PRIEZ POUR CEUX QUI VOUS FONT DU TORT

Avez-vous déjà vu une ferme bernoise ? Son toit immense descend presque jusqu’à terre et cette coiffe protectrice lui offre une agréable fraîcheur pendant les chaudes journées d’été.

Dans une ferme du canton de Berne vivait une famille heureuse. Les parents et les enfants connaissaient l’amour de Dieu. Ils aimaient le Seigneur Jésus de tout leur cœur.

Pourtant une ombre planait sur leur vie. Comme ils ne s’associaient pas aux fêtes du village et se réunissaient le dimanche dans une petite ville voisine avec d’autres chrétiens, les villageois les regardaient avec méfiance. On n’aime pas les gens différents des autres. « Ils se croient meilleurs que nous », disait-on. L’été, quand ils chantaient des cantiques devant leur maison, les voisins ricanaient. Peu à peu l’animosité grandissait, et même à l’école, Anne et Pascal se sentaient mis à l’écart.

Un jour d’automne, alors que le ciel s’assombrissait, Pascal fit irruption dans la cuisine.

– Papa, dit-il, j’ai vu des gens sur le toit. Qu’est-ce qui se passe ? Il m’a semblé qu’ils ôtaient des tuiles.

– En es-tu bien certain ? Je n’ai pas fait venir d’ouvriers. Notre toit est en bon état.

Monsieur S. sortit de la maison et aperçut en effet au faîte du toit quelques jeunes gens. Ils lui tournaient le dos et ne virent pas le propriétaire, affairés qu’ils étaient à enlever une à une les tuiles. Il comprit qu’on lui jouait un tour.

Il fit semblant de n’avoir rien vu, et rentra pensif dans la grande cuisine où sa femme préparait le thé.

– C’est trop fort, s’écria Anne, lorsque le père de famille raconta ce qui se tramait. Il va pleuvoir dans notre maison. Ces garçons, ils faut les punir, appeler la police…

– Non, ma fille, ce n’est pas le bon moyen, dit le père. Le Seigneur nous dit de ne rendre à personne mal pour mal. J’ai vu, ma chère femme, que tu avais préparé une magnifique tarte aux pommes pour ce soir. Mets-la sur la table. Sors la glace au chocolat et apporte encore tous les meilleurs biscuits que nous avons. Je vais inviter ces jeunes à prendre le thé avec nous.

Ébahis, les enfants regardaient leur père sans mot dire.

Monsieur S. sortit par la porte de derrière. L’un des jeunes gens venait de sauter du toit. À la vue du propriétaire, il s’apprêtait à prendre ses jambes à son cou, mais le fermier l’arrêta d’un geste.

– Bonjour, Robert, dit-il, je te reconnais, tu es le fils du boucher. Alors ! mon toit vous intéresse ? A votre âge, on aime grimper, explorer, je vous comprends. Mais maintenant, appelle tes camarades. Nous venons de préparer un bon goûter en votre honneur. Faites-nous le plaisir d’accepter notre invitation. Ainsi nous ferons connaissance.

Fort mal à l’aise, le jeune homme restait muet, cloué au sol malgré lui. Finalement la bienveillance du fermier l’emporta. D’un bond il fut sur le toit et héla ses complices.

Ils descendirent lentement et regardèrent le fermier avec méfiance. « Avait-il vu ce qu’ils étaient en train de faire ? » se demandaient-ils. L’un d’eux prétendit qu’il devait rentrer chez lui.

– Pas de ça, mes garçons, je ne vous retiendrai pas longtemps. Vous nous feriez de la peine en refusant notre invitation, puisque nous avons tout préparé. Allez ! Entrez vite ! L’air fraîchit. Un bon goûter vous réchauffera.

Bientôt chacun trouva place autour de la grande table de cuisine.

– Mes amis, dit le fermier, nous avons l’habitude de remercier Dieu avant chaque repas.

Monsieur S. inclina la tête et dit :

– Notre Dieu, notre Père, nous te remercions pour la joie que tu nous donnes aujourd’hui. Veuille bénir chacun de nos invités. Amen !

Monsieur et Madame S. se montrèrent ensuite si chaleureux et pleins d’entrain que les langues se délièrent. Les garçons firent honneur aux gâteaux de toutes sortes qu’on leur offrait généreusement.

Anne et Pascal, entraînés par la gaieté de leurs parents, oubliaient leur rancœur. Le fermier qui avait fait un voyage en Afrique sut captiver ses hôtes par ses récits.

Il faisait encore jour lorsqu’on se sépara. Les garçons firent semblant de reprendre la route, puis, au bout d’un moment, ils revinrent à pas de loup, montèrent sans bruit sur le toit et remirent une à une toutes les tuiles qu’ils avaient enlevées. Ils venaient de poser la dernière, lorsque la pluie se mit à tomber.

Le lendemain, à midi, Pascal, ruisselant de pluie, entra comme un ouragan dans la ferme.

– Maman, cria-t-il, imagine-toi qu’à l’école tout a changé. Mes camarades m’ont demandé de jouer avec eux pendant la récréation.

– Et moi, dit Anne, j’ai aussi quelque chose à raconter. Sylvie, la sœur de Robert, m’a prêté son stylo-effaceur. Jusqu’ici elle m’a toujours ignorée.

Peu à peu l’atmosphère du village se transforma. Plus de malveillance ! Plus de paroles aigres ! L’amour avait triomphé du mal.

D’après La Bonne Nouvelle 1990 – R. Demaurex