore ; je n’en ai plus la force ; tout est fini pour moi. Ils m’ont dit que mes économies ne suffisaient pas, qu’il faudrait revenir plus tard. Mais je ne le pourrai pas. Il ne me reste plus rien du tout… ». La désolation de la pauvre femme faisait peine à voir. Des années de labeur avaient creusé des rides profondes sur tout son visage, et au soir de ce jour de douleur, comme elle paraissait plus âgée encore, brisée devant l’anéantissement de tous ses efforts !
L’évangéliste avait ouvert sa Bible et, tandis qu’il lisait, un certain intérêt se peignait sur les traits désolés de la pauvre femme. « Ho ! quiconque a soif, venez aux eaux, et vous qui n’avez pas d’argent, venez, achetez et mangez ; oui, venez, achetez sans argent et sans prix du vin et du lait » (És. 55. 1 et 2). Vous qui n’avez pas d’argent… c’était justement son cas. Mais qui était-il donc, celui qui l’invitait à venir sans rien apporter, pour tout recevoir ? La voix continuait : « Car les gages du péché, c’est la mort ; mais le don de grâce de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus, notre Seigneur » (Rom. 6. 23). Jamais ses oreilles n’avaient entendu pareille chose : la vie éternelle était un don de Dieu ? Elle avait toujours cru qu’il fallait faire beaucoup pour l’obtenir. Aujourd’hui même, ne lui avait-on pas dit que le fruit de son long travail était insuffisant ?
Elle écouta encore : « Car vous êtes sauvés par la grâce, par la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu ; non pas sur le principe des œuvres, afin que personne ne se glorifie » (Éph. 2. 8 et 9). Elle buvait les paroles du Seigneur et la grâce de Dieu, que l’évangéliste pouvait maintenant avec bonheur lui présenter. Ainsi, il n’y avait pas besoin de rien faire ; Dieu ne demandait rien du tout de sa part, aucune expiation, aucune offrande, aucune pénitence pour ses nombreux péchés. Christ avait souffert pour elle ; Il avait porté à sa place le jugement sur la croix, son sang la purifiait de tous ses péchés. Il suffisait de croire à cette œuvre accomplie par un Autre, et Dieu était juste en la recevant.
Le Seigneur ouvrit ses yeux. Elle vit la grâce immense du Dieu d’amour. Elle avait fait l’expérience amère de la vanité de toute religion humaine ; elle avait dû apprendre que, en effet, tous ses efforts précédents étaient inutiles. Mais maintenant, une joie beaucoup plus grande que celle qu’elle éprouvait la veille avait rempli son cœur. Telle qu’elle était, sans rien apporter d’autre que sa misère, elle était venue au Sauveur des pécheurs. Jésus Christ l’avait accueillie dans ses bras ouverts pour la recevoir. Il avait rempli son cœur de sa paix infinie. Il lui avait donné la vie éternelle.
D’après Le Salut de Dieu 1961