
On raconte qu’un homme, s’en allant mourir, un de ses anciens amis, devenu son détracteur, vint auprès de lui, implorant son pardon pour les calomnies et les insinuations malveillantes qu’il avait colportées sur son compte. Il les regrettait amèrement et ferait n’importe quoi pour réparer le mal accompli.
– Je te pardonne volontiers, lui dit le moribond. Et puisque tu voudrais « réparer », fais-moi, je te prie, un dernier plaisir.
– N’importe quoi, répéta l’autre avec émotion.
– Eh bien ! prends un sac de plumes, monte au clocher de l’église et secoue les plumes à tous les vents.
– Tout de suite, dit l’ami, croyant satisfaire au délire d’un mourant.
Au bout de quelques minutes, il revient annoncer que la chose était faite.
– Mais ce n’est pas fini, dit le malade. Va maintenant, et retrouve chacune des plumes que tu as vu s’envoler.
– Tu sais bien que ce n’est pas possible, protesta l’homme, croyant de plus en plus aux divagations de la fièvre. Elles se sont dispersées dans toutes les directions et hors de ma portée. Il est très peu probable que j’en retrouve une seule.
– Je le sais, fit le mourant, avec le plus grand calme. J’ai seulement voulu te montrer ainsi, que, malgré mon pardon, le mal fait par la calomnie et les insinuations perfides ne se « répare » jamais. Les paroles, comme ce qui est écrit, ne sont plus au pouvoir de celui qui les a lancées à travers l’espace. Dis à tes fils, d’après ta propre expérience, qu’il n’y a rien dans la vie de plus tragique, que l’irréparable.