
Dans un petit volume au papier jauni, imprimé à Vevey en 1852, j’ai retrouvé des récits dû à la plume d’un vieil ami des enfants.
Puissent ces exemples de foi, chez de jeunes chrétiens, vous servir de leçon à vous aussi, enfants d’un autre siècle, mais qui avez à faire au même Sauveur et au même Seigneur.
Voici les histoires en question :
La pièce d’or
Ce fait s’est passé en 1830, dans les environs de Vevey. Un jeune chrétien d’alors avait été empêché par ses convictions d’obéir aux prescriptions d’une loi qui blessait sa conscience.
Il avait, en conséquence, été condamné à une amende qu’il ne pouvait payer, car il était pauvre.
Ses parents, qui alors lui étaient très opposés, blâmaient beaucoup ses convictions et sa fidélité et, trouvant qu’il avait mérité le châtiment que la loi du pays lui infligeait par ce qu’ils appelaient son entêtement, ils ne voulaient rien faire pour lui venir en aide.
Dans ces circonstances, ce pauvre jeune homme se rendait à la vigne où il allait travailler ; il était bien triste : abandonné des hommes, il cherchait son secours en Dieu et Le suppliait de le délivrer.
Et Dieu répondit à sa prière, comme Il répond toujours, d’une manière ou d’une autre, aux prières de la foi.
Arrivé à la vigne, il se met à creuser et voilà que, au premier coup qu’il donne avec sa pioche, il retourne une motte de terre au fond de laquelle était une brillante pièce d’or !
Alors, enlevant son bonnet, il rendit grâces au Seigneur. Il était plus que délivré.
Car, me disait-il en me racontant ce fait, après avoir changé cette pièce étrangère, j’eus non seulement de quoi payer mon amende, mais je pus encore acheter un Recueil de cantiques, que je désirais depuis longtemps.
Le grand parapluie
Le centre de l’Angleterre souffrait d’une sécheresse prolongée.
Quelques fermiers pieux demandèrent à leur pasteur une heure de prière spéciale par semaine, en vue d’obtenir la pluie.
La réunion de prières fut fixée et, à l’heure dite, le pasteur, qui se trouvait le premier au rendez-vous, eut l’occasion de saluer plusieurs personnes à leur entrée. Il fut surpris de voir une des petites élèves de l’école du dimanche portant avec peine un immense parapluie de ménage.
– Mais, Marie, dit-il, pourquoi as-tu apporté ce gros parapluie par un si beau temps ?
L’enfant, le regardant avec étonnement, lui répondit :
– Je pensais que, puisque nous allions prier pour qu’Il nous donne la pluie, j’aurais certainement besoin du parapluie.
Le pasteur sourit et bientôt la réunion commença.
Pendant qu’ils priaient, le vent s’éleva, le ciel, tout à l’heure si clair et si brillant, se couvrit de nuages et bientôt des torrents de pluie inondèrent le pays, accompagnés d’éclairs et de coups de tonnerre.
Ceux qui étaient venus à la réunion sans s’attendre à une si prompte réponse à leurs prières, s’en retournèrent chez eux complètement mouillés, tandis que la petite Marie et le pasteur revenaient ensemble à l’abri du grand parapluie de famille.
Quelques souvenirs de la vie de Moffat
Robert Moffat, le grand missionnaire dont le sud de l’Afrique bénira longtemps la mémoire, naquit sur les frontières de l’Écosse.
Converti de bonne heure, il se consacra tout jeune au service du Seigneur.
Ce fut la Société des Missions de Londres qui lui assigna pour champ d’activité la terre des Namaquois, qu’infestaient alors des bêtes féroces et des hommes non moins redoutables. Dans ce pays, la rencontre des lions était plus fréquente que celle des chiens enragés en d’autres lieux.
Lorsque Moffat fut prêt à partir, les prédictions les plus sinistres l’accueillirent dans le petit monde de Boers ou colons hollandais auprès desquels il s’était arrêté quelque temps.
Mais, brave, entreprenant et plein de confiance en Dieu, il ne se laissa pas décourager et arriva chez un chef chrétien, appelé Africaner.
Très satisfait de posséder enfin le missionnaire qui lui avait été promis, Africaner lui fit l’accueil le plus chaleureux, et fit aussitôt prévenir les femmes de la tribu de se rendre en toute hâte auprès de lui pour construire une hutte à l’étranger.
M. Moffat ne sut trop que penser de cette réquisition et, non sans curiosité, attendit leur arrivée. Elles parurent enfin et le mystère fut vite éclairci.
Chacune d’elles portait une perche de la longueur d’une canne et un paquet de nattes grossières. Africaner indiqua l’emplacement en disant :
– C’est là qu’il faut élever la hutte du missionnaire.
Un cercle fut immédiatement tracé puis, avec une célérité merveilleuse, les femmes paraissant enchantées de montrer leur savoir-faire, plantèrent leurs perches, en réunirent et attachèrent les extrémités, puis entrelacèrent leurs nattes dans des roseaux.
Une heure après, l’habitation était prête à recevoir l’étranger.
M. Moffat ne put longtemps se faire illusion sur le confort de sa nouvelle demeure.
Si elle avait été vite bâtie, elle était aussi très vite endommagée. Après chaque coup de vent ou chaque orage, elle exigeait des réparations, et quand le soleil y dardait d’aplomb ses rayons, elle devenait inhabitable, sans compter les visites nocturnes qu’on y recevait : chiens affamés qui dévoraient les provisions du lendemain, ou taureaux furieux qui prétendaient vider leurs différends à l’endroit même où sommeillait le missionnaire.
Moffat et Africaner se lièrent bientôt d’une étroite amitié. Le chef sentit que l’emplacement de son kraal ou village n’était point favorable. Les deux amis partirent à la recherche d’un lieu plus sain.
Souvent, durant ces voyages d’exploration, les provisions leur manquaient et ils n’avaient d’autre ressource, pour échapper aux tortures de la faim, que la ceinture des jeûneurs, une large bande de cuir, très serrée, pour comprimer l’estomac et imposer silence à ses réclamations.
Que diriez-vous, mes enfants, de l’application de cette ceinture, à l’heure du déjeuner ou du dîner ?
Mais ce qui était plus terrible encore, c’était la soif. Il était très difficile de se procurer de l’eau. Le plus souvent, on restait des jours entiers sans en rencontrer, et quand on en trouvait, elle était bourbeuse, saumâtre, recouverte d’immondices verdâtres qui inspiraient le dégoût. Ce n’était pas tout, il fallait encore la disputer aux lions.
Nous empruntons la page suivante au journal même du célèbre missionnaire
« Une nuit, nous bivouaquons tranquillement près d’un petit étang non loin de la rivière Oup, où nous croyons n’avoir rien à redouter de la visite de cette majesté redoutable du désert, le lion.
Nous allions terminer notre culte du soir. Les dernières notes de notre hymne d’actions de grâces flottaient encore dans l’air autour de nous, je n’avais pas déposé le livre, qu’un rugissement formidable se fit entendre.
Nos bœufs qui, une minute auparavant, ruminaient auprès de nous avec une paisible bonhommie, s’élancèrent de notre côté, affolés, et nous renversèrent, beuglant, culbutant les feux dans leur fuite, et nous laissant dans un nuage de cendre et de poussière.
Les chapeaux, et les recueils d’hymnes, les Bibles, les fusils et les ustensiles, tout se trouva dans un affreux pêle-mêle.
Par bonheur, nul accident grave ne fut à déplorer. En un clin d’œil, les bœufs furent poursuivis, rattrapés et attachés aux wagons pour prévenir une nouvelle désertion, car nous n’aurions pu faire le sacrifice d’aucun.
Africaner, voyant la mauvaise volonté de nos compagnons à se mettre en chasse, dans un ravin sombre et accidenté, avait pris une torche et s’était élancé en criant : « Suivez-moi ! »
Sans cette promptitude et cette intrépidité, nous n’aurions jamais revu nos fuyards, car rien n’égale la terreur des bœufs en présence du lion ».
Autre histoire de lion plus saisissante encore :
Toujours à la recherche d’un emplacement convenable pour fonder un établissement définitif qui permette à ses gens de se grouper autour du missionnaire, Africaner résolut de visiter la terre des Griquois, située à l’est des Namaquois.
Moffat l’accompagnait, ainsi que deux des frères du chef, son fils et un guide excellent, nommé Vanderbyle.
La petite caravane, montée sur huit chevaux, se mit en route, n’ayant pour tous bagages que le caross, ou couverture de peau d’agneau, et les fusils pour subvenir par la chasse à ses besoins quotidiens.
La route était escarpée et fatigante ; souvent la faim et la soif mettaient à rude épreuve la constance des voyageurs.
Ils étaient forcés de se maintenir dans la direction du fleuve Orange, et chaque soir, ils devaient choisir avec précaution le lieu de leur campement, pour éviter d’être surpris par les lions qui venaient se désaltérer dans la plaine.
Souvent ils les entendaient rugir, et n’avaient que le temps de se réfugier sur une hauteur pour éviter leur rencontre.
Quelquefois, la petite troupe arrivait chez une tribu hospitalière ; elle y reprenait des forces et s’y procurait des vivres, mais il n’était pas rare que le contraire se produise et qu’on lui refuse de lui vendre quoi que ce soit.
Un jour, M. Moffat fut près de mourir pour avoir bu de l’eau d’un étang que les indigènes avaient empoisonné afin de se débarrasser des lions.
Enfin, le moment arriva où ils durent s’éloigner du fleuve et traverser une région déserte. Les chevaux étaient trop fatigués pour qu’on songe même à les charger d’une provision d’eau, si minime, soit-elle.
Un soir, Moffat et le guide étaient en avant. La chaleur avait été accablante et tous étaient épuisés. Ils ne s’aperçurent pas d’abord qu’ils étaient à une grande distance de leurs compagnons ; lorsqu’ils s’arrêtèrent et ne les aperçurent plus derrière eux, ils crièrent de toutes leurs forces, puis déchargèrent leurs fusils sans qu’aucune réponse ne leur parvienne.
À peine pouvaient-ils parler, tant la soif les dévorait. Ils se consultèrent. Revenir sur leurs pas était impossible, passer la nuit dans cette affreuse solitude n’eût fait qu’augmenter leurs souffrances, et s’éloigner de leurs amis était terrible. Ils résolurent d’attendre et de tirer encore quelques coups de fusil. Mais, à la première détonation, un sourd rugissement retentit.
C’était la voix d’un lion qui n’était pas à plus de cinq cents mètres. Ils se remirent lestement en selle sur les chevaux, si exténués qu’ils aient été, connaissant trop bien le danger pour ne pas se hâter.
Mais les montagnes qu’il s’agissait d’atteindre étaient encore bien loin. La nuit tombait rapidement. Dès qu’ils s’arrêtaient pour reprendre haleine, les cavaliers entendaient le bruit des pas de la bête féroce.
Enfin, ils avisèrent un monticule d’où ils espéraient pouvoir lancer au lion quelques quartiers de roche avant de tirer leurs deux dernières balles. Parvenus au sommet, ils virent que non seulement l’escarpement ne leur offrait pas d’abri, mais en outre, qu’aucune pierre ne pouvait se détacher.
Il leur fallut redescendre. Vanderbyle tira son briquet pour tâcher d’allumer une torche. La terreur croissante des malheureux chevaux leur révéla plus sûrement que tout autre indice l’approche, et son guide forcèrent les pauvres bêtes à un suprême effort.
Soudain un rugissement formidable, répercuté par les échos de la montagne, retentit à leurs oreilles et fit monter une sueur froide à leurs fronts.
Mais Dieu leur fut secourable. En quelques minutes, la gorge dangereuse fut franchie et au-delà, comme un gage d’espérance et de paix, ils virent briller un splendide clair de lune.
Le lion, fatigué, cessa de les poursuivre, et ils purent prendre un peu de repos. Moffat s’endormit d’un profond sommeil, et rêva d’ombrages splendides et de sources jaillissantes.
Mais quand il s’éveilla, le lendemain, il ne pouvait plus parler : un feu dévorant embrasait sa gorge et tout son corps. Il fallut cependant repartir et souffrir de nouveau toutes les horreurs d’un décevant mirage qui promettait sans cesse l’oasis, et ne conduisait qu’à des rocs brûlants.
Le guide semblait avoir perdu la raison, et la main de Moffat tremblait chaque fois qu’il étreignait son fusil.
Quels souvenirs ineffaçables doivent laisser de pareilles journées !
Qu’on se figure la surprise de M. et Mme Anderson, missionnaires chez les Griquois, lorsque, tard dans la soirée, ils virent entrer un compatriote, pâle, hagard, qui ne pouvait parler, mais dont les gestes et les lèvres noircies indiquaient suffisamment les souffrances.
Il fallut lui mesurer avec précaution l’eau et la nourriture car, depuis trois jours, il n’avait rien pris, et une imprudence pouvait lui coûter la vie.
Moffat se remit assez vite toutefois et attendit dans cette maison amie l’arrivée de ses compagnons de voyage qui, plus heureux que lui avaient trouvé de l’eau et n’avaient point couru le danger de mourir de soif.
Moffat était non seulement très dévoué à l’œuvre qu’il avait entreprise, mais il savait mettre la main à tout.
Il raconte avec une verve amusante comment il dut employer pour l’entretien de sa garde-robe les talents que sa mère, brave paysanne écossaise, lui avait communiqués dans son enfance, à savoir la couture et le tricot. Combien de garçons que je connais se croiraient déshonorés si une maman prévoyante voulait leur enseigner ces humbles travaux, si utiles en temps et lieu !
Mais Moffat ne s’était pas rebellé, et bien lui en avait pris. En prévision du cas où il ne pourrait se procurer de fer à repasser, sa mère lui avait montré comment lisser ses chemises en les pliant avec soin, encore humides, et en frappant dessus avec une pièce de bois.
Naturellement, la vieille blanchisseuse hottentote du missionnaire n’avait pas la moindre idée de tous ces raffinements, et pourtant Moffat se mit un jour en tête de se procurer le luxe d’une chemise bien lissée pour le dimanche qui approchait.
Il rabota donc une pièce de bois, plia soigneusement sa meilleure chemise, la déposa délicatement sur une pierre, puis commença à la marteler. Mais, hélas ! il avait songé à tout, sauf au choix de sa pierre. Il avait pris, au hasard, le premier bloc de granit qui lui offrait une surface plane. Aussi la pauvre chemise fut-elle percée à jour comme une écumoire par les rugosités de la pierre.
Le résultat des voyages de Moffat avec Africaner ne fut pas ce qu’il avait espéré : il dut quitter cette tribu où il était déjà aimé, et se rendre parmi les Béchuanas. Là, pendant des années, il put croire que sa vie se consumait en vains efforts.
Lui-même se comparait à un enfant qui perd un temps précieux à saisir son image dans l’eau, ou à un fermier qui userait sa charrue à convertir un sol de granit en terre labourable.
La tribu à laquelle son devoir l’attachait n’avait ni idoles, ni fétiches, ni lieu de culte ; nulle idée d’une autre vie ne semblait avoir abordé l’esprit de ces hommes grossiers. Aussi, leur parler de péché, de pardon, de justice, de jugement, de résurrection, de salut, c’était prononcer des mots pour eux vides de sens. Ils en riaient ouvertement.
Au point de vue matériel, la situation du missionnaire et de sa jeune compagne (il s’était marié au Cap) n’était guère plus encourageante. À eux tout le travail ; mais quand l’époque de la moisson approchait, des mains avides faisaient disparaître la récolte.
Souvent, dans une plaine où le thermomètre Fahrenheit marquait 120 degrés à l’ombre, les provisions du missionnaire lui étaient enlevées, et il restait sans une goutte d’eau sous un ciel de feu, obligé d’aller à plusieurs lieues renouveler ses approvisionnements. Il fallait tout supporter sans se plaindre.
Comment réclamer contre une injustice auprès de gens qui n’ont aucune notion de justice ?
Un jour, Mme Moffat, son enfant nouveau-né dans les bras, demandait doucement à une femme indigène, qui s’était introduite dans l’abri qui lui servait de cuisine, d’en sortir afin de pouvoir fermer la porte avant de se rendre au culte.
Pour toute réponse, la mégère s’empara d’une pièce de bois qu’elle fit tournoyer en l’air pour la jeter avec plus de violence à la tête de la jeune mère. Celle-ci n’échappa à une mort à peu près certaine qu’en se réfugiant en hâte auprès de son mari.
Là, comme ailleurs, c’était aux femmes que revenaient tous les travaux pénibles ; les hommes, paresseusement couchés à l’ombre, regardaient si l’ouvrage avançait.
Les huttes de ces régions atteignent une hauteur de seize à dix-huit pieds (5 à 6 mètres), et les échelles étant complètement inconnues, à cette époque, dans le pays, on se figure quelles difficultés les malheureuses créatures avaient à surmonter.
Après plusieurs années pénibles, passées à travailler sans voir de résultat, sans oser même se flatter que la bonne Semence fût tombée dans quelque cœur bien préparé ; M. Moffat et sa compagne virent se produire un changement qui les réjouit beaucoup.
Vous ne vous douteriez guère, à quel signe ils reconnurent que Dieu récompensait leurs efforts C’est quand les hommes et les femmes commencèrent à désirer des vêtements.
Aux premiers baptêmes qui eurent lieu, il fallut que Mme Moffat donne deux de ses robes aux femmes converties. C’est alors qu’elle ouvrit son école de couture.
Mais les mains de ses pauvres apprenties étaient devenues si calleuses à force de faire de gros ouvrages que, pendant longtemps, elles ne sentaient même pas l’aiguille entre leurs doigts et rivalisaient de maladresse.
De plus, la station étant à six cents kilomètres de tout marché, il était difficile de se procurer des étoffes. On avait alors à préparer des peaux d’animaux, qui finissaient par devenir assez souples pour l’usage auquel elles étaient destinées.
On juge si le passage de quelque trafiquant égaré dans ces solitudes était un événement et une fête !
« Pendant longtemps, écrivait à ce moment M. Moffat, notre congrégation a présenté un aspect bien fait pour dérider l’homme le plus grave.
Un des membres influents de l’Église se carrait à sa place avec une jaquette qui n’avait qu’une manche, l’autre n’ayant pas été finie à temps, ou les matériaux ayant été insuffisants. Un vêtement de peau se voyait adapter des manches de calicot ou de cotonnade rouge, jaune et bleue.
Par leurs bigarrures, toutes les robes ressemblaient à celle de Joseph, et quant à la mode régnante, il n’en fallait point parler, les formes étant plus fantasques et bizarres les unes que les autres ».
Dans les premiers temps, les hommes s’attendaient à participer, aussi bien que les femmes, aux leçons de couture.
Mme Moffat était sans cesse occupée à rajuster des peaux pour satisfaire aux innombrables demandes qui lui parvenaient et aussi à réparer les erreurs des ouvriers inexpérimentés.
Tantôt un grand gaillard, après avoir cousu toutes les ouvertures de son habillement, venait s’informer pourquoi il ne lui allait pas aussi bien que celui de son voisin.
Tantôt un autre, s’était imaginé que la jaquette pouvait au besoin servir de pantalon et vice versa, s’en retournait chez lui très désappointé par la démonstration du contraire. Mais ce qui consolait les missionnaires de ces mésaventures, c’était la certitude que tout homme qui s’occupait de sa toilette était un cœur ouvert à l’évangile.
Le second pas des indigènes vers la civilisation fut la fabrication de chandelles. Longtemps ils s’étaient moqués du missionnaire qui, au lieu de s’oindre comme eux de la bonne graisse ou de la manger, la brûlait sans profit.
Mais lorsque avec la connaissance de l’Évangile naquit le désir de s’instruire et d’employer les longues soirées, ils furent très heureux qu’on leur apprît à remplacer la lueur fumeuse des torches par des chandelles, de fabrication grossière sans doute, mais qui étaient du luxe.
Vers la fin de 1829, deux intéressants visiteurs arrivèrent à la station. C’était des envoyés de Mossélékatsi, chef des Matébélés, que Moffat appelait le Napoléon africain.
C’était évidemment de grands personnages, et tout le monde s’empressa, de leur faire honneur. Ils se montrèrent étonnés et charmés de tout ce qu’ils voyaient de nouveau chez leurs voisins, et ils invitèrent le missionnaire à venir voir leur roi.
M. Moffat y consentit et partit, accompagné de quelques chrétiens. Ce voyage aurait été charmant, tant le pays était accidenté, pittoresque, splendide, mais, hélas, on y voyait partout les traces de la dévastation.
Des guerres récentes avaient désolé ces régions naguère riches, populeuses, maintenant abandonnées aux bêtes fauves ou à des tribus errantes non moins sauvages.
Un peu avant d’arriver sur le territoire de Mossélékatsi, M. Moffat remarqua un grand arbre chargé d’énormes nids ayant tout à fait la forme de huttes. Ne pouvant imaginer quelles sortes d’oiseaux peuplaient ces solitudes, M. Moffat grimpa sur l’un d’eux pour se rendre compte de ce que c’était.
Grande fut sa surprise de trouver, à l’entrée du premier nid, une femme occupée à soigner son nourrisson : c’était un village !
M. Moffat ne compta pas moins de soixante-dix huttes, remplies de femmes et d’enfants. Les hommes étaient à la chasse. Le missionnaire demanda ce qui leur faisait préférer ce séjour à la terre, qu’ils auraient la ressource de cultiver, qui fournirait à tous leurs besoins, et où leurs enfants pourraient jouer en liberté, sans craindre à chaque instant de se rompre le cou.
Alors revint la triste histoire des conquérants. Mossélékatsi avait fondu sur cette tribu, dévasté ses possessions et massacré tout ce qui s’était présenté devant lui. Les bêtes féroces avaient festoyé sur les cadavres des guerriers, et maintenant, si les survivants s’établissaient dans la plaine, ils couraient le risque de devenir la proie des fauves.
Ils aimaient mieux vivre misérablement de racines et de sauterelles que de courir les chances terribles que leur offrait le sol.
M. Moffat fut reçu avec les plus grands honneurs par Mossélékatsi. Mais le chef eut un mouvement d’effroi lorsqu’il vit approcher les « maisons roulantes ». N’ayant jamais vu de roulottes, il s’imaginait que c’étaient des êtres vivants.
Il lui fallut un certain temps pour se rassurer et se décider à examiner de près les merveilleuses machines. Les roues surtout le plongeaient dans l’étonnement et quand on lui eut expliqué que c’était le missionnaire lui-même qui avait tout fait, il demanda quelle médecine il faisait prendre au fer pour le rendre docile.
Des danses solennelles eurent lieu en l’honneur de Moffat – ce dont il se serait bien passé, car c’était peu récréatif pour lui.
Il remarqua avec une surprise mélangée d’une profonde tristesse, qu’on le traitait comme un dieu. Toutes les fois qu’il se levait ou qu’il s’asseyait, il était salué par des acclamations, et les noms les plus ordinaires qu’on employât à son égard étaient ceux de Grand Chef, Roi du ciel.
Nous ne voulons pas retracer ici tous les travaux de M. Moffat. Le Seigneur les bénit abondamment.
Grâce à l’activité déployée par son cher serviteur, l’Évangile pénétra dans de nombreuses contrées plongées jusque-là dans les ténèbres les plus profondes de l’ignorance et du péché, et il y produisit une riche moisson à la gloire de Dieu.
Que puis-je faire pour le Seigneur Jésus ?
– Maman, dit Anna en revenant de l’école du dimanche, Mlle Martin, est de retour ; nous avons été bien contentes de la revoir aujourd’hui.
Anna Morin faisait partie de la première classe de l’école du dimanche du village de C… Elle avait quatorze ans et aimait beaucoup son école, la seule du reste qu’elle fréquentait, car mon histoire se passait il y a quatre-vingts ans, alors que l’instruction n’était pas obligatoire comme aujourd’hui.
La leçon du jour avait tourné sur la fin du chapitre 24 de l’évangile selon Luc, et la maîtresse avait raconté en détail l’ascension au ciel de notre Seigneur Jésus Christ.
Au cours de l’explication, cette question fut posée : comment se fait-il que, après avoir perdu la présence de leur Seigneur sur la terre, les disciples retournèrent à Jérusalem pleins d’une grande joie ?
Les réponses furent nombreuses et variées :
– Parce que le Seigneur Jésus leur avait promis d’être avec eux jusqu’à la consommation du siècle, répondit Jeanne.
– Parce qu’Il allait intercéder pour eux à la droite de Dieu, dit Fanny.
– Parce qu’Il avait promis de leur envoyer le Saint Esprit, ajouta Hélène.
– Parce que les disciples ont dû être bien heureux à la pensée de pouvoir faire quelque chose pour le Seigneur Jésus, suggéra timidement la petite Suzanne.
– Toutes ces raisons sont bonnes, dit la maîtresse, mais celle de Suzanne me pousse à vous faire une proposition.
Et Mlle Martin ajouta qu’elle désirait voir ses élèves réfléchir durant la semaine à la tâche que le Seigneur avait donnée à ses disciples avant de monter au ciel, et chacune des jeunes filles fut engagée à dire le dimanche suivant ce que le Seigneur Jésus lui demandait de faire personnellement pour l’amour de Lui.
Anna retourna toute pensive chez sa mère. Celle-ci était veuve, pauvre, et devait subvenir aux besoins de sa famille en travaillant chez des étrangers.
Il lui restait deux enfants, Anna, que nous connaissons déjà, et Jean, petit garçon de trois ans, d’une santé fort délicate et, par suite de sa constitution chétive, trop porté aux caprices et aux fantaisies.
Le modeste repas terminé, Mme Morin laissa Jean à la garde de la fillette et, prenant sa grande Bible sous le bras, se rendit à la réunion du soir.
Anna avait l’habitude de mettre le petit Jean dans son berceau tous les dimanches, dès que sa mère était partie, et d’apprendre ses versets pour la semaine suivante, à côté de son frère, jusqu’à ce qu’il se soit endormi.
Ce soir-là, elle désirait tout particulièrement que l’enfant s’endorme au plus vite, afin de pouvoir mieux réfléchir à la question posée par Mlle Martin. Elle déshabilla le petit avec beaucoup de douceur, puis l’ayant couché, elle se mit à lui chanter un de ses cantiques favoris.
Mais Jean se montra rebelle ; il voulait rester éveillé jusqu’au retour de sa mère et, malgré tous les efforts d’Anna, ce ne fut qu’une heure plus tard que, fatigué lui-même de ses caprices, le petit garçon se laissa enfin prendre par le sommeil.
Mais hélas ! pour Anna, le temps qu’elle aurait pu donner à la réflexion était passé. Sa mère revint. Il fallut lui faire la lecture, les yeux de la brave femme étant trop faibles pour lire à la lumière de la lampe.
Et lorsque Anna se coucha ce soir-là, elle ne put s’empêcher de se dire que si son petit frère avait été moins difficile, elle aurait pu s’accorder, sous le pommier du jardin, une de ces bonnes heures de réflexion comme elle les aimait tant.
Lorsqu’elle se réveilla le lendemain, sa première pensée fut pour la question adressée la veille : qu’est-ce que le Seigneur Jésus m’a donné à faire pour lui ?
– Je voudrais tant trouver quelque chose, se disait Anna.
Aller voir cette pauvre femme qui s’est brûlé la jambe la semaine passée, ou bien lire aux aveugles de l’asile, ou bien encore… Mais à quoi bon penser ?
Maman doit sortir et moi je dois rester à la maison pour surveiller le petit. Oh ! pour sûr, je n’aurai rien à dire à Mlle Martin dimanche prochain !
Anna possédait un calendrier biblique et ce matin-là, en enlevant le feuillet de la veille, elle put lire le passage suivant : « Quelque chose que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus » (Col. 3. 17).
Anna lut rapidement ces paroles qui auraient dû la frapper et lui donner la réponse qu’elle cherchait, puis elle descendit en courant pour aider sa mère à préparer le déjeuner.
Après le départ de sa mère, Anna s’occupa du ménage, puis son petit frère lui prit tout son temps ; l’enfant était maussade, malade, difficile à amuser, et la patience de la grande sœur fut mise à rude épreuve.
Lorsque, le soir venu, Anna se mit au lit, elle était tellement fatiguée qu’elle s’endormit dès que sa tête tomba sur l’oreiller ; le lendemain, le surlendemain et tous les jours de la semaine furent semblables à ce lundi.
Le samedi matin, Mlle Martin, passant devant la porte de la chaumière, dit amicalement :
– Eh bien ! Anna, as-tu songé à ma question ? J’espère que tu m’apporteras une réponse demain.
Anna fût bien contente que sa maîtresse ne s’arrête pas pour lui donner le temps de répondre, et elle se dit en elle-même : si seulement mademoiselle savait combien j’ai d’ouvrage ! elle verrait comme il m’est difficile de faire autre chose !
Peut-être le jeune lecteur qui jette les yeux sur ces pages pense-t-il que, à la place d’Anna, il aurait déjà trouvé la tâche que lui donnait le Seigneur.
C’est très possible, mais rappelons-nous qu’Anna, bien que désirant vivement faire la volonté de Dieu, avait encore beaucoup à apprendre. Elle faisait ses tout premiers pas dans la carrière chrétienne, car depuis quelques mois seulement elle connaissait le Seigneur Jésus comme son Sauveur personnel.
Elle ne comprenait pas encore le grand privilège que possède le chrétien de faire toutes choses pour la gloire de Dieu.
Ce samedi-là, Mme Morin rentra de son ouvrage plus tôt que d’habitude et, remarquant les joues pâles et les traits tirés de sa fille, elle lui dit avec bonté :
– Une promenade te fera du bien ; mets ton chapeau, ma fillette, je m’occuperai de Jean.
– Maman, fit Anna avec entrain, puis-je aller jusqu’à la ferme voir l’oncle Étienne ? Je pourrais lui faire la lecture maintenant qu’il voit si peu.
– Certainement, répondit la mère, et tu pourras revenir par les prairies.
Anna partit donc toute joyeuse.
L’oncle Étienne, un vieux jardinier retraité, reçut affectueusement sa petite nièce et Anna se trouva bientôt assise aux pieds du vieillard sur un tertre de gazon.
– Oncle Étienne, fit Anna, maman m’a permis de rester un bon moment auprès de toi. J’ai donc tout le temps de te lire un chapitre et d’en causer ensuite.
– Eh bien ! répondit vivement le vieillard, c’est sûrement le Seigneur qui t’as mis cette bonne pensée au cœur. Tiens, voici le Nouveau Testament.
J’essayais justement de lire quand tu es arrivée, mais mes yeux sont en si mauvais état que, même avec ces gros caractères, je ne pourrais lire si ma mémoire ne m’aidait à retrouver par-ci par-là quelques mots des versets que je cherche à déchiffrer.
– Dois-je lire à l’endroit où le livre est ouvert ?
– Oui mon enfant, répondit le vieillard, et il appela en quelques mots la bénédiction de Dieu sur leur lecture.
Anna lut lentement le chapitre 22 des Actes où l’apôtre Paul raconte sa conversion ; histoire merveilleuse que celle-là, que ce miracle qui fit de Saul de Tarse, le persécuteur, Paul, l’esclave de Jésus Christ !
Anna posa le livre sur ses genoux et resta silencieuse pendant quelques minutes.
– Quelle merveilleuse histoire ! répéta l’oncle Étienne. Et comme nous pouvons comprendre le premier cri de cette âme qui avait rencontré Jésus sur son chemin : Que dois-je faire, Seigneur ?
– Mais la réponse a-t-elle toujours lieu ? dit Anna toute pensive. Je me suis posé cette question toute la semaine, oncle, et je n’ai pas encore trouvé ce que Jésus veut que je fasse.
Le vieillard posa tendrement sa main tremblante sur la tête de sa petite nièce.
– Es-tu sûre d’avoir pris le bon chemin pour trouver la réponse, mon enfant ? Dieu écrit parfois bien clairement cette réponse, mais nous ne savons pas toujours la lire.
– Je ne puis comprendre ce que je dois faire pour plaire à Dieu, reprit la petite fille, et elle raconta tout au long la question posée à l’école du dimanche et ses efforts infructueux de toute la semaine pour en trouver la solution.
Le vieil Étienne sourit affectueusement à la conclusion du récit d’Anna.
– La réponse est écrite aussi lisiblement que possible, mon enfant, reprit-il, seulement tu ne sais pas encore la lire.
Vois-tu, Anna, quand nous demandions au Seigneur : mon Dieu, que veux-tu de moi ? nous devons être complètement décidés à accepter sa volonté, quelle qu’elle soit. Je veux dire que nous ne devons rien choisir pour nous-mêmes, ni tâcher de nous persuader que le Seigneur nous a donné telle ou telle tâche choisie par nous.
Il faut chercher la force d’en-haut, afin de pouvoir nous conformer à ce que veut le Seigneur et accomplir loyalement ce qui nous est prescrit, que cela nous plaise ou non, que nous nous en croyions capables ou non ! Il faut l’accomplir pour l’amour de Celui qui nous l’a confié.
– Eh, bien ! oncle, que penses-tu que le Seigneur Jésus m’ait donné à faire ? demanda Anna.
– Écoute une petite histoire de ma jeunesse, fut la réponse d’Étienne ; tu y trouveras toi-même la solution que tu cherches.
Quand je commençai mes travaux de jardinage, j’étais employé comme aide du jardinier en chef dans une grande propriété seigneuriale.
Il y avait là beaucoup d’ouvrage. Le jardinier sous les ordres duquel je me trouvais, était un brave homme et un bon travailleur ; en deux ans, il m’en apprit plus que n’eût fait aucun autre.
Il y avait dans le jardin une pièce d’eau, une sorte de lac, si tu veux, dont je me trouvais particulièrement chargé. Je devais m’occuper des plantes aquatiques et aussi soigner les bordures et les parterres de ce côté-là.
De plus, le jardinier en chef m’emmenait souvent dans les serres et m’enseignait les parties les plus intéressantes du métier.
Il arriva que, dans les premiers jours de mai, il fut appelé à faire un petit voyage pour notre maître. Il partit à la hâte et ne put me donner aucune instruction détaillée sur ce que j’aurais à faire durant son absence. Il me dit seulement en me quittant :
– Étienne, je vous conseille de ne pas vous endormir quand je ne serai pas là !
Là-dessus il partit. J’avais une haute estime pour mon chef, ce brave M. Robin. J’avais trouvé en lui non seulement un maître consciencieux, mais encore un ami chrétien qui se préoccupait de mon âme et m’exhortait à lire et à méditer la Parole de Dieu.
Aussi, dès qu’il fut parti, je me dis que je n’oublierais pas sa recommandation et je me mis en tête de faire quelque chose de particulier pour lui, qui lui prouve ma bonne volonté et mon désir de lui être agréable.
Je cherchais, je cherchais, jusqu’à ce qu’il me vint à l’idée de m’occuper des serres, et je me rappelai que M. Robin avait l’intention de planter très prochainement les géraniums dans les parterres.
C’était un très long travail chaque année, mais je me dis que, si je travaillais assidûment, j’aurais le temps de tout finir avant le retour de Robin. À peine pris-je quelques minutes pour dîner durant les trois jours que dura l’absence de mon chef et, comme la pièce d’eau se trouvait du côté diamétralement opposé aux serres chaudes, il ne me resta pas un instant pour m’en occuper.
Les autres jardiniers avaient beaucoup à faire dans le reste du parc, et lorsqu’ils me virent à l’ouvrage dans les plates-bandes de Robin, ils pensèrent que j’avais reçu ses ordres et ils ne se mêlèrent en rien de mon ouvrage. Le travail que je m’étais imposé se trouva terminé le vendredi soir, et je tombais de fatigue lorsque j’allai me coucher.
Le lendemain matin il faisait froid, et je commençai à craindre qu’il n’eût gelé pendant la nuit. Je courus au jardin et le cœur me manqua lorsque l’un de mes camarades m’accueillit par ces mots :
– Je suis bien étonné que Robin vous ait donné l’ordre de sortir les géraniums cette semaine, car il a gelé cette nuit.
Ce n’était que trop vrai ! la moitié des plantes, si florissantes la veille, pendaient flétries sur leurs tiges et le mal ne pouvait plus se réparer. Je n’eus le cœur à rien ce jour-là.
M. Robin, revint .de bonne heure et, pour la première fois de ma vie, j’aurais voulu le voir bien loin. Pourtant j’allai le recevoir à la grille, car je sentais que je lui devais immédiatement une pleine confession de ma faute.
– Ô Étienne, s’écria-t-il en m’apercevant, vous voilà ! Il faut que vous m’expliquiez votre conduite pendant mon absence. Je suis venu par le côté de la pièce d’eau ; elle ne vous fait pas honneur.
Les parterres sont dans le plus grand désordre et les sentiers pleins de mauvaises herbes. Je croyais pouvoir répondre de vous comme d’un travailleur consciencieux.
– Tu comprends, Anna, si j’étais consterné, d’autant plus que j’avais voulu plaire à mon chef en travaillant avec zèle. Je le priai de me suivre, je lui montrai les plantes flétries et le suppliai de me pardonner mon erreur.
Je me sentis le cœur plus léger après cet aveu, et lorsque je regardai M. Robin, je lui trouvais l’air triste mais pas en colère.
Triste, il devait l’être, car les deux serres chaudes faisaient son orgueil : mais il ne m’adressa pas les reproches auxquels je m’attendais ; il me dit seulement :
– Étienne, je suis vivement peiné. Je suis certain que vous avez voulu faire pour le mieux, mais j’aurais de beaucoup préféré que vous vous soyez occupé exactement de ce qui vous regardait.
La douceur de mon vieil ami me fendait le cœur. J’aurais préféré des paroles d’amers reproches à ces mots si pleins de bienveillance.
Nous avons eu énormément à faire cet après-midi-là pour réparer ma maladresse, et je dus subir les railleries des aides-jardiniers, sur les gens qui négligent leurs propres affaires pour se mêler de celles des autres.
Mais je savais que ces moqueries n’étaient que trop méritées et je cherchai l’aide du Seigneur pour les supporter avec patience.
Le lendemain était un dimanche. Pour nous rendre au culte nous sommes passés devant la pièce d’eau ; je fus honteux de la voir en si piteux état. Les herbages flottaient à la surface et ma négligence allait devenir l’objet des remarques de tous.
Après le culte, M. Robin m’engagea à me promener avec lui. Jamais je n’oublierai ce qu’il me dit ce jour-là ; ses paroles furent pour moi comme un message de Dieu. Il me montra un verset de la Bible en disant que c’était un des passages les plus tristes qu’il connaisse : « Ils m’ont mise à garder les vignes ; ma vigne qui est à moi, je ne l’ai point gardée » (Cant. 1. 6).
Il ajouta que ce devait être une leçon pour moi, afin qu’à l’avenir je sache accepter le devoir que Dieu m’envoyait pour l’accomplir, de tout mon cœur, si humble fût-il, par amour pour le Seigneur Jésus qui est mort pour nous et qui maintenant donne à chacun sa tâche selon nos capacités qu’il connaît bien mieux que nous ne les connaissons nous-mêmes.
Si nous voulons entreprendre ce qui nous semble plus utile ou moins important, nous allons au-devant d’un échec.
– Je vous remercie de votre désir de m’être agréable, Étienne, c’était là une bonne intention, le mieux est de remplir les devoirs que Dieu a mis à notre portée et, si nous cherchons bien, nous verrons clairement quels sont ces devoirs.
Avant de nous occuper de l’âme des autres, assurons-nous d’abord que notre propre âme est bien en règle avec le Seigneur. Avant de chercher notre tâche au dehors, demandons à Dieu de nous faire bien comprendre quel est le devoir le plus près de nous.
Et n’oubliez jamais, Étienne, que le privilège du chrétien consiste à remplir les desseins les plus simples et les plus terre-à-terre pour l’amour de Celui qui nous donne notre fardeau à porter pour sa gloire.
– Tu vois, Anna, je t’ai conté cette histoire pour te prouver que, si nous désirons connaître la tâche que le Seigneur tient en réserve pour nous, nous ne devons pas la chercher au loin, mais très près de nous.
Et lorsque Dieu nous l’a montrée, cherchons auprès de lui la force nécessaire pour la remplir fidèlement sous ses yeux.
Anna avait écouté très attentivement.
– Oncle Étienne, dit-elle, je crois que je te comprends. Dieu m’a placée à la maison, c’est donc à la maison qu’est mon devoir.
– Sans aucun doute. Et qu’est-ce donc qui t’empêchait de réfléchir tranquillement sur la tâche particulière que le Seigneur a préparée pour toi ?
– C’était mon petit frère Jean. Mais peut-être la tâche que me donne le Seigneur est-elle précisément de soigner Jean ?
– Non pas peut-être, mon enfant, mais précisément. C’est aussi clair que si le Seigneur avait mis Lui-même ton petit frère entre tes bras, en te recommandant d’en avoir soin pour l’amour de Lui.
J’ai lu autrefois l’histoire d’une dame française qui avait été fort riche et qui, se trouvant ruinée par des revers subits, se vit obligée de servir les autres. Rien ne semblait l’abattre ni l’humilier, bien qu’elle ait dû souvent faire les ouvrages les plus vils dont les autres serviteurs refusaient de se charger.
Quelqu’un lui demandait un jour comment, au milieu d’occupations aussi désagréables, elle pouvait paraître si heureuse, si gaie même souvent.
– C’est tout simplement, répondit-elle, qu’il me semble entendre le Seigneur Jésus me dire : balaye cette maison pour l’amour de moi, fais cet ouvrage comme si tu le faisais pour moi ; et lorsque je me rappelle tout ce qu’Il a fait pour moi, je ne puis que me réjouir.
– Que je suis contente d’être venue te trouver, oncle Étienne, dit Anna toute pensive.
Avec l’aide de Dieu, je veux essayer de remplir ma tâche en disant toujours au Seigneur : que dois-je faire encore pour toi ? Et sûrement Il me répondra.
Il était six heures du soir quand Anna rentra chez sa mère. Celle-ci-lui demanda si elle avait passé une bonne journée.
– Oh ! une journée délicieuse ! répondit-elle en montant rapidement l’escalier pour aller ôter son chapeau.
Jean était à moitié endormi dans son petit berceau. Avant de descendre pour retrouver sa mère, Anna s’agenouilla auprès de lui. Lorsqu’elle se releva, la fillette avait accepté, sous le regard de Dieu, la tâche que le Seigneur lui avait réservée.
Le bébé sommeillait doucement, sa joue rose presque cachée par ses boucles brunes. Il ne savait pas avec quel amour sa sœur le regardait, maintenant qu’elle se sentait plus étroitement liée à lui que jamais. La petite Anna le contemplait, les yeux remplis de larmes.
Un verset de la Bible, auquel elle n’avait pas songé depuis longtemps, lui revint à la mémoire. Il semblait qu’elle entendait la voix du Sauveur Lui-même lui dire : « Prends cet enfant et soigne-le pour moi ; je te donnerai ton salaire ! »
Quand Mlle Martin demanda le lendemain matin à la petite fille si elle avait trouvé la tâche que Jésus lui donnait à faire, Anna répondit à voix basse : je crois, mademoiselle, que ma tâche est de rester à la maison, et de soigner mon petit frère.
Et Mlle Martin le croyait aussi.
Maintenant, jeunes lecteurs, permettez-moi de vous demander si vous avez essayé de trouver la tâche que le Seigneur vous a donnée.
Si vous ne la connaissez pas encore et que vous désirez vraiment glorifier votre Sauveur bien-aimé, il faut suivre la règle prescrite par l’oncle Étienne. Demandez à Dieu de vous montrer le devoir qui est le plus proche de vous et cherchez à le remplir en glorifiant le Seigneur.
Par vous-mêmes, vous ne le pourrez pas ; le cœur naturel recherche toujours de grandes choses, mais Dieu « donne la grâce aux humbles ». Que votre prière constante soit : Seigneur, que puis-je faire pour toi ? et vous pouvez être sûrs que la promesse qui nous a été faite s’accomplira : « Je t’instruirai, et je t’enseignerai le chemin où tu dois marcher ; je te conseillerai, ayant mon œil sur toi » (Ps. 32. 8).
Oh ! qu’il est doux de se dire le matin en regardant devant soi la journée qui commence : « Quoi que nous fassions, nous devons le faire à la gloire de Dieu ! »
La porte ouverte
Dans un village des Pays-Bas vivait une pauvre veuve qui souvent se trouvait dans le dénuement le plus complet.
Elle vivait seule avec ses trois enfants dont l’aînée n’avait pas dix ans. Un soir, les petits vinrent réclamer leur soupe, mais l’armoire de la cuisine était vide. Plus même une miette de pain.
La mère se mit à genoux avec ses enfants et, du fond de sa détresse, adressa une ardente prière au Seigneur.
Elle prononça entre autres la phrase suivante : « Ô Dieu ! autrefois tu te servis des corbeaux pour nourrir le prophète. Je t’en supplie, au nom de Jésus, envoie du pain à mes enfants ! »
Lorsqu’ils se relevèrent de leur prière, le petit Dirk, âgé de huit ans, courut pour ouvrir toute grande la porte d’entrée de la maison.
– Dirk, que fais-tu donc là ? fit la mère étonnée.
– Mais, maman, quand les corbeaux viendront, il faut bien qu’ils trouvent la porte ouverte, répondit l’enfant avec conviction.
– Mon pauvre petit ! à quoi penses-tu ? Il y a très, très longtemps que ces choses se sont passées.
– Cela ne fait rien, maman. Dieu n’oublie jamais et ce qu’Il a fait une fois. Il peut toujours le refaire.
Laissons la porte ouverte, je t’en prie, et nous verrons s’Il n’envoie pas les corbeaux.
Puis, joignant les mains, Dirk pria encore : « S’il te plaît, Seigneur, envoie-nous du pain ».
En ce moment le maire de la localité passait dans la rue. Il remarqua la porte ouverte. Il s’arrêta, jeta un coup d’œil à l’intérieur puis, poussé par une impulsion étrange, il pénétra dans la maison.
– Pourquoi laisser votre porte ouverte à pareille heure ? demanda-t-il avec bonté. Ce n’est guère prudent.
La veuve souriant à travers ses larmes, expliqua qu’elle venait de prier pour que Dieu lui envoie du pain. Elle ajouta que parce qu’elle avait rappelé l’histoire d’Élie, le petit Dirk avait voulu que les corbeaux trouvent un libre passage.
– Alors, sûrement, il ne faut pas que votre petit homme soit déçu, fit le visiteur. Ne fermez pas la porte avant que les corbeaux ne soient arrivés.
Le maire s’éloigna rapidement et bientôt après apparut une de ses servantes portant un grand panier de provisions : du pain, des pommes de terre, des légumes, du beurre et de la viande – bref, de quoi nourrir la petite famille pendant bien des jours.
Lorsque la messagère, accompagnée des bénédictions de la maman, se fut éloignée en refermant la porte derrière elle, le petit Dirk l’ouvrit une fois de plus.
Joignant les mains, il leva les yeux vers le ciel étoilé et dit : « Seigneur, nous te remercions pour ce que tu nous as envoyé ».
Puis il ferma la porte et tira le verrou. II savait que le secours était venu de la part de Dieu, même si son Père céleste ne s’était pas servi des corbeaux pour apporter la nourriture nécessaire à ceux qui avaient imploré son aide.
Dites la vérité
Personne ne pensera que c’est moi qui ai cassé la vitre, se disait Freddy tout en contemplant avec quelque effroi le dégât que venait de causer sa nouvelle balle de tennis.
J’en suis vraiment bien fâché. Maman rentrera ce soir de son séjour chez oncle Georges, et je voulais lui montrer comme j’avais été soigneux pendant son absence.
La vieille Marie est occupée en haut, et d’ailleurs elle est si sourde qu’elle n’a sûrement pas entendu le bruit qu’a fait la vitre en tombant. Si on me demande si c’est moi qui l’ai cassée, naturellement je ne dirai pas de mensonge.
Mais si on ne me le demande pas, et je ne pense pas qu’on le fasse, il n’est pas nécessaire que j’en parle. Papa sera fâché, continua-t-il à mi-voix. Peut-être même qu’il me fera payer la vitre, et j’ai besoin de tout mon argent pour acheter un cadeau pour la fête de maman.
Il n’y a pas de raison pour que j’en parle à moins qu’on ne me questionne directement.
Soudain, quelques paroles qu’il avait entendues à l’école du dimanche se présentèrent avec force à sa mémoire :
« Garçons, avait dit son moniteur le dimanche précédent, et Freddy n’oubliait pas de quel ton profondément sérieux il s’était adressé à eux, garçons, la vérité est une chose que nous n’estimerons jamais assez haut, et dont l’importance est infiniment plus grande que vous ne vous l’imaginez.
Nous avons lu aujourd’hui l’histoire d’Ananias et de Sapphira. Elle nous apprend comment Dieu jugea leur péché. Oui, mes garçons, un mensonge est une terrible chose, et souvent ce n’est que le commencement d’une série de péchés.
Souvenez-vous aussi qu’un mensonge en action est aussi mauvais qu’un mensonge en paroles. Peut-être l’un de vous sera-t-il tenté un jour de cette manière. La crainte des conséquences peut vous conduire à essayer de cacher une faute en gardant le silence, sinon en prononçant un mensonge en paroles.
Mais souvenez-vous qu’aux yeux de Dieu, le péché est le même. Lorsque vous serez tentés de tromper de cette manière, demandez à Dieu qu’Il vous aide à dire la vérité, et à confesser vos fautes avec courage.
Il vous aidera et vous donnera la force de faire ce qui est droit et ce qui lui plaît, si seulement vous le lui demandez ».
D’un pas rapide Freddy s’élança à la rencontre de son père qui venait d’apparaître à quelque distance et, tout en courant, il demandait silencieusement à Dieu le courage de raconter l’accident exactement comme il s’était passé.
– Tu es tout à fait hors d’haleine, mon garçon, dit M. Brun lorsque son fils l’eut rejoint. On dirait que tu as quelque chose de très important à me dire, ajouta-t-il en regardant avec étonnement l’expression sérieuse du petit garçon.
– Oui, papa, je suis pressé de te dire quelque chose, répondit Freddy, et sa voix tremblait un peu. Je suis très fâché, mais j’ai cassé une vitre de la salle à manger.
Je jouais à la balle sans penser à aucun danger, et tout à coup elle a frappé la fenêtre. J’en suis très fâché, papa.
– C’est bien, mon garçon, dit amicalement le père en prenant la main de son fils pour revenir à la maison. Viens toujours immédiatement me dire tout ce que tu as fait de mal.
J’aimerais mieux avoir toutes les fenêtres de ma maison cassées que de savoir que mon fils dit un mensonge pour cacher son manque de soin, ou agit avec fausseté pour éviter un blâme.
Alors, tout en marchant à côté de son père, Freddy lui raconta comment il avait été tenté de garder le silence au sujet de son méfait, et comment les paroles de son moniteur lui étaient revenus à la mémoire.
– Mon cher garçon, lui dit son père comme Freddy s’élançait joyeusement en avant pour ouvrir la porte, je suis si reconnaissant que tu aies appris à voir combien facilement nous pouvons être coupables de mensonge, même sans prononcer un seul mot.
Je pense que ce petit incident t’aura aussi enseigné une autre leçon. Ne te confie jamais en tes propres forces mais, lorsque tu es tenté de mal faire, demande à Dieu qu’Il te fasse la grâce de résister à la tentation.
« Éternel ! délivre mon âme de la lèvre menteuse, de la langue qui trompe » (Ps. 120. 2).
« Les lèvres menteuses sont en abomination à l’Éternel, mais ceux qui pratiquent la fidélité lui sont agréables » (Prov. 12. 22).
« Achète la vérité, et ne la vends point » (Prov. 23. 23).