EN DEHORS DU SUJET

En Toi je mets ma confiance,

Mon Sauveur, mon Ami, mon Soutien.

Environné de ta présence,

Mon cœur apaisé ne craint rien.

Jean-Pierre

– Qu’est-ce qui lui passe par la tête ? Cet enfant se moque de moi ! Je demande à mes élèves de me faire une poésie sur l’automne et voilà ce que me remet Jean-Pierre… Zéro ! En dehors du sujet. Mais il ne perd rien pour attendre, il va voir demain ! Je n’y comprends rien, d’habitude c’est mon meilleur élève…

Ainsi raisonnait Mlle Soulignac, professeur de français au collège.

Le lendemain matin, c’est un élève tout confus qui se présente à son bureau.

– Mademoiselle, je suis désolé, hier je me suis trompé de feuille. Voici le travail demandé. Je vous prie de m’excuser.

Le professeur lit les vers suivants :

Non, tu n’es pas monotone,

Bel automne !

Sous ton ciel gris et changeant

Tu nous donnes

Le beau raisin et les pommes…

Trois strophes de vers bien rythmés et d’une orthographe parfaite font suite à ceux-ci. Un sourire éclaire le visage de Mlle Soulignac.

– J’aime mieux ça, Jean-Pierre !

– Mais, Mademoiselle, je ne l’ai pas fait exprès, je me suis trompé de feuille. Voudriez-vous me rendre l’autre, s’il vous plaît ?

– Je… je désire garder encore cette poésie si tu n’y vois pas d’inconvénient.

– Bien sûr que non ! D’ailleurs, je la sais par cœur.

– C’est toi qui l’a composée ?

– Oui, Mademoiselle.

– Bon, va à ta place.

Après ses heures de cours, Mlle Soulignac rentre dans son appartement. Elle se verse une tasse de thé et commence la correction des travaux écrits tout en grignotant quelques biscuits. Elle retrouve la poésie qui, hier, l’a tellement agacée :

En Toi je mets ma confiance,

Mon Sauveur, mon Ami, mon Soutien.

Environné de ta présence,

Mon cœur apaisé ne craint rien.

« Mon Ami, mon Soutien » ! Il en a de la chance, ce Jean-Pierre, d’avoir un ami, un soutien. Moi, Maryline, je n’ai personne qui puisse m’aider !

« Environné de ta présence… » Hum, pas fameux ! Comment une présence peut-elle nous environner, je me le demande… mais enfin, il goûte tout au moins la présence de quelqu’un, ce cher enfant, moi je suis seule au monde. Plus de parents, pas d’amis…

« Mon cœur apaisé ne craint rien ». Comme je voudrais que mon cœur soit apaisé ! Je souffre de la solitude, ma sotte timidité m’empêche de me lier avec mes collègues. Ils ont tous leur famille, donc peu de temps à me consacrer.

Bien sûr, j’ai mon métier, j’aime mes élèves, mais jamais l’un d’eux, garçon ou fille, ne s’est intéressé à moi. Ils connaissent Mlle Soulignac, professeur de français, mais ils ne savent pas qui est Maryline, seule, pas très sociable bien qu’avide d’affection et de réconfort.

« Environné de ta présence,

Mon cœur apaisé ne craint rien ».

Encore ces vers ! Ça devient une obsession ! Elle secoue la tête comme pour chasser une idée tenace, puis se remet à ses corrections.

Vers 19 heures, Maryline se détend un peu en prenant un repas léger, puis continue d’annoter ses copies.

Il se fait tard. La maison se remplit de silence et Maryline sursaute au moindre bruit. Elle pose enfin la dernière feuille et se couche rapidement.

Dans son sommeil agité, elle rêve à son collège, à ses élèves. Elle voit Jean-Pierre, ce gentil garçon calme, travailleur, qui la regarde avec un sourire plein d’affection.

Le réveil sonne. Il faut se préparer. Maryline Soulignac pense à son rêve et, à nouveau comme une maxime, le poème vient hanter ses pensées :

En Toi je mets ma confiance,

Mon Sauveur, mon Ami, mon Soutien.

Environné de ta présence,

Mon cœur apaisé ne craint rien.

Encore ! Voilà que je le sais par cœur maintenant ! Je n’ai plus que cela en tête… jusqu’à rêver de Jean-Pierre ! À 26 ans, je radote déjà ! La solitude ne me convient pas. Je vais lui rendre son poème, ce sera préférable.

À la même heure, Jean-Pierre prie pour son professeur. Jamais il n’a songé à le faire auparavant, mais aujourd’hui il s’y sent poussé. À genoux, il supplie le Seigneur pour que sa maîtresse apprenne à Le connaître, Lui, la source du vrai bonheur.

« Tu sais, Seigneur, Mlle Soulignac a souvent l’air triste. Je ne sais pas pourquoi, mais Toi tu connais toutes choses. Tu es le Dieu de toute consolation, alors console-la, je te prie. Au nom de mon Sauveur, Jésus, Amen ».

Jean-Pierre se relève et descend prendre son petit déjeuner en compagnie de ses parents. Comme chaque matin, le feuillet du calendrier est suivi de la lecture du chapitre correspondant, puis M. Aubert rend grâces à Dieu et recommande chacun des siens au Seigneur pour la journée. Une atmosphère de paix et de bonheur règne dans ce foyer, où chacun mange avec plaisir le déjeuner préparé par la mère de famille. Enfin le carillon de la pendule annonce l’heure du départ de Papa pour son travail et de celui de Jean-Pierre pour le collège.

Dix heures ! C’est l’heure de français. Le professeur s’apprête à lire un texte à ses élèves lorsque, levant les yeux de dessus son livre, elle aperçoit Jean-Pierre qui lui sourit. Oui, il lui sourit de ce sourire amical qu’elle a vu cette nuit en rêve. Pourtant cette fois, elle est bien éveillée !

Elle pousse un soupir et annonce le titre : « Le Barrage ». De sa voix posée et harmonieuse, elle lit quelques pages de l’histoire d’un jeune ouvrier, Michel Legrand, qui, après la lecture d’une annonce, se rend aux Ramèges, village des Alpes, pour se faire embaucher dans le chantier d’un barrage hydro-électrique.

Les élèves sont attentifs, car ils auront à faire un résumé de ce récit. En terminant, le professeur ajoute : « Cette lecture est tirée du livre de Gilbert Cesbron : Vous verrez le ciel ouvert ».

Que le visage de Jean-Pierre est heureux ! pense Mlle Soulignac qui vient de poser son livre et s’apprête à distribuer le texte polycopié à ses élèves.

Jean-Pierre, lui, est bien loin de cette scène. Il pense à Étienne, dans les Actes des Apôtres, qui plein de l’Esprit Saint, voyait les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. Et au début de l’évangile de Jean, « Désormais vous verrez le ciel ouvert…».

Cet enfant sourit encore. Pourquoi ?

– Jean-Pierre, où es-tu ? Rêves-tu ?

– Non, Mademoiselle.

– Tiens, distribue un texte à chaque élève, cela te réveillera. Au fait, après les cours, j’aimerais te parler. Peux-tu rester dix minutes ?

– Oui, Mademoiselle.

Dix-sept heures. Tous les élèves sont sortis et Jean-Pierre attend dans la classe.

Voici Mlle Soulignac qui rentre.

– Jean-Pierre, je t’ai demandé de rester un instant, tout d’abord pour te rendre ton poème. Excuse le zéro que j’y ai marqué, mais je croyais que c’était ton devoir sur « L’automne ». Pourrais-je te demander ce que signifie pour toi le mot « environné », dans ta poésie ?

– Être entouré de tous côtés.

– Ainsi une présence t’entoure de tous côtés. C’est difficile à réaliser.

– Non, Mademoiselle. Il est écrit dans un psaume : « Tu me tiens serré par derrière et par devant et tu as mis ta main sur moi » (Ps. 139. 5). Et puis la Bible dit aussi: « Au-dessous de toi sont les bras éternels » (Deut. 33. 27). Donc je suis environné de tous côtés par la présence du Seigneur Jésus, Il me protège et me soutient.

– C’est bien cela. Oui, bien sûr, tu as la foi. À ton âge, c’est normal.

– Mais, Mademoiselle, mes parents qui sont bien plus âgés que vous l’ont aussi, tout comme mes grands-parents.

– Cela ne m’étonne pas. Cette foi se transmet sans doute de père en fils. Je n’ai pas été élevée dans une famille chrétienne, par conséquent tes belles paroles ne sont pas pour moi.

– Mais si, Mademoiselle, vous pouvez venir à Jésus, puisqu’Il a dit : « Venez à Moi vous tous qui vous fatiguez et qui êtes chargés ». Il est encore écrit : « Je ne mettrai point dehors celui qui vient à Moi » (Mat. 11. 28 ; Jean 6. 37).

– Merci, Jean-Pierre, pour ta réponse franche. Mais encore une question : Pourquoi m’as-tu souri ce matin ?

– Parce que j’ai pensé que vous étiez triste, et qu’aujourd’hui j’ai prié pour vous.

– Toi… tu as pensé à moi ? J’en suis bien touchée. En effet, je me sens assez isolée ici, loin de ma ville natale. Tu es le premier élève qui me témoigne de la sympathie.

– Je vous aime beaucoup, Mademoiselle, et il faudra venir à la maison. Papa et Maman seront heureux de vous connaître. Je vais leur en parler.

– Oui, je viendrai peut-être. Mais dis-moi, Jean-Pierre, à quoi rêvais-tu ce matin pendant la lecture du texte ? Tu me semblais bien loin de la classe avec ton air extasié.

– Non, Mademoiselle, je pensais au titre du livre de Gilbert Cesbron : Vous verrez le ciel ouvert.

– Alors ?

– Alors, j’ai vu le martyr Étienne, qui a été lapidé pour sa foi et qui voyait les cieux ouverts, et Jésus, le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. Et puis j’ai pensé à ce passage de l’évangile de Jean : « Désormais vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l’homme ».

– Tu es heureux, mon garçon, de pouvoir croire ces choses. J’aimerais avoir ta foi. Il est vrai que je ne connais pas grand-chose. Qui pourrait m’instruire ?

– Mademoiselle, le dimanche, nous allons à une réunion où la Parole de Dieu est lue et commentée. Si vous voulez, venez avec nous dimanche. Mes parents se feront une joie de vous y conduire, et ils pourront vous expliquer mieux que moi ce que cela signifie pour eux. Et puis, vous pourriez prendre le repas de midi avec nous chez mes grands-parents comme nous le faisons tous les dimanches. Cela leur fera plaisir.

– Merci de tout cœur, Jean-Pierre, je crois que je vais accepter.

Dimanche soir. Maryline Soulignac s’endort heureuse. Non, elle ne sera plus seule dorénavant. Un de ses élèves a prié pour elle. Elle connaît à présent une gentille famille et elle est moins isolée. Mais, par-dessus tout, elle ressent déjà la présence d’un Ami, du Fils de Dieu venu ici-bas chercher et sauver ceux qui sont perdus.

Pendant le culte et la réunion de cet après-midi, elle a compris que Jésus l’aimait et la cherchait.

On a chanté un beau cantique « À qui donc irions-nous… » et rappelé cette parole de l’apôtre Pierre : « Seigneur, auprès de qui nous en irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ».

Quelqu’un a parlé ensuite de l’amour du Seigneur, source qui rafraîchit le cœur le plus altéré. Puis la pensée du Dieu de Vérité, de Lumière et d’Amour a donné suite au chant d’un cantique qui acheva cette journée :

« Source de lumière et de vie,

Source de grâce pour la foi,

Repos, bonheur, paix infinie,

Nous les avons trouvés en Toi ».

Le soir, Maryline Soulignac eut une conversation avec les parents et les grands-parents de Jean-Pierre. Le grand-père pria pour cette âme qui cherchait sa voie et M. Aubert ajouta une fervente prière.

Avant de s’endormir, Maryline prie elle aussi. Une prière bien hésitante, sans doute, mais entendue au ciel et reçue avec joie comme un parfum de bonne odeur, par un Père qui nous aime et comprend tout.

– Ô Dieu et Père, voudrais-tu de moi comme ton enfant ? J’aime Jésus qui est mort pour moi et je mets en Lui ma confiance. Puisse-t-il être chaque jour de ma vie mon Ami, mon Soutien ! Amen.

Paisible et sereine, Maryline murmure encore, le cœur plein de reconnaissance :

En Toi je mets ma confiance,

Mon Sauveur, mon Ami, mon Soutien.

Environné de ta présence,

Mon cœur apaisé ne craint rien.

D’après La Bonne Nouvelle 1982 (A. Rr)