LE BRIGAND SICILIEN

Une brillante journée d’automne touchait à sa fin, et les derniers rayons du soleil éclairaient une route étroite courant à travers une plaine du centre de la Sicile – cette île ressemblant à un ballon de football placé juste au bout de la botte italienne ! Sur ce chemin, un voyageur solitaire, chargé d’un lourd ballot, marchait à grands pas. Il était fatigué, car il avait bien travaillé dans une ville située à quinze kilomètres environ, et il lui en restait encore plusieurs à parcourir pour arriver à sa destination, qu’il n’atteindrait pas avant la nuit.

Soudain, le galop d’un cheval se fit entendre, et bientôt apparut un cavalier au regard farouche, le visage encadré d’une barbe noire, coiffé d’un feutre aux larges ailes et chaussé de longues bottes munies d’éperons ; une longue pèlerine noire flottait autour de lui. En arrivant près du piéton, il arrêta sa monture.

– Bonsoir, Monsieur ! dit le voyageur.

Le cavalier ne répondit pas. Il mit pied à terre et regarda bien en face son compagnon. Enfin il demanda d’un ton impérieux :

– Quel est ton métier ? Que portes-tu dans ce sac ?

– Des livres, Monsieur !

– Ah ! je t’attrape, à la fin ! C’est toi qui parcours le pays, en répandant partout des livres pernicieux qui corrompent les gens simples. Dieu merci, je t’ai enfin rejoint ! Je vais commencer par brûler les livres, puis je te tuerai. En disant cela, il ouvrit son manteau ; deux pistolets étaient fixés à sa ceinture.

Mets ton sac ici, et va chercher des branches pour allumer le feu. Surtout, ne t’avise pas de t’enfuir, car alors je tire sans pitié. En disant cela, il prit un des pistolets et le brandit sous nez du prisonnier.

Le colporteur – car c’en était un – comprit qu’il était tombé dans les mains d’un des nombreux brigands qui détroussent les gens inoffensifs. Pensant qu’il valait mieux se taire pour le moment, il s’éloigna et revint bientôt, chargé d’une brassée de bois mort. Quand le feu fut allumé, il faisait nuit, et le captif estima que le moment était venu de s’expliquer.

– Monsieur, dit-il, je voudrais obtenir une faveur avant que mes livres ne soient brûlés et que je ne soit mis à mort. Permettez-moi de vous lire quelques passages de mes différents volumes !

– Ce n’est que juste, déclara le brigand ; assieds-toi là, et commence !

Il s’assit lui-même près du feu et revolver au poing, il écouta la lecture. Le colporteur prit place en face de lui, puis animé d’une sainte audace et d’une grande foi, il prit un évangile de Luc et commença : « Un homme descendant de Jérusalem à Jéricho, tomba au milieu des voleurs !… » L’attention du brigand fut éveillée, mais il ne manifesta aucun mécontentement ; au contraire, il écouta jusqu’au bout la lecture de la parabole du bon Samaritain.

– J’aime cette histoire, déclara-t-il, nous ne brûlerons pas ce livre, mets-le de côté. Puis vint le tour de l’évangile de Matthieu, chapitre 5. « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne tueras point, mais… » Le lecteur continua jusqu’à ce que son compagnon l’interrompe en disant :

– Cela suffit ! Il n’y a rien de mauvais là-dedans, mets-le de côté !

Le colporteur prit ensuite un Nouveau Testament et il lut le 13ème chapitre de la 1ère épître aux Corinthiens ; ce merveilleux cantique de l’amour chrétien avait une expression plus belle encore, dans cette langue musicale qu’est l’italien. Le brigand était dans l’extase : « Que c’est beau ! s’écria-t-il. Que c’est vrai ! L’amour est plein de bonté,… il n’est pas envieux,… il ne cherche pas son intérêt,… il ne soupçonne pas le mal !… « Eccellentissimo ! » Non, certes, nous n’allons pas brûler ce livre-là ! Mets-le ici et lis autre chose. Le colporteur continua sa lecture, en prenant les livres les uns après les autres et toujours le bandit s’écriait : « Il ne faut pas brûler celui-ci ! » « Je n’ai plus de livres à lire » déclara enfin le serviteur de Dieu.

Alors le brigand s’écria d’un ton tranchant : « Pas de bêtises ! hein ? Livre-moi immédiatement tes mauvais livres. Je veux voir ce que tu vends au villageois pour les corrompre moralement.

– Mais, Monsieur, je vous l’affirme, je n’en ai pas d’autres !

– Mon pauvre ami, reprit le cavalier, ne mens pas, car c’est un jeu dangereux ! Il se leva et prit le sac du colporteur. Il était vide ! Alors il fouilla tous ses vêtements et ne trouva rien. Il finit par rire en concluant :

– Bravo ! Tu peux partir ! Mais prends garde à toi ; si jamais je te prends à vendre de mauvais livres, je t’abats comme un chien !

Là-dessus, il se remit en selle et disparut. Le colporteur rassembla ses volumes et reprit son chemin en remerciant Dieu de l’avoir protégé. En arrivant au village, il se rendit dans une auberge pour y passer la nuit. Le lendemain, après le déjeuner, il alla sur la place du marché, son sac sur le dos. Il avisa un groupe d’hommes entourant un joli baudet qui était à vendre !

– Bonjour, Messieurs ! dit-il, permettez-moi de vous lire quelque chose à propos de notre Seigneur Jésus Christ.

– Avec plaisir, répondirent ces hommes, et ils se tournèrent vers le nouveau venu.

Quelle belle occasion de leur faire connaître l’histoire du Sauveur entrant triomphalement à Jérusalem, assis sur le dos d’un ânon, que personne n’avait encore monté. Ce récit intéressa vivement les auditeurs et l’un d’entre eux demanda le prix du livre.

– Deux sous ! dit le colporteur.

– C’est bon marché, je le prends !

Mais avant qu’il ait pu tirer son argent de sa poche, une voix s’écria : « Prenez garde ! mes amis, cet homme est un imposteur, il ne faut pas lire ses livres ! »

Ce fut le signal d’une émeute. Immédiatement les avis se partagèrent. Mais le plus grand nombre se mit contre le messager du Seigneur. À bas ! l’hérétique !, criait-on. À mort le blasphémateur ! Lapidez-le ! Hommes et femmes abandonnant leurs affaires, se groupèrent autour de lui, le maudissant et le menaçant. Cela devenait inquiétant !

Tout à coup, un cavalier traversa la place du marché au galop de sa monture et s’arrêta près du groupe en rumeur. Il avait un regard farouche, une barbe noire encadrait son visage, il était coiffé d’un feutre aux larges ailes et chaussé de longues bottes munies d’éperons. Une longue pèlerine noire flottait autour de lui. Tout le monde au village le connaissait, la plupart des habitants en avaient peur.

– Arrêtez ! cria-t-il, et laissez cet homme tranquille !

– Mais Monsieur, hasarda quelqu’un, il essaie de vendre de mauvais livres ; il mérite d’être lapidé.

Alors, le brigand, du haut de sa monture, se mit à haranguer la foule. Il raconta ce qui s’était passé la veille et il dit en manière de conclusion : Ces livres sont bons. Laissez donc cet homme tranquille. Celui qui s’avisera de le toucher, devra régler son compte avec moi !

Plusieurs années après, le colporteur toujours actif et bien vivant, fut surpris de recevoir une lettre venant d’Amérique. Elle contenait ces lignes : « Mon cher ami ! Vous rappelez-vous d’avoir été arrêté, un soir sur la route, par un brigand ? C’était moi, mais je ne suis plus un malfaiteur. Je ne vous ai jamais oublié, non plus que les paroles que vous m’avez lues sur le bord du chemin. Dieu soit loué, elles m’ont arrêté dans ma mauvaise voie et je suis sauvé ! »

« Béni soit le Seigneur… le Dieu qui nous sauve ! » Psaume 68. 20.

D’après La Bonne Nouvelle 1990