GEORGE MÜLLER, SA VIE ET SON ŒUVRE (1805-1898)

Ch. 1er Enfance et jeunesse (1805-1825)

Je suis né le 25 septembre 1805, à Kroppenstaedt près de Halberstadt, en Prusse. En janvier 1810, mes parents quittèrent Kroppenstaedt pour Heimersleben, qui est distant de quelque six kilomètres, et où mon père venait d’être nommé receveur des contributions indirectes.

Avant d’aller plus loin, je dirai que mon père avait un faible pour moi et me préférait à mon frère, ce qui nous fit beaucoup de mal à tous deux : chez moi cela entretint l’orgueil ; chez mon frère cela fit naître des sentiments d’inimitié contre mon père et contre moi.

Mon père, qui nous élevait selon les principes du monde, nous donnait des sommes d’argent relativement élevées pour notre âge. Non pour être dépensées, mais afin, disait-il, que nous apprenions à posséder sans dépenser. Je dois avouer que cette façon de faire eut de funestes résultats, et qu’elle nous induisit en de nombreux péchés.

Il m’arrivait fréquemment de dépenser mon argent en inutilités, puis de dire quelque fausseté lorsque mon père s’enquérait de mon petit trésor. Ou bien je ne portais pas tout l’argent reçu, ou bien je lui assurais que je possédais plus que je n’avais en réalité, en comptant ostensiblement devant lui une somme imaginaire et que je n’avais plus en totalité.

À la longue, cette supercherie fut découverte et je fus puni. Mais je dois ajouter que ceci ne m’amena pas à changer de conduite. Au contraire, il m’arriva souvent de prendre l’argent qu’on remettait à mon père et qui appartenait au gouvernement. Mon père dut donc, à bien des reprises, rembourser de sa poche ce qui manquait. Je n’avais pas dix ans !

Les vols se succédaient ; mon père s’avisa donc, certain jour, de compter une somme d’argent qu’il laissa dans la chambre où je me trouvais ; puis il sortit. Me voyant seul, j’en pris une partie que je dissimulai dans mes souliers, entre le pied et la semelle. Lorsque mon père revint, il compta l’argent, s’aperçut qu’il manquait quelque chose, me fouilla et découvrit le larcin.

Bien que j’aie été puni en cette occasion et en plusieurs autres, je ne me souviens pas que cela ait fait sur moi d’autre impression que de m’amener à réfléchir sur la façon dont je pourrais, une autre fois, m’y prendre avec plus d’habileté. Ce ne fut donc pas la dernière fois que je me rendis coupable de vol.

J’avais dix ans et demi lorsque je fus envoyé à Halberstadt pour y commencer des études classiques en vue de l’Université. Mon père me destinait à devenir pasteur. Il ne pensait pas au service de Dieu, mais voulait que j’aie plus tard une jolie situation.

À Halberstadt, mon temps se partageait entre l’étude, la lecture des romans et la dissipation, malgré ma grande jeunesse ; j’y restai jusqu’à l’âge de quatorze ans. C’est à cette époque que je perdis ma mère. Alors qu’elle se mourait et que j’ignorais qu’elle fût malade, je passai la nuit à jouer aux cartes jusqu’à deux heures du matin.

Le jour suivant, un dimanche, j’allai dans une taverne avec mes compagnons de péché ; puis, à moitié ivres, nous avons parcouru ensemble les rues de la ville. Le lendemain, j’assistai pour la première fois au cours d’instruction préparatoire à la confirmation.

C’est à peine si j’écoutai ce qui fut dit. Lorsque je regagnai ma chambre, je trouvai mon père qui venait nous chercher, mon frère et moi, pour que nous assistions à l’enterrement de ma mère.

Cette épreuve ne fit pas d’impression durable sur moi ; et je continuai à m’enfoncer toujours davantage dans le mal. Trois ou quatre jours avant ma confirmation, et par conséquent avant mon admission à la cène, je me rendis coupable d’un péché grossier ; et la veille même du jour où je fus confirmé, alors que, selon la coutume, je confessais mes péchés au pasteur dans la sacristie, je le volai délibérément de la douzième partie de ce que mon père m’avait donné à lui remettre.

C’est avec ces sentiments, et alors que j’ignorais la prière, la repentance véritable, la foi, le plan du salut, que je fus confirmé et que je m’approchai pour la première fois de la table sainte le dimanche qui suivit Pâques, en l’année 1820.

Toutefois, je ne fus pas sans ressentir, dans une certaine mesure, la solennité de l’acte accompli : je restai à la maison l’après-midi et le soir, tandis que ceux qui avaient été confirmés avec moi, garçons et filles, partaient se promener à la campagne.

C’est aussi à cette occasion que je pris la résolution d’abandonner mes vices, et d’étudier davantage. Mais comme je ne comptais pas sur Dieu mais seulement sur moi-même, ces résolutions restèrent inutiles et je ne tardai pas à devenir plus mauvais encore. Jusqu’en juillet 1821 l’étude et les plaisirs se partagèrent mon temps. Ces derniers avaient la plus grande part : je jouais du piano et de la guitare, je lisais des romans et fréquentais les tavernes, malgré toutes les résolutions souvent prises, de changer de vie.

Comme je dépensais fréquemment en plaisirs l’argent destiné à mon entretien, je fus à plusieurs reprises plongé dans l’embarras. Un certain jour, ayant faim, je volai un morceau de pain grossier, la ration d’un soldat de passage, logé dans la maison que j’habitais. Quelle chose amère et douloureuse dès ici-bas, que le service de Satan !

En juillet 1821, mon père fut nommé à Schorticheck, près de Magdebourg. Je vis là l’occasion de rompre avec ma vie de dissipation, et je demandai à mon père de me faire quitter Halberstadt pour entrer au collège de Magdebourg. Je pensais que, d’être séparé de mes compagnons de débauche et éloigné de certains pièges, enfin que le fait d’étudier avec d’autres professeurs, m’aiderait à vivre d’une vie meilleure.

Mon père consentit à ce que je lui demandais. Toutefois, comme je ne comptais pas sur Dieu, au lieu que le changement souhaité se produise, je continuai de descendre la pente du péché.

Je quittai donc Halberstadt pour m’installer à Heimersleben ; il était convenu que j’y resterais jusqu’à la Saint-Michel pour surveiller certains travaux d’aménagement que mon père faisait faire, afin de louer sa maison de façon plus avantageuse. Libre désormais de toute tutelle, je devins de plus en plus paresseux, et tombai toujours plus bas en toutes sortes de péchés.

La Saint-Michel venue, je demandai à mon père de pouvoir rester jusqu’à Pâques, proposant d’aller chez le Dr Naegel, un pasteur, pour étudier avec lui les classiques. Comme le Docteur était très érudit, qu’il prenait des élèves, demeurait aussi à Heimersleben, et qu’il était un ami de mon père, j’obtins ce que je demandais.

Je m’installai alors dans la propriété paternelle où je vécus presque sans aucune surveillance. Chargé de percevoir pour le compte de mon père de fortes sommes qui lui étaient dues, je donnais les quittances de l’argent reçu, mais en prenais pour moi une bonne partie, faisant croire à mon père qu’il n’y avait eu qu’un règlement partiel.

En novembre, j’allai à Magdebourg pour mon plaisir. J’y descendis dans un hôtel de première classe où, en dix jours, j’avais dissipé mon avoir. Bien que mon père ait découvert ma fugue, une fois de retour à Heimersleben je fis rentrer à nouveau tout l’argent possible ; puis, ayant entassé mensonges sur mensonges pour obtenir le consentement de mon professeur, je partis pour Brunswick où j’étais attiré par une jeune personne dont j’avais fait la connaissance dix-huit mois auparavant.

Je m’installai dans un hôtel de première classe et, la semaine terminée, je n’avais plus rien. Comme je désirais prolonger encore mon séjour, je m’avisai que j’avais un oncle dans la ville, un beau-frère de mon père, et j’allai le voir en m’excusant d’avoir tardé à le faire. Je restai huit jours chez lui ; après quoi, il me pria poliment de m’en aller.

Dehors et sans argent, je me rendis dans un village des environs de Brunswick où je descendis à l’hôtel et dépensai sans compter durant toute une semaine. Mais le propriétaire, soupçonnant sans doute que j’étais sans moyens d’existence, présenta sa note.

Comme je ne pouvais la régler, je dus laisser en gages mes meilleurs vêtements, et partir. Ce ne fut pas sans difficultés que j’évitai la prison.

De là, je me rendis à Wolfenbiittel, à quelque huit kilomètres, et m’installai confortablement à l’auberge comme si j’avais eu les poches bien garnies. J’y restai deux jours, puis songeai au moyen de disparaître, car cette fois je n’avais plus rien à laisser en gage. Au matin du deuxième ou troisième jour, je sortis tranquillement de la cour ; mais une fois dehors, je me mis à courir.

Il paraît qu’on m’observait de la maison, car on cria après moi et je dus revenir. J’expliquai alors ma situation. L’aubergiste fut sans pitié. Il me fit arrêter et on me conduisit à la gendarmerie entre deux soldats. Là, l’officier, me soupçonnant d’être un vagabond ou un voleur de profession, me fit subir un long interrogatoire qui dura trois heures ; puis il ordonna qu’on me conduise en prison. De sorte qu’à l’âge de seize ans, je me trouvai sous le même toit que des voleurs de profession et des meurtriers, et que je fus mis à leur régime.

Ainsi, ma distinction et mes bonnes manières n’avaient pas suffi à me tirer d’affaire. Le premier soir, et comme faveur spéciale, on ajouta bien quelque chose au pain du repas ; mais dès le lendemain je fus mis au régime des prisonniers : du pain, un pain très grossier et de l’eau ; pour le déjeuner, des légumes, pas de viande.

Ma situation était vraiment des plus misérables. J’étais bel et bien sous les verrous, dans une cellule, dont je ne pouvais sortir ni le jour ni la nuit. Quant au déjeuner, il était tel que, d’abord, je ne pus me résoudre à y toucher ; le second jour j’en pris un peu ; le troisième je mangeai tout ; le quatrième et par la suite j’aurais bien voulu avoir une plus grosse portion.

Le lendemain de mon incarcération, je demandai une Bible au gardien. Hélas ! ce n’était pas que j’aie désiré me nourrir du texte sacré, mais c’était pour tuer le temps.

Ma demande resta sans réponse. Je me trouvai donc seul, sans personne à qui parler, sans livres, sans rien à faire ! Et à la toute petite ouverture de ma cellule, de solides barres de fer !

La deuxième nuit que je passai en prison, je fus réveillé en sursaut par un bruit de verrous tirés et de clefs. Trois hommes venaient d’entrer ; et comme, effrayé, je leur demandais ce qu’ils voulaient, ils se contentèrent de rire et se dirigeant vers la fenêtre, ils se mirent en devoir de s’assurer de la solidité des barreaux – évidemment pour se convaincre de l’impossibilité d’une évasion.

Après quelques jours de complet isolement, j’appris qu’il y avait un voleur dans la cellule voisine de la mienne ; et j’essayai d’entrer en conversation avec lui, pour autant que le permettait une épaisse cloison de bois. Peu après, et comme faveur spéciale à mon endroit, le directeur permit qu’il partage ma cellule.

Nous passions alors nos journées à nous raconter mutuellement nos aventures ; et à ce moment j’étais devenu si mauvais que, non content de mentionner le mal que j’avais fait, je me mis à inventer des histoires pour montrer quel brillant compagnon j’étais !

Avec chaque nouvelle journée, j’espérais voir arriver ma libération, mais en vain. Au bout de quelque temps mon compagnon et moi nous nous sommes disputés, et pour augmenter notre misère, nous avons passé dans le silence toutes nos journées.

Il y avait vingt-cinq jours que j’étais emprisonné lorsque, enfin, le gardien vint me chercher pour me conduire devant le fonctionnaire qui m’avait fait subir l’interrogatoire. C’était le 12 janvier 1822, et j’avais été arrêté le 18 décembre 1821. J’appris qu’on avait écrit à mon oncle de Brunswick, et qu’il avait répondu qu’on devait prévenir mon père et le renseigner sur ma conduite.

On s’était donc mis en rapport avec mon père ; et on m’avait gardé en prison jusqu’à ce qu’il ait envoyé l’argent nécessaire à payer l’aubergiste, mon entretien dans la prison, et les frais de voyage pour rentrer à la maison.

Libéré, j’oubliai les petites attentions qu’avait eues pour moi mon camarade de cellule, et montrai mon ingratitude en négligeant d’aller voir sa sœur pour lui donner un message de sa part, comme je le lui avais promis.

Quant au châtiment que je venais de subir, il avait porté si peu de fruits que deux heures après avoir quitté la ville où j’avais été emprisonné, et bien que j’aille à la rencontre d’un père courroucé, je choisis pour voyager la compagnie d’une personne dont la mauvaise réputation et la méchanceté étaient notoires.

J’étais arrivé depuis deux jours à Heimersleben, lorsque mon père vint m’y rejoindre.

Après m’avoir très sévèrement châtié, il m’emmena avec lui à Schoenebeck où il se proposait de me garder jusqu’à Pâques. Après quoi, il avait décidé que j’entrerais dans une école de Halle, où un professeur serait chargé spécialement d’exercer sur moi une tutelle constante et une sévère discipline.

Durant les semaines qui me séparaient de cette date, je me mis à donner des leçons particulières de latin, de français, d’arithmétique, de grammaire allemande, tout en poursuivant avec zèle mes études personnelles. Je m’appliquais à reconquérir les bonnes grâces de mon père.

En apparence, ma conduite devint exemplaire : je faisais des progrès, mes leçons étaient appréciées, tout le monde m’aimait ; aussi très peu de temps après, il avait tout oublié. Cependant mon cœur était resté le même : foncièrement mauvais, et je n’avais pas cessé de me rendre coupable, en secret, de grands péchés.

Pâques arriva. À cause de ma bonne conduite, de mon zèle à étudier, aussi parce que je n’étais plus pour mon père une cause de dépenses et gagnais bien plus que je ne lui coûtais, j’arrivai facilement à le convaincre de me laisser avec lui jusqu’à la saint Michel (Le 29 septembre ; époque de la rentrée des classes). Mais une fois ce moment venu, il refusa absolument de me garder davantage ; de sorte que je dus quitter la maison.

Il était convenu que je me rendrais à Halle, pour y subir un examen. Toutefois, comme j’éprouvais la plus vive antipathie pour la sévère discipline dont j’avais entendu parler ; que d’autre part je savais que je trouverais là-bas des jeunes gens de ma connaissance qui, eux, suivraient les cours de l’Université et auraient toute la liberté dont jouissent les étudiants allemands… alors que je serais encore à l’école ; pour ces raisons et plusieurs autres, je me dirigeai sur Nordhausen, afin d’y être examiné par le directeur du Gymnase, et de continuer mes études avec lui.

Je revins à la maison sans rien dire à mon père. Mais la veille de mon départ, je fus bien obligé de l’avertir ; et, pour me disculper, j’inventai un chapelet de mensonges. Mon père se mit fort en colère; mais à la fin, à force de supplications et de promesses, je l’amenai à céder ; de sorte que je fus autorisé à partir pour le lycée de mon choix.

Je restai deux ans et demi à Nordhausen : jusqu’à Pâques 1825 j’y étudiai avec zèle les classiques latins, le français, l’histoire, l’allemand, mais je ne fis que peu de chose en hébreu, en grec et en mathématiques.

J’étais en pension chez le directeur, et par mon travail et ma conduite je gagnai rapidement son estime, au point qu’il me proposait en exemple à tous les élèves de première. Presque toujours, il m’emmenait dans ses promenades pour converser avec moi en latin.

À cette époque, j’avais pris l’habitude de me lever à quatre heures, hiver comme été, et d’étudier toute la journée jusque vers dix heures du soir. C’était la règle qui souffrait peu d’exceptions.

Tandis que ma bonne conduite apparente me valait l’estime de mes semblables, je ne me souciais pas de Dieu et vivais secrètement dans le péché. De sorte que je tombai malade, et dus garder la chambre pendant trois mois. Cette maladie ne m’amena pas à faire de retour sur moi-même ; toutefois, éprouvant certaines impressions religieuses naturelles, je lus entièrement et sans fatigue les œuvres de Klopstock.

Quant à la Parole de Dieu, elle ne m’intéressait pas. Je possédais à peu près trois cents livres, mais pas de Bible. J’accordais bien plus de valeur aux œuvres d’Horace et de Cicéron, de Voltaire et de Montaigne, qu’au Livre inspiré.

À plusieurs reprises, je m’étais dit qu’il fallait que je devienne une autre créature et que je change de conduite. C’est surtout lorsque je communiais (ce que je faisais avec les autres élèves deux fois par an), que ces pensées se présentaient à moi et que j’essayais d’amender mes voies.

La veille du jour où je devais communier, j’avais coutume de me garder de certaines choses, le jour venu j’étais sérieux, et à une ou deux reprises, alors que j’avais dans la bouche l’emblème du Corps brisé, je fis le serment de devenir meilleur, pensant qu’à cause du serment, je serais amené à me réformer. Mais dès le lendemain ou le surlendemain, je retombais dans le mal.

Ma méchanceté allait se développant, et je pouvais maintenant mentir sans rougir. Pour indiquer le degré de dépravation dans lequel j’étais tombé, je devais choisir parmi beaucoup d’autres, l’un des grands péchés dont je me rendis coupable à Nordhausen.

La vie de dissipation que je menais m’avait amené à contracter des dettes que j’étais dans l’impossibilité de payer, puisque mon père ne pouvait faire plus que subvenir à mes frais d’études. Un jour que j’avais reçu de lui une certaine somme d’argent, je la fis voir intentionnellement à mes camarades. Peu après, je prétendis qu’on avait forcé la serrure de ma malle et qu’on m’avait volé !

Pour détourner les soupçons qui auraient pu se porter sur moi, j’avais aussi brisé la boîte de ma guitare. Feignant d’être fort effrayé, à demi-dévêtu, je m’étais précipité dans la chambre du Directeur pour lui dire le vol dont je venais d’être victime ! On me plaignit fort, et des amis se cotisèrent pour me donner l’équivalent de la somme que je prétendais avoir perdue.

En même temps et pour la même raison, j’obtenais des gens à qui je devais, de nouveaux délais. Mais je récoltai les fruits amers de mon indignité ; car le Directeur qui avait quelque sujet de me soupçonner me retira sa confiance.

Bien que je sois très mauvais et que j’aie endurci ma conscience ; même à mon propre jugement je trouvai que, cette fois, mon indignité dépassait les limites. Et dès lors, je ne pus me défendre d’un certain malaise en la présence de la femme du Directeur qui m’avait soigné avec beaucoup de dévouement, et comme une bonne mère, pendant ma maladie. Car c’était sur elle que retombaient maintenant les conséquences de ma honteuse conduite.

J’admire la patience de Dieu à mon endroit, et qu’Il se soit retenu alors de me détruire. Ce fut aussi une grande bonté de sa part de n’avoir pas permis qu’on appelle la police, auquel cas j’aurais été promptement découvert. Pour plusieurs raisons, (et l’indignité de ma conduite en cette affaire n’était pas la moindre), je fus heureux de quitter l’école pour l’Université.

Douloureuse histoire que celle de cette enfance, de cette jeunesse sans Dieu ! Spectacle poignant que celui de cet inégal combat entre les bonnes résolutions et les penchants mauvais ; que ces sursauts de la conscience qui proteste, malgré des actes menaçant de l’atrophier : des vols, des mensonges, la fourberie, l’hypocrisie, l’impureté !

Et à côté de cette pauvre vie, qui, selon toute apparence, roule aux abîmes, observons les manifestations de l’Amour divin, lequel veille quand même et fait entendre sa voix : il réveille la conscience que le péché menace d’engourdir. Il se penche sur l’âme malade et y fait naître des aspirations, des désirs, des résolutions de changement de vie et la honte du mal accompli.

Voyez ce prodigue, ce jeune blasé, qui ne peut supporter sans malaise le pur regard de celle qui l’a soigné comme une mère. Car l’Esprit de Dieu est à l’œuvre quand même dans cette conscience, en apparence atrophiée.

Mères qui pleurez, n’abandonnez pas tout espoir : vous voyez l’insensibilité, le visage fermé, l’attitude orgueilleuse ; vous voyez le péché des enfants que vous voudriez arracher à la perdition… Mais la lassitude du mal accompli, des résolutions prises et jamais tenues, l’amertume trouvée au fond de la coupe du plaisir, cela vous ne le discernez pas. Et c’est ici l’action du Saint-Esprit. Priez avec foi, et sans vous lasser. « Et Jésus lui dit : Le « Si tu peux », c’est : Crois ! toutes choses sont possibles à celui qui croit » (Marc 9. 23).

Parents qui souffrez de l’égarement d’un fils, ayez bon courage. Pour Dieu, il n’y a point de cas désespérés. « La perdue, je la chercherai, et l’égarée, je la ramènerai, et la blessée, je la banderai, et la malade, je la fortifierai » (Éz. 34. 16).

Telles sont les promesses de l’Éternel.

Ch. 2. Conversion (1825-1826)

Je touchais enfin au but que je m’étais proposé ! J’étais désormais membre de l’Université, et j’y avais été reçu avec mention très honorable. Par là, j’obtenais le droit de prêcher dans l’Église luthérienne ; et cependant j’étais toujours aussi malheureux, toujours aussi éloigné de Dieu !

J’avais pris, en arrivant à Halle, les plus énergiques résolutions : désormais j’allais aiguiller ma vie dans une tout autre direction et changer de conduite. Il le fallait absolument, pensais-je, et cela pour deux raisons : la première, c’est que je supposais qu’avec mes vices, aucune paroisse ne voudrait de moi comme pasteur ; la seconde, parce que je savais que sans une science approfondie de la théologie, je ne pourrais obtenir l’une de ces bonnes cures, qu’on réserve en Prusse aux candidats qui ont obtenu les meilleures notes aux examens.

Hélas ! j’étais à peine arrivé à l’Université que toutes mes résolutions s’effondrèrent. Plus que jamais auparavant, j’étais maintenant mon seul maître ; aucun contrôle ne s’exerçait plus sur moi aussi longtemps que je ne me battais pas en duel et que je ne molestais pas les passants ; et, bien que j’aie été maintenant étudiant en théologie, je retombai dans mes habitudes vicieuses.

Lorsque je n’eus plus d’argent, j’empruntai sur gages et me séparai de ma montre, de mon linge, enfin de mes habits, ce qui ne m’empêcha pas de contracter encore d’autres emprunts. Cette vie de dissipation, cette vie misérable, était loin de me satisfaire, et je n’y trouvais pas de plaisir. Mais j’ignorais encore la tristesse selon Dieu ; celle qui découle du sentiment de L’avoir offensé.

Un jour que j’étais à la taverne en compagnie de quelques étudiants aussi « lancés » que moi, j’aperçus l’un de mes anciens camarades d’école nommé Beta, qu’autrefois j’avais méprisé parce qu’il était sérieux et rangé. Je pensai, sur le champ, qu’avec de meilleurs compagnons j’améliorerais naturellement ma conduite, et incontinent je me rapprochai de lui.

Or, à ce moment-là, Beta était un renégat. J’ai tout lieu de croire que l’Esprit de Dieu était à l’œuvre dans son cœur, lorsque son sérieux m’avait frappé et éloigné. Mais maintenant qu’il abandonnait Dieu, il essayait de se débarrasser de son christianisme pour goûter aux joies du monde que, jusque-là, il avait à peu près complètement ignorées. Moi qui ne le savais pas, je me mis à rechercher son amitié pour être aidé à changer de vie !

Et lui, par la suite, m’avoua qu’il avait été heureux de mes avances, parce qu’il comptait bien pouvoir arriver avec mon aide jusqu’aux cercles « où l’on s’amusait ». C’est ainsi qu’à nouveau, mon pauvre cœur se fourvoyait. Mais Dieu, dans son infinie miséricorde, permit cependant que ce jeune homme devînt pour moi un instrument de bénédiction, pour la vie et pour l’éternité ; toutefois, ce ne fut pas de la manière que j’avais imaginée.

En juin 1825, j’eus à payer à nouveau la rançon de mes vices et de ma vie déréglée : je tombai malade. Désormais, mon état de santé ne permettrait plus les débordements du passé ; mais mon cœur, lui, n’était pas changé ! Vers la fin du mois de juillet, j’entrai en convalescence. Extérieurement, ma conduite s’améliora ; c’était hélas ! parce que je n’avais plus d’argent.

Au commencement d’août, Beta, deux autres étudiants et moi, nous fîmes le projet de parcourir le pays en voiture durant quatre jours. Plaisir coûteux, pour la réalisation duquel nous dûmes donner en gages quelques-unes des choses qui nous restaient.

Loin d’être attristé par ce nouveau péché, ce que j’avais vu durant ce voyage ne fit que développer mon désir d’aller plus loin ; et je proposai à mes camarades d’entreprendre le voyage de Suisse. Je levai les difficultés d’argent et de passeports. Pour avoir ceux-ci, je fis des faux, et quant à l’argent, nous portâmes chez le prêteur tout ce que nous pouvions porter, même les livres, afin d’obtenir la somme que nous jugions suffisante. Beta était du voyage.

Le 18 août, nous quittions Halle. Notre voyage dura quarante-trois jours ; nous voyagions presque toujours à pied et c’est ainsi que nous atteignîmes le Righi. Enfin ! j’avais réalisé le souhait de mon cœur ; j’avais vu la Suisse ! Dieu ne permit pas qu’aucune circonstance adverse ne survienne, ni que la maladie nous touche. Que serions-nous devenus alors, avec si peu d’argent et si loin de la maison !

J’avais été choisi pour garder la bourse de notre petite caravane ; or, comme Judas, j’étais larron : je m’arrangeai donc de façon à ne payer que les deux tiers de ce que payèrent mes amis. À la longue, la fatigue se fit sentir, même dans la contemplation des plus merveilleux paysages ; et alors qu’au début, en voyant certains sites, mon cœur païen avait prononcé au soir d’une journée le « Vixi » d’Horace (j’ai vécu), maintenant j’étais heureux de tourner mes regards vers la maison.

Le 29 septembre, nous arrivions à Halle, où chacun s’empressa de regagner la maison paternelle. Il me restait maintenant à calmer l’inquiétude de mon père au sujet des dépenses du voyage : j’y parvins en le trompant.

Durant les trois semaines de vacances qui suivirent, je pris à nouveau les meilleures résolutions. Mais une fois de plus, je devais faire l’expérience de l’inutilité des efforts de l’homme qui s’appuie sur ses propres forces. Dès que je fus de nouveau à Halle, avec de l’argent en mains, je ne tardai pas à tout oublier.

Nous étions alors douze cents étudiants à l’Université. Sur ce nombre, neuf cents étudiaient la théologie et avaient l’autorisation de prêcher. Mais je crois bien qu’entre nous tous on n’eût pas trouvé neuf jeunes gens craignant Dieu… Je ne possédais pas de Bible et je n’avais pas ouvert ce livre depuis des années. Je n’allais que rarement à l’Église ; mais comme c’était la coutume, je communiais deux fois par an.

Jusqu’au commencement de novembre de l’année 1825, je n’avais encore jamais entendu prêcher l’Évangile. Jamais personne ne m’avait dit vouloir vivre selon les enseignements de l’Écriture avec l’aide de Dieu. Bref, je croyais que tout le monde me ressemblait plus ou moins, avec des différences de degrés.

Un samedi après-midi, c’était vers le milieu de novembre de cette année 1825, comme je rentrais de promenade avec mon ami Beta, il me dit que maintenant, il allait le samedi soir à une réunion chez un commerçant chrétien, du nom de Wagner. Aussitôt je m’enquis de ce qu’on y faisait.

Mon ami me dit qu’on lisait la Bible, qu’on priait, qu’on chantait des cantiques et qu’on lisait un sermon imprimé. Dès que j’eus cette explication, il me sembla que je venais de découvrir une chose après laquelle j’avais soupiré toute ma vie ; et je dis à Beta que j’aimerais y aller avec lui. Mais mon ami, connaissant mes mœurs légères, hésitait, craignant que je ne m’y ennuie… Enfin, il promit qu’il viendrait me prendre le soir même.

Après être passé par un temps de langueur spirituelle, et même avoir délaissé Dieu, Beta, saisi de remords, avait confessé ses péchés à son père au retour du voyage en Suisse. Il avait ensuite fait son possible pour se rapprocher d’un chrétien : le Docteur Richter. C’est celui-ci qui, au moment du départ pour Halle, lui avait remis une lettre d’introduction pour M. Wagner.

Ce samedi soir, nous partîmes donc ensemble pour la réunion. Ne connaissant pas encore les chrétiens, ni la grande joie qu’ils éprouvent lorsqu’ils voient de pauvres pécheurs s’intéresser aux choses divines, je crus devoir m’excuser d’être venu.

Jamais je n’oublierai la réponse du cher frère : « Venez aussi souvent qu’il vous plaira, me dit-il, ma maison et mon cœur vous sont ouverts ». Après le chant d’un cantique, le frère Kayser, maintenant missionnaire de la Société des Missions de Londres en Afrique, s’agenouilla pour demander à Dieu qu’il bénisse notre réunion.

Cette manière de se présenter devant Dieu fit sur moi une impression extraordinaire. Jamais je ne m’étais mis à genoux pour prier ! Il y eut ensuite la lecture de la Bible…

Après le chant d’un nouveau cantique, M. Wagner termina la réunion par la prière. Pendant qu’il priait, je sentis nettement que malgré tout mon savoir il m’aurait été impossible de le faire comme cet homme sans lettres : j’étais profondément impressionné, heureux, mais n’aurais pu expliquer pourquoi.

En retournant à la maison je dis à mon ami : « Tout ce que nous avons vu en Suisse, tous nos plaisirs passés ne sont rien en comparaison de cette soirée ». Je ne puis me rappeler si, le même soir, je me mis à genoux pour prier, mais ce que je sais bien c’est qu’en me couchant, la joie et la paix habitaient en mon cœur.

Ceci montre que le Seigneur peut agir de bien des manières ; car je suis persuadé, bien que j’aie été encore dans la plus grande ignorance, n’éprouvant ni sentiment de repentance ni tristesse selon Dieu, qu’Il avait déjà commencé son œuvre en moi en me communiquant sa joie. Cette soirée fut l’instant décisif de ma vie. Dès le lendemain, et presque chaque jour, je retournai chez M. Wagner pour lire la Bible avec lui et un autre frère. Il m’eût été impossible d’attendre au dimanche suivant.

Dès lors, ma vie changea. J’abandonnai la société de mes anciens amis ; je ne remis plus les pieds dans les tavernes ; je renonçai à dire des mensonges, bien qu’exceptionnellement il m’arrivât de m’écarter de la vérité. J’abandonnai aussi l’idée caressée depuis quelque temps d’aller à Paris. Pour couvrir les frais du voyage projeté, je m’étais mis à traduire un roman français. J’en achevai cependant la traduction ; mais grâce à Dieu, plusieurs obstacles surgirent qui empêchèrent alors la vente du manuscrit. Plus tard, je compris que je devais renoncer à l’impression ; et Dieu aidant, je brûlai les cahiers.

Désormais, je ne vivais plus de façon habituelle dans le péché, bien qu’il soit arrivé que celui-ci me domine encore ; mais alors j’en ressentais la plus profonde tristesse. Je lisais la Bible, je priais souvent, j’aimais les frères. J’allais à l’église avec les sentiments que Dieu demande, et restais fidèle à Christ malgré toutes les moqueries des étudiants.

Ce que n’avaient pu faire ni les exhortations, ni les préceptes de mon père ou ceux de ses amis, ce que n’avaient pu faire mes bonnes résolutions, l’amour de Jésus l’accomplissait en moi et m’amenait à renoncer à ma vie de péché. Quiconque veut trouver la force de vaincre le mal, doit la chercher en Christ. C’est uniquement en Lui qu’il la trouve, à cause du sang précieux répandu au Calvaire.

Les voies de Dieu, sa manière d’agir, sont souveraines, écrit le Dr Pierson en commentant la conversion de George Müller. Toutes nos rigides théories de la conversion s’écroulent devant des faits semblables. Nous avons entendu une enfant qui avait une confiance implicite en Christ pour son salut, dire qu’elle ne savait rien des œuvres de la Loi.

Et comme l’un des examinateurs, un vieillard, convaincu qu’il ne peut y avoir de véritable conversion sans une profonde conviction de péché préalable, lui demandait : Mais mon enfant, que savez-vous du « bourbier du désespoir » ? (Allusion à un épisode du Voyage du Pèlerin de Bunyan) ; elle répondit en faisant une révérence : Pardon Monsieur, mais je ne suis pas venue par ce chemin-là » (Dr Pierson).

George Müller non plus n’était pas venu par ce chemin-là. Il venait de la route large des plaisirs, de la voie de la perdition. Mais il y avait vécu dans une sorte d’inconscience morale. Pas de désespoir dans son cas. Tout au plus de la lassitude.

Depuis quelque temps déjà, les joies impures du monde le laissaient indifférent. N’y trouvant plus de plaisir, il avait essayé de rompre avec les habitudes prises…, mais en vain. L’expérience qu’il avait faite, c’était celle de l’insigne faiblesse de l’homme laissé à ses seules ressources. Blasé à vingt ans, pris dans l’engrenage d’une vie qui ne l’amusait plus et dont il ne réussissait pas à sortir, profondément atteint dans sa santé et récoltant déjà les fruits amers de l’esclavage du péché et du monde, George Müller était prêt à saisir la grâce.

Et celle-ci le rencontra. Bien qu’il ne s’en rendît pas compte, le jeune étudiant en théologie avait soif de l’eau vive dont Jésus parlait à la Samaritaine, auprès du puits de Sichar.

Les études théologiques, les fleurs de rhétorique de chaires chrétiennes, où ne retentissait plus la prédication de la croix (la seule que voulût connaître l’apôtre Paul après qu’il se fût rendu compte, à Athènes, de l’inutilité de l’éloquence et de la sagesse humaine) avaient laissé George Müller indifférent. Son âme était restée vide et languissante.

Certes, dans ses mémoires, il se juge sans ménagements et même avec sévérité, il ne cherche pas d’excuse. Donc, lorsqu’il nous dit qu’il n’avait encore jamais entendu prêcher l’Évangile jusque vers la mi-novembre 1825, c’est-à-dire à l’âge de vingt ans passés, nous pouvons le croire. Mais quelle condamnation cette affirmation ne fait-elle pas peser sur la prédication qui n’annonce pas Christ, et Christ crucifié !

Sitôt que, dans une réunion de frères, il fut mis en contact avec Celui qui est la vie, il fut saisi, subjugué, gagné. Ce n’était plus là le culte officiel, obligatoire, formaliste, auquel il était habitué. La vie appelle la vie, communique la vie ; il était conquis. Toutes les pauvres joies du passé s’effaçaient pour lui devant la découverte qu’il venait de faire : l’immense bonheur d’appartenir à Christ.

Désormais la Lumière s’était levée sur sa route, et il savait où regarder pour trouver le secours et la force nécessaires. Avec le Psalmiste, il pouvait dire au Seigneur : « J’ai erré comme une brebis qui périt : cherche ton serviteur, car je n’ai pas oublié tes commandements » (Ps. 119. 176).

« Car je n’ai pas jugé bon de savoir quoi que ce soit parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. Et moi-même j’ai été parmi vous dans la faiblesse, et dans la crainte, et dans un grand tremblement ; et ma parole et ma prédication n’ont pas été en paroles persuasives de sagesse, mais en démonstration de l’Esprit et de puissance, afin que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » (1 Cor. 2. 2 à 5).

Mais le divin Berger l’avait déjà trouvé.

Ch. 3. Premiers pas dans la vie chrétienne

En janvier 1826, je me mis pour la première fois à lire des journaux de missions, et tout aussitôt je sentis naître en moi le grand désir de devenir missionnaire. Je priais beaucoup à ce sujet, et ce désir ne fit que croître. Mais hélas ! mon beau zèle ne fut pas de longue durée ; il se refroidit peu après et voici comment.

Je rencontrais fréquemment une jeune fille aux réunions du samedi soir ; c’était la seule jeune personne pieuse que je connaisse, et je n’avais pas tardé à ressentir pour elle un vif attachement. Cela détourna mes pensées et mon cœur de l’œuvre missionnaire ; car j’avais des raisons de croire que ses parents ne lui permettraient jamais de partir en pays de missions. Mes prières devinrent alors froides, et bientôt je ne priai plus du tout, ou à peine. La joie du Seigneur me quitta.

Cela dura six semaines environ. C’est alors, aux environs de Pâques, que j’assistai au départ d’un cher frère comme missionnaire. Hermann Ball, homme érudit et fils de parents fort riches, partait pour travailler parmi les Juifs de Pologne. Pressé par l’amour de Christ, il choisissait ce champ missionnaire plutôt que la confortable paroisse auprès des siens. Cela fit sur moi une très profonde impression.

Je fis une comparaison entre lui et moi, et je songeai à mon attitude des jours passés. Moi, j’avais renoncé à l’œuvre missionnaire, et presque au Seigneur Lui-même, pour l’amour d’une jeune fille ! Le résultat de cet examen fut que, avec le secours d’En-Haut, je pus renoncer à l’attachement auquel je m’étais laissé aller sans avoir prié au préalable, ce qui m’avait entraîné loin de Dieu. Aussitôt ma décision prise, le Seigneur tourna sa face vers moi ; et pour la première fois de ma vie, je me donnai à Lui complètement et sans réserve.

C’est à cette époque que je commençai à jouir « de la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence ». Ma joie débordait ; et j’écrivis à mon père et à mon frère pour les supplier de chercher le Seigneur, leur disant aussi combien j’étais heureux. Je m’imaginais alors que s’ils discernaient le chemin du bonheur, ils y entreraient avec joie. À ma grande surprise, je reçus de mon père une réponse, où perçaient l’irritation et la colère ».

Cela nous révèle la mentalité de M. Müller père. II avait guidé son enfant vers le pastorat, mais ne désirait pas, cependant, que celui-ci se convertisse. Il avait assisté, impuissant, malheureux, au développement du vice chez l’enfant et l’adolescent, mais ne souhaitait nullement qu’il dise tout à fait adieu au monde et à ses joies. Ce qu’il voulait, c’est qu’il en use avec modération.

Heureusement, George Müller avait déjà entendu l’appel du Seigneur, et il y avait répondu en se donnant à Lui tout entier. L’attitude du père, en l’occurrence, nous aide à comprendre la jeunesse orageuse du fils, et lui donne une nouvelle excuse.

À cette époque, le Docteur Tholuck fut nommé comme professeur de théologie à l’Université de Halle. Sa nomination y attira aussitôt les étudiants chrétiens des endroits les plus divers. C’est ainsi, dit Müller, que je me liai avec d’autres frères, par le moyen desquels Dieu me conduisit. J’éprouvai à nouveau le désir de devenir missionnaire ; de sorte que j’allai chez mon père pour obtenir son consentement. Sans celui-ci, je ne pouvais entrer dans aucun des instituts missionnaires allemands.

Mon père laissa voir le plus vif mécontentement. « Eh quoi ! il avait englouti de fortes sommes pour mes études, dans l’espoir de terminer paisiblement sa vie à mes côtés dans un presbytère…, et maintenant il lui fallait en abandonner l’espoir ! Et se mettant en colère, il me dit que désormais je n’étais plus son fils ».

Malgré cela, le Seigneur m’aida à demeurer ferme dans la décision prise. Alors mon père se mit à me supplier avec larmes ; et ceci fut infiniment plus douloureux pour moi. Cependant, avec le secours divin, je ne faiblis pas non plus…

Avant de quitter la maison paternelle, je m’arrangeai de façon à avoir un entretien avec mon frère. Je rappelai ce qu’avait été ma vie passée ; mais maintenant que Dieu m’avait tellement béni, je ne pouvais faire autrement que de vivre pour Lui. Après avoir quitté mon père, et bien que j’aie eu plus besoin d’argent à ce moment qu’à aucune autre période de ma vie, puisque j’avais encore deux années d’université devant moi, je résolus de ne plus recourir à lui pour mes frais d’entretien. Je ne pouvais accepter qu’il s’en charge davantage, puisque je lui enlevais l’espoir si longtemps caressé de vivre plus tard avec moi. Grâce à Dieu, je pus tenir la résolution prise.

Que je dise ici en passant comment le Seigneur subvint de façon merveilleuse à mes besoins temporels. À cette époque, des Américains arrivèrent à Halle (trois d’entre eux, des professeurs, étaient venus pour faire des études littéraires) ; aucun d’eux ne comprenant l’allemand, ils désiraient prendre des leçons, et le Dr Tholuck voulut bien me recommander. Quelques-uns étaient chrétiens. Je fus payé si généreusement pour mes leçons et pour les cours que je résumais à leur intention, que je pus largement subvenir à tous mes besoins et au-delà : « Craignez l’Éternel, vous ses saints ; car rien ne manque à ceux qui le craignent » (Ps. 34. 9).

En rentrant de la maison, j’avais dit aux frères l’opposition paternelle ; ceux qui avaient le plus d’expérience me conseillèrent de ne plus faire aucune démarche pour partir en Mission, en tout cas pour le présent.

Les fêtes de Pentecôte arrivaient ; je pus aller passer mes vacances chez un pasteur de campagne, homme pieux et fidèle ; et Dieu bénit cette visite qui fut pour moi un temps de rafraîchissement spirituel. Mon cher ami était aussi venu. Tous les pasteurs de Halle, ville de 30 000 habitants, étaient encore plongés dans les ténèbres ; et bien que j’aie assisté régulièrement au culte, il était rare que j’entende prêcher la vérité.

À mon retour, j’eus l’occasion de dire à deux de mes anciens amis, deux étudiants avec qui je n’avais pas complètement rompu, bien que je n’aie plus pris aucune part à leur vie de dissipation, comment j’avais passé mon temps de vacances et le bonheur que j’y avais trouvé. J’ajoutai que j’aimerais les voir tous deux aussi heureux que je l’étais moi-même.

Ils me répondirent : « Nous n’avons pas du tout le sentiment d’être des pécheurs ». Je me mis alors à genoux et demandai à Dieu de leur montrer leurs péchés. Puis, passant dans ma chambre à coucher, je continuai de prier pour eux. Après un certain temps, je revins dans la première pièce où je les trouvai pleurant. Ils me dirent qu’ils se sentaient maintenant pécheurs. À partir de ce moment-là, le Seigneur fit son œuvre dans leurs cœurs.

Je continuai de penser à la Mission, et il me tardait qu’une décision soit prise dans l’un ou l’autre sens. Au lieu d’attendre patiemment et de prier à ce sujet, je décidai de recourir au sort pour découvrir la pensée du Seigneur. Non seulement cela, mais je pris un billet de la Loterie royale en disant à Dieu que si je gagnais quelque chose, je croirais qu’il voulait que je parte, et dans le cas contraire, que je reste.

Mon billet sortit et gagna une petite somme. J’écrivis en conséquence à la Société Missionnaire de Berlin ; mais ma demande ne fut pas agréée à cause de l’opposition paternelle.

Très peu de temps après, il me fut donné de comprendre en une certaine mesure l’erreur dans laquelle j’étais tombé. Comment quelqu’un d’aussi ignorant que moi aurait-il pu enseigner les autres ? Sans doute, j’étais né de nouveau, et je me reposais uniquement sur Christ pour mon salut ; mais je n’aurais pu à ce moment-là exposer clairement les vérités fondamentales de l’Évangile.

Il convenait donc que je cherche d’abord une plus grande connaissance des choses éternelles par la prière, l’étude des Écritures, et une vie sainte. Quant à mon impatience d’être fixé sur la question d’une carrière missionnaire, elle manifestait mon manque de préparation pour affronter les difficultés et les épreuves qui sont généralement le lot du missionnaire.

En définitive, Dieu me conduisit par un tout autre chemin. Bien que j’aie eu fait une demande à une Société des Missions, je ne fus pas agréé. Quelques années plus tard, je recourus encore au sort dans une question importante. Ma pensée charnelle voulait savoir « tout de suite », et après avoir prié, j’employai ce moyen. Mais les choses furent aussi, cette fois-là, tout le contraire de ce que le sort avait indiqué.

Pour connaître la pensée du Seigneur, nous devons employer des moyens scripturaires : la prière, la lecture de la Parole de Dieu et les indications de son Esprit. Allons à Dieu de façon constante, répétée, lui demandant de nous enseigner par son Esprit au moyen de sa Parole. Je dis : « par son Esprit au moyen de sa Parole », parce que si nous supposons que Dieu nous conduit à faire telle ou telle chose parce que les faits sont ceci ou cela, et bien que sa Parole s’oppose à cette décision, « nous nous séduisons nous-mêmes ».

Il plût au Seigneur de me communiquer, dès le commencement de sa vie en moi, une mesure de simplicité enfantine et des dispositions pour les choses du domaine spirituel. Alors que j’étais très ignorant de sa Parole, et qu’il m’arrivait encore de pécher en action, je pouvais cependant apporter au Seigneur les plus minimes détails, en prière, et j’ai fait l’expérience que « la piété est utile à toutes choses, ayant les promesses de la vie présente, et de celle qui est à venir ».

Grâce à Dieu, bien que j’aie été encore très faible et ignorant, je ressentais le désir d’être utile aux autres. Celui qui avait servi Satan avec tant de zèle cherchait maintenant à gagner des âmes à Christ.

Chaque mois, j’envoyais ici et là, en province, trois cents journaux missionnaires. Je distribuais et je vendais un nombre considérable de traités dont je remplissais mes poches pour en disposer pendant mes promenades ; cette distribution était l’occasion de conversations avec les pauvres gens que je rencontrais. J’écrivis aussi à la plupart de mes anciens compagnons de péché.

Durant trois mois, je visitai un malade qui ignorait complètement son état de misère et de perdition au regard de Dieu, et qui se confiait en sa droiture et sa moralité pour être sauvé. Peu après, et par la bonté du Seigneur, un changement s’opéra en lui, et ses yeux s’ouvrirent. Il me dit par la suite à plusieurs reprises sa reconnaissance, et que j’avais été le moyen dont Dieu s’était servi pour l’amener à la vérité. Que le lecteur chrétien puise ici un encouragement à répandre la semence, même s’il ne devait pas voir immédiatement les fruits de son travail.

C’est ainsi que le Seigneur daigna commencer à se servir de moi après ma conversion. Il ne le fit que dans une faible mesure, selon ma capacité ; car je ne comprenais pas alors, comme je le fais maintenant, que c’est Dieu qui, après avoir communiqué au moment de la conversion la vie spirituelle, l’entretient par la suite en son racheté.

À cette époque, j’entendis parler d’un instituteur qui avait une réunion de prière à 4 heures du matin pour des mineurs, avant que ceux-ci descendent dans le puits ; il leur lisait aussi une méditation.

Le village où cela se passait n’étant qu’à une distance de 8 kilomètres environ de Halle, et comme je pensais que cet instituteur était un chrétien, je résolus d’aller le voir. Les frères que je pouvais rencontrer à cette période de ma vie étaient en si petit nombre ! Et j’espérais aussi pouvoir lui être utile.

J’appris qu’il tenait ces réunions pour obliger un parent chargé de le faire ; quant aux exhortations qu’il lisait, elles n’étaient pas de lui. Enfin, et cela, je le découvris plus tard, il n’était pas converti. Ce fut ma bonté, dit-il par la suite, (ce qu’il nommait « ma condescendance ») et ma conversation, qui l’amenèrent à penser à Dieu et à se donner au Sauveur. Depuis, j’ai toujours trouvé en lui un véritable frère.

Un jour, il me demanda si je ne voudrais pas prêcher, ce qui rendrait grand service au pasteur de l’endroit, âgé et malade. Je ne l’avais encore jamais fait, bien que, depuis quinze mois, j’en aie eu l’autorisation, comme étudiant en théologie. Par la bonté de Dieu, j’avais été empêché d’user de ce droit en 1825. Je n’en avais pas moins écrit à mon père que c’était chose faite, sachant qu’il en aurait de la joie.

Après ma conversion, j’avais senti à quel point j’étais insuffisamment instruit des choses de Dieu. Pour cette même raison, j’aurais peut-être dû décliner l’offre qui m’était faite. Mais je pensai qu’un bon sermon, appris par cœur et récité, pourrait faire du bien… Ce fut là un pénible labeur. Il n’y a pas de joie dans l’exécution des plans échafaudés par la sagesse humaine.

Ce fut le 27 août 1826 que je prêchai ce premier sermon, dans une chapelle privée, puis dans l’église paroissiale. L’après-midi, nouveau service ; il n’était pas nécessaire que j’y prenne aucune part, le maître d’école aurait pu lire une méditation comme il en avait l’habitude. Mais j’avais le désir de servir le Seigneur, même si je ne savais pas encore le faire de la manière que nous indiquent les Écritures.

Comme je n’avais pas appris de second sermon, il me vint à l’esprit que je pourrais lire le chapitre 5 de l’Évangile selon Matthieu, en donnant au cours de ma lecture les instructions et les explications qui se présenteraient à mon esprit. Je le fis. À peine avais-je commencé l’explication du verset : « Heureux les pauvres en esprit… », que je sentis le secours divin ; et tandis que le sermon du matin n’avait pas été assez simple pour être compris, je remarquai l’après-midi que l’attention était soutenue et que les auditeurs paraissaient comprendre. J’en ressentis une grande joie.

Quelle bénédiction que ce genre de prédication ! Je me hâtai de prendre congé du pasteur âgé, craignant de perdre quelque chose de mon bonheur. C’est de cette manière que j’aimerais prêcher, pensais-je sur le chemin du retour à Halle. Mais cette prédication serait peut-être insuffisante pour un auditoire de gens cultivés ?… Il faut toujours prêcher la vérité, mais peut-être de façons différentes suivant les auditeurs ?… » La question restait ouverte pour moi. Quoi d’extraordinaire à ce que la réponse m’ait échappé ? Je ne comprenais pas alors l’action du Saint-Esprit, et n’avais pas découvert que l’éloquence de l’homme était frappée de stérilité. Enfin, à cette époque, je n’avais pas pensé à ceci : que les gens cultivés peuvent comprendre ce que comprennent les personnes les plus ignorantes de l’auditoire, mais qu’il n’en va pas de même en sens inverse.

Dès lors, je prêchai souvent dans les villes et les villages; mais je n’en éprouvais de la joie que lorsque je le faisais avec simplicité, bien que j’aie reçu plus de louanges des hommes, lorsque je disais quelque sermon appris par cœur. Aucune de mes prédications ne sembla porter de fruits. Le grand Jour révélera peut-être quelque bien accompli ? Si j’avais constaté des résultats, j’en aurais probablement ressenti quelque orgueil, et le Seigneur ne le permit pas.

Enfin, je priais si peu pour l’œuvre du ministère de la Parole, je marchais si peu avec Dieu, j’étais si rarement ce qui est dit en 2 Timothée 2. 21 : « Si donc quelqu’un se purifie de ceux-ci, il sera un vase à honneur, sanctifié, utile au maître, préparé pour toute bonne œuvre » qu’il n’est pas étonnant que le Seigneur n’ait pu accorder de résultats visibles à mon travail.

C’est lorsque je commençais à prêcher, que je jouis pendant deux mois de l’hospitalité gratuite offerte aux étudiants en théologie pauvres, dans le célèbre orphelinat fondé à Halle par A.H. Francke. Francke, mort en 1727, avait été lui-même professeur de théologie à l’Université. Je mentionne ce fait parce que la foi de ce fidèle serviteur de Dieu me fut plus tard en bénédiction.

J’étais encore très faible, spirituellement, et il m’arrivait de retomber parfois dans le péché ; mais je ne pouvais y persévérer même pour peu de temps, sans en éprouver la plus profonde douleur ; ainsi que le besoin de me confesser à Dieu et de me réfugier dans le sang de l’Agneau, versé pour moi.

Mon ignorance était si grande que, certain jour, j’achetai un crucifix que je plaçai dans ma chambre pour me rappeler constamment les souffrances du Sauveur et m’empêcher de retomber dans le mal. Hélas ! au bout de quelques jours, le regard sur le crucifix ne servit plus à rien et je retombai au contraire plus souvent et plus profondément qu’auparavant dans le péché.

Au commencement de l’année 1827, ayant entendu parler d’une dame résidant à Francfort-sur-le-Main, dame riche et de qualité qui, également pieuse et généreuse, venait de doter libéralement la Fondation religieuse de Düsselthal, comme je désirais vivement aider un parent pauvre, d’une part, et d’autre part payer la dette contractée lors de mon voyage en Suisse, je lui écrivis pour solliciter une avance. C’était une petite somme, un peu plus de cinq livres sterling, mais qui donnait à l’époque douze à quinze livres en argent allemand.

À partir de l’année 1829, à cause de l’ordre contenu dans Romains 13. 8 : « Ne devez rien à personne, sinon de vous aimer les uns les autres » j’ai changé ma manière de faire. De plus, j’ai compris qu’il n’y avait pas lieu de se détourner de la porte du Seigneur pour aller frapper à celle des chrétiens, alors que Dieu subvenait toujours si volontiers à tous nos besoins.

En écrivant cette lettre, une pensée me vint : « Et si cette dame, bien que charitable, ne connaissait pas le chemin du salut ? » Je me mis donc en devoir de le lui exposer en y ajoutant le récit de ma conversion, et comment j’avais été amené à la connaissance de la vérité. Le temps se passa, le temps normal de la réponse, et rien ne vint.

Certain jour de janvier, le 20 je crois, je me sentis particulièrement déprimé et malheureux ; le surmenage que je m’imposais y était probablement pour quelque chose, car j’avais pris l’habitude d’écrire quatorze heures par jour. Satan en profita aussitôt pour reprendre le dessus sur moi. Je dis donc en mon cœur : « Qu’ai-je gagné à devenir chrétien ? »

Et laissant mon travail, je sortis et me mis à courir les rues ; enfin, j’entrai dans l’une de ces pâtisseries où, en Allemagne, on vend aussi du vin et des liqueurs, décidé à bien boire et à bien manger. Mais à peine avais-je goûté au gâteau servi, qu’un malaise m’envahit. Était-ce une place convenable pour un chrétien ? Et convenait-il qu’il dépense de la sorte son argent ? Je me levai tout de suite et sortis.

L’après-midi de ce même jour, alors que j’avais montré tant d’ingratitude envers le Seigneur, il lui plut de de me faire sentir mon péché ; non par un châtiment sévère comme je le méritais, mais en ajoutant un nouveau bienfait à tous ceux dont j’avais déjà été l’objet jusque-là. Oh ! la patience de Dieu envers nous !

À deux heures, on m’apportait un paquet de Francfort contenant exactement la somme demandée par moi, mais pas de lettre, ce que je regrettais. J’étais vaincu par la bonté du Seigneur. N’ayant pas pris mon parti de l’absence d’un message, je me mis à examiner soigneusement le papier qui avait servi d’enveloppe et j’en découvris un. Le voici : « C’est par une circonstance providentielle que j’ai eu connaissance de la lettre que vous avez écrite à Lady B. Vous êtes dans l’erreur concernant cette dame et le prétendu séjour qu’elle aurait fait à D. Elle n’y est jamais allée. On l’a prise pour une autre personne.

Toutefois, comme je désire alléger en une certaine mesure le poids des difficultés où vous semblez être, je vous envoie la petite somme incluse : n’en remerciez pas le donateur inconnu ; mais le Seigneur qui peut incliner les cœurs à son gré, comme des ruisseaux d’eau courante.

Retenez fermement la foi que vous avez reçue de Dieu par son Saint-Esprit : elle est le plus précieux trésor de cette vie, et renferme le vrai bonheur. Seulement, veillez et priez davantage, afin d’être délivré de toute vanité, de tout contentement de vous-même, choses qui peuvent si aisément faire tomber, même le chrétien fidèle, lorsqu’il s’y attend le moins. Tendez à devenir toujours plus humble, plus fidèle, plus patient.

Que nous ne soyons pas de ceux qui disent et écrivent continuellement : « Seigneur ! Seigneur ! » alors que le Seigneur ne demeure pas profondément en leurs cœurs. Le christianisme ne consiste pas en paroles, mais en puissance. Il faut que nous ayons la vie en nous-mêmes. Dieu nous a aimés le premier pour que nous l’aimions en retour, et que, l’aimant, nous recevions d’En-Haut la force nécessaire pour lui être fidèles et remporter la victoire sur nous-mêmes, sur le monde, sur la douleur et la mort.

Que l’Esprit de Dieu vous fortifie pour cela, en sorte que vous deveniez un bon messager de son Évangile ! Amen.

Une personne qui adore le Sauveur Jésus-Christ.

Tout aussitôt je compris que ces paroles d’avertissement si fidèles et en même temps si affectueuses m’étaient nécessaires ; mais depuis, je l’ai senti bien davantage encore. C’étaient bien là les péchés contre lesquels j’avais surtout besoin d’être mis en garde : le contentement de soi, le manque de calme, de quiétude, une tendance à dire et à écrire : « Seigneur ! Seigneur ! » plutôt qu’à manifester par ma vie qu’il était bien cela pour moi. Aujourd’hui encore, je me sens insuffisant sur tous ces points, bien que Dieu m’ait puissamment secouru ; je le dis à sa louange.

La lecture de cette lettre avait donc rempli mon cœur de joie, de confusion et de reconnaissance. Ce qui m’avait impressionné le plus vivement, c’était la bonté de Dieu envers moi. Le cœur débordant de ces sentiments divers, et honteux de ma conduite du matin, je me hâtai, le soir venu, de gagner la campagne pour m’y promener en quelque endroit solitaire. Éprouvant vivement combien j’avais été ingrat envers Dieu malgré tous ses bienfaits, reconnaissant mon manque de persévérance à marcher dans ses sentiers, je ne pus que tomber à genoux derrière une haie, bien qu’il y eût un pied de neige sur le sol.

Et là, je me consacrai à lui tout à nouveau, demandant sa force afin de pouvoir désormais vivre davantage à sa gloire ; et je le remerciai pour cette dernière marque de sa bonté. Ce furent pour moi de bienheureux moments. Je continuai ainsi de prier pendant une demi-heure à peu près…

Quiconque ne connaît pas la misère de son propre cœur croira difficilement que j’aie été vraiment converti, quand j’ajouterai qu’un peu plus tard, je fus assez vil pour me conduire comme une brute. Oubliant les bienfaits de Dieu, je me suis complu dans le mécontentement, j’accueillis des sentiments d’insubordination, et pendant cette période qui se prolongea assez longtemps, je cessai presque complètement de prier. Un certain jour, alors que j’étais en cet état misérable, je sonnai le domestique, lui commandai d’apporter du vin et je me mis à boire.

Mais le Seigneur ne m’abandonna pas. Je voulais m’étourdir pour continuer plus facilement à pécher, mais je ne le pus. Précédemment, et par bravade, j’avais pu boire près de cinq litres de bière forte ; une autre fois ç’avait été du vin, et ma conscience n’avait pas protesté ; mais cette fois-ci j’avais à peine bu deux ou trois verres, que la méchanceté de ma conduite m’apparut, et que ma conscience me reprocha de boire pour boire ; je posai aussitôt le verre…

Il est vrai que les moyens de grâce dont je pouvais bénéficier alors étaient extrêmement peu nombreux. Bien que j’aille régulièrement à l’église lorsque je ne prêchais pas moi-même, j’y entendais rarement annoncer la vérité. Aussi, lorsqu’il advenait que le prédicateur fût le Dr Tholuck, ou quelque autre pasteur fidèle, non seulement je m’en réjouissais longtemps à l’avance mais, l’événement passé, il me suffisait d’en rappeler le souvenir pour en être encore rempli de joie.

J’ai bien souvent fait à pied de quinze à vingt kilomètres pour pouvoir jouir de ce privilège. Que ceux qui ont à leur portée un ministère fidèle de la Parole en soient profondément reconnaissants. Peu de bénédictions dépassent celle-là. Il arrive que le Seigneur soit obligé de nous en priver momentanément pour nous apprendre à l’apprécier.

J’assistais régulièrement aux réunions qui se tenaient le samedi soir chez le frère Wagner. De plus nous nous réunissions entre étudiants le dimanche soir : d’abord nous étions six ; à mon départ de Halle nous étions vingt. Après Pâques, ce fut chez moi qu’on se réunissait. L’un ou l’autre d’entre nous, parfois plusieurs, nous priions, puis c’était la lecture de la Bible, ou d’un auteur chrétien, et le chant des cantiques ; il arrivait aussi que quelqu’un d’entre nous exprime quelques paroles d’exhortation.

Ces réunions ont été pour moi un moyen de bénédiction, soit parce que j’y fus remis d’aplomb, à plusieurs reprises, soit parce que j’y trouvais un temps de rafraîchissement spirituel. Un certain jour où je me sentais misérable parce que j’avais été infidèle au Seigneur, j’ouvris mon cœur aux frères ; et ceux-ci, par leurs prières et leurs exhortations me firent retrouver la communion avec Dieu. Je considère donc que l’obéissance à l’ordre : « N’oubliez pas nos saintes assemblées, est une chose essentielle.

Même si, dans l’instant, nous n’avons pas l’impression de retirer quelque bien de l’assistance aux réunions des fidèles, il n’en demeure pas moins que c’est l’un des moyens que Dieu emploie pour nous garder du mal. La froideur spirituelle résulte souvent de la négligence dans la fréquentation des assemblées. Je sais, en ce qui me concerne, qu’il m’est arrivé à plusieurs reprises de partir pour quelque village éloigné, afin d’être sûr de ne rencontrer personne qui me parle du Seigneur et des choses éternelles, quand je traversais l’une de ces périodes de misérable tiédeur où, selon, la parole de Jésus : « Nul qui a mis la main à la charrue et qui regarde en arrière, n’est propre pour le royaume de Dieu » (Luc 9. 62).

Mais le Seigneur manifestait alors sa bonté envers moi en permettant que je me sente si malheureux, qu’il me fallait revenir sur mes pas. Il avait commencé son œuvre en moi, et comme Il est fidèle, Il refusait de m’abandonner, même quand je Lui étais infidèle. Toutefois, il est certain que cette œuvre, il aurait pu l’accomplir plus rapidement, si je ne lui avais pas résisté.

Pour ce qui est d’un autre grand moyen de grâce : la lecture de la Parole de Dieu ; j’étais tombé dans le piège où tombent généralement les nouveaux convertis, qui préfèrent les livres religieux aux saintes Écritures. Je ne pouvais plus me nourrir comme autrefois de romans français ou allemands ; mais au lieu de les remplacer par le Livre par excellence, je me mis à lire des traités, des revues missionnaires, des sermons, des biographies de chrétiens.

Je trouvai plus de profit à lire les biographies que les autres ouvrages ; et si je les avais bien choisies, ou si je n’en avais pas trop lu, ou si l’une d’elles avait mis l’accent sur la nécessité de lire les Écritures et le bienfait qui en résulte, cela m’aurait fait le plus grand bien.

À aucune époque de ma vie, je n’avais eu l’habitude de lire la Bible. À quatorze ans, en classe, j’avais dû parcourir quelques chapitres, et c’était tout. Je ne me souviens pas d’en avoir relu une seule page ensuite, jusqu’au moment où Dieu fit son œuvre en moi. Ce moment venu, j’aurais dû me dire ceci : puisque Dieu avait condescendu à se faire Auteur, puisque j’ignorais le contenu du très précieux Livre inspiré par le Saint-Esprit et écrit par les prophètes, lequel livre révèle ce qui importe au vrai bonheur, il convenait que je le lise et le relise avec ardeur, avec prière et méditation, tous les jours de ma vie. (Si peu que j’aie lu la Bible alors, cela suffisait à me faire comprendre que je ne la connaissais pas du tout).

Cette ignorance aurait dû m’incliner à l’étudier davantage. Au lieu de cela, les difficultés que j’avais à la comprendre, le peu de joie que j’éprouvais à la lire, me la firent laisser. Mon ignorance et mon indifférence subsistaient donc ; alors qu’une lecture suivie et accompagnée de prière entraîne inévitablement la connaissance et la joie. Durant les quatre années qui suivirent ma conversion, je préférai donc la littérature religieuse, œuvre d’hommes, aux oracles du Dieu vivant.

Le résultat fut que je restai un bébé dans la grâce et la connaissance : toute vraie connaissance découle de la Parole appliquée par l’Esprit. À cause de mon ignorance, je fus longtemps faible, et incapable de marcher avec quelque persévérance dans les sentiers du Seigneur. Car c’est la vérité qui nous affranchit de l’esclavage des convoitises (Jean 8. 31 et 32) : convoitise de la chair, convoitise des yeux, orgueil de la vie.

La Bible le démontre ; l’expérience des saints et notre propre expérience le prouvent. Quand il plut au Seigneur, en août 1829, de m’amener à l’étude des Écritures, ma vie et ma conduite changèrent aussitôt. Depuis, je n’ai certainement pas été ce que j’aurais pu être, ce que j’aurais dû être ; cependant par la grâce de Dieu, j’ai pu vivre près de Lui plus fidèlement qu’auparavant.

Si quelque lecteur trouvait plus de joie dans les ouvrages des hommes que dans la Parole de Dieu, j’espère que les années que j’ai perdues lui serviraient d’avertissement. Et si Dieu daignait, par ces pages, conduire quelques-uns de ses enfants à faire des Saintes-Écritures leur principale étude, je considérerais qu’elles ont fait beaucoup de bien.

À ce sujet, je veux encore ajouter ceci : « Si quelqu’un comprend difficilement la Bible, il doit la lire beaucoup ; car la lecture fréquente des Écritures fait que nous y trouvons nos délices ; plus nous les lisons, plus nous les aimons. Et si mon lecteur était un incrédule, même en ce cas, je lui dirais de lire la Bible avec sérieux. Mais qu’il demande d’abord à Dieu sa bénédiction, car Dieu peut le rendre « sage à salut » (2 Tim. 3. 15, 16 et 17) (L’autobiographie Bergin place ici « Les Conseils de G. Müller pour la lecture de la Bible ». Nous les donnons à l’Appendice).

Ch. 4. En Angleterre – Préparation missionnaire

En août 1827 j’entendis dire que la Société Continentale d’Angleterre voulait envoyer un pasteur à Bucarest pour y aider dans son œuvre, un « frère » âgé. Après un temps de réflexion et de prière j’allai m’offrir pour ce poste au Dr Tholuck ; puisque c’était à lui qu’on s’était adressé pour trouver le pasteur désiré. Malgré mon immense faiblesse, j’avais un très vif désir de vivre uniquement pour Dieu.

À mon grand étonnement, mon père donna cette fois son consentement, bien que Bucarest fût à quelque 1400 kilomètres de l’endroit où nous habitions ; ce consentement me parut providentiel. Aujourd’hui, j’ai compris qu’un serviteur de Christ doit obéir à son Maître, même s’il n’a pas le consentement de son père terrestre. Je partis donc pour la maison et j’y demeurai quelque temps.

De retour à Halle, je me préparai avec ardeur pour l’œuvre du Seigneur. J’essayai de me rendre compte des souffrances possibles qui m’attendaient là-bas, et de réaliser ce que cela me coûterait. Pressé par l’amour de Christ, celui qui avait si fidèlement servi Satan préférait endurer l’affliction, à cause de Jésus, plutôt que de jouir des délices du péché.

Un dimanche soir, à la fin d’octobre, le jeune missionnaire dont j’ai déjà parlé, Hermann Ball, étant de passage à Halle, vint à notre réunion d’étudiants ; il nous dit qu’il craignait d’avoir à cesser son activité parmi les Juifs de Pologne, à cause de sa santé. Ce qu’entendant, je ressentis un vif désir de prendre sa place ; et dès ce moment, je fus attiré vers la langue hébraïque, que jusque-là je n’avais guère apprise que par devoir.

Dès lors, et durant les semaines qui suivirent, je l’étudiai avec ardeur et y trouvai une grande joie. En novembre, j’allai voir le Dr Tholuck qui attendait chaque jour, pour moi, une réponse de la Société. Au cours de la conversation, il me demanda si je n’aimerais pas m’occuper d’évangélisation parmi les Juifs. Sa question me frappa. Je lui dis que j’y avais pensé moi-même. Mais à quoi bon, puisque ma demande était faite pour Bucarest.

Après avoir quitté le Docteur, je sentis que sa question avait allumé comme un feu au-dedans de moi, et le lendemain je ne désirais plus du tout partir pour Bucarest. Ce revirement me sembla charnel et blâmable, et je priai Dieu de rallumer en moi le premier désir.

Dix jours plus tard, le Dr Tholuck recevait une lettre de la « Société Continentale ». « La guerre venait d’éclater entre la Russie et la Turquie ; Bucarest étant au centre des hostilités, il paraissait sage de remettre à plus tard l’envoi d’un pasteur en cette ville… »

À nouveau, le Docteur me parla de la Mission parmi les Juifs ; je lui demandai quelque temps pour prier et réfléchir, et pour consulter des frères d’expérience. Après l’avoir fait, je n’arrivai à aucune certitude. Dans l’ignorance où j’étais de la volonté du Seigneur, je décidai que j’allais cependant faire une demande au Comité, en priant Dieu de dicter la réponse qui serait faite.

Au commencement de 1828, on venait de construire un nouvel hospice à Halle où l’on plaçait des personnes de mauvaise réputation ; on les obligeait à travailler. Je demandai l’autorisation d’aller y annoncer l’Évangile ; elle me fut accordée, en attendant la nomination régulière d’un aumônier… Certes, j’étais qualifié pour parler à ces pauvres pécheurs. Je connaissais leur état, ayant été dans ma jeunesse probablement bien pire que la plupart d’entre eux.

Ce n’est qu’en mars 1828 que le professeur Tholuck reçut une communication à mon sujet. Le Comité me posait un certain nombre de questions auxquelles je devais répondre. Après quoi, et selon ce que j’écrirais, on statuerait sur ma demande. Je répondis, et à nouveau j’attendis.

J’attendais d’autant plus la décision du Comité que mon temps d’Université touchait à son terme. Enfin, le 13 juin, je reçus la réponse : « Le Comité acceptait de me prendre à l’essai comme élève missionnaire pendant six mois, si j’acceptais d’aller à Londres ! »

Il y avait sept mois que cette affaire était pendante. Alors que je pensais qu’elle serait réglée en quelques semaines, et qu’une réponse favorable amènerait mon départ immédiat pour un champ d’activité, on me proposait maintenant de redevenir élève ! J’en ressentis une vive déception, et j’avoue que ce fut une dure épreuve.

Toutefois, en considérant les choses de sang-froid, il me parut raisonnable que le Comité désire prendre contact avec moi ; il était bon également que je connaisse les membres du Comité. Je décidai donc, après avoir vu mon père, de partir pour Londres.

Mais un nouvel obstacle se dressait sur ma route : le service militaire. Pris à vingt ans, j’avais obtenu un sursis de trois années pour terminer mes études. J’avais maintenant vingt-trois ans, et je devais faire l’année de service imposée aux étudiants, à moins d’en être dispensé par le Roi lui-même. Cette exemption était constante pour ceux qui partaient comme missionnaires ; je croyais donc l’obtenir facilement. Il n’en fut rien. Elle me fut refusée.

Que faire, que décider ? Du côté de ma santé, autre contretemps : je m’étais enrhumé au commencement d’août ; un rhume ordinaire d’abord, mais qui, cette fois, ne cédait pas. Je me crus justifié à prendre certains soins physiques, je fis de fréquentes promenades et délaissai l’étude de l’hébreu ; toutes choses qui furent loin de concourir à mon édification.

En même temps, il se trouvait que mon principal compagnon, l’un de mes élèves américains, était retourné au monde après avoir suivi Jésus. Bref, bien que je sois né de nouveau, et que j’aie été l’objet de tant de compassion de la part du Seigneur, je retombai une fois de plus dans la langueur spirituelle ; cela, au moment où « Dieu appesantissait sa main sur moi ». Ah ! le cœur de l’homme est désespérément mauvais !

C’est en cet état de torpeur spirituelle que nous nous sommes rendus à cheval à Leipzig, mon ami et moi, à l’époque de la fameuse foire de la saint Michel. À Leipzig, il insista pour m’emmener avec lui à l’Opéra ; j’y allai, mais n’y trouvai aucun plaisir. Après le premier acte, je pris une glace, ce que je n’aurais pas dû faire à cause de l’état de mon estomac. À la fin du deuxième acte, je m’évanouis. Je revins à moi peu après, et nous avons pu gagner l’hôtel où la nuit fut passable.

Le lendemain, mon ami commanda une voiture pour le retour à Halle. Dieu se servit de cet incident pour me sortir de la langueur spirituelle où j’étais tombé, et me remettre debout. En voiture, je dis à mon ami ce que je pensais de notre conduite. Il me répondit que sa foi avait décliné depuis qu’il avait quitté l’Amérique. Cependant, lorsqu’il m’avait vu évanoui à l’Opéra, il s’était dit que le théâtre était un endroit effroyable pour y mourir.

C’était la seconde fois que j’allais dans un théâtre depuis que je m’étais donné à Jésus, et ce fut la dernière. En 1827, je m’y étais rendu pour entendre un concert, et l’avais aussi senti que là n’était point la place d’un enfant de Dieu.

Lorsque je fus de retour à Halle, une veine de l’estomac se rompit, je perdis beaucoup de sang et tombai dans un état de grande faiblesse qui dura plusieurs semaines. Une fois mieux, je partis pour la campagne chez un frère en Christ, qui est demeuré pour moi un bon et fidèle ami.

Chez lui, mon âme se nourrit et se fortifia. Le Seigneur avait vu que ma foi déclinait ; et dans son amour il m’avait châtié pour mon grand bien ; châtiment qui portait maintenant pour Lui, selon l’expression de l’apôtre, « le fruit paisible de la justice ».

J’étais encore à la campagne lorsque je reçus une lettre du professeur américain avec qui j’étais allé à Leipzig : il habitait maintenant Berlin et désirait que je vienne l’y rejoindre. « Toutes mes dépenses de séjour seraient couvertes et au-delà, disait-il, par le prix de quelques heures de leçons par semaine, que des amis et lui se proposaient de me demander. De plus, à Berlin même, il me serait probablement plus facile de me faire exempter du service militaire ». Après un temps de réflexion, j’écrivis que j’acceptais, et je me mis en route.

Deux dames de la noblesse partageaient avec moi une voiture particulière, louée pour le voyage à Berlin. Nous allions donc passer deux jours ensemble et je me dis qu’il suffirait que je sois aimable avec elles durant la première partie du voyage, ce qui les disposerait à m’écouter favorablement quand j’aborderais la question de la perdition naturelle de l’homme, puis celle du salut, en les conduisant à l’Agneau de Dieu.

Donc, le soir du second jour seulement, alors que nous approchions de Berlin, je sentis qu’il était grand temps d’aborder la question capitale. À peine avais-je commencé de le faire qu’une des voyageuses s’écria : « Oh ! Monsieur, que n’avez-vous parlé plus tôt de ces choses ! Car voilà longtemps que nous désirions trouver quelqu’un à qui parler à cœur ouvert. Mais comme la vie des pasteurs que nous connaissons n’est pas en rapport avec leurs fonctions, nous n’avons pu nous confier à aucun d’eux ».

Je découvris alors qu’elles étaient depuis quelque temps sous l’empire du sentiment du péché, et ne savaient comment trouver la paix. Je leur parlai une heure à peu près, puis, comme nous étions arrivés au but du voyage, nous nous sommes séparés. En me remerciant, elles me dirent leurs regrets de ne pouvoir prolonger l’entretien : mais elles ne s’arrêtaient pas à Berlin.

Je me sentis vivement repris intérieurement pour mon manque de fidélité, et j’essayai de racheter ma négligence par une longue lettre. Puissé-je ne jamais oublier cette expérience, et mon devoir.

À Berlin, je fis des démarches pour obtenir mon passeport pour l’Angleterre ; des frères qui occupaient de hautes situations s’y employaient aussi. Le passeport comportait cette exemption du service militaire, que jusqu’ici je n’avais pu obtenir. Mais, malgré toutes ces interventions, tout demeurait inutile; et en janvier 1829, mon incorporation paraissait certaine.

C’est alors qu’un major chrétien, l’ami d’un général très en vue et très puissant, me conseilla de demander à m’engager ; ceci entraînerait un très sérieux examen, et il était convaincu que j’étais trop faible pour être pris. Si j’étais refusé pour cause de santé, son ami le général aurait à statuer sur mon cas. Si, par contre, j’étais accepté, je serais incorporé immédiatement.

Le Seigneur avait permis que les choses en viennent là. Aucun ami n’avait pu obtenir le passeport tant que son heure à Lui n’avait pas sonné. Mais lorsque celle-ci fut venue, aucune opposition ne pouvait plus subsister. Or, le Roi des rois me voulait en Angleterre où il avait l’intention de me bénir, et de faire de moi un moyen de bénédiction.

Aussi, bien que le roi de Prusse ait refusé d’accorder l’exemption nécessaire, et alors qu’il semblait impossible que je parte, les autorités médicales, après examen, me déclarèrent inapte au service militaire. Avec le verdict du docteur et une lettre de recommandation du major dont j’ai parlé, j’allai trouver le général.

Il me reçut avec bonté et m’envoya à un autre médecin pour être examiné à nouveau, tout de suite. Le verdict du second médecin confirma celui du premier. Le général établit alors lui-même les papiers nécessaires à ma libération, libération définitive de tout service militaire. C’était plus que je n’avais espéré. Comme il savait que je me destinais à la Mission parmi les Juifs, il me parla ensuite de ceux-ci avec simplicité et bonté, me citant à leur sujet quelques passages des Écritures qu’il me conseillait de proposer à leur attention, et plus particulièrement Romains 11.

Pourquoi Dieu permit-il tous ces longs délais pour l’obtention du passeport ? Avec le recul des années, je compris que c’était pour mon bien, pour que je sois en bénédiction. C’est à cette époque que j’appris cette leçon que la joie de Christ ne dépend pas du nombre de fidèles dont nous sommes environnés. À Halle, il me semblait que j’aurais beaucoup de bonheur à vivre dans un centre important de croyants, et je découvris que cette ambiance ne communiquait pas nécessairement la joie du Seigneur. Quant au second point, le dernier jour révélera, peut-être, qu’il y avait une œuvre à faire pour moi dans la capitale.

Dès l’instant de mon arrivée et jusqu’au départ, j’ai prêché dans un hospice, trois, quatre, et même cinq fois par semaine, dans les divers services. Il s’y trouvait à peu près trois cents personnes âgées et infirmes. Je prêchai aussi une fois dans une église, et à plusieurs reprises je fus autorisé le dimanche à visiter une prison. On m’y enfermait dans les cellules, où je pouvais m’entretenir avec les prisonniers.

En définitive, mon temps à Berlin ne fut pas perdu ; et mon état spirituel y fut certainement meilleur qu’il n’avait été depuis longtemps. Pas une seule fois, mes penchants mauvais ne me dominèrent. En écrivant cela, je ne pense pas à m’en glorifier. Certes, si les seuls péchés de cette période de ma vie devaient s’élever contre moi au jour du Jugement, je serais le plus misérable des hommes.

Mais puisque j’ai parlé si ouvertement de mes chutes et de mes transgressions d’autrefois, je veux aussi dire à la gloire de Dieu que durant ce séjour à Berlin, où j’étais perdu dans la foule et sans surveillance, environné de tentations nombreuses, et avec plus d’argent en poche que je n’en avais jamais eu, je fus cependant parfaitement gardé de choses dont je me rendais généralement coupable, avant ma conversion.

Quant à ma santé, elle était restée peu satisfaisante, et sur le conseil d’un médecin chrétien, j’avais cessé de prendre des remèdes.

Les difficultés de passeport étant levées, je préparai mon départ pour l’Angleterre, et le 3 février je quittai Berlin. Durant le voyage, et sans attendre comme je l’avais fait lorsque je me rendais en cette ville, je me mis à annoncer l’Évangile à mes compagnons ; ce qui sembla les intéresser, surtout l’un d’eux.

Le 5 j’arrivai chez mon père, et retrouvai la maison de mon enfance, témoin de tant de péchés. Mon père, après avoir quitté son emploi s’y était retiré ; et moi j’y revenais le cœur rempli de sentiments multiples et très particuliers. Je n’avais pas revu Heimersleben depuis le jour où mon père était venu m’y chercher après mon retour de Wolfenbüttel, où j’avais été emprisonné…

Je fis mes adieux le 10, caressant l’espoir de revenir un an après ; mais comme missionnaire cette fois… Le 22 février, j’étais à Rotterdam où je fus reçu chez un ami chrétien… Le 19 mars 1829 je débarquai en Angleterre…

Une fois au séminaire, j’eus l’impression d’être ramené à mes années d’étude ; et même alors, surtout à l’Université, j’avais certainement joui de plus de liberté que je n’en avais en Angleterre.

Dans ce séminaire, j’étais constamment tenu par l’heure ou les règlements ; et si la grâce n’avait pas déjà accompli son œuvre en mon cœur, au moins partiellement…, j’eusse certainement renoncé immédiatement à devenir missionnaire parmi les Juifs. Mais comme on ne demandait rien, en somme, que je ne puisse accepter en toute conscience, je décidai que pour l’amour du Seigneur, je me soumettrais à tous les règlements de l’Institut.

Les autres élèves, presque tous Allemands, étudiaient l’hébreu, le latin, le grec, le français, l’allemand, etc… presque aucun n’avait fait d’études classiques. On ne me demanda que la lecture de l’hébreu et on me dispensa du reste.

Lorsque, quelques jours après mon arrivée à Londres, j’entendis un « frère » allemand expliquer un passage de l’Écriture en anglais, je souhaitai ardemment d’être bientôt capable d’en faire autant. Je me souviens de la joie que j’eus, quelques semaines plus tard, à parler en un anglais plus ou moins écorché à un petit garçon rencontré dans les champs, au sujet de son âme.

Je m’étais mis à étudier douze heures par jour à peu près, surtout l’hébreu ; mais je commençai aussi l’étude du chaldaïque et me perfectionnai dans la lecture de la langue judéo-allemande, écrite en caractères rabbiniques. Je m’agenouillais fréquemment et priais pour être gardé de cette froideur spirituelle qui accompagne si souvent l’étude intensive.

Mes progrès en anglais étaient fort lents. Vivant constamment avec des compatriotes, je parlais souvent ma langue. Mais lorsque je vécus dans le Devonshire, quelques mois plus tard, mes progrès quotidiens devinrent rapides. Peu après mon arrivée à Londres, j’entendis parler d’un M. Groves, un dentiste d’Exeter qui, par amour pour le Seigneur, quittait une profession lui rapportant à peu près quinze cents livres sterling par an, pour partir en Perse avec femme et enfants, en comptant uniquement sur Dieu pour les ressources nécessaires.

Ceci fit sur moi une profonde impression, et me causa une grande joie. Je le notai dans mon journal, et en fis mention dans les lettres que j’écrivis en Allemagne à cette époque.

À cause de mon état de santé, j’aurais peut-être dû me ménager, et ne pas consacrer tant d’heures à l’étude. Le 15 mai je tombai malade, et bientôt les symptômes furent si graves, que la guérison sembla impossible. À mesure que mon corps s’affaiblissait, mon esprit était inondé de joie. Et cependant jamais autant qu’à ce moment-là, je ne m’étais vu sous le grand jour où je me vis alors ; jamais je ne m’étais jugé si vil, si misérable, si coupable, que je le fis à cette heure-là.

Il semblait que tous mes péchés se dressaient devant moi ; mais en même temps, j’avais l’intime assurance que tout était pardonné, que j’étais lavé et purifié ; purifié parfaitement par le sang de Jésus. De sorte que je pouvais jouir d’une immense paix, et que je souhaitais ardemment de déloger pour être avec Christ.

Quand le médecin venait, ma prière était quelque chose comme ceci : « Seigneur, tu sais que le Docteur ne connaît pas, lui, ce qui me vaut le mieux ; mais toi qui le sais, veuille diriger toutes choses ».

Et quand je prenais les remèdes ordonnés, je disais à nouveau au Seigneur : « Pour toi, cette médecine n’est rien, c’est comme si je prenais un peu d’eau. Permets donc, Seigneur, qu’elle agisse pour mon bien véritable et pour ta gloire. Appelle-moi bientôt à toi, ou guéris-moi promptement ; ou bien, laisse-moi malade longtemps avant de me reprendre ou de me guérir, Seigneur ! Fais avec moi ce que tu jugeras le meilleur ».

C’est à cette époque que je découvris un péché que j’avais ignoré jusque-là : mon manque de reconnaissance pour les bonnes nuits de sommeil dont j’avais toujours joui dans le passé, même aux époques de maladie. Maintenant que j’avais de longues nuits d’insomnie, je m’apercevais de mon ingratitude envers Dieu sur ce point particulier.

Après une quinzaine de jours, le médecin déclara que l’amélioration se dessinait. Ceci me consterna presque, au lieu de me remplir de joie ; car je désirais ardemment partir pour être avec le Seigneur.

Toutefois, à peine ce sentiment s’était-il précisé en moi, que je vécus à nouveau la grâce de me soumettre à la volonté divine, et, quelques jours après, je pouvais quitter la chambre. Comme mes progrès étaient fort lents, mes amis insistèrent pour me faire changer d’air ; personnellement je ne le désirais pas. Moi qui avais aimé passionnément les voyages, j’étais tellement transformé que cette seule idée de changement m’était désagréable.

Cependant je me mis à prier à ce sujet : « Seigneur, dis-je, je veux ce que tu veux. Donne-moi ta réponse sur ce changement d’air, en te servant du médecin ». Je consultai donc celui-ci et il me répondit aussitôt que « c’était ce que je pourrais faire de mieux ». En conséquence, je me préparai au départ pour Teignmouth, où j’arrivai quelques jours plus tard. C’est là que je devais faire la connaissance de celui qui devint par la suite mon compagnon de travaux : mon cher frère, Henry Crailic.

J’étais reçu chez des amis. Là, Dieu se servit de ce temps de convalescence pour m’éclairer sur bien des points. Il me fit comprendre, par exemple, que, dans les choses spirituelles, sa Parole devait être notre seul Guide ; sa Parole expliquée par le Saint-Esprit qui conduit dans toute la vérité comme aux jours de l’Église primitive.

Aussi, lorsque pour la première fois je m’enfermai dans ma chambre pour m’adonner à la lecture de la Bible et à la prière, j’appris bien plus de choses en quelques heures, que je ne l’avais fait précédemment en plusieurs mois. Mais surtout, je reçus durant ces instants d’entretien avec Dieu une force véritable que j’avais ignorée jusque-là, et ceci opéra aussitôt un grand changement dans ma vie. Je me mis alors à étudier à la lumière des Écritures, tout ce que j’avais appris jusque-là, et je compris que cela seul qui sortait victorieux de cette épreuve, avait une valeur réelle.

Ainsi, jusqu’à ce moment, je m’étais opposé à la doctrine de l’Élection, à celle de la Rédemption individuelle et à la doctrine de la grâce… Je me mis alors à étudier ces très précieuses vérités à la lumière de la Parole de Dieu. Ayant été amené à ne désirer aucune gloire personnelle dans la conversion des pécheurs, et à ne voir en moi qu’un instrument, je lus la Bible du commencement à la fin en notant les passages qui se rapportaient à ces sujets ; et je remarquai que les versets impliquant l’Élection et la Grâce toute puissante, étaient quatre fois plus nombreux que ceux qui semblaient s’opposer à ces vérités.

Je découvris aussi, en étudiant ces derniers, qu’en définitive, ils confirmaient les autres. J’abandonnai donc mes anciennes positions. Ma vie s’en ressentit aussitôt, et je dois dire à la gloire du Seigneur, que désormais je marchai bien plus près de Lui que je ne l’avais fait jusque-là.

Certes, je suis toujours très faible ; je n’ai pas encore atteint le degré de mort à moi-même que je voudrais atteindre, concernant la convoitise de la chair, celle des yeux, et l’orgueil de la vie ; cependant il y a plus de cohésion, plus d’unité dans ma conduite qu’autrefois, et je vis pour Dieu bien plus qu’auparavant.

Durant mon séjour dans le Devonshire, la lumière se fit en moi sur une autre question : celle du Retour du Seigneur. Jusque-là, j’avais cru tout bonnement ce qui se dit généralement, sans rechercher ce qu’enseignent les Écritures. J’avais cru que le monde s’améliorait, que les choses iraient de mieux en mieux, et, que bientôt le genre humain serait converti.

Or je découvris que la Bible ne dit rien de semblable, qu’elle n’annonce pas la conversion du genre humain avant le retour du Christ ; que ce retour précède l’instant où l’Église sera glorifiée et celui de la joie éternelle des saints. Jusqu’à ce moment-là, les choses seraient plus ou moins dans la confusion et le chaos.

Je découvris aussi dans la Parole, que l’attente des premiers chrétiens c’était l’avènement de Christ, et non la mort. Il convenait donc que moi aussi j’attende son avènement. Et cette vérité s’empara si vivement de moi qu’à partir de ce moment-là, au lieu de penser fréquemment à la mort et d’y attacher mes regards (j’étais venu dans le Devonshire si faible que je m’étais demandé si je reverrais Londres), je les en détournai aussitôt pour penser au retour du Seigneur.

Lorsque cette vérité commença de poindre en mon cœur, je fus capable de me l’appliquer immédiatement en une certaine mesure, et cette question se posa dès lors pour moi, chaque matin : « Que puis-je faire aujourd’hui pour le Seigneur ? Car Il peut revenir bientôt ».

Enfin il plut à Dieu de me révéler un plus haut degré de consécration que ce que j’avais connu jusque-là. Il me montra que ma véritable gloire en ce monde, c’était d’être méprisé avec Christ, d’être pauvre et chétif comme Lui. Il ne convenait pas effectivement que le serviteur recherche la richesse, les grandeurs, la gloire, en un monde où son Maître avait été pauvre et méprisé.

En quittant Londres, j’avais prié Dieu qu’il daigne bénir mon voyage pour le corps et pour l’âme. Ma requête fut exaucée bien au-delà de ce que je pensais, de sorte qu’en septembre, lorsque je rentrai à Londres, une grande amélioration physique s’était produite, et quant à l’âme, elle avait été si merveilleusement enrichie que cela correspondait à une seconde conversion.

De retour au séminaire, je cherchai à communiquer à mes frères ce que j’avais reçu, et leur proposai d’avoir une réunion tous les matins de six à huit, pour l’étude de la Bible et la prière. Chacun donnerait sa pensée sur le passage lu. Cette réunion fut acceptée, et tous, je crois, nous en retirâmes quelque bien. L’un de mes frères fut amené au point que j’avais atteint moi-même.

Et lorsque, le soir, je remontais dans ma chambre après le culte de famille, j’avais parfois de si doux instants de communion avec Dieu qu’il m’arrivait de les prolonger jusque vers minuit. Alors, débordant de joie, j’allais trouver le frère dont je viens de parler, et le trouvant avec le cœur plein des mêmes sentiments que j’éprouvais aussi, nous continuions à prier tous les deux jusque vers une ou deux heures du matin.

À plusieurs reprises, il arriva que ma joie était telle qu’elle chassait le sommeil, et lorsque six heures sonnaient (l’heure de notre réunion matinale), c’est à peine si j’avais dormi quelques instants.

À Londres, la vie sédentaire m’avait repris. Toujours enfermé et penché sur mes livres, je ne tardai pas à souffrir à nouveau et à m’affaiblir. Mon pauvre corps n’était plus qu’une épave, un brandon arraché à Satan ! Dans ces conditions, était-il sage de consacrer à l’étude le peu de forces que j’avais encore, au lieu de les employer au service du Seigneur ?

J’écrivis au Comité, lui demandant de m’envoyer en mission sans tarder. « Les membres du Comité directeur me connaissaient, et j’étais prêt à partir comme aide ; à dépendre d’un missionnaire ayant déjà quelque expérience, s’ils le jugeaient nécessaire… » Les semaines passèrent, aucune réponse ne vint.

En attendant celle-ci, je ne restai pas inactif, et je travaillai de diverses manières pour le Seigneur. Au bout de cinq ou six semaines, l’idée me vint que j’avais tort d’attendre des hommes une nomination, quand le Seigneur m’appelait à annoncer l’Évangile ; et ma pensée se tourna vers les Juifs de Londres.

Je me mis donc à leur distribuer des traités sur lesquels se trouvait mon adresse, me mettant à leur disposition pour parler des choses divines ; j’allai leur annoncer Christ dans les endroits où j’étais certain de les trouver réunis ; je lisais régulièrement la Bible avec quinze jeunes Juifs, enfin je devins moniteur dans une école du dimanche. Ces diverses activités me procurèrent beaucoup de joie, mais aussi l’honneur d’endurer la persécution et les mauvais traitements à cause de Jésus. Le Seigneur me fit la grâce de ne pas reculer devant le danger, et de ne pas me laisser arrêter par la crainte de la souffrance.

Dieu continuait son œuvre en moi, et en novembre je me demandai si je pourrais rester en relation avec la Société, ceci pour plusieurs raisons : si le Comité me désignait pour un poste quelconque, ce serait probablement en Europe ; puisque je ne pouvais songer à l’Orient à cause de mon état de santé et des nouvelles études que nécessiteraient les nouvelles langues à apprendre.

D’autre part (si j’étais bien désigné pour l’Europe), je ne pourrais occuper qu’un poste subalterne à moins d’avoir reçu la consécration ; les pasteurs non consacrés étant de ce chef, constamment dépendants, et limités dans leur activité. Or, je ne pouvais accepter de recevoir l’imposition des mains de personnes non converties, s’attribuant la capacité de mettre à part pour le ministère, et de conférer ce qu’elles ne possédaient pas elles-mêmes.

Enfin, depuis que Dieu m’avait montré que sa Parole devait être notre seule Loi, et le Saint-Esprit notre seul Guide, je ne pouvais accepter de faire partie d’une Église rattachée à l’État, ni d’une Société religieuse nationale. En examinant ce que je savais des Sociétés anglaises ou européennes à la lumière de la Parole de Dieu, je constatais que leurs règlements amalgamaient des principes d’inspiration mondaine aux règles chrétiennes… D’où l’impossibilité de se conformer uniquement à la Parole de Dieu lorsqu’on en faisait partie.

Si je restais en Angleterre, la Société dont je dépendais n’accepterait pas que je prêche ici et là selon que le Seigneur ouvrirait ou fermerait les portes. Quant à recevoir d’un évêque anglais l’imposition des mains, j’y avais encore plus d’objection qu’à la recevoir par l’intermédiaire d’un Consistoire prussien.

Je ne pouvais accepter non plus que mes travaux missionnaires soient dirigés par des hommes. Il me semblait que tout serviteur du Christ devait relever uniquement du Saint-Esprit, et je dis ceci en toute déférence à l’endroit de ceux qui ont probablement plus de science et plus d’entendement spirituel que moi. Le serviteur de Christ ne peut avoir qu’un Maître.

Enfin, si j’aimais les Juifs (et j’en avais donné les preuves), je ne me sentais pas libre de promettre que je leur consacrerais la majeure partie de ma vie, comme le Comité s’y attendait. En effet, l’enseignement scripturaire tel que je le comprends, c’est qu’en me rendant en quelque endroit que ce soit, je dois chercher d’abord les Juifs et commencer à travailler parmi eux ; mais s’ils rejettent l’Évangile, je dois alors me tourner vers les Gentils.

Il ne me semblait pas juste de garder par devers moi ces conclusions ; mon devoir était manifestement de les faire connaître au Comité. D’autre part, si je n’étais pas envoyé par lui, que ferais-je ? Impossible de songer à retourner en Prusse. Là, sans consécration, je devrais ou cesser de prêcher, ou encourir la peine d’emprisonnement.

Il ne me restait donc que la possibilité d’annoncer Christ de lieu en lieu, en Angleterre : aux Juifs d’abord, aux Gentils ensuite, selon que Dieu me conduirait. J’étais prêt à rester membre de la Société pour propager le christianisme parmi les Juifs et à travailler sans aucun salaire, si l’on voulait m’accepter à ces conditions ».

Il restait la question de mon entretien. J’étais sur une terre étrangère dont je parlais mal la langue, et si le Seigneur m’assistait puissamment pour l’exposition des Écritures, je ne m’expliquais que difficilement pour les choses courantes.

Toutefois, j’étais sans crainte à ce sujet, sachant bien qu’aussi longtemps que « je rechercherais d’abord le royaume de Dieu et sa justice, toutes choses me seraient données par-dessus ». Dieu dans sa bonté m’aidait à m’emparer de ses promesses et à compter sur sa Parole.

Pour les besoins temporels, je m’appuyais surtout sur les passages indiqués ci-après : Matthieu 7. 7 et 8 ; Jean 14. 13 et 14 ; Matthieu 6. 25 à 34.

L’exemple du « frère » Groves, le dentiste d’Exeter dont j’ai déjà parlé, était pour moi un très grand encouragement. Des lettres venaient d’arriver en Angleterre relatant les secours que Dieu lui avait accordés pendant son voyage, et comment il avait été puissamment aidé. Cela fortifia encore ma foi.

Le 12 décembre, ma décision fut prise. J’écrivis donc au Comité pour le mettre au courant de ma résolution.

Il ne restait plus qu’à attendre la réponse ; ce que je dus faire pendant de longues semaines.

Le 24 décembre, j’allai voir les étudiants de l’Institut missionnaire d’Islington, dans l’espoir de leur communiquer quelque message si le Seigneur m’en donnait l’occasion. Je revins rempli de joie ; c’était généralement le cas à cette époque, et c’est en cet heureux état que je me couchai. Or, le lendemain, le jour de Noël, je me réveillai sans cette joie qui demeurait habituellement en mon cœur. Ma prière était froide, sans vie.

À notre réunion du matin, l’un des « frères » m’exhorta à persévérer quand même dans la prière. « Dieu permettait ce temps d’épreuve pour quelque bonne raison, dit-il, mais je connaîtrai bientôt à nouveau la joie de sa Présence ». Je suivis ses conseils ; et lorsqu’un peu plus tard je m’approchai de la table de communion, je retrouvai partiellement le bonheur des jours passés ; ceci alla en augmentant jusqu’au soir, où j’eus une occasion d’annoncer le retour du Seigneur, ce qui me causa beaucoup de joie.

Le soir à huit heures, au culte de famille, je fus chargé de l’explication des Écritures ; le Seigneur me secourut de façon manifeste. Peu après, on venait m’appeler pour que j’aille voir l’une des servantes, et la mère d’une autre domestique, qui avaient assisté au culte. Toutes deux étaient dans l’angoisse, chacune au sujet de son âme.

J’allai les voir, et lorsque je rentrai chez moi, j’avais à nouveau la joie de la veille. Pourquoi rappelé-je ici le souvenir de ces choses ? Parce que je sais que Satan emploie souvent le subterfuge de la froideur pour faire cesser la lecture de la Bible et la vie de prière. Gardons-nous donc d’abandonner l’une et l’autre lorsque nous n’y trouvons plus la joie de la communion du Seigneur.

Il n’est jamais inutile de lire la Parole de Dieu, il n’est jamais inutile de prier, même lorsque nous n’avons plus l’esprit de prière. Au lieu de cesser et pour retrouver la joie de sa communion, persévérons dans la lecture de sa Parole et dans la prière

Le 30 décembre, je quittai Londres pour Exmouth où se trouvaient les amis chrétiens qui m’avaient déjà offert l’hospitalité pendant l’été ; je partis sans avoir reçu du Comité la réponse que j’attendais. J’arrivai à destination une heure avant le moment de la réunion de prière d’Ebutuzur Chapel. Mon cœur brûlait au-dedans de moi, tant je désirais ardemment dire tout le bien que l’Éternel avait fait à mon âme. Il me tardait d’annoncer ce que d’autres pouvaient ne pas encore savoir.

Mais comme personne ne me demanda de prendre la parole ou de prier, je gardai le silence. Toutefois, le lendemain, j’eus l’occasion de dire la différence qu’il y avait entre ces deux choses : être seulement un chrétien, ou être un chrétien joyeux, et de montrer pourquoi souvent, nous trouvions si peu de joie en Dieu. Ce premier témoignage fut en bénédiction à plusieurs personnes, Dieu voulant sans doute me montrer par-là qu’II était avec moi.

La nouvelle année venait de commencer (1830). J’étais toujours à Exmouth, et il me semblait toujours plus impossible d’appartenir à une Société, comme cela s’entend généralement. D’autre part, j’avais beaucoup à faire dans l’endroit où j’étais, et fort peu d’argent à dépenser en voyage. Il ne me restait plus alors que cinq livres sterling.

J’écrivis donc aux membres du Comité qu’au lieu de rentrer à Londres, en attendant qu’ils prennent une décision à mon endroit, je continuerais de prêcher à Exmouth. Je leur exposai aussi comment mes pensées avaient évolué depuis mon arrivée en Angleterre.

Toutefois, comme je leur devais beaucoup, puisque c’était par eux que le Seigneur m’avait amené en Angleterre où Il m’avait si abondamment béni ; aussi parce que je souhaitais qu’ils veuillent bien me fournir les livres de l’Écriture en hébreu et les traités pour les Juifs dont j’aurais besoin, j’étais prêt à rester dans la Société comme agent non salarié ; mais libre de travailler en quelque lieu que ce soit, et de la manière que je déciderais sous la seule direction du Seigneur.

Peu après, je reçus de l’un des secrétaires du Comité qui s’était toujours montré très bon pour moi, une lettre pleine d’affection. Cette lettre accompagnait le message officiel des Directeurs que je donne ci-après :

« Société londonienne pour la promotion du christianisme parmi les juifs »

À une réunion du Sous-Comité missionnaire, tenue le 27 janvier 1830 à notre Maison à Wardrobe Place Doctor’s Commons, il a été donné lecture d’une lettre de M. G.-F. Müller. En suite de quoi il a été décidé de communiquer à M. Müller ce qui suit :

« Tout en se réjouissant des progrès réels dans la grâce et la connaissance que M. Müller peut avoir faits à l’école du Saint-Esprit, les membres du Comité estiment cependant que la Société ne peut employer que ceux qui acceptent leur direction à l’endroit de l’activité missionnaire.

Aussi longtemps que M. Müller gardera son opinion particulière sur ce point, ils ne peuvent le considérer comme élève missionnaire. Mais si une plus grande maturité de réflexion l’amenait à modifier ses vues, ils reprendraient volontiers leurs relations avec lui ».

C’est ainsi, que mes attaches avec la Société furent rompues. Soixante-six ans se sont écoulés depuis, écrit M. Müller au soir de sa vie, et jamais je n’ai regretté un seul instant, la décision prise alors.

Bien au contraire, j’ai souvent regretté d’avoir, en cette occasion, montré si peu de reconnaissance au Seigneur pour sa bonté à mon endroit, en me guidant comme Il l’avait fait. J’ai conformé ma conduite à la lumière que Dieu me donnait, et mon obéissance a été abondamment bénie. Ma vie en donne la preuve éclatante.

Avant de quitter ce sujet, je tiens à dire que je ne voudrais pas que mon attitude d’alors fasse rejaillir aucun blâme sur la Société. J’aurais même laissé de côté la question, si cette Société n’avait pas été l’instrument de ma venue en Angleterre. Puisque de toute façon je devais mentionner mon stage d’élève missionnaire, il m’a semblé préférable de dire les choses comme elles s’étaient passées.

Ch. 5. Seul avec Dieu

Après avoir prêché trois semaines à Exmouth et dans les environs, je partis pour Teignmouth afin d’y voir les frères dont j’avais fait la connaissance l’été précédent, et pour leur dire les bontés de Dieu à mon endroit. Je pensais rester avec eux une dizaine de jours.

Or, j’étais à peine arrivé que l’un d’eux me dit : « J’aimerais que vous deveniez notre pasteur, puisque le nôtre va nous quitter ». Je lui répondis que je ne pensais pas occuper de poste à demeure, mais voulais rester libre d’aller ici et là selon que Dieu me guiderait.

Le lundi soir, je prêchai à Shaldon à la place du frère Craik. Trois pasteurs se trouvaient dans l’auditoire. Aucun d’eux n’aima le sermon. Cependant, il plut à Dieu de s’en servir pour amener à la connaissance de son cher Fils Jésus, la servante de l’un de ces pasteurs. Les jugements de Dieu diffèrent tellement de ceux des hommes !

Comme étranger, j’avais bien des obstacles à surmonter, et l’un d’eux c’était de ne pas parler l’anglais couramment. Mais j’avais l’ardent désir de servir Dieu ; et qu’Il eût toute la gloire de mon travail, s’il Lui plaisait d’accorder à celui-ci quelque fruit. Or, j’ai remarqué que dès mes débuts, et aujourd’hui encore, sa puissance se manifeste dans ma faiblesse.

George Müller prêcha de nouveau les mardi, mercredi, vendredi et dimanche, à Teignmouth même, à Eben Ezer Chapel, et à Shaldon. Sa prédication, très appréciée par les uns, fut très critiquée par les autres. À son grand étonnement, il vit ses amis se ranger du côté de l’opposition. « Une seule explication semblait possible : Dieu voulait évidemment que je travaille à Teignmouth; mais comme Satan le redoutait, il se démenait pour y faire obstacle ». (Un nombre croissant de frères demandaient à G. Müller de rester ; mais les autres n’en persistaient pas moins dans la décision contraire).

« Cette opposition même me conduisit à vouloir demeurer à Teignmouth pour quelque temps ; c’est-à-dire aussi longtemps qu’on ne me mettrait pas en demeure de partir. Le mardi suivant, j’expliquai donc comment Dieu me guidait à prolonger mon séjour. Si les frères voulaient m’autoriser à prêcher sans me donner de salaire, je n’y voyais point d’inconvénients puisque je ne prêchais pas pour de l’argent. Toutefois, ajoutai-je c’était un privilège que de pouvoir contribuer aux besoins temporels des serviteurs de Christ.

« Je continuai donc de prêcher, sans que personne n’élève d’objections Quelques personnes partirent et ne revinrent plus ; d’autres partirent, qui revinrent par la suite ; d’autres enfin vinrent, qui n’étaient jamais venues jusque-là ; il était manifeste que Dieu bénissait mon activité…

Au bout de trois mois, toute la petite communauté, dix-huit personnes, me demandèrent de rester… Cela me prouva que Dieu les avait bénies par mon moyen. Leur invitation ne faisait que confirmer la direction divine, et j’acceptai tout en réservant l’avenir ; car je n’avais pas perdu l’espoir d’aller de lieu en lieu, selon que le Seigneur me conduirait. Jusque-là, deux frères avaient subvenu à mes besoins sans que je ne leur aie rien demandé. Maintenant la communauté m’offrait un traitement de treize cent soixante-quinze francs, somme qui fut augmentée par la suite ».

M. Müller s’installa donc à Teignmouth, ville située au sud du Devonshire, pays réputé pour sa beauté. Le jeune pasteur, loin de s’enfermer dans sa petite paroisse, allait prêcher une fois par semaine à Exeter, tous les quinze jours à Topsham, de temps à autre à Shaldon, souvent à Exmouth, ou dans les villages environnants, une fois par semaine à Bishopsteienton ; puis à Chudleigh, Collumpton, Newton Abbot et ailleurs.

C’est alors qu’il se trouvait à Sidmouth pour y prêcher, en avril 1830, que trois sœurs en Christ, dont l’une s’était fait baptiser, abordèrent devant lui la question du baptême pour lui demander son avis.

« Je ne vois pas la nécessité de me faire baptiser à nouveau, dis-je.

– Mais avez-vous été baptisé ? interrogea la sœur qui avait demandé le baptême.

– Oui, quand j’étais enfant.

– Avez-vous jamais étudié les Écritures sur ce point spécial, et prié à ce sujet ?

– Non je ne l’ai pas fait.

– Eh bien ! laissez-moi vous supplier de ne rien dire sur la question aussi longtemps que vous n’avez pas sondé la Parole de Dieu ».

II plut au Seigneur de me révéler l’importance de cette remarque, et dès que j’eus le temps, je me mis à étudier à fond la question, relisant le Nouveau Testament en entier, tout en priant Dieu constamment de m’éclairer. À peine avais-je commencé, que nombre d’objections se dressèrent devant moi ; objections que j’énumère ci-après.

Considérations sur le baptême

– Puisque de saints hommes de Dieu, des hommes éclairés, ne sont pas d’accord sur cette question, cela ne prouve-t-il pas qu’il est impossible d’arriver à une conclusion satisfaisante, dans l’état actuel de l’Église ?

À ceci je répondis : « Puisque le Saint-Esprit est le Guide des fidèles aujourd’hui comme autrefois, pourquoi n’arriverais-je pas à connaître la pensée du Seigneur sur ce point, telle qu’elle est révélée dans sa Parole ? »

– Très peu de mes amis sont baptisés, la plupart s’opposent au baptême des adultes, et si je me prononçais pour ce baptême, ils me tourneraient le dos.

À ceci je pus répondre : « Même si tous les hommes devaient m’abandonner, qu’importe ! pourvu que le Seigneur Jésus me recueille ».

– Si tu te fais baptiser, tu vas certainement perdre la moitié de ton traitement ».

Ici je me dis : « Aussi longtemps que je serai fidèle au Seigneur, Il ne permettra pas que je ne manque de rien.

– On va t’appeler un baptiste ; on te considérera comme l’un d’eux, et tu ne peux approuver toute leur manière de faire.

– Si je me fais baptiser, cela n’impliquera pas du tout que je doive suivre en tous points ceux qui pratiquent le baptême des adultes.

– Voilà plusieurs années que tu prêches. Te faire baptiser, c’est confesser publiquement que, jusqu’ici, tu as été dans l’erreur.

Ma réponse sur ce point fut celle-ci : qu’il valait mieux confesser une erreur que d’y persévérer.

– Même si le baptême des adultes est scripturaire, comme il doit suivre la conversion, il est trop tard pour te faire baptiser.

À cette objection, je répondis qu’il valait mieux obéir aux ordres du Seigneur tardivement, que de n’y point obéir du tout.

Il a plu au Seigneur dans sa grande miséricorde de me donner la volonté d’obéir aux enseignements de sa Parole dès que je les comprenais. Je poursuivis donc mon étude avec cette pensée bien arrêtée : je ferai sa volonté ; et c’est pour cela je pense, que je ne tardai pas à discerner celle-ci.

Je dirai en passant, que la Parole du Seigneur contenue dans l’évangile de Jean au chapitre 7 verset 17 : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra… » a été pour moi l’admirable commentaire de bien des doctrines et préceptes de notre très sainte foi, par exemple de ceux qui sont contenus dans ces passages : « Mais moi, je vous dis : Ne résistez pas au mal ; mais si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre ; et à celui qui veut plaider contre toi et t’ôter ta tunique, laisse-lui encore le manteau ; et si quelqu’un veut te contraindre de faire un mille, vas-en deux avec lui.

Donne à qui te demande, et ne te détourne pas de qui veut emprunter de toi. Vous avez ouï qu’il a été dit : «Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi». Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, [bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent], et priez pour ceux qui [vous font du tort et] vous persécutent » (Mat. 5. 39 à 44).

« Vendez ce que vous avez, et donnez l’aumône ; faites-vous des bourses qui ne vieillissent pas, un trésor qui ne défaille pas, dans les cieux, d’où le voleur n’approche pas, et où la teigne ne détruit pas » (Luc 12. 33).

« Ne devez rien à personne, sinon de vous aimer les uns les autres » (Rom. 13. 8).

On peut dire de ces passages : Mais ils ne doivent pas être pris au pied de la lettre ! Autrement, comment les enfants de Dieu pourraient-ils vivre ici-bas ? La disposition intérieure que le Seigneur réclame (Jean 7. 17) fait tomber ces objections. Quiconque veut conformer sa vie aux commandements du Seigneur, verra comme moi, je pense, que la volonté de Dieu est bien qu’on les accepte littéralement.

L’obéissance entraîne parfois de grandes difficultés : épreuves douloureuses pour la chair ; mais celles-ci ont l’avantage de rappeler au chrétien qu’il est ici-bas étranger et voyageur, et que ce monde n’est pas sa patrie. Enfin, la façon de vivre que comporte l’obéissance, ramène constamment au Père céleste son enfant ; le Père secourt toujours celui-ci dans toutes les épreuves qu’entraîne l’obéissance à ses commandements.

Ayant pris la résolution d’obéissance dès que la lumière se ferait pour moi, je ne fus pas long à discerner que le baptême est pour les croyants, et que le mode scripturaire d’application est le baptême par immersion.

Le passage qui me convainquit plus particulièrement se trouve au livre des Actes : « Et comme ils continuaient leur chemin, ils arrivèrent à une eau, et l’eunuque dit : Voici de l’eau, qu’est-ce qui m’empêche d’être baptisé ? Et il donna l’ordre qu’on arrêtât le char, et ils descendirent tous deux à l’eau, et Philippe et l’eunuque ; et [Philippe] le baptisa » (Act. 8. 36 et 38), et celui qui m’aida le plus sur le second point se trouve dans l’épître aux Romains : « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés pour le christ Jésus, nous avons été baptisés pour sa mort ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême, pour la mort, afin que comme Christ a été ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, ainsi nous aussi nous marchions en nouveauté de vie. Car si nous avons été identifiés avec lui dans la ressemblance de sa mort, nous le serons donc aussi [dans la ressemblance] de [sa] résurrection » (Rom. 6. 3 à 5). Je fus donc baptisé peu après, ce qui me communiqua une grande paix. Depuis, je n’ai jamais regretté la décision prise.

De la communion

À cette même époque, l’été de l’année 1830, George Müller jugea convenable, pour se conformer à l’exemple apostolique, de célébrer la cène tous les dimanches (Act. 20. 7).

Il lui parut aussi nécessaire que les fidèles, guidés par le Saint-Esprit (lequel emploie qui II veut), eussent la possibilité d’exhorter ou d’enseigner, s’ils avaient quelque chose à communiquer à l’Assemblée. En conséquence, il donna la liberté de parole dans certaines réunions, en se basant sur les passages ci-après : Éphésiens 4, Romains 12.

« Mais, dit-il à ce sujet : Comme je n’avais compris qu’imparfaitement la pensée du Seigneur, la chose ne fut pas sans entraîner dans la pratique certaines difficultés. Aujourd’hui, bien des années après, je dis avec une entière certitude que les disciples de Jésus doivent se réunir le premier jour de la semaine pour rompre le pain. Ce doit être là leur principale réunion.

Si à cette occasion, un ou plusieurs frères vraiment qualifiés par le Saint-Esprit pour son service : exhortation, enseignement, directions, désirent prendre la parole, ils doivent le faire ; ils sont responsables envers Dieu de l’exercice des dons reçus » (Voir à l’Appendice).

Cette même année 1830, après un temps de prière et d’examen personnel, j’arrivai à la conviction qu’il était préférable pour moi d’être marié… Et je veux dire ici à Dieu toute ma reconnaissance de ce qu’Il m’a fait trouver en Miss Mary Groves (la sœur du dentiste d’Exeter dont j’ai déjà parlé), la compagne désirée.

Voici comment la chose se fit : lorsque je quittai Londres, à la fin de l’année 1829, un frère en Christ me remit une carte pour Miss Paget, d’Exeter, chrétienne bien connue, afin que j’aille la voir.

Lorsque je rencontrai cette dame, elle me demanda d’aller prêcher à Poltimore, petit village près d’Exeter, le dernier mardi de janvier 1830, dans le local qu’elle avait aménagé elle-même, et où Mr Groves avait prêché une fois par mois, avant de partir comme missionnaire à Bagdad. J’acceptai cette offre avec empressement.

Comme je me levais pour prendre congé, elle me remit l’adresse d’un Mr Hake, chez qui je pourrais descendre en arrivant de Teignmouth. Ce monsieur dirigeait une pension pour jeunes enfants à Northernhay-House, l’ancienne résidence de Mr A.N. Groves.

Au jour dit, je frappai à la porte de Mr Hake. Sa femme était malade depuis longtemps, et c’était Miss Groves qui dirigeait la maison. Après ma première prédication à Poltimore, on m’invita à revenir le mois suivant ; j’acceptai. Cette seconde visite me valut une invitation à prêcher tous les huit jours à Exeter, de sorte que chaque semaine, je descendais chez Mr Hake.

Jusque-là, j’avais à peu près décidé de ne pas me marier, afin d’avoir toute la liberté de déplacements nécessaire pour le service du Seigneur. Mais après quelques mois d’expérience pastorale, j’avais compris qu’il était préférable qu’un jeune pasteur de moins de vingt-cinq ans fût marié.

Alors que je songeais à cela, Miss Groves se présenta à ma pensée. Mais comment priver Mr Hake de l’aide capable et dévouée dont il avait tant besoin ?

Cependant, j’avais quelques raisons de croire que Miss Groves m’aimait. Je pouvais donc faire ma demande ; même si cela devait sembler égoïste à mon cher ami, Mr Hake. Dieu ne pouvait-il pas lui faire trouver une autre personne qui remplacerait Miss Groves ?

Après avoir prié, j’écrivis à celle-ci, et quelques jours plus tard, comme je passais chez Mr Hake en me rendant à Exeter, elle agréa ma demande. La première chose que nous fîmes, fut de tomber à genoux tous deux pour implorer la bénédiction de Dieu sur nos projets d’union.

Deux ou trois semaines plus tard, en exaucement de nos prières, le Seigneur nous faisait trouver la personne qui pouvait diriger l’intérieur de Mr Hake ; et notre mariage eut lieu peu après : le 7 octobre. Ce fut une cérémonie extrêmement simple.

Nous nous rendîmes à l’église à pied, et il n’y eut pas de grand repas de noces. Mais dans l’après-midi, quelques amis chrétiens se réunirent chez Mr Hake, et ensemble nous commémorâmes la mort du Seigneur. Le lendemain nous prenions la diligence pour Teignmouth.

Miss Groves avait reçu une excellente éducation et une bonne instruction ; elle possédait bien le français, avait commencé le latin et l’hébreu. C’était une artiste : elle peignait joliment, et était bonne musicienne. Mais surtout, et c’était ici la chose essentielle, elle aimait Dieu et n’avait qu’une ambition : Le servir. Enfin, elle était douée dans tous les travaux d’intérieur, et en particulier les travaux à l’aiguille.

Peu après notre mariage, je commençai à éprouver quelque incertitude au sujet du traitement que je recevais. Avais-je le droit de l’accepter ? Il était constitué par la location des bancs de la chapelle. Or cette location était manifestement contraire à l’enseignement de la Parole de Dieu, puisque le frère pauvre ne pouvait se payer une aussi bonne place que le riche (Jac. 2. 1 à 6).

La redevance pour les bancs était perçue chaque trimestre, à date fixe. Le frère pauvre pouvait être gêné, et ne l’acquitter que difficilement ; il ne pouvait donc donner joyeusement comme Dieu le demande. Je savais qu’il en était bien ainsi pour plusieurs. Et puis, cette location de bancs pouvait devenir un piège pour le pasteur. Je m’en étais aperçu lorsque la question du baptême s’était posée pour moi, et que les trente livres sterling versées par l’un des membres m’avaient fait hésiter un instant.

Pour toutes ces raisons, je décidai d’y renoncer, et j’annonçai ma résolution fin octobre après avoir lu le chapitre quatrième de l’épître aux Philippiens. Si les saints voulaient m’assister par des dons volontaires en argent ou en nature, je les accepterais volontiers, si minimes qu’ils soient. Pour simplifier toutes choses, et afin que les pauvres n’hésitent pas à apporter quelques sous, privilège dont ils ne devaient pas être privés ; aussi pour que les riches se sentent libres de donner davantage en gardant l’anonymat, je plaçai un tronc à l’entrée de la chapelle pour y recevoir les offrandes.

Dans le même temps je compris que je ne devais exposer mes besoins qu’à Dieu. De chers frères et sœurs m’avaient demandé de leur en faire part, sachant que mes frais de voyages pour annoncer l’Évangile dépassaient ce que je recevais ; et je m’étais laissé aller à m’appuyer sur eux. Désormais, je résolus qu’il n’en serait plus ainsi. Mais pour prendre cette décision devant Dieu, il me fallut le secours de plus de grâce que pour renoncer à mon traitement.

C’est à peu près à cette époque que le Seigneur nous communiqua, à ma femme et à moi, une provision suffisante de sa grâce pour obéir littéralement à l’ordre de Jésus : « Vendez ce que vous avez, et donnez l’aumône » (Luc 12. 33). En cette occurrence, nous nous sommes appuyés surtout sur les versets 19 à 34 du chapitre 6 de l’évangile selon Matthieu, et sur les versets 13 et 14 du chapitre 14 de l’évangile selon Jean. Nous avons mis toute notre confiance dans le Seigneur…

Dans sa grande bonté, Dieu nous a aidés à rester fidèles à ces décisions prises sous son regard. Cette obéissance à ses commandements nous a permis de contempler son merveilleux amour ; nous avons fait l’expérience des soins qu’Il prend de ses enfants jusque dans les plus petites choses ; enfin nous avons constaté comme jamais encore auparavant « qu’il entend la prière ».

Je donne ci-après quelques faits qui montrent comment il plut au Seigneur d’agir avec nous…

Le 18 novembre 1830, il ne nous restait plus que huit shillings à peu près. Le matin de ce jour, tandis que nous priions, ma femme et moi, le Seigneur me rappela l’état de ma bourse, de sorte que je lui demandai de m’envoyer de l’argent.

Quelque quatre heures après, je me trouvais à Bishopsteignton chez une sœur qui me dit : « Avez-vous besoin d’argent ? » Je répondis à sa question en lui rappelant qu’après avoir abandonné mon traitement, j’avais décidé de ne dire mes besoins qu’au Seigneur.

« Il m’a dit de vous donner quelque chose, reprit-elle ; c’est là ce qu’Il m’a répondu il y a une quinzaine de jours alors que je lui demandais ce que je pourrais faire pour Lui ; dimanche dernier, la chose m’est revenue à la pensée avec force, et hier je n’ai pu m’empêcher de m’en ouvrir au frère P. ».

Mon cœur était rempli de joie en constatant la fidélité de Dieu, mais il me sembla qu’il valait mieux ne pas dire à cette chère sœur où nous en étions, de peur que cela n’influence son don. J’étais d’ailleurs certain que si la pensée venait de Dieu, elle ne pourrait faire autrement que de la mettre à exécution. Je détournai donc le sujet ; mais quand je partis, elle me remit deux guinées. J’invite le lecteur à bien vouloir admirer avec moi la bonté du Seigneur. Il ne permit pas, au début, que notre foi fût mise à une trop rude épreuve, mais Il nous fit comprendre sa volonté expresse de toujours nous aider.

Au commencement de décembre, je me rendis à Collumpton où je prêchai à plusieurs reprises, ainsi que dans un village des environs. Durant le voyage de retour, tard dans la nuit, le conducteur perdit son chemin. Aussitôt que nous découvrîmes notre erreur, et comme nous étions alors tout près d’une maison, il me vint à la pensée que Dieu avait permis ce détour pour quelque raison. Donc, après avoir réveillé les gens, j’offris à l’homme de lui donner quelque chose s’il voulait nous remettre sur la bonne route.

Il vint. Je marchai avec lui devant le cabriolet, et je me mis à lui parler de Dieu, ce qui me fit découvrir en mon compagnon un effroyable renégat. Que Dieu daigne dans sa bonté bénir les paroles que je lui ai adressées cette nuit-là. Huit ans après, l’homme qui nous avait servi de guide vint me trouver et en se présentant à moi me dit qu’il était devenu chrétien, et avait reçu ses premières impressions alors que je lui prêchais la Parole. Que le Seigneur veuille bien nous enseigner par-là, lorsqu’Il permet certaines circonstances, et nous demander pourquoi ? Que ce fait encourage les chrétiens à semer sans se lasser, même s’ils ne doivent voir la moisson que huit ans après.

Noël était passé, nous approchions du Nouvel An et je n’avais plus que quelques shillings. Je demandai à Dieu qu’il veuille bien m’envoyer davantage. Quelques heures après, un frère arrivait d’Axminster et nous donnait vingt-cinq francs.

Cet homme avait entendu dire bien des choses défavorables sur mon compte, ce qui l’avait décidé à venir se renseigner sur place, donc à entreprendre le voyage de Teignmouth situé à quelque cinquante-quatre kilomètres de chez lui. Ayant appris de quelle manière nous vivions, il était venu jusque chez nous pour nous donner cette livre sterling.

Ainsi se termina l’année 1830, durant laquelle Dieu subvint généreusement à tous nos besoins, bien qu’au début je n’aie pas même eu l’assurance, humainement parlant, de recevoir un seul shilling. Je n’ai donc rien perdu dans le domaine temporel en obéissant aux ordres de ma conscience, bien au contraire ; et dans le domaine spirituel, j’ai été abondamment béni ; bien plus, Dieu a daigné se servir de moi pour faire son œuvre.

Les 6, 7 et 8 janvier 1831, j’avais demandé à Dieu à plusieurs reprises de me donner de l’argent et l’exaucement ne se produisait pas. Le 8 au soir, je quittai ma chambre, et durant quelques minutes je fus tenté de douter de Dieu, bien que jusque-là Il eût satisfait à tous mes besoins. J’allai même jusqu’à me dire qu’il était inutile de se confier en Lui de la manière que j’avais fait, et me demandai si je n’étais pas allé trop loin dans l’obéissance…

Mais, grâces soient rendues à Dieu. Cela ne dura que quelques minutes. Le Seigneur m’aida à regarder à nouveau à Lui, et Satan fut confondu. Lorsque je rentrai dans ma chambre d’où j’étais sorti depuis dix minutes à peu près, la délivrance avait été accordée. Une « sœur » d’Exeter était venue à Teignmouth et nous apportait quarante-cinq francs.

Le 10 janvier, il ne nous restait plus grand chose lorsque le contenu du tronc nous fut apporté : il se montait à cent vingt-cinq francs. J’avais demandé une fois pour toutes, à ceux qui avaient la charge de cette offrande, de me l’apporter chaque semaine ; mais comme les chers frères oubliaient de le faire, ou bien qu’ils avaient honte d’apporter d’aussi petites sommes, la boîte n’était vidée que toutes les trois, quatre ou cinq semaines.

Comme je leur avais dit que je ne mettais pas ma confiance en l’homme, non plus que dans le tronc qui recevait les offrandes, mais dans le Dieu vivant, je craignais d’affaiblir mon témoignage en leur rappelant de m’apporter chaque semaine le montant des dons. Ainsi, le 28, bien que nous n’ayons plus eu grand-chose à la maison et que j’aie vu les frères vider le tronc le 24, je ne voulus pas demander la petite somme à celui qui l’avait emportée, et préférai demander au Seigneur d’incliner son cœur à me la donner. Presque aussitôt, il nous l’apportait soit une livre sterling, six pence.

Jeudi dernier, j’ai accompagné frère Craik à Torquay pour la prédication. Je n’avais pris que trois shillings avec moi et en avais laissé six à ma femme. Le Seigneur inclina le cœur d’un frère à nous offrir des lits. Quand je revins à la maison, ma femme n’avait plus que trois shillings et rien n’était arrivé, bien que j’aie dit à plusieurs reprises nos besoins au Seigneur.

Samedi passa, toujours rien ! Il ne nous restait plus que neuf pence (un franc). Ce matin, dimanche 12 juin nous priâmes encore et attendîmes la délivrance. Il n’y avait plus qu’un peu de beurre pour le déjeuner, assez pour frère E. et un parent qui vivaient sous notre toit, et à qui nous n’avions rien dit pour qu’ils n’en éprouvent point de gêne.

Aussitôt après le service du matin, frère Y. ouvrit le tronc et m’en donna immédiatement le contenu ; deux choses qui n’étaient pas habituelles. Mais il m’expliqua que sa femme et lui n’avaient pu dormir la nuit précédente parce qu’ils avaient été poursuivis par l’idée que peut-être nous étions dans le besoin. Or, après avoir prié à plusieurs reprises sans avoir eu de réponse, j’avais demandé au Seigneur de faire sentir au frère Y. que nous avions besoin d’argent pour qu’il soit amené à ouvrir le tronc.

Il s’y trouvait une livre, huit shillings, dix pence et demi, soit une quarantaine de francs. Nous avons eu une grande joie de cette nouvelle délivrance, et louons Dieu de tout notre cœur.

Le 9 août, Mme Müller donna le jour à un bébé mort-né, et elle fut gravement malade pendant les six semaines qui suivirent. Dans son journal, nous voyons que George Müller se reprocha vivement de n’avoir pas pensé aux dangers que comportait la maternité, et de ne pas avoir prié avec plus d’ardeur pour sa femme. De plus, il se rendit compte qu’il n’avait pas envisagé comme une bénédiction la perspective de la paternité, qu’au contraire il y avait vu une charge et un obstacle au service du Seigneur.

Ce fut une leçon très sévère, qui lui fit voir combien son cœur était encore égoïste et charnel ». Il comprit aussi que ce châtiment était nécessaire pour lui révéler la sainteté du mariage et la responsabilité des parents. Il se jugea sévèrement lui-même pour n’être pas jugé (1 Cor. 11. 31).

La maladie de Mme Müller entraînait des dépenses inaccoutumées et, par principe, M. Müller n’avait rien mis de côté, ce qui, dans sa pensée, eût été un manque de confiance en Dieu. Il lui fut fait selon qu’il avait cru : Dieu pourvut à tout ce qu’il fallait, même à l’imprévu, et Mme Müller pu jouir des douceurs et du régime spécial, nécessaires aux malades et aux convalescents ; enfin les deux médecins qui avaient prodigué leurs soins durant six semaines déclinèrent leurs honoraires. C’est ainsi que George Müller reçut de Dieu beaucoup plus qu’il n’aurait pu se procurer avec les économies qu’il aurait pu réaliser (A. Pierson).

20 juillet. Nous avons reçu d’un donateur inconnu une épaule de mouton et un pain… Il paraît (je l’appris par la suite) que Satan faisait courir le bruit que nous mourions de faim, ce qui poussa un frère à nous envoyer ces provisions sous le couvert de l’anonymat. Comme on a dit bien des choses sur notre manière de vivre : que nous n’avions pas de quoi manger à notre faim, qu’un régime insuffisant était la cause des maladies dont nous avions souffert, je tiens à déclarer ici que s’il est arrivé que nous soyons sans le sou, et que nous ayons eu sur la table le dernier pain, cependant il n’est jamais arrivé qu’en nous mettant à table nous ayons manqué de nourriture substantielle.

Je me sens obligé de dire cela et je le dis avec joie. Mon Maître a toujours montré une grande bonté envers moi ; et si aujourd’hui j’avais à choisir à nouveau la meilleure façon de vivre, et que Dieu m’en fît la grâce, je choisirais à nouveau comme je l’ai fait. Bien que ces bruits au sujet de notre indigence aient été faux, je ne doute pas que Dieu s’en soit parfois servi pour placer sur le cœur de ses enfants nos besoins temporels.

19 novembre. Nous n’avions pas de quoi payer notre loyer hebdomadaire, mais le Seigneur nous a envoyé aujourd’hui quatorze shillings, six pence (dix-neuf francs à peu près). Je ferai remarquer que nous ne faisons jamais de dettes, ce que nous croyons être contraire à l’enseignement de l’Écriture. « Ne devez rien à personne, sinon de vous aimer les uns les autres, car celui qui aime les autres a accompli [la] loi » (Rom. 13. 8).

Nous n’avons donc pas de comptes chez le tailleur, le cordonnier, l’épicier, le boucher, le boulanger, etc…, nous payons comptant tout ce que nous achetons. Nous préférerions souffrir de privations plutôt que de contracter une dette. Nous savons donc toujours exactement ce que nous avons, et ce que nous avons le droit de donner. Que l’enfant de Dieu qui lira ces lignes veuille bien étudier cette question avec prière.

Je sais que bien des épreuves surviennent aux chrétiens du fait qu’ils ne se conforment pas à l’enseignement donné à ce sujet, au chapitre 13 de l’épître aux Romains.

27 novembre. Jour du Seigneur. Nous n’avions plus que trente centimes, et c’est à peine si le pain pouvait suffire pour la journée. J’avais exposé à plusieurs reprises nos besoins à Dieu. Après déjeuner, en rendant grâces, je demandai au Seigneur notre pain quotidien, pensant littéralement au pain nécessaire pour le dîner.

Pendant que je priais ainsi, on frappa à la porte. Lorsque j’eus achevé de prier, une sœur pauvre entra, qui nous apportait une partie de son repas et cinq shillings de la part d’une tierce personne. Dans l’après-midi, elle revenait avec un gros pain. Ainsi le Seigneur ne nous donnait pas seulement le pain, mais aussi de l’argent.

En lisant ces récits d’exaucements de la prière, le lecteur supposera peut-être que j’ai une capacité spirituelle qui dépasse la moyenne, et que c’est pour cela que Dieu nous témoigne sa faveur. Mais la véritable raison, c’est que, si nous mettons notre vie d’accord avec la pensée du Seigneur, nous sommes bénis et en bénédiction.

Or, nous conformons notre vie à ce qu’Il demande, et II prend plaisir à voir ses enfants aller à Lui (Mat. 6) ; aussi, bien que je sois faible et que je puisse errer en bien des choses, Il me bénit sur ce point particulier, et je ne doute pas qu’Il continue de me bénir, aussi longtemps qu’Il me rendra capable de faire sa volonté.

Le 31 décembre 1831, nous avons jeté un regard sur l’année écoulée, repassant en nos cœurs les bontés de Dieu à notre endroit, et la manière dont Il avait subvenu à tous nos besoins. À cette date il nous restait dix shillings (douze francs cinquante) ; mais Dieu réclama cette petite somme, de sorte qu’il ne nous resta rien.

Ainsi se termina l’année durant laquelle nous n’avions rien demandé à personne ; le Seigneur avait pris soin de nous, et nous avait envoyé exactement cent trente et une livres, dix-huit shillings, huit pence.

De plus nous avions reçu en nature, des provisions et des vêtements, pour une valeur de vingt livres sterling. Si je mentionne ces détails, c’est pour montrer que nous ne perdons jamais rien, lorsque nous obéissons à Dieu. Si j’avais eu mon traitement régulier, je n’aurais pas touché autant. Même si un traitement régulier m’avait donné autant, il est clair que je n’ai pas servi un Maître dur et sévère ; et j’ai la plus grande joie à le souligner. Car le but de ces lignes, c’est de magnifier son Nom, afin que mes compagnons de pèlerinage puissent être encouragés à se confier en Lui.

7 janvier 1832. Nous avons demandé à plusieurs reprises au Seigneur, aujourd’hui et hier, de subvenir à nos besoins temporels, pour que nous puissions payer notre loyer hebdomadaire. À onze heures du soir, un frère nous a apporté dix-neuf shillings, six pence…

14 janvier. Ce matin nous n’avons eu que du pain, sans rien d’autre, avec notre thé. C’est la seconde fois que cela arrive depuis que nous vivons uniquement par la foi en Jésus. Nous avons quarante livres sterling à la maison pour deux billets à échéance assez éloignée, mais cet argent n’est pas à nous et nous préférerions souffrir que d’y toucher.

Je bénis Dieu qui m’aide à être plus fidèle en ces choses que je ne l’étais autrefois. Autrefois, j’aurais disposé de cet argent en me disant que j’avais bien le temps de le rendre avant l’échéance. Aujourd’hui je préfère regarder à mon Père céleste. Et Il n’a pas permis que je sois déçu. Nous avons effectivement reçu deux shillings, puis cinq. Il serait trop long de dire comment ces dons nous furent apportés en réponse à la prière, alors que nous n’avions plus que trente centimes et un petit morceau de pain.

18 février. Guérison par la foi. Cet après-midi, j’ai eu une forte hémorragie de l’estomac ; j’ai perdu beaucoup de sang. Aussitôt après, je me suis senti très particulièrement heureux.

19 février. Ce matin, jour du Seigneur, deux frères vinrent pour me demander ce qu’il fallait décider : quelques frères avaient l’habitude d’aller prêcher dans quatre villages des environs, mais ce matin, l’un d’eux devait rester pour me remplacer, que faire ? Je leur demandai de bien vouloir revenir dans une heure pour ma réponse.

Le Seigneur me donna alors assez de foi pour me lever et m’habiller, et je décidai que j’irais à la chapelle. Je reçus les forces suffisantes pour m’y rendre. C’était tout près ; cependant j’étais encore si faible que je dus faire appel à toute mon énergie pour aller jusque-là. Dieu aidant, j’ai pu prêcher d’une voix forte comme d’habitude, et aussi longtemps.

À l’issue du service, un médecin de mes amis vint me trouver et me supplia de ne pas recommencer l’après-midi ; il craignait que cela n’ait de graves répercussions. Je lui répondis que moi aussi, j’aurais pensé commettre une grande imprudence, si le Seigneur ne m’avait pas donné la foi suffisante pour l’action. L’après-midi je prêchai à nouveau, et cet ami revint pour m’adjurer de me soigner et de ne pas prêcher encore le soir. Toutefois ayant la foi suffisante pour le faire, je prêchai à nouveau pour la troisième fois, me sentant plus fort après chacun des services, ce qui montrait surabondamment que Dieu me conduisait.

23 février. Je me sens maintenant aussi bien qu’auparavant. (En publiant les détails ci-dessus, je tiens à avertir le lecteur qu’il ne doit pas m’imiter en cette matière, s’il n’a pas la foi). Mais s’il l’a, qu’il agisse en conséquence, et Dieu répondra sûrement à sa confiance. Je ne puis affirmer que si la chose se reproduisait, je recommencerais moi-même. Il m’est arrivé depuis d’être bien moins faible que je ne l’étais à ce moment-là, et de ne pas prêcher, parce que je manquais de foi. Toutefois, s’il plaisait au Seigneur de me communiquer à nouveau celle-ci, je serais prêt à agir en conséquence, même dans un état de faiblesse plus grande encore.

C’est à cette époque que je me mis à prier sans conditions pour les enfants de Dieu malades, afin qu’ils reçoivent la bénédiction de la santé (chose qu’aujourd’hui je ne ferais plus) et presque toujours je fus exaucé. Déjà à Londres, en 1829, j’avais été guéri d’une infirmité physique dont je souffrais depuis longtemps, en réponse à la prière ; et cette infirmité n’a jamais reparu depuis.

Je m’explique ainsi ces faits : c’est qu’il plut au Seigneur de me communiquer en ces occasions un don de foi ; de sorte que je pouvais Lui exposer mes requêtes sans aucune condition restrictive et attendre les réponses. Il me semble que la différence entre le don et la grâce de la foi est celle-ci : par le don de la foi, je suis rendu capable de faire une chose ou de la croire ; mais il n’y a pas de péché, si je n’agis pas en conséquence et si je ne crois pas.

Quant à la grâce de la foi qui nous rend capable de faire une chose, ou de croire qu’elle s’accomplira, elle est basée sur la foi apprise à l’école de Dieu, et il y aurait péché à ne pas agir en conséquence ou à ne pas croire. Ainsi il faut un don de foi pour croire qu’une personne très malade et perdue à vues humaines va recouvrer la santé, car il n’y a pas de promesses à ce sujet ; mais pour croire que Dieu me donnera tout ce qui est nécessaire à cette vie, si je cherche premièrement le royaume de Dieu et sa justice, il suffit que j’exerce la grâce de la foi, car la promesse existe dans l’Écriture (Mat. 6. 33).

Craignant que sa manière de vivre au jour le jour ne fût décriée – et presque certainement elle l’était, G. Müller écrivit à ce propos ce qui suit :

« Qu’on ne s’imagine pas que de vivre comme je le fais éloigne de Dieu ou des choses spirituelles, et que cela remplisse la pensée de préoccupations matérielles : « Ne soyez donc pas en souci, disant : Que mangerons-nous ? ou que boirons-nous ? ou de quoi serons-nous vêtus ? » (Mat. 6. 31) Qu’on ne dise pas que le traitement est préférable, surtout pour le serviteur de Dieu, qui est ainsi gardé des soucis matériels. Bien au contraire ! Ma conviction est tout autre ; et je demande qu’on veuille bien lire avec attention et prière le résultat de mes expériences :

« Ayant vécu de l’une et l’autre manières, je sais que celle que j’ai adoptée en obéissance aux commandements de Dieu comporte moins de soucis.

« Je regarde uniquement au Seigneur pour mes besoins temporels, ce qui me permet (aussi longtemps que j’exerce la foi) de venir au secours de la misère lorsqu’elle frappe à ma porte, ou d’envoyer quelque don en argent quand l’œuvre du Seigneur le demande. Autrement, je ne pourrais pas éviter de me poser ces questions : mon traitement peut-il y suffire ? Aurai-je suffisamment moi-même le mois prochain ? etc… Libre de tout traitement, je puis généralement me dire ceci ou quelque chose d’approchant : « Mon Dieu n’est pas limité ; Il peut m’envoyer une nouvelle provision ; II sait bien qu’on m’a envoyé cette détresse à secourir ».

Je dis donc qu’au lieu d’entraîner des soucis, cette façon de vivre est celle qui en préserve. En vérité, il est arrivé à certains individus de me dire « Vous pouvez bien faire telle ou telle chose, puisque vous n’avez pas besoin de mettre de côté ; toute l’Église du comté de Devonshire pense à vos besoins ». Ce à quoi j’ai répondu : « Le Seigneur peut employer non seulement les saints du Devonshire pour subvenir à mes besoins, mais aussi ceux du monde entier… »

« Dieu s’est souvent servi de cette dépendance absolue de Lui, pour renouveler en mon cœur l’œuvre de sa grâce aux époques de langueur spirituelle. Elle a été aussi le moyen qu’Il a employé pour me ramener, quand je m’éloignais de Lui. Il est manifeste qu’il est impossible de vivre dans le péché, et de conserver en même temps cette communion avec Dieu qui obtient tout ce qui est nécessaire à l’exercice d’une complète dépendance.

« Il est arrivé fréquemment qu’un exaucement a vivifié mon âme et l’a remplie de joie ».

Ch. 6. À Bristol

C’est à Teignmouth que George Müller avait fait la connaissance du pasteur Henry Craik, un fidèle serviteur du Christ et un ardent prédicateur de l’Évangile. Il y avait entre ces deux chrétiens de nombreux points de ressemblance, bien que leurs mentalités et leurs caractères aient été très différents.

Tous deux avaient à peu près vingt-quatre ans lorsqu’ils se rencontrèrent pour la première fois ; tous deux avaient fait des études universitaires, l’un en Allemagne, l’autre en Écosse ; tous deux aimaient l’hébreu et en poursuivaient l’étude ; tous deux avaient été amenés à Christ durant leur séjour à l’Université. Toutefois ce qui scella leur amitié, ce fut tout autre chose : il y avait chez l’un et l’autre un ardent amour pour Christ. Ce fut cet amour remplissant leurs cœurs qui les unit l’un à l’autre (Warnes).

« Entre juillet 1829 et janvier 1830, écrit G. Müller, j’avais discerné les grandes vérités scripturaires relatives au retour du Seigneur – à la Bible, seul code de vie pour le chrétien, au Saint-Esprit, seul Guide qui enseigne la vérité.

C’est à cette époque que j’avais discerné la très précieuse doctrine de la grâce (laquelle j’ignorais encore quatre ans après ma conversion) et avais compris la vocation céleste de l’Église de Christ, ainsi que la position qui en résultait pour le chrétien ici-bas. Or, c’étaient là les vérités qui remplissaient aussi le cœur de M. Craik ; de sorte que nous nous sentions fortement attirés l’un vers l’autre. Et depuis lors, jusqu’au moment de son départ pour être avec Christ, c’est-à-dire durant trente-six ans, rien ne vint jamais assombrir ou diminuer notre amitié ».

C’est en 1829, qu’un gentleman de Bristol, Mr Chapman, était venu s’installer à Teignmouth, avec sa femme pour y trouver un changement d’air. Il entendit prêcher M. Craik à l’église baptiste de Shaldon, et fut tellement attiré vers le jeune pasteur qu’il l’invita, par la suite, à Bristol.

Les invitations se succédèrent, mais M. Craik ne pensait pas que Dieu l’appelât à quitter Shaldon. En 1831, vers la fin de l’année, il reçut de M. Chapman une nouvelle et pressante invitation ; cette fois il s’y rendit, et passa une quinzaine de jours à Bristol, prêchant en plusieurs endroits. Après cette visite, M. Chapman insista plus que jamais pour l’installation définitive de frère Craik à Bristol ; mais la maladie de Mrs Craik l’empêcha d’accepter. En février 1832 celle-ci mourut. Brisé par l’épreuve de la séparation, invité à nouveau, M. Craik partit, laissant à George Müller le soin de le remplacer à Shaldon pendant cette nouvelle absence (F.G. Warne).

Nous lisons dans le journal de G. Müller à la date du 13 avril : à mon retour de Torquay où j’étais allé prêcher, j’ai trouvé une lettre de frère Craik. Il me presse de le rejoindre à Bristol, et, d’après ce qu’il écrit, j’ai l’impression que je serais mieux à ma place là-bas qu’ici. « Seigneur, montre-moi la voie !… » Je crains qu’il n’y ait quelque chose de charnel dans la pensée de ce départ possible…

14 avril. J’ai répondu au frère Craik que je partirais si le Seigneur le voulait… Je me sens pressé d’avertir les frères à ce sujet ; ce qu’ils diront m’aidera peut-être à discerner la pensée du Seigneur. En tout cas, ils prieront pour moi.

15 avril. Jour du Seigneur. Aujourd’hui j’ai de nouveau prêché sur la seconde venue de Christ. J’ai souvent traité ce sujet, et cette fois-ci j’ai dit aux frères les impressions que j’avais reçues lorsqu’on l’aborda devant moi pour la première fois ; et comment j’avais été amené à quitter Londres pour prêcher de lieu en lieu. Après plus de deux ans passés à Teignmouth, il me semblait que l’heure du départ avait sonné.

Je leur rappelai qu’en m’installant au milieu d’eux, je n’avais pris aucun engagement quant à la durée de mon séjour. Il y eut bien des larmes versées, mais la paix est rentrée dans mon cœur ; et il n’en aurait pas été ainsi si ma décision n’avait pas été selon Dieu… Je ne sais pas encore où je porterai mes pas. Je pense à Torquay où je pourrais peut-être rester un mois, puis j’irai plus loin. J’ai bien écrit à mon ami que je voyagerais jusqu’à Bristol ; mais je pense n’y rester que quelques jours.

16 avril. La paix habite toujours en mon cœur. Je suis heureux d’avoir parlé aux frères comme je l’ai fait, de sorte qu’ils seront prêts si le Seigneur me conduit ailleurs. N’ayant presque plus d’argent, devant bientôt quitter Teignmouth, j’ai demandé à Dieu de bien vouloir m’envoyer les fonds nécessaires ; or, dans les quatre heures qui suivirent et de six endroits différents, je reçus trois livres, sept shillings, six pence ; et peu après, je pouvais partir pour Dartmouth où je prêchai le même soir.

18 avril. Je suis encore à Dartmouth. J’ai prêché ce soir à nouveau devant un grand auditoire, et le Seigneur m’a particulièrement soutenu. J’ai écrit au frère Craik que, Dieu voulant, je serai avec lui à Bristol le 21.

20 avril. J’ai prêché à Exeter à trois heures et jusqu’à quatre heures et demie ; puis à cinq heures je suis reparti pour Taleford, où j’ai prêché à nouveau le même soir. J’ai l’impression d’avoir manqué de puissance à Exeter et ici. Cependant les frères ont été fortifiés. Personnellement, je me sentais très fatigué, aussi n’avais-je pu me préparer beaucoup par la prière. Je me suis couché à 11 heures, épuisé.

21 avril. Levé de bonne heure, j’ai assisté à une réunion de prière qui se tient de cinq heures moins le quart à six heures moins le quart, et j’y ai pris la parole. Ensuite, avec d’autres frères, j’ai de nouveau prié et lu les Écritures.

À 10 heures, je pris la voiture pour Bristol… Durant le parcours, j’ai manqué de fidélité : je n’ai pas dit un seul mot pour le Seigneur. Aussi me suis-je senti malheureux. Cela m’a montré à nouveau ma faiblesse. Et cependant, pendant le voyage la veille, mon témoignage avait été en bénédiction : quelques-uns de mes compagnons avaient accepté la Parole de Dieu, et les autres avaient dû l’écouter. Aujourd’hui je n’ai pas distribué un seul traité ; et cependant mes poches en étaient pleines ! Oh ! misérable que je suis !

22 avril. Prêché ce matin à Bristol à « Gideon Chapel ». Bien que ce sermon ait provoqué de faux rapports, il a plu au Seigneur de le bénir pour plusieurs, et de se servir même des faux rapports pour amener des âmes à venir entendre sa Parole. L’après-midi, j’ai prêché à « Pithay Chapel », sermon béni pour beaucoup d’âmes ; bien des gens vinrent par la suite nous entendre prêcher, le frère Craik et moi.

Je citerai seulement la conversion d’un jeune homme, un ivrogne, qui se rendait chez le marchand d’alcool lorsqu’un ami le rencontra et lui demanda de venir entendre un étranger. Il le fit et se convertit (Il éprouva la plus grande joie en se donnant à Dieu ; il prenait tant de plaisir à lire la Bible qu’il en oubliait de prendre ses repas. Il mourut cinq mois après). Par la suite, il ne remit plus les pieds au cabaret… Ce soir, le frère Craik a prêché ; et j’ai appris bien des choses en l’écoutant.

23 avril. J’ai prêché à Gideon Chapel, et je me suis senti soutenu et heureux. Je crois que Dieu me veut ici, en tout cas pour quelque temps…

27 avril. Nous pensons, le frère Craik et moi, qu’il est préférable que nous quittions Bristol pour pouvoir prendre la décision qui nous est demandée dans le calme, et sans être influencés par ce que nous voyons ici. Quelques personnes me demandent de rester pendant que le frère Craik s’en va ; mais nous estimons devoir partir ensemble. Je me rends compte que bien des personnes préfèrent les dons de mon bien-aimé frère aux miens ; mais il refuse de s’installer à Bristol sans moi.

Comme, d’autre part, j’ai la certitude que Dieu m’appelle ici, je crois qu’Il m’y donnera du travail, et que nous serons tous deux, mon frère et moi, en bénédiction à l’Église de Bristol et aux incrédules. Au lieu d’envier les succès de mon compagnon de travail, et les honneurs dont il est entouré, Dieu m’a fait la grâce de pouvoir m’en réjouir sans arrière-pensée ; Il m’a aidé à comprendre la signification de cette parole : « Un homme ne peut rien recevoir, à moins qu’il ne lui soit donné du ciel » (Jean 3. 27).

Le 1er mai, MM. Craik et Müller retournaient dans le Devonshire. Les adieux furent émouvants. La bénédiction divine avait manifestement reposé sur leur ministère… Un frère s’engageait à faire les frais de location de la Béthesda Chapel pour que chacun d’eux eût un lieu de culte ; mais ils persistèrent à retourner dans leurs paroisses respectives, pour prendre une décision uniquement devant Dieu, loin de toute pression.

De leur côté, ils avaient indiqué leurs conditions à la communauté qui les appelait, celle de Gideon Chapel et ils se mettaient à sa disposition, mais ils ne seraient pas considérés comme pasteurs, ni assujettis à aucune règle, afin de pouvoir prêcher selon ce qu’ils penseraient être la volonté de Dieu ; la location des bancs serait abolie ; les membres subviendraient librement aux besoins temporels de leurs conducteurs spirituels.

Par une lettre qu’ils recevaient le 15 mai, l’Église leur fit savoir qu’elle acceptait toutes leurs conditions. Il leur parut évident que Dieu les appelait à Bristol. MM. Craik et Müller se préparèrent donc au départ. Ils allèrent à nouveau prêcher, de lieu en lieu, en prenant congé des Églises dont ils s’étaient occupés jusque-là.

À Teignmouth même, M. Müller alla dire adieu à chacun individuellement. Journées pleines d’émotion, et qui auraient suffi à faire revenir le jeune pasteur sur sa décision, sans la conviction intime, profonde, que Dieu l’appelait à Bristol. La communauté de Teignmouth qui n’avait que dix-huit membres à son arrivée, en avait cinquante et un à son départ, après deux ans et demi de ministère.

Le 23 mai, les Müller quittaient Teignmouth pour Exeter, en route pour Bristol. M. Groves, le père de Mme Müller, était avec eux.

Il fallut s’occuper de chercher des chambres meublées convenables ; question assez difficile à résoudre, et qui fut présentée à Dieu. Enfin les voyageurs arrêtèrent cinq chambres, dont trois chambres à coucher, pour la somme de dix-huit shillings par semaine, charbon et service compris. « Ce sont les plus simples et les plus ordinaires que nous ayons trouvées, écrit G. Müller ; elles sont encore trop bonnes pour les serviteurs du Maître qui n’a pas eu d’endroit où reposer sa tête ». M. Craik partageait cet appartement.

Béthesda étant le seul lieu de culte assez grand pour contenir les auditeurs, le local fut aussitôt loué pour un an par l’un des frères, et mis à la disposition de MM. Craik et Müller. Le 6 juillet, le premier service y fut célébré. Le 13, le choléra faisait son apparition à Bristol.

Quantité de gens désirant s’entretenir avec les jeunes prédicateurs au sujet de leurs âmes avaient été invités à venir à la sacristie le 16 juillet à partir de six heures. Chacun était reçu en particulier, cela dura jusque vers onze heures, tant les visiteurs étaient nombreux.

L’épidémie de choléra fit de rapides progrès et de nombreuses victimes. Les deux jeunes pasteurs étaient constamment appelés au chevet des mourants, ou occupés à visiter les familles en deuil. Voici un extrait du journal de G. Müller qui date de cette période :

14 août. Journée mise à part pour le recueillement et la prière à cause de l’épidémie : trois réunions successives.

15 août. Aujourd’hui, nous avons eu une réunion tout intime à Béthesda : un frère, quatre sœurs, le frère Craik et moi, sept en tout, et avons constitué une Assemblée de frères sans programme, sans règlement, si ce n’est de nous laisser guider uniquement par le Seigneur au moyen de sa Parole.

Seulement ces quelques lignes dans le journal de G. Müller pour rappeler ce fait qui est cependant extrêmement significatif et très solennel. Pour le jeune pasteur, il y avait là l’acte de séparation nécessaire à l’œuvre sainte de l’édification d’une Église selon les données apostoliques sans autres règles que celles trouvées dans le Nouveau Testament. Cette petite réunion de quelques membres inaugure en une certaine mesure la nouvelle période d’activité de G. Müller, celle pour laquelle Dieu l’a mis à part. (D’après le Dr Pierson).

17 août. Ce matin, de six à huit heures, réunion de prières à cause de l’épidémie de choléra. Deux à trois cents personnes présentes. Ces réunions avaient lieu chaque matin et durèrent tout le temps de l’épidémie. Ensuite, elles furent transformées en réunions de prières pour l’Église universelle.

24 août. Les ravages de l’épidémie semblent s’aggraver et devenir toujours plus effroyables. Nous avons tout lieu de croire que des multitudes meurent chaque jour à Bristol… jamais encore je n’avais compris comme maintenant ce qu’est le voisinage immédiat de la mort.

Si le Seigneur ne nous garde pas durant cette nuit, nous ne serons plus demain sur la terre des vivants. Il est dix heures du soir. Encore un glas ! Il y en a eu toute la journée. Je me remets entre tes mains, ô Père ! Me voici devant Toi, moi, ton indigne enfant. Si je mourais cette nuit, ma seule espérance, ma seule confiance seraient dans le sang de Jésus-Christ, mort pour la rémission de mes nombreux péchés. Il m’a lavé parfaitement, et je suis couvert par la justice divine.

Jusqu’ici, pas un des saints de l’Assemblée qui travaillent avec le frère Craik et moi n’a été touché (Par la suite, l’un d’eux tomba malade et mourut. Je tiens à noter ici que le frère Craik et moi avons visité les malades de jour et de nuit, et que Dieu nous a gardés de la contagion, nous et nos familles).

16 et 17 septembre. La vie de ma chère femme a été en grand danger. J’ai passé toute la nuit en prière. Dieu a eu pitié de moi. Non seulement il m’a exaucé en me laissant ma si précieuse compagne, mais Il a permis qu’elle soit la mère vivante d’un enfant vivant. Notre enfant bien-aimée nous a été donnée le 17 septembre. Nous la nommons Lydia.

21 septembre. À cause de la naissance de Baby et des projets de mariage du frère Craik, notre logement n’était plus suffisant ; il fallait chercher autre chose. (La communauté mit alors une maison à la disposition de ses deux pasteurs, après l’avoir entièrement meublée).

1er octobre. Notre réunion pour ceux qui cherchent le salut a duré de deux heures à cinq heures. Je remarque que la prédication, du frère Craik a bien plus de prise que la mienne sur les inconvertis, et qu’elle les convainc de péché mieux que la mienne.

Ceci m’a amené à me demander pourquoi – peut-être pour les raisons suivantes : la pensée du frère Craik est plus spirituelle que la mienne ; il prie davantage pour la conversion des pécheurs ; il s’adresse plus souvent à eux. Ceci m’a amené à me réformer sur ces différents points ; non pas que j’aie négligé de prêcher aux pécheurs jusque-là, mais ils occupaient moins de place dans ma pensée que dans celle du frère Craik.

Depuis, Dieu a également béni ma prédication pour la conversion des pécheurs. Que Dieu daigne se servir de mon expérience pour attirer la pensée de ses serviteurs sur les deux derniers points que j’ai indiqués : prier davantage pour la conversion des pécheurs et s’adresser plus souvent à eux.

3 octobre. Jour d’action de grâces, de ce que l’épidémie est en décroissance.

5 octobre. Réunion de prière ce matin comme d’habitude. Les cas de choléra sont de moins en moins nombreux. La conscience de centaines de personnes a été réveillée pendant que l’épidémie sévissait ; mais beaucoup s’endorment à nouveau, maintenant que le jugement de Dieu s’éloigne.

Cependant, la proportion de ceux qui ont été amenés par le moyen de l’épidémie et qui restent fidèles est assez importante : ils se joignent à nous « pour rompre le pain » et marchent dans la crainte du Seigneur. De sorte que le très sévère jugement qui est tombé sur la ville a eu des résultats bénis pour bien des âmes.

4 janvier 1833. Ce matin nous avons reçu des lettres de Bagdad. Les missionnaires qui travaillent là-bas nous appellent, le frère Craik et moi, à aller partager leurs travaux ; et avec leurs invitations ils envoient un chèque de deux cents livres sterling pour les frais de voyage (Cinq mille francs, lorsque la livre était au pair).

« Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » Bien des choses semblent militer en faveur de cet appel : il y a trois villages allemands près de Bagdad, notre départ entraînerait celui d’autres frères ; nous pourrions semer la Parole pendant le voyage ; le fait de partir là-bas sans le concours d’aucune Société et en regardant uniquement au Seigneur, serait un témoignage rendu à Dieu.

J’ai eu depuis longtemps le sentiment que je partirais un jour comme missionnaire parmi les Musulmans ou les païens ; notre venue pourrait fortifier les frères. D’autre part, il y a l’œuvre à Bristol. Ceci est-il moins important que cela ? J’ai besoin, d’en être certain avant de répondre à l’invitation faite.

5 janvier. Le frère Craik et moi nous avons examiné la situation. Le chemin ne nous semble pas clair. « Si tu me veux là-bas, Seigneur, me voici ! »

9 février. Je viens de relire partiellement la vie de Francke. Dieu m’a aidé à le suivre dans la mesure qu’il a suivi Christ…

La plupart des personnes que nous connaissons à Bristol sont pauvres. Si Dieu nous donnait plus de grâce pour vivre davantage comme Francke, nous pourrions tirer beaucoup plus à la banque du Père céleste en faveur de nos frères et sœurs dans la pauvreté.

28 mai. Ce matin, tandis que j’étais dans ma chambre, la détresse de mes frères s’est présentée si vivement à moi que j’ai dit en pensée : « Oh ! s’il plaisait au Seigneur de me donner de quoi les aider ! » Environ une heure après, je reçus soixante livres sterling d’un frère que je n’ai jamais vu et qui demeure à une distance de plusieurs milliers de kilomètres. Ceci montre que l’action de Dieu n’est pas limitée, et que pour Lui la distance n’existe pas. Puisse mon cœur déborder de gratitude envers le Seigneur.

29 mai. Voici un an que nous sommes à Bristol. Depuis notre arrivée, il a plu au Seigneur de rassembler une église à Béthesda, elle a soixante membres ; et quarante-neuf ont été ajoutés à Gideon Chapel. En tout : cent neuf nouveaux membres d’église, dont soixante-cinq se sont convertis par notre moyen. Des ivrognes ont été convertis et guéris ; des maris incrédules ont été gagnés en réponse à la prière ; même ceux qui avaient menacé leurs femmes de les tuer ou de les abandonner si elles persistaient à venir à la Chapelle.

Les réceptions qui duraient souvent quatre heures, pour les personnes cherchant le salut, ont amené tant de gens qu’il fallait se séparer, faute de temps et de force, sans avoir pu recevoir tous ceux qui désiraient un entretien particulier. Enfin les fidèles ont été fortifiés dans la foi.

Dans sa biographie, F. Warne ajoute au sujet du ministère de MM. Müller et Craik : « Chez eux, la foi et la prière allaient de pair, et dès le début de l’activité des deux pasteurs, on vit à Bristol « ces œuvres plus grandes » que Jésus annonçait à ses disciples. Il était manifeste que tous deux occupaient la place voulue par Dieu. Ils restèrent donc et déclinèrent l’appel venu de Bagdad.

12 juin. J’ai senti ce matin que nous pourrions faire quelque chose de plus pour les enfants pauvres à qui nous donnons chaque jour du pain. Nous pourrions avoir une école, leur lire la Bible, leur parler du Seigneur.

Le cœur de G. Müller s’était ému à la vue des enfants de la rue, de ceux qui, réduits à leurs seules ressources ou à peu près, vivaient comme ils pouvaient, et mangeaient quand ils pouvaient. Il descendit donc, souvent, le matin vers les huit heures, allant par les rues pour réunir des enfants à qui il donnait du pain. Il leur parlait aussi du Sauveur et commença d’enseigner la lecture à quelques-uns.

Bientôt des vieillards vinrent aussi. G. Müller avait commencé avec une trentaine de personnes, mais ce nombre augmentait rapidement. Aidé de M. Craik, il trouva une salle pouvant contenir cent cinquante personnes, et pour laquelle on ne demandait qu’une redevance annuelle de douze francs cinquante. Un chrétien d’un certain âge était prêt à se charger de l’enseignement.

Ces projets ne purent être réalisés, parce que des voisins se plaignirent de l’encombrement de la rue, de ce rassemblement de gens oisifs dont le nombre allait sans cesse en augmentant. D’autre part, les jeunes pasteurs, toujours plus occupés par leurs églises, manquaient du temps nécessaire pour s’occuper effectivement de cette affaire. Elle cessa momentanément, pour reprendre peu après, sous une autre forme.

17 juin. Le frère Craik et moi étions invités à prendre le thé, ce soir, dans une famille dont cinq membres ont été amenés au Seigneur par notre moyen (Un an après ils étaient sept).

Afin d’encourager les frères qui prêchent l’Évangile dans une langue qui n’est pas la leur, je donnerai ici quelques détails sur la première de ces conversions : la personne était venue par curiosité, pour entendre mon accent étranger, et parce qu’on faisait courir le bruit que je n’arrivais pas à prononcer certains mots correctement. La personne en question vint donc, mais elle était à peine entrée dans la chapelle que le Seigneur lui révélait son état de péché. Elle était venue pensant ne rester que quelques minutes ; mais elle se trouvait comme clouée à son siège et ne pensait plus à partir.

Elle demeura tout le temps que je parlai, et jusqu’à la fin du service. Alors, au lieu de se rendre à ses plaisirs, elle rentra en hâte à la maison, se lava pour ôter la peinture de son visage, et resta chez elle jusqu’à l’heure du second service. Dès ce jour, elle fut convertie. Ayant trouvé le Seigneur, elle supplia ses frères et sœurs de l’accompagner à nos réunions, ce qu’ils firent et ils trouvèrent aussi le salut. C’est pourquoi je tiens à dire aux chers missionnaires, mes frères, de ne pas oublier que Dieu peut bénir même quelques mots hachés et incorrects en une langue étrangère.

31 décembre 1833. Voici exactement quatre ans que j’ai commencé à regarder uniquement au Seigneur pour qu’Il subvienne à mes besoins temporels. J’ai alors abandonné le peu que j’avais : au plus cent livres sterling par an (alors 2500 francs de notre monnaie), n’ayant plus que cent vingt-cinq francs par devers moi. Et Dieu a eu égard à ce tout petit sacrifice. Il m’a donné en retour non seulement autant, mais infiniment plus.

1er janvier 1834. Il nous a semblé bon, au frère Craik et à moi-même, d’avoir une réunion spéciale et publique d’actions de grâce, pour les multiples bontés de Dieu envers nous depuis notre arrivée à Bristol, pour les succès qu’Il lui a plu d’accorder à nos travaux ; aussi pour lui confesser notre misère et notre indignité et le supplier de nous continuer sa faveur.

Nous nous sommes donc réunis hier soir à cet effet. Commencée à sept heures, la réunion a duré jusqu’à minuit et demi. Environ quatre cents personnes se sont jointes à nous en cette occasion.

9 janvier. Voici un an et demi que nous prêchons tous deux, une fois par mois, à Brislington, village situé près de Bristol, et cela sans résultats apparents. Cela m’a conduit aujourd’hui à prier avec ardeur pour la conversion des pécheurs de Brislington.

À la chapelle aussi, j’ai prié à ce sujet, demandant au Seigneur qu’il voulût bien convertir ce même soir, au moins une âme en ce village. Je me suis senti soutenu pendant la prédication (Le Seigneur exauça ma requête. Le même soir une âme fut amenée à la connaissance de la vérité).

14 janvier. À la date du 20 octobre, il m’avait été impossible de fixer ma pensée sur aucun texte pour la prédication. J’avais donc prêché sans en éprouver aucune joie. Et cependant, le sermon fut en bénédiction à plusieurs ; je l’ai su par la suite. Dieu s’en est servi pour convertir neuf personnes. Puisse ceci encourager mes frères dans le ministère à aller fidèlement de l’avant, au service du Seigneur, dans le calme et la prière, quelles que soient leurs impressions particulières.

19 février. J’ai écouté ce soir la prédication du frère Craik. Il a mis en relief de très précieuses vérités. Puissé-je m’en nourrir davantage ! Depuis plusieurs semaines, je n’ai pas de véritable communion avec Dieu, je me sens froid. Mon amour pour Lui est languissant. Je soupire après mon Dieu. Je ne puis être satisfait de mon état actuel.

Ah ! si je pouvais retrouver la ferveur d’esprit que j’ai connue autrefois et y persévérer. Il me tarde de partir pour être avec le Seigneur, afin de pouvoir enfin L’aimer de tout mon cœur.

20 février. Par la bonté de Dieu, mon cœur s’est brisé aujourd’hui, et j’ai pu répandre d’abondantes larmes sur ma misère spirituelle… Oh s’il plaisait à Dieu de ranimer en moi plus de ferveur, de mettre en moi une plus grande soif des biens spirituels et éternels !

21 février. J’ai été conduit ce matin, à échafauder le plan d’une œuvre basée sur des principes bibliques, pour répandre l’Évangile en Angleterre et à l’étranger. Ce soir, de six heures à dix heures et demie, réunion pour ceux qui cherchent le salut. Nous avons tenu aussi longtemps que nous avons pu et jusqu’à l’épuisement ; cependant, il nous a été impossible de recevoir tous ceux qui étaient venus.

25 février. Très nombreux chercheurs hier ; les conversations particulières ont duré plus de quatre heures, sans que nous ayons pu recevoir tout le monde ; il a fallu faire une nouvelle invitation pour aujourd’hui de deux à cinq heures. J’ai prié pour la création d’une œuvre missionnaire, et je crois que nous devrions nous en occuper. On pourrait lui donner ce nom : Œuvre pour répandre la connaissance de la Bible en Angleterre et à l’Étranger.

Nourrir ceux qui ont faim : les corps de pain, et les âmes de la Bible : le Pain de vie ; telle est à cette époque la pensée dominante de G. Müller ; celle que Dieu lui a mise au cœur. S’il éprouve une immense pitié pour ceux qui sont destitués de tout en cette vie, il a une pitié non moins grande pour ceux qui ignorent la Parole de Dieu, et le salut qui est en Christ. L’œuvre missionnaire de Bristol est déjà dans son cœur, elle est à la veille d’être fondée.

Ch. 7. Fondation de l’Institut de Bristol

La création d’une œuvre à Bristol même, semblait toujours plus nécessaire à G. Müller ; et son premier biographe, M. Warne, écrit qu’il avait de « multiples raisons pour souhaiter cette fondation, plutôt que de subventionner les œuvres existantes : sociétés missionnaires, bibliques, des Traités religieux ou des Écoles ».

Ces raisons, nous les trouvons clairement exposées dans le journal de G. Müller :

« Pourquoi fonder une œuvre à Bristol ? Toutes les sociétés existantes travaillent avec la pensée que le monde va s’améliorant et que bientôt il sera entièrement converti…, or ce n’est pas là l’enseignement des Écritures… Elles s’allient au monde, désobéissant ainsi aux commandements de Dieu.

Il suffit de donner une guinée ou même une demi-guinée pour devenir membre de l’une ou de l’autre. Le donateur peut vivre dans le péché, ou afficher son incrédulité… Qu’importe ! s’il donne la susdite cotisation il est membre, et a droit de vote. Donne-t-on davantage, de dix à vingt livres sterling, par exemple ? On devient membre à vie, même si l’on fait ouvertement le mal. Il est évident que ceci ne doit pas être. On demande de l’argent aux incrédules…

Quelle différence avec la manière des premiers disciples. « Car ils sont sortis pour le nom, ne recevant rien de ceux des nations » (3 Jean 7). Les dirigeants sont le plus souvent des gens riches et influents, mais ne sont pas convertis. C’est l’argent et le rang qui sont pris en considération lorsqu’il s’agit de choisir les présidents ou les orateurs. Jamais encore, à l’occasion des réunions publiques, je n’ai vu offrir la chaire à un serviteur du Maître, pauvre, bien que fidèle et consacré.

D’après ces principes, ni les pêcheurs de Galilée devenus apôtres, ni le Maître lui-même qu’on appelait « le charpentier » n’auraient été invités à remplir cet office.

Enfin, ces Sociétés contractent des dettes. Il est rare de lire un rapport qui n’indique pas un chiffre de dépenses supérieur aux recettes, ce qui est contraire à la lettre et à l’esprit du Nouveau Testament. « Ne devez rien à personne, sinon de vous aimer les uns les autres, car celui qui aime les autres a accompli [la] loi » (Rom. 13. 8).

Certes, il y a des enfants de Dieu dans ces Sociétés, et Dieu bénit leurs travaux sous bien des rapports. Cependant, même si nous devions être traités de gens bizarres ou orgueilleux, qui se décernent un brevet de supériorité, nous croyons que Dieu nous appelle à nous en séparer, afin de pouvoir montrer aux fidèles en quoi ces Sociétés ne se conforment pas aux enseignements de l’Écriture.

Les jeunes pasteurs de Bristol ne se croyaient donc pas appelés à soutenir les œuvres existantes parce que, sur plus d’un point, elles étaient en désaccord avec ce qu’enseigne la Bible. D’autre part, ils se rendaient compte que ce serait une cause d’affaiblissement pour leurs Églises que de n’avoir pas d’activité missionnaire, de ne point s’occuper de la diffusion des Écritures, de la distribution des traités religieux, etc… D’où la nécessité de fonder un Institut missionnaire.

Le 9 mars 1934, une réunion publique fut convoquée et la question fut exposée devant les fidèles. « Séance tout ordinaire », écrit Müller dans son journal. Et cependant ce tout petit commencement inaugurait de grandes choses.

Nous avons proposé aux assistants les règles énoncées ci-après, et elles ont été adoptées.

Tout chrétien doit travailler de façon ou d’autre pour Christ ; et la Bible nous garantit que Dieu met sa bénédiction sur toute œuvre de foi et d’amour. Il semble bien, d’après certains passages scripturaires (Mat. 13. 24 à 43 ; 2 Tim. 3. 1 à 13 et plusieurs autres que le monde ne sera pas converti avant le retour du Seigneur Jésus). Cependant, aussi longtemps que le Seigneur tarde à venir, tous les moyens doivent être employés pour rassembler les élus.

Dieu aidant, nous ne rechercherons pas le patronage du monde. Nous ne demanderons jamais le concours des personnes de haut rang et fortunées, mais inconverties, car ceci serait un déshonneur pour le Seigneur. « C’est au nom de l’Éternel, notre Dieu, que nous élèverons l’étendard » (Ps. 15. 6), Lui seul sera notre Bienfaiteur. S’il nous aide, nous prospérerons ; s’Il ne le fait pas, nous tomberons.

Nous n’avons pas l’intention de demander de l’argent aux incrédules (2 Cor. 6. 14 et 18), toutefois nous ne nous sentons pas libres de refuser leurs contributions s’ils nous les offrent (Act. 28. 2 à 10).

Nous refusons absolument le concours des incrédules pour diriger l’Œuvre ou y travailler de quelque manière que ce soit (2 Cor. 6. 14 à 18).

Nous n’étendrons pas notre champ d’activité en contractant des dettes et en lançant ensuite des appels à l’Église, ce qui est contraire à l’esprit et à la lettre du Nouveau Testament (Rom. 13. 8), mais nous exposerons à Dieu les besoins de l’Œuvre, et nous agirons dans la mesure des ressources qu’Il mettra à notre disposition.

Nous ne pensons pas devoir mesurer le succès au montant des sommes données ou au nombre de Bibles distribuées, etc… Mais nous examinerons devant Dieu si sa bénédiction repose sur l’Œuvre de nos mains (Zach. 4. 6), et nous comptons bien l’avoir dans la mesure où nous nous attendrons à Lui par la prière, avec la force qu’Il nous donnera.

Bien que nous ne voulions pas nous singulariser inutilement, nous désirons cependant aller de l’avant, en obéissant aux Écritures et sans compromettre la vérité. Nous sommes prêts à recevoir, avec reconnaissance, tous conseils basés sur la Bible, que des chrétiens d’expérience voudraient nous donner relativement à l’Œuvre que nous fondons.

Voici les buts poursuivis :

Aider les écoles de semaine et du dimanche ; subventionner les cours d’adultes, dont l’enseignement repose sur des principes scripturaires. Ouvrir ce genre d’écoles si le Seigneur nous conduit à le faire en nous donnant les moyens, et en nous envoyant les aides qualifiés. Nous aimerions placer des enfants pauvres à ces écoles.

Par écoles de semaine basées sur des principes scripturaires, nous entendons celles où l’enseignement est donné par des personnes pieuses, dont les leçons ne sont pas en désaccord avec les règles de l’Évangile. De même pour les Écoles du dimanche, il est nécessaire que les moniteurs soient chrétiens et que leur enseignement soit fidèle à l’Écriture.

C’est à ces Écoles seulement que notre Œuvre pourra venir en aide par le don de Bibles et de Nouveaux Testaments, ou autrement… ; car il est anti-scripturaire que ceux qui ne croient pas, soient autorisés à enseigner les autres. Même règle pour les cours d’adultes.

L’Œuvre aidera à la diffusion des Écritures par des dons et des ventes à prix réduits. Nous croyons qu’il vaut mieux vendre à prix réduits que de donner. Toutefois, il pourra y avoir des dons, lorsqu’il s’agira de personnes vraiment pauvres.

L’Œuvre collaborera à l’action missionnaire en aidant les ouvriers qui travaillent selon les principes scripturaires.

Les dons seront proportionnellement répartis pour les objets que nous venons d’énumérer, si aucun n’a pas plus particulièrement besoin d’être aidé. Toutefois, si les donateurs stipulent l’attribution de leurs dons, il sera fait comme ils le désirent.

L’Institut missionnaire de Bristol était fondé. L’œuvre prit rapidement un grand développement. Non moins intéressant que le développement de l’œuvre, est celui de l’ouvrier que Dieu s’est choisi. Dénué de tout, humainement parlant, cet homme qui a souvent une maison pleine de visiteurs, de parents, de frères en Christ, et un porte-monnaie vide ou à peu près, s’avance dans la vie, les yeux fixés sur Dieu et sur ses promesses, et réalise de grandes choses.

Il n’a rien, ni argent, ni influence. Mais Dieu est riche, Lui ! Il dispose de tous les trésors et Il tient les cœurs en sa main. N’est-Il pas le Tout-Puissant ?

Deux jours seulement avant cette séance mémorable, nous lisons dans le journal de G. Müller :

Aujourd’hui, nous n’avons plus qu’un shilling. Il est déjà arrivé, depuis que nous sommes à Bristol, que nous n’ayons plus rien ou presque plus rien dans le porte-monnaie ; mais nos provisions n’ont jamais été épuisées au même point qu’à Teignmouth. Ce soir, en rentrant à la maison, nous avons trouvé un tailleur, un frère, qui nous attendait avec deux complets pour frère Craik et moi. Ces vêtements nous sont offerts par un membre d’église qui veut garder l’anonymat.

10 mars. Un homme que Dieu a converti par notre moyen et qui s’adonnait à l’alcool et à d’autres péchés, est venu nous trouver il y a quelque temps pour nous supplier avec larmes de prier pour sa femme qui continuait à vivre comme il l’avait fait lui-même autrefois.

Au bout de dix jours à peu près, il plut au Seigneur de commencer à agir par la grâce dans le cœur de la malheureuse femme, en réponse aux très nombreuses prières de son mari. Elle a été reçue dans l’Église ce soir. Ce cas n’est pas unique. Bien des maris et des femmes ont été convertis en exaucement de la prière de l’époux ou de l’épouse fidèle.

19 mars. En rentrant ce soir, après la prédication à Béthesda, j’ai appris la joyeuse nouvelle de la naissance d’un fils. Nous l’avons nommé Élie.

14 avril. Jusqu’ici nous avons vécu avec nos frère et sœur Craik ; mais maintenant que le Seigneur leur a donné un enfant, et deux à nous, comme la maison n’a que six chambres et que le cher frère Craik et moi nous avons dû souvent chercher ailleurs le silence ou la solitude, il nous a semblé nécessaire d’envisager une séparation pour le bien de nos âmes et l’œuvre du Seigneur.

15 avril. Quelques sœurs nous ont envoyé aujourd’hui vingt-cinq livres sterling pour le mobilier d’une autre maison.

23 avril. Hier et aujourd’hui, j’ai demandé au Seigneur de nous envoyer vingt livres sterling pour que nous puissions avoir un plus grand stock de Bibles et de Nouveaux Testaments que celui dont dispose le petit fonds de l’Institut.

Or, le même soir, une sœur nous dit qu’elle était venue à la connaissance du Seigneur par la seule lecture des Saintes Écritures ; qu’elle prenait donc un grand intérêt à leur diffusion et voulait nous envoyer vingt livres sterling à cet effet.

4 mai. Reçu à nouveau aujourd’hui quinze livres sterling pour meubler une maison. Dans sa bonté, le Seigneur subvient à nos besoins.

5 mai. Aujourd’hui nous sommes allés dans notre nouvelle demeure après avoir vécu presque deux ans avec les frère et sœur Craik.

4 juin. Reçu aujourd’hui la visite d’une sœur ; elle est restée, bien que je lui aie laissé entendre que je ne disposais que de quelques minutes, et j’en ai conçu de l’irritation. J’ai péché contre le Seigneur. « Ô Seigneur Jésus ! Toi, aide-moi ! »

25 juin. Voici trois jours qui s’écoulent sans que j’aie pu avoir, ou à peine, d’instants de véritable communion avec Dieu. En conséquence, j’ai été très faible au point de vue spirituel. À plusieurs reprises, j’ai ressenti de l’irritation. Que Dieu dans sa miséricorde m’aide à m’adonner davantage à la prière secrète.

26 juin. J’ai pu, avec l’aide de Dieu, me lever de bonne heure et avoir presque deux heures de prière avant le déjeuner. Et maintenant je me sens mieux ; que Dieu dans sa bonté m’aide aujourd’hui à marcher devant sa face et à faire son œuvre ; qu’Il me garde de tout mal.

1er juillet. J’ai beaucoup prié pour trouver un maître qualifié pour l’école de garçons que je veux ouvrir, école qui dépendra de notre Institut. Huit personnes s’étaient présentées ; aucune ne m’avait paru convenir. Mais le Seigneur nous a enfin envoyé le maître qu’il nous fallait, et celui-ci va se mettre à l’œuvre sans retard.

Dieu a permis que nous priions longtemps à ce sujet ; mais maintenant Il nous a parfaitement exaucés.

18 août. Aujourd’hui le frère Craik et moi, nous avons engagé les services d’une institutrice pour une école de filles que nous avons l’intention d’ouvrir aussi, en regardant à Dieu pour les subsides nécessaires.

27 août. J’ai prié à plusieurs reprises et j’ai lu dix chapitres de l’Écriture pour trouver un texte, le tout sans résultats. Je suis donc parti ce soir pour la Chapelle sans savoir sur quel texte le Seigneur désirait que je prêche.

Au moment de commencer la réunion, ma pensée fut attirée sur le livre des Lamentations, chapitre 3, versets 22 à 26 ; le Seigneur m’a aidé et j’ai parlé sur ce texte avec joie.

28 octobre. J’ai entendu parler d’un pauvre petit orphelin qui, durant quelque temps, avait suivi l’une de nos écoles, et chez qui un travail intérieur avait commencé de se faire en m’entendant parler des tourments de l’enfer. Depuis, on l’a mis à l’hospice situé à quelques kilomètres de Bristol ; et en partant, il a dit sa tristesse de nous quitter, de ne plus pouvoir revenir à notre école, et de n’avoir plus l’occasion de nous entendre.

Si le Seigneur le veut, que cela me conduise à faire aussi quelque chose, pour les besoins temporels des enfants pauvres. C’est l’extrême pauvreté qui a fait envoyer cet enfant à l’hospice !

1er novembre. Aujourd’hui, comme nous n’avions plus rien, voici ce que nous avons fait pour subvenir à nos besoins : nous avions des cuillères en argent qu’on nous avait offertes, il y a quelque temps, et que nous n’employions jamais pensant qu’il était préférable pour les serviteurs de Christ, à cause de l’exemple, de se servir de cuillères ordinaires. C’est aussi pour cette raison que nous avions vendu notre argenterie à Teignmouth.

Cependant nous n’avions pas encore disposé de ces cuillères, données depuis. Maintenant la chose est faite ; et nous sommes certains que l’aimable donateur ne nous en tiendra pas rigueur, puisque le produit de la vente a servi à nous nourrir.

5 novembre. J’ai passé presque toute la journée en prière, et à lire la Parole de Dieu. Entre autres choses, j’ai exposé à Dieu nos besoins temporels. Jusqu’ici je n’ai pas reçu l’exaucement que j’espère.

8 novembre. A nouveau le Seigneur a subvenu à tous nos besoins durant la semaine écoulée, bien que nous l’ayons commencée avec fort peu de chose. J’ai beaucoup prié cette semaine pour de l’argent ; plus que je ne l’avais encore fait depuis que nous sommes à Bristol, pour autant que je puisse me souvenir.

Le Seigneur n’a pas répondu à nos prières en nous envoyant un don mais en nous amenant à vendre ce qui ne nous était pas nécessaire, et en faisant payer ce qui nous était dû.

10 décembre. Un frère a légué douze livres sterling au frère Craik et autant à moi.

Fondation de l’institut

31 décembre. Depuis que le frère Craik et moi nous travaillons à Bristol, deux cent vingt-sept membres ont été ajoutés à nos communautés, cent vingt-cinq à l’église de Béthesda, cent trente-deux à Gideon Chapel. Le Seigneur m’a donné cette année deux cent quatre-vingt-huit livres sterling, huit pence et quart (sept mille deux cents francs quatre-vingt-cinq).

1er janvier. Nous avons eu hier soir une réunion de prière et d’adoration pour les deux églises réunies, invitant tous ceux qui voulaient joindre leurs louanges aux nôtres, en reconnaissance des bienfaits de Dieu durant l’année écoulée. Nous lui avons aussi demandé de nous continuer sa faveur.

Tous les frères étaient libres de prier ; dix-huit le firent. La prière, la louange, le chant des cantiques, la lecture de la Bible et les exhortations, continuèrent jusqu’à une heure du matin. Le service avait commencé la veille à sept heures du soir.

13 janvier. Aujourd’hui j’ai fait des visites de maison en maison dans la rue d’Orange, depuis dix heures du matin jusqu’à une heure ; puis de six à huit heures et demie, le soir. J’ai visité les familles qui habitent dans neuf maisons, m’assurant que personne ne désirait de Bibles et que les gens pouvaient lire. J’ai aussi proposé aux parents de laisser venir leurs enfants à nos écoles de semaine ou du dimanche, pour que nous puissions les aider de la sorte.

J’ai abordé avec tous, la grande question de l’âme, et celle du salut. J’ai vendu à prix réduits huit Bibles et deux Nouveaux Testaments, et j’en ai donné un. J’ai inscrit une femme pour l’école d’adultes, et un garçon pour l’école de semaine ; enfin j’ai eu l’occasion d’une conversation avec une trentaine de personnes. Combien j’aimerais pouvoir faire souvent ce genre de travail, que je considère comme ayant une grande importance !

17 janvier. Retour de M. Groves. Le frère Groves est arrivé aujourd’hui. L’un de ses motifs en rentrant en Angleterre, c’est de trouver en Allemagne des frères missionnaires pour l’Inde. Il me demande de l’accompagner dans mon pays pour l’aider à trouver le personnel dont la Mission a besoin. C’est là une affaire bien délicate et très grave. Que le Seigneur me dirige et m’aide à vouloir ce qu’Il veut.

28 janvier. J’ai beaucoup prié ces jours passés pour savoir si le Seigneur désire que je parte moi-même pour les Indes, comme missionnaire Je suis tout prêt à le faire s’Il condescend à se servir de moi de cette manière.

4 février. Dernièrement, j’ai prié très souvent et avec intensité au sujet de ce voyage en Allemagne. Je veux y aller ou rester selon que Dieu voudra. Qu’il me conduise ! C’est aussi là mon état d’esprit au sujet des Indes.

Comme moyen d’arriver à connaître la volonté de Dieu, je me suis mis à faire des lectures sur les Hindous, pour me rendre mieux compte de leur état. Que le Seigneur incline mon cœur à penser davantage à eux, soit que j’aille travailler là-bas, soit que je reste à Bristol.

16 février. Mentionné ce soir devant l’église de Béthesda, comme je l’avais fait le 13 à Gideon Chapel, que je croyais que Dieu me demandait d’accompagner le frère Groves en Allemagne, à cause de ma connaissance de la langue, pour l’aider à trouver les missionnaires nécessaires. Pas un seul membre n’a élevé d’objections, et plusieurs ont discerné un appel du Seigneur, ajoutant qu’ainsi, et par mon moyen, leurs églises seraient pour quelque chose dans la vocation et le départ de plusieurs missionnaires.

Ceci m’a réconforté ; et l’unanimité des frères à ce sujet m’a affermi dans la pensée que le Seigneur désirait bien que j’entreprenne ce voyage.

25 février. Au nom du Seigneur et en nous attendant uniquement à Lui pour tout ce qui est nécessaire, nous avons ouvert aujourd’hui une cinquième école d’enfants pauvres. De sorte que nous avons maintenant cinq écoles : deux pour les garçons, trois pour les filles.

26 février. J’ai quitté Bristol cet après-midi, et suis en route pour l’Allemagne.

7 mars. Quitté Londres hier soir, arrivé à Douvres ce matin. Le Seigneur m’a aidé à Le confesser devant les autres voyageurs.

9 mars. Impossible de s’embarquer aujourd’hui, tellement la mer est démontée. Aucun bateau n’est parti. J’ai écrit des lettres, j’ai lu la Bible et prié. Ce soir, à deux reprises, nous Lui avons demandé de bien vouloir calmer le vent et les vagues.

10 mars. Le Seigneur nous a entendus. Nous nous sommes réveillés de bonne heure ce matin et avons constaté que la violence du vent était tombée. Nous avons quitté l’hôtel alors qu’il faisait encore nuit pour gagner le rivage. Tous les voyageurs se hâtaient en même temps vers le port, et je m’aperçus tout à coup que je n’étais plus en compagnie des frères G. et Y.

Comme Dieu m’aide généralement en semblables circonstances, j’élevai aussitôt mon cœur vers Lui pour qu’Il me guide vers le bateau qui transportait les voyageurs à notre navire, celui où nous avions pris passage, et je le découvris presque instantanément… Très bonne traversée, en exaucement de la prière.

Arrivés à Calais, après le visa des passeports et la visite en douane, nous avons retenu nos places dans la diligence qui, peu après dix heures, partait pour Paris. Quelle bénédiction, en de semblables circonstances, d’avoir un Père Céleste à qui l’on peut toujours recourir ! Quelle chose différente aussi que de voyager au service de Dieu, ou de le faire pour son plaisir ou ses affaires !

14 mars. Retenu nos places dans la malle-poste de Strasbourg, le frère Groves et moi. Frère Y., souffrant, restera quelques jours à Paris.

15 mars. J’ai prêché ce matin dans une petite chapelle, au Palais Royal. Quitté Paris, ce soir à six heures.

17 mars. Depuis le 15 au soir, jusqu’au moment de notre arrivée à Strasbourg à une heure et demie cet après-midi, nous avons été à peu près constamment enfermés dans la malle-poste, à l’exception d’une demi-heure le matin vers 7 heures, et d’une autre demi-heure le soir vers 11 heures, pour les repas. J’ai pu avoir un temps de communion et de rafraîchissement spirituel avec mon bien-aimé frère.

Ce voyage par malle-poste est le plus rapide en France et ne comporte que deux voyageurs. Nous avons donc pu librement parler et prier ensemble, ce qui m’a fortifié. À Strasbourg, nous n’avions que peu de chose à faire, et bien que nous ayons déjà roulé presque sans arrêt durant quarante-quatre heures, nous avons pris le même soir la voiture pour Bâle, comptant sur Dieu pour recevoir la force nécessaire pour supporter cette troisième nuit de voyage.

Nous étions à peine partis que notre équipage s’embourba sur une route nouvellement ouverte. Tout le monde dut descendre : la nuit était froide, la neige tombait. J’élevai mon cœur vers Dieu qui nous secourut, et le voyage put continuer. Pour la première fois depuis six ans, je me trouvai au milieu de voyageurs qui parlaient ma langue natale. Mais, hélas ! ce n’était pas à la gloire de Christ !

18 mars. Nous sommes arrivés à Bâle, où les frères nous ont reçus avec affection. Nous resterons ici quelques jours. J’ai assisté à une réunion que présidait un pasteur pieux et vénérable ; il s’adressait à des frères qui se destinent à la Mission, et expliquait 1 Pierre 3. 1 et 2, en se servant du Testament grec. À ce propos, il raconta un épisode qui s’était passé à Bâle même, et dont il avait été le témoin dans sa jeunesse.

J’ai trouvé que ce récit comportait un tel encouragement pour ceux qui sont mariés à des incrédules, particulièrement pour les sœurs dont les maris ne sont pas croyants, et d’autre part, qu’il est une si belle illustration du passage cité ci-dessus, que je l’ai noté et le donne ici :

« Il y avait à Bâle un homme très riche dont la femme était chrétienne ; mais lui-même ne craignait pas Dieu. Il passait toutes ses soirées au café et y restait souvent jusqu’à onze heures, minuit, et même une heure du matin. En ces occasions, sa femme congédiait les domestiques et restait elle-même à attendre son retour. Quand il rentrait, elle le recevait avec bonté, sans lui faire le moindre reproche sur l’heure, sa fatigue ou le manque de sommeil. S’il avait trop bu et avait besoin de quelque assistance, elle lui rendait les services nécessaires.

Les choses continuèrent de se passer ainsi pendant longtemps. Certain soir, vers minuit, cet homme était encore à la taverne avec ses amis, lorsqu’il s’écria : « Je parie que si vous m’accompagnez à la maison, vous trouverez ma femme encore debout et m’attendant, qu’elle viendra m’ouvrir elle-même et nous recevra aimablement. Bien plus, si je lui demande de nous préparer un souper, elle le fera tout de suite, sans murmure et sans reproches ».

Ses compagnons de péché refusèrent de le croire ; à la fin, ils se levèrent tous et le suivirent pour aller voir cette excellente femme. Ils avaient à peine frappé que la porte s’ouvrait, et la maîtresse de céans les reçut avec amabilité et courtoisie. Une fois qu’ils furent entrés, M. X. demanda à souper. Elle y consentit aussitôt, servit tout ce qu’il fallait sans manifester de désapprobation ou d’irritation, puis se retira dans sa chambre.

Lorsqu’elle fut partie, l’un des amis dit au maître de la maison : « Quel homme méchant et cruel vous devez être, pour vous amuser à tourmenter une si excellente femme ». Puis, prenant sa canne et son chapeau, il s’en alla, sans prendre une seule bouchée de quoi que ce soit.

Un second fit quelques remarques semblables, et partit aussi sans rien prendre ; et bientôt les autres suivirent ; personne ne toucha au repas servi. Peu après, le maître de la maison se trouvait seul ; et, sous l’influence du Saint-Esprit, repris en sa conscience, il comprenait enfin son effroyable méchanceté, et plus particulièrement, ses torts vis-à-vis de sa femme. Ses amis étaient partis depuis une demi-heure à peine, qu’il alla la trouver, la priant d’intercéder en sa faveur auprès de Dieu, afin d’obtenir le pardon de ses péchés. Dès cette heure, il devint un disciple de Jésus… ».

25 mars. À l’hôtel des Postes, à Schaffhouse, j’ai rencontré un monsieur titré, qui, averti de mon passage par les frères de Bâle, m’invitait à passer chez lui les deux heures dont je disposais dans cette ville. Il restaura mon corps avec un déjeuner, et mon âme par la communion fraternelle avec ceux qu’il avait invités à l’occasion de mon passage.

Ce matin, j’ai rencontré le frère Gundert, l’étudiant en théologie pour lequel je suis venu jusqu’ici, et j’ai eu à peu près trois heures de conversation avec lui.

26 mars. Ce matin, le frère Gundert et moi, nous sommes partis en voiture pour Stuttgart. Je désirais le connaître un peu plus, et aborder avec son père le sujet de son départ. Celui-ci nous a fort aimablement reçus. Non seulement il ne s’oppose pas au départ de son fils, mais considère que c’est un honneur que de pouvoir donner un fils au Seigneur. Je crois que le frère Gundert est destiné à partir aux Indes.

30 mars. Halle. Depuis le 27 au soir jusqu’à cet après-midi, j’ai voyagé jour et nuit, avec les forces que le Seigneur m’a données. Je me suis senti profondément ému en repassant en mon cœur les bontés de Dieu à mon égard. J’ai eu de fréquentes occasions de confesser le nom de Jésus devant les compagnons de route qui se succédèrent pendant le parcours. Un étudiant me vanta le vin fameux et bon marché de Weinheim près de Heidelberg. Je lui répondis qu’autrefois, étudiant comme lui, j’avais traversé cet endroit, et que je m’étais alors intéressé à ces choses. Mais maintenant, j’avais trouvé ce qui valait infiniment mieux ».

Hier, un Français, après m’avoir entendu parler à une ou deux reprises de Jésus, quitta l’intérieur de la voiture lorsqu’il vit descendre le troisième voyageur. Il ne se souciait évidemment pas de rester seul avec moi. J’en ai profité pour prier à haute voix durant une heure à peu près, ce qui m’a rafraîchi spirituellement et fortifié.

J’étais trop fatigué pour pouvoir persévérer quelque temps dans la prière mentale, et je somnolais aussitôt. Hier après-midi, à Eisenach, situé au pied de la colline que couronnent les ruines de la Wartburg, où Luther traduisit la Bible, j’ai été le témoin de scènes d’une effroyable profanation. Comment le chandelier a-t-il été ôté de sa place ?

Cet après-midi, nous arrivions enfin à Halle, la ville où il plut au Seigneur de m’amener à sa connaissance. Je me rendis d’abord chez le frère Wagner ; puis j’allais voir le Dr Tholuck, lequel, après sept ans d’absence, me reçut avec la même bonté, le même amour fraternel qu’il me montrait autrefois. Il m’invita à demeurer chez lui, montrant ainsi que les divergences concernant certains aperçus de la vérité ne doivent pas élever de barrières entre les enfants de Dieu (J’avais pris soin de l’avertir de l’évolution de ma pensée).

31 mars. Aujourd’hui, nous sommes allés à cheval, le Dr Tholuck, deux frères et moi, jusque chez un pasteur fidèle qui vit dans les environs de Halle. Durant le parcours, le Docteur m’a appris bien des choses encourageantes, particulièrement celle-ci : que bon nombre de mes anciens camarades d’université qui ne connaissaient pas le Seigneur, s’étaient depuis donnés à Lui et s’étaient enrôlés à son service. D’autres, restés faibles en la foi, s’étaient fortifiés.

1er avril. Je suis allé jusqu’aux orphelinats de Francke pour voir le fils d’un voisin de mon père qui est professeur ici. Je ne l’avais pas vu depuis quinze ans, et j’ai eu la joie de découvrir en lui un frère ! Ce soir, nous nous sommes rencontrés dans cette même chambre où il a plu à Dieu de commencer en moi l’œuvre de sa grâce, avec quelques-uns des frères et des sœurs qui y venaient il y a sept ans.

Et j’ai pu leur dire ce qu’avaient été pour moi, durant les années passées, la fidélité de Dieu, son amour, sa bonté, sa patience. En vérité, le Seigneur a répandu sur moi ses faveurs.

2 avril. J’ai quitté Halle cet après-midi pour gagner Sandersleben, distant de quelque vingt kilomètres. C’est là que demeure un cher et vieil ami dont l’affection n’a cessé de m’entourer pendant mes années d’Angleterre. Il m’a reçu à bras ouverts ainsi que sa chère femme et le domestique. Celui-ci est aussi un frère bien-aimé dans le Seigneur.

3 avril, Sandersleben. Aujourd’hui, j’ai vu plusieurs frères et sœurs. Je retrouve l’un d’eux au même point qu’il y a huit ans : peu de joie en Dieu, peu de progrès, parce qu’il n’a pas obéi aux ordres de sa conscience, et conserve une situation qu’il aurait dû abandonner. L’apôtre nous exhorte à demeurer dans notre vocation, mais seulement si nous pouvons y rester avec Dieu (1 Cor. 7. 24).

Ce soir, avec un pasteur fidèle, les frères de cette ville et des villages environnants, nous nous sommes réunis chez le frère Stahlschmidt. Ceux-ci voulaient m’entendre dire ce que Dieu avait fait pour moi depuis que je les avais quittés. J’ai essayé de les fortifier dans le Seigneur, et je les ai exhortés à se donner sans restriction et complètement à Dieu. Ce fut une soirée de rafraîchissement spirituel. J’en ai retiré du bien pour mon âme. Dieu me bénit chaque fois que je dis ses bontés et sa fidélité.

4 avril. Revoir. J’ai laissé Sandersleben ce matin. S’inspirant de 3 Jean 5 et 6, mon hôte a voulu me conduire dans sa voiture jusqu’à Aschersleben, la dernière station avant l’endroit qu’habite mon père. En route pour Heimersleben, j’ai demandé au conducteur des nouvelles d’un ancien compagnon de péché qui avait étudié avec moi à Halle.

Il est, paraît-il, toujours dans le même état. Quelle différence entre nous deux, uniquement parce que la grâce a agi en moi. Je pourrais être sur la route où il se trouve maintenant : encore dans la culpabilité et le péché ; et lui pourrait être à ma place, qui suis un brandon arraché à la fournaise ! Que Dieu m’aide à L’aimer davantage.

Ces pensées s’agitaient en mon cœur, alors que je commençais d’apercevoir la ville qu’habite mon père et où ne se trouvent à ma connaissance que deux personnes qui aiment le Seigneur… Comme toutes choses sont différentes pour moi, aujourd’hui. Mon cœur n’est pas ici ; il n’est pas non plus en Angleterre. En une certaine mesure, il est déjà dans le ciel, bien que je ne sois qu’un faible et misérable ver.

Cette rencontre avec mon père, maintenant très âgé, cette joie du revoir, furent pour moi choses très solennelles. Je sentais aussi l’importance du retour en cette ville, témoin de ma jeunesse orageuse, et je voulais vivre les trois jours que je comptais y passer, comme il convenait à un serviteur du Christ. J’en avais fait un sujet de prière avant de quitter Bristol.

5 avril. Cet après-midi est venu un ami de mon père, qui ne connaît pas Dieu. L’occasion se présentait donc pour moi d’exposer devant mon père, les vérités essentielles de l’Évangile, la joie et la consolation qu’elles apportent, et dont personnellement je jouissais. Je pus ainsi parler bien plus librement devant lui et mon frère que je ne l’avais fait jusque-là. Dieu m’a assisté. Qu’Il daigne prendre soin de la semence répandue !

6 avril. Je n’ai pas parlé directement à mon père de son âme ; mais j’ai eu plus d’une fois l’occasion d’annoncer la vérité devant lui. Dieu a été avec moi de façon manifeste et je crois que c’est Lui qui m’a poussé à faire ainsi. J’ai agi différemment avec mon frère, à qui j’ai parlé directement de son âme.

Durant la soirée, j’ai raconté à tous deux quelques-unes des choses que Dieu avait faites pour moi depuis que je suis en Angleterre, et en particulier, comment II avait subvenu à tous mes besoins en réponse à la prière. Sur le moment, tous deux semblèrent comprendre la joie qu’il y avait à vivre de la sorte.

7avril. J’ai passé une bonne partie de la matinée en promenade avec mon père. Il m’a mené voir l’un de ses jardins, et quelques-uns de ses champs. Je savais que cela lui ferait plaisir, et je voulais lui témoigner toute l’attention, toute l’affection possible, tout ce qui était compatible avec ma conscience.

Demain, je pense lui dire adieu et reprendre le chemin de l’Angleterre. Dans sa grande bonté, le Seigneur a exaucé ma prière, et il m’a aidé à me conduire de telle façon que mon père a dit aujourd’hui : « Que Dieu m’aide à suivre ton exemple, et à agir selon ce que tu as dit ».

9 avril. Celle. Hier matin, mon père a voulu m’accompagner en voiture jusqu’à Halberstadt, et c’est en versant bien des larmes qu’il m’a quitté… J’étais seul dans la voiture, ce qui a été un soulagement pour moi…

Sur cette route de Brunswick que j’avais parcourue deux fois auparavant au service de Satan, je voyageais maintenant pour le nom de Jésus. J’aperçus en passant l’auberge de Wolfenbüttel d’où j’avais essayé de me sauver et où j’avais été arrêté. Bien des pensées et des souvenirs s’agitaient en moi !

Vers le soir, j’arrivai à Brunswick d’où nous repartîmes peu après. Durant la nuit, j’entendis une conversation abominable entre le conducteur et un étudiant : propos pervers, païens, sardoniques. Le seul témoignage que je rendis fut de garder le silence.

Nous sommes arrivés à Celle ce matin, la voiture ne repart que cet après-midi pour Hambourg. Mon âme est souffrante aujourd’hui. L’horrible conversation de cette nuit a agi sur moi comme un poison ! Comme le mal nous pénètre facilement, même lorsque nous n’en avons pas conscience !

10 avril. Hambourg. Je suis arrivé ici à dix heures du matin !

15 avril. Arrivé à Londres le 15 avril, je trouvai chez des amis une lettre de ma femme m’apprenant que le frère Craik est malade. Il souffre d’une inflammation du larynx, et à vues humaines, ne pourra pas prêcher de quelque temps. Je repartis donc aussitôt pour Bristol. J’ai trouvé le frère Craik moins mal que je ne le craignais ; mais il lui est tout à fait impossible de prêcher.

3 juin. Aujourd’hui, réunion publique de l’Institut pour répandre la connaissance de la Bible en Angleterre et sur le Continent. Voici quinze mois que nous l’avons fondé en regardant uniquement à Dieu : nous avons instruit des enfants, nous avons répandu la Bible, et aidé des missionnaires. Il y a eu des moments où nous n’avions presque plus d’argent, mais nous n’avons jamais été obligés de suspendre le travail.

Trois écoles ont été ouvertes et nous en avons adopté deux qui étaient sur le point d’être fermées, faute de revenus suffisants. Quatre cent trente-neuf enfants sont instruits dans nos écoles ».

À cette époque, l’épreuve visita le foyer de Mr et Mrs Müller. Leur père, Mr Groves, déjà malade au mois de mai, mourut le 22 juin. Leurs deux enfants furent aussi très malades ; le plus jeune, atteint d’une fluxion de poitrine, mourut le 26 juin. Le 30 août, c’est M. Müller lui-même qui est obligé de garder la maison et de renoncer à la prédication. Mr Craik mieux portant, était bien revenu le 15 août, mais il était toujours aphone.

Un changement d’air s’imposait pour Mr Müller. Dieu lui envoyant le nécessaire pour ce déplacement, il partit avec sa famille à Portishead.

14 septembre. Nous sommes toujours à Portishead. Mon état ne s’est guère amélioré. Je me sens très abattu à cause de ma corruption intérieure ; mon cœur est resté charnel. Quand le Seigneur me délivrera-t-il de cet état ! Ma vie présente est une grande épreuve.

Avoir comme occupations principales de manger, de boire, de se promener, de se baigner, d’aller à cheval, tout cela constitue un mode d’existence auquel je ne suis plus habitué, et me met à dure épreuve. Je préférerais retourner à Bristol et travailler, si Dieu daigne encore employer un serviteur aussi indigne que moi.

16 septembre. Nous songions à accepter une invitation venue de l’île de Wight, invitation faite par des frères en Christ. Mais l’argent manquait pour notre voyage ; nous sommes quatre : ma femme, notre enfant et notre domestique. Le courrier de ce soir nous a apporté deux lettres chargées : l’une avec six livres treize shillings qui nous étaient dus, et l’autre avec deux livres sterling. Le Seigneur prend le plus tendre soin de ses enfants. (Le 19 septembre nous sommes arrivés chez nos amis).

29 septembre. Hier soir, après avoir pris congé pour la nuit des amis qui nous reçoivent, je me disposais à me coucher immédiatement. J’avais déjà prié auparavant. Je me sentais peu bien…, la nuit était froide…, autant de raisons pour aller au lit tout de suite. Mais Dieu m’aida à me mettre à genoux, et j’avais à peine commencé de prier qu’Il resplendit en mon âme, me communiquant un esprit de prière que je n’avais plus depuis longtemps. Dans sa bonté, Il fit revivre son œuvre en moi, me donnant le sentiment de sa présence et ranimant ma ferveur d’esprit pour l’intercession.

C’était après cela que mon âme soupirait depuis des semaines. Cette communion dura plus d’une heure. Pour la première fois depuis que je suis malade, je demandai instamment à Dieu de me guérir. Maintenant, il me tarde de retourner à Bristol ; toutefois je n’éprouve aucune impatience ; mais j’ai l’assurance que le Seigneur me rétablira. Je me suis levé plus tôt que d’habitude pour avoir quelques instants de communion avec le Seigneur avant le déjeuner. Que Dieu daigne continuer de faire habiter sa joie dans le cœur de son indigne enfant.

9 octobre. II m’est souvent venu l’idée de faire imprimer une brochure où je dirais les bontés de Dieu envers moi, afin que mes frères en retirent quelque instruction, quelque consolation, quelque encouragement. Cette pensée s’est souvent présentée à moi pendant que je lisais la biographie de Newton ces jours passés. J’ai pesé aujourd’hui toutes les raisons pour et contre. Contre, c’est à peine si j’en discerne ; pour, il y en a beaucoup.

15 octobre. Aujourd’hui, nous partons pour Bristol.

Ch. 8. Ouverture des premiers orphelinats

Depuis quelque temps déjà, George Müller songeait à fonder un orphelinat. Durant son séjour en Allemagne, l’année précédente, il avait revu avec le plus vif intérêt les Établissements de Halle qu’avait fondés Francke.

Dieu lui demandait-Il aussi d’ouvrir une maison pour orphelins ? En ce cas, qu’Il veuille bien l’y conduire. Était-ce à cause des enfants sans foyer, que cette fondation s’imposait à lui ? Non Et il le dit catégoriquement dans ses Mémoires où nous lisons ceci :

« Mes travaux de pasteur, ma volumineuse correspondance, les conversations avec les frères, m’obligent à constater chaque jour davantage que ce qui manque le plus aux chrétiens de notre époque, c’est la foi ; ils ont besoin d’être fortifiés dans la foi.

Je m’explique : voici des frères qui travaillent de quatorze à seize heures par jour, et ceci nuit, tout à la fois, à la santé physique et spirituelle ; leur âme est languissante ; les choses de Dieu les laissent indifférents. Si je leur conseille de moins travailler à cause de leur santé, et de se fortifier spirituellement, par la lecture de la Bible et la prière, ils me répondent généralement ceci : « Moins de travail, c’est aussi moins d’argent pour l’entretien de la famille. Or nous pouvons à peine joindre les deux bouts maintenant ! On est si peu payé aujourd’hui… qu’il faut accepter le surmenage pour s’en tirer ».

N’est-il pas évident que ce qui manque à ces frères, c’est la confiance en Dieu ; et que ce raisonnement révèle leur manque de foi dans cette promesse du Sauveur : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus » (Mat. 6. 33).

Je réponds à mon interlocuteur que c’est Dieu qui fait vivre sa famille et non son travail ; que Celui qui les a nourris, lui et les siens, lorsqu’il était malade, saura bien encore subvenir à ses besoins s’il diminue le nombre d’heures de travail pour nourrir son âme : « Le matin, vous ne donnez que quelques instants à la prière ; et le soir vous êtes trop fatigué pour jouir de la lecture de la Parole de Dieu ; il arrive même que le sommeil vous surprenne dans votre lecture, ou à genoux quand vous priez ».

On m’accorde généralement qu’il en est bien ainsi…, que mon conseil a du bon ; et c’est tout. Mais ce qu’on ne me dit pas et que je devine, c’est que mon cher frère pense qu’il n’y a pas moyen de faire autrement.

Ou bien encore, voici des enfants de Dieu qui se laissent épouvanter par le spectre de la vieillesse ; que deviendront-ils quand ils ne pourront plus travailler ? La terreur de l’hospice les hante ; ils vivent dans l’inquiétude à cause du lendemain. Si je leur fais voir que, dans le passé, Dieu a constamment aidé ceux qui se confient en Lui, ils ne se sentent pas toujours libres de répondre que les temps sont changés, mais il est manifeste que le Père céleste n’est pas, pour eux, le Dieu vivant.

Ou encore, voici des frères dans le commerce ; ils ne sont pas en règle avec Dieu parce qu’ils traitent leurs affaires comme les gens de ce monde, et leur conscience en souffre. Et pour s’excuser, ils disent qu’il y a la concurrence et la surpopulation, que les temps sont difficiles ; que pour réussir il faut faire comme les autres, et que ce serait courir à la faillite que d’observer les commandements de Dieu, en affaires, etc…, etc… On exprimera peut-être le désir de changer de position ?… Mais j’ai rarement vu que pour rester en paix avec sa conscience, on prenne la sainte résolution de s’attendre uniquement au Dieu vivant et de dépendre de Lui seul.

D’autres frères et sœurs exercent des professions qui ne sont pas compatibles avec leurs principes chrétiens ; mais que deviendraient-ils s’ils y renonçaient ? Ils redoutent d’avoir à laisser une situation sur laquelle, cependant, ne peut reposer la bénédiction de Dieu. Ils craignent de ne pas trouver d’autre emploi.

L’incrédulité que ces divers états d’esprit révèlent m’a souvent accablé ; et je souhaite ardemment pouvoir faire la preuve que Dieu est toujours le même, pour quiconque se confie en Lui. Je désire pouvoir montrer aux faibles dans la foi, par des preuves qui ne soient pas uniquement tirées de l’Écriture, que Dieu peut toujours et veut toujours les aider ; qu’Il est encore aujourd’hui, ce qu’Il était hier. Je sais parfaitement que les Saintes Écritures doivent suffire ; elles ont suffi pour moi, avec le secours de sa grâce ; toutefois si je puis aider mes frères en montrant devant eux la preuve de la fidélité immuable de Dieu, je dois le faire.

Le récit de ce que le Seigneur a accompli par le moyen de son serviteur Francke, a été pour moi en bénédiction. Je crois donc que je dois servir l’Église concernant la chose pour laquelle il a plu au Seigneur de manifester sa faveur envers moi ; je veux parler de la capacité de Le prendre au mot en me reposant uniquement et parfaitement sur sa Parole.

Cette inquiétude qui ronge la plupart des chrétiens, leurs soucis, leur culpabilité en refusant de croire Dieu, ont été les moyens dont le Seigneur s’est servi pour allumer en moi l’ardent désir de donner en ce siècle, à l’église et au monde, la preuve qu’Il est toujours le même.

Et cette preuve-là, il me semble que rien ne pourrait la faire aussi bien qu’un orphelinat, puisque cela sera visible, tombera sous les sens ; or, si un homme pauvre peut fonder un orphelinat et le faire subsister uniquement par la prière et la foi, sans rien demander à personne, cela, accompagné de la bénédiction de Dieu, fortifiera les faibles, augmentera leur foi, et de plus manifestera aux incrédules la réalité des choses divines et éternelles. Telle est la raison primordiale qui ramène constamment à ma pensée la fondation d’un orphelinat.

Certes, je désire de tout cœur que Dieu m’emploie pour faire du bien à de pauvres enfants sans père ni mère ; avec son aide, je m’occuperai de leurs corps et de leurs besoins temporels, et je veillerai à ce qu’ils soient élevés dans sa crainte. Cependant mon but principal, c’est que Dieu soit magnifié. Qu’Il soit magnifié parce que les orphelins auront tout ce qu’il leur faudra, uniquement en réponse à la prière et à la foi, et sans que rien soit demandé à personne. Par-là, il sera manifeste que Dieu est toujours fidèle, et qu’Il entend toujours la prière.

Longtemps après, jetant un coup d’œil en arrière, Müller écrivit : « Les années qui ont suivi l’ouverture des Maisons pour Orphelins montrent que je ne me suis pas trompé : nombre de pécheurs ont été convertis en lisant les rapports de l’Œuvre ; quant aux croyants, ils ont été par là fortifiés. Dieu s’est servi de cette œuvre pour les amener à porter une abondance de fruits, et c’est du plus profond de mon cœur que je veux exprimer à Dieu ma reconnaissance. À Lui seul, tout l’honneur, toute la gloire et avec son secours je fais monter l’un et l’autre vers son trône ».

20 novembre. Ce soir, j’ai pris le thé chez une sœur, et j’ai trouvé chez elle une Vie de Francke. Je pense constamment à travailler comme lui, mais sur une moins vaste échelle ; non pour l’imiter, mais pour glorifier Dieu. Que le Seigneur me montre sa volonté.

21 novembre. La pensée d’un orphelinat n’a cessé d’occuper mon cœur aujourd’hui. Le moment n’est-il pas venu de faire autre chose que d’y penser, et d’agir ? J’ai instamment prié Dieu de me montrer sa volonté.

2 décembre. Ce matin, j’ai particulièrement demandé au Seigneur qu’Il lui plut de me révéler sa volonté par le moyen du frère Caldecott. Je suis allé voir celui-ci pour lui donner l’occasion de sonder mon cœur. Puisque ce que je désire, c’est la gloire de Dieu, il peut certainement se servir de ce frère aussi bien que de tout autre pour me montrer si ce projet vient ou non de Lui.

Or, le frère et la sœur C. m’ont fort encouragé. J’ai donc commandé l’impression de cartes d’invitation et cela pour plusieurs raisons. La direction du Seigneur était donc d’autant plus manifeste. Je me sentis porté à prier à nouveau ce même jour, pour recevoir encore davantage, et le résultat, c’est qu’on apporta dans la soirée vingt-huit mètres d’indienne. Enfin une autre sœur offrit ses services pour l’Orphelinat.

18 décembre. Cet après-midi, j’ai reçu un couvre-pieds, un support de fer à repasser, huit bols et soucoupes, un sucrier, un pot à lait, une tasse à thé, seize dés, cinq couteaux, cinq fourchettes, six cuillers à dessert, douze cuillers à thé, quatre démêloirs et deux petites râpes ; par un autre ami : un fer à repasser, un bol et la soucoupe. Il a apporté en même temps deux mille cinq cents francs de la part d’une sœur très pauvre.

G. Müller ajoute au sujet de ce don dans une autre publication : « Il a plu à Dieu de reprendre la donatrice ; il m’est donc possible de donner quelques détails sur elle, et sur le don qu’elle fit ».

Je la connaissais depuis l’année de mon arrivée à Bristol, en 1832. Elle gagnait sa vie avec son aiguille, et recevait entre 2 francs 50 et 6 francs 50 par semaine, car elle était souvent souffrante et ne pouvait beaucoup travailler. Mais cette chère sœur, toujours si humble, était satisfaite de ce qu’elle avait ; je ne me souviens pas de l’avoir entendue se plaindre une seule fois. Peu de temps avant l’ouverture de l’Orphelinat, son père mourait, et elle entrait, ainsi que son frère et ses deux sœurs, en possession de la part qui lui revenait de l’héritage d’une grande mère : chacun reçut 12000 francs. De son vivant, le père avait touché l’intérêt de la somme globale. Comme cet homme s’adonnait à la boisson, et laissait des dettes, ses enfants décidèrent d’offrir vingt pour cent aux créanciers. Ceux-ci qui, légalement, n’avaient aucun droit, acceptèrent avec empressement et furent payés partiellement.

A. L. songea : « La culpabilité de mon père n’empêche pas qu’il soit mon père ; puisque j’ai de quoi payer ses dettes complètement, et que mon frère et mes sœurs s’en désintéressent, je dois le faire en tant que chrétienne. Elle alla donc trouver les créanciers en secret, et elle les paya complètement. Puis son frère et ses sœurs ayant versé chacun douze cent cinquante francs pour leur mère, A. L. se dit : « Comme enfant de Dieu, je dois donner le double » ; elle versa deux mille cinq cents francs. Peu après, elle m’envoyait aussi la même somme pour l’Orphelinat.

J’en fus extrêmement surpris ; je la savais pauvre, j’ignorais cet héritage, et ses vêtements n’indiquaient pas un changement de situation. Avant d’accepter le don, j’allai la trouver et j’eus avec elle une longue conversation pour essayer de découvrir le mobile de son acte. N’avait-elle pas obéi à quelque impulsion du moment, qu’elle regretterait ensuite ? Ce point était des plus importants car si elle avait donné pour quelque raison qui ne fût pas scripturaire, le moment des regrets serait venu tôt ou tard, et le nom du Seigneur en aurait été déshonoré.

Mais quelques instants de conversation me suffirent pour découvrir qu’en agissant ainsi cette sœur bien-aimée avait voulu suivre Jésus, et qu’elle le faisait délibérément, calmement, après avoir bien pesé son acte. En dépit des conseils de la raison, elle voulait obéir aux commandements du Seigneur : « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille gâtent, et où les voleurs percent et dérobent » (Mat. 6. 19).

« Vendez ce que vous avez, et donnez l’aumône ; faites-vous des bourses qui ne vieillissent pas, un trésor qui ne défaille pas, dans les cieux, d’où le voleur n’approche pas, et où la teigne ne détruit pas » (Luc 12. 33).

Et lorsque j’essayai de l’en dissuader pour m’assurer qu’elle avait suffisamment pesé sa décision, elle me répondit : « Le Seigneur Jésus a donné pour moi la dernière goutte de son sang, et je ne lui donnerais pas ces deux mille cinq cents francs ? Je donnerais plutôt tout ce qui me reste, si la fondation de l’Orphelinat devait en dépendre ! » Ayant constaté qu’elle s’appuyait sur la Parole de Dieu et qu’elle avait bien pesé toutes choses, je ne pus qu’accepter le don en admirant les voies de Dieu qui se servait de cette sœur pauvre et souffrante, pour aider puissamment aux débuts de l’Œuvre fondée en regardant à Lui.

C’est aussi à ce moment qu’elle me remit cent vingt-cinq francs pour les enfants de Dieu dans la pauvreté. Je veux souligner que notre bien-aimée sœur garda le silence sur tous ses dons. Je crois bien que de son vivant, il n’y eut que six frères et sœurs parmi nous qui surent qu’elle avait hérité certain jour de douze mille francs et donné deux mille cinq cents francs à l’Orphelinat.

Mais ce n’est pas tout : le frère C… , l’un des missionnaires de notre Institut biblique, visitait à cette époque tout le quartier habité par A. L., en allant de maison en maison. C’est ainsi qu’il apprit qu’elle avait donné à une pauvre femme un lit, à une autre de la literie, à une autre des vêtements, à une autre des vivres. Incidemment, ici et là, il apprenait ces actes d’amour.

Le 4 août 1836, sept mois après le don si généreux fait à l’Orphelinat, elle vint me trouver et me dit que la veille elle s’était sentie poussée à prier afin que des fonds soient envoyés à l’Institut biblique. Et tandis qu’elle priait elle se dit : « De quelle utilité serait ma prière si personnellement je ne donnais rien quand je puis le faire ? » C’est pourquoi elle m’apportait cent vingt-cinq francs.

À ce moment-là, j’avais bien des raisons de croire qu’elle avait donné la plus grosse partie de son héritage, aussi lui parlai-je longuement pour m’assurer qu’elle donnait bien pour le Seigneur et après mûre délibération. Sa réponse fit voir autant de résolution que précédemment, et qu’elle était mue par l’amour de Dieu uniquement. « Et maintenant, dit-elle en guise de conclusion, vous devez prendre une seconde somme de cent vingt-cinq francs pour avoir l’assurance que la première était donnée avec joie ».

Je relèverai plus particulièrement les quatre points suivants qui se rapportent à la vie de notre sœur dans la période d’abondance : elle fit tout ce qui dépendait d’elle pour qu’on ignore ses dons, montrant par là qu’elle ne recherchait pas la louange des hommes ; elle demeura dans l’humilité et dans la même situation… ; elle ne changea rien à sa manière de se vêtir, alors qu’elle jouissait d’une abondance relative : toujours propre, sa mise resta pauvre. Son logement, sa manière de vivre restèrent ce qu’ils avaient toujours été ; et pour tous, elle continua d’être la pauvre servante du Seigneur ; et voici ce qui est aussi beau que tout le reste : elle continua de travailler pour gagner ses trois à cinq francs par semaine, alors qu’elle donnait par billets de vingt-cinq ou de cent vingt-cinq francs !

Quelques années avant de s’endormir dans le Seigneur, elle avait donné tout ce qu’elle possédait. Comme sa santé physique avait toujours laissé à désirer et que son état s’aggravait, elle devint très particulièrement dépendante de son Père céleste, qui subvint à tous ses besoins jusqu’au dernier moment.

Alors que l’argent commençait à lui manquer, elle fit une première expérience qui fortifia beaucoup sa foi. Voici ce qu’elle me raconta : elle n’avait plus un seul sou et sa petite provision de thé et de beurre était épuisée, lorsque deux chrétiennes arrivèrent pour la voir et restèrent quelque temps ; puis elles dirent leur intention de prendre le thé avec elle. Notre sœur pensait intérieurement que cela lui serait bien égal de se passer de thé, mais que c’était une dure épreuve que de ne pouvoir rien offrir à ses visiteuses.

Elle essaya de leur faire comprendre que le moment n’était pas favorable. Mais les chères sœurs ne saisirent pas, ou n’en eurent pas l’air, et se mirent à sortir d’un panier : thé, sucre, pain et beurre, tout ce qui lui manquait, tout ce qu’il fallait, et elles laissèrent le reste des provisions en prenant congé…

Notre sœur n’avait jamais rien dit à personne de sa situation. Mais le Seigneur la connaissait, et subvenait à tous ses besoins. Aussi ne se fatiguait-elle point de dire les bontés de l’Éternel, et elle faisait monter vers lui ses actions de grâce et ses louanges, même aux heures de vive souffrance. Le Seigneur la prit à Lui en janvier 1844 ».

C’est en l’année 1835, alors que Mme Müller était en visite chez une amie à Stoke Pishop, qu’elle fut victime d’un accident assez grave. En voulant éviter une voiture qui tournait à toute allure du côté où elle se trouvait, Mme Müller courut et tomba. Elle eut la vie sauve ; mais dans sa chute elle se blessa grièvement. Bien des années après, elle devait se ressentir les suites de cet accident…

Une autre année s’achevait. « Dans son fidèle amour, écrit Müller, Dieu a subvenu à tous mes besoins. Pendant 1835, il m’a été envoyé sept mille cent vingt-six francs quarante ».

George Müller avait apporté à Dieu tous les détails de l’Orphelinat qu’il fondait ; mais il avait cependant oublié un point : les orphelines ! Il allait sans dire, pensait-il, qu’il recevrait de nombreuses demandes d’admission.

Tout était prêt. Le jour de l’ouverture était arrivé. Personne ne vint. « Je m’humiliai profondément devant Dieu, dit Müller, et je passai toute la soirée du 3 février en prière ; je sondai mon cœur ; j’analysai à nouveau mes motifs. Vraiment je n’avais aucune ambition personnelle en cette affaire. Je ne voulais que la gloire de Dieu d’abord, et en second lieu, faire du bien à des enfants sans parents…

Dès le lendemain 4 février, je reçus une demande d’admission, qui fut suivie peu après par quarante-deux autres.

21 avril. J’avais loué pour un an, au moins, l’immeuble n°6 de la rue Wilson. Il est vaste et bon marché. Je l’avais occupé jusqu’au 25 mars. (Le lecteur pourrait s’étonner à bon droit que M. Müller n’ait jamais occupé pour lui, sa femme et deux enfants, des locaux si vastes qu’ils purent se transformer en Orphelinat. Quelques lignes du journal de George Müller nous aideront à comprendre ; elles nous feront voir en même temps ce que devait être la maison de cet homme de Dieu).

« 11 mars. Le frère et la sœur Groves, accompagnés des douze missionnaires, hommes et femmes, qui partent avec eux, nous ont quittés cet après-midi pour les Indes. Ce soir, nous avons eu une réunion de prière spéciale pour les voyageurs. Quand verrons-nous quelqu’un d’entre nous se lever, et partir aussi ?

Mon voyage en Allemagne a été le moyen dont Dieu s’est servi pour donner six missionnaires : quatre frères et deux sœurs. Deux sont déjà partis en octobre dernier, les quatre autres sont partis aujourd’hui ».

M. Bergin ajoute cette note dans l’Autobiographie du Centenaire : « Aujourd’hui, en 1905, des fils et des petites filles de deux des missionnaires partis alors, travaillent encore dans le district du Godavery, et la bénédiction de Dieu repose sur leurs travaux ».

Maintenant le voici aménagé pour recevoir les vingt-six petites filles admises depuis le 11 avril. La journée du 21 avril, celle de l’ouverture de l’Orphelinat, fut mise à part pour la prière et l’action de grâces. Nous avions décidé de ne prendre que les fillettes de sept à douze ans. Mais nous avons déjà reçu plusieurs demandes pour fillettes de quatre à six ans.

Ne devons-nous pas les recevoir aussi, puisqu’il y a encore de la place, et que Dieu a répondu avec munificence à nos requêtes, en nous donnant au-delà de tout ce que nous pensions ? Après avoir beaucoup prié à ce sujet, nous avons décidé devant Dieu que nous ouvririons aussi une maison pour les « petits », filles et garçons, dès que nous aurions l’immeuble, le mobilier et le personnel nécessaires.

6 mai. Aujourd’hui, j’ai commencé la rédaction de ce que Dieu a fait pour moi.

16 mai. Depuis plusieurs semaines, nous n’avions presque rien, bien que j’aie prié Dieu à plusieurs reprises. Je n’avais donc pas pu mettre de côté la somme requise pour les impôts. Ce qui me tranquillisait, c’était la pensée que Dieu enverrait le nécessaire avant l’époque voulue. Mais une épreuve bien plus sérieuse pour moi que nos besoins personnels, ce fut de ne plus pouvoir aider, qu’à peine, ceux de nos frères qui sont dans la pauvreté. Aujourd’hui, Dieu nous a envoyé cent quatre-vingt-dix francs. Il nous a exaucés en temps voulu, et avant qu’on ne vienne percevoir la somme due.

1er juin. Grâce à Dieu, l’amélioration continue, mais l’inflammation m’empêche de marcher. J’ai donc encore pu écrire la semaine passée.

3 juin. Depuis le 16 mai, je suis obligé de garder la maison et même le lit, puisque je ne dois pas marcher. Mais j’ai pu écrire presque chaque jour et continuer le « Récit » commencé. J’avais dû le laisser à cause de très pressantes occupations. Il est à noter que je n’ai pu rédiger ce travail jusqu’ici, faute de temps. Je crois qu’il pourra faire du bien. À cause de la maladie, j’ai maintenant les loisirs requis et la liberté d’esprit voulue, de sorte que j’ai pu écrire cent pages in quarto. Que Dieu me dirige dans sa bonté.

12 juin. Aujourd’hui, j’ai pu prêcher. C’est beaucoup plus tôt que je n’osais l’espérer.

18 juin. Toutes ces semaines passées, nous n’avons eu que peu d’argent pour nos dépenses personnelles. J’en suis affligé parce que nous ne pouvons pas aider les frères pauvres autant que nous le voudrions. Aujourd’hui samedi, il ne nous reste que les trois francs soixante-quinze nécessaires pour payer la voiture dont j’ai besoin pour aller à Béthesda demain dimanche, puisque je dois éviter de marcher. S’il nous reste ce peu d’argent, c’est que le boulanger a offert le pain qu’il apportait, refusant d’en accepter le prix.

21 juin. Ce soir, le frère C…. et moi, nous avons eu la joie de constater que durant la semaine écoulée, Dieu ne nous avait pas seulement envoyé les quatre cent trente-sept francs cinquante nécessaires au loyer des deux écoles, mais cent vingt-cinq francs de plus.

1er octobre. À cause des nombreuses délivrances qui nous ont été accordées dernièrement, nous n’avons pas hésité à agrandir notre champ d’action par l’ouverture d’une nouvelle école de garçons dont le besoin se faisait sentir. Nous avons des demandes d’admission qui remontent à plusieurs mois.

19 octobre. Aujourd’hui j’ai trouvé une sœur comme directrice pour l’Orphelinat des « petits ». Jusqu’ici je n’avais rencontré personne qui semblât qualifié. Voilà quelque temps déjà que nous avons en mains l’argent suffisant pour cette œuvre et plusieurs demandes d’admission.

25 octobre. Par la bonté de Dieu, nous avons pu acquérir aujourd’hui, et sans difficulté aucune, un immeuble très propre à être transformé en orphelinat pour « les petits ». Si nous avions dépensé des milliers de francs à construire, nous aurions pu difficilement faire mieux que ce que nous avons trouvé tout fait.

30 novembre. Je suppose que c’est à cause d’autres demandes urgentes, d’autres occupations pressantes que, ces temps passés, je n’ai pas prié pour les fonds nécessaires. Et hier matin, à cause du très grand besoin d’argent, je me suis senti poussé à prier avec instance à ce sujet. En réponse, j’ai reçu le même soir deux cent cinquante francs d’un frère qui voulait faire ce don depuis quelque temps, mais en avait été empêché parce qu’il n’avait pas eu les moyens jusque-là. Ces moyens, Dieu les lui a fournis juste au moment où nous avions le plus besoin de son aide, et par-là, Il vint à notre secours.

Puis, nous avons encore reçu hier soir cent vingt-cinq francs d’une sœur que je n’ai jamais vue et dont Dieu s’est souvent servi pour suppléer à nos besoins. Voici ce qu’elle m’écrit : « Dernièrement, j’ai eu constamment l’impression que je devais vous envoyer quelque chose ; il me semble que vous devez avoir quelque besoin, et que le Seigneur veut me faire l’honneur d’être son instrument en vous donnant par moi le nécessaire. Je vous envoie donc cent vingt-cinq francs, tout ce que j’ai à la maison en ce moment. Mais si vous avez l’occasion de m’écrire et voulez bien me dire ce qu’il en est, je vous enverrai à nouveau cent vingt-cinq francs ».

10 décembre. Du 26 mars à ce jour, il a été dépensé pour les orphelins neuf mille neuf cent vingt francs quinze centimes.

15 décembre. Ce jour a été mis à part pour la prière et les actions de grâce, à l’occasion de l’ouverture de l’Orphelinat des Petits, qui eut lieu le 28 novembre. Le matin, réunion de prière. L’après-midi, prière et actions de grâce, puis réunion pour les enfants de nos écoles et des orphelinats : trois cent cinquante environ. Je leur ai parlé sur ce texte : « Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse, et que ton cœur te rende heureux aux jours de ton adolescence, et marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux ; mais sache que, pour toutes ces choses, Dieu t’amènera en jugement » (Éccl. 11. 9). Ce soir, rapport sur l’œuvre des orphelinats.

31 décembre. Nous avons maintenant cent quatre-vingt-un membres d’église à Gideon Chapel et cent soixante-huit à Béthesda ; en tout, trois cent quarante-neuf frères et sœurs. Il a plu à Dieu de me donner durant l’année écoulée cinq mille huit cents francs pour mes besoins personnels.

22 avril. Deux cas de typhus à l’Orphelinat. Dieu exauçant nos prières a empêché que la maladie s’étende, et les deux petits malades sont en convalescence.

28 mai. Le récit de ce que Dieu a fait pour moi va être publié. Et ceci m’a conduit à demander à Dieu avec instance qu’il veuille bien m’accorder ce qui manque aux vingt-cinq mille francs que je lui ai demandés pour l’Orphelinat à l’origine (Le 5 décembre 1835, dix-huit mois auparavant). Pour moi, j’ai déjà l’exaucement, et la chose est comme faite ; de sorte que souvent déjà, j’ai pu bénir et louer Dieu par anticipation. Mais pour les autres, cela n’est pas suffisant.

J’aimerais que mon livre ne sorte pas de presse sans que j’aie reçu le dernier franc, pour avoir le précieux privilège d’en témoigner dans cette publication. Le 22, j’ai reçu cent quatre-vingt-neuf francs cinquante, le 23 soixante-quinze francs ; le 24, une dame que je n’avais jamais vue jusque-là m’a apporté mille francs. Ceci m’a puissamment encouragé.

15 juin. J’ai à nouveau ardemment prié aujourd’hui pour obtenir ce qui manque aux vingt-cinq mille francs, et ce soir même j’ai reçu cent vingt-cinq francs de sorte que la somme est acquise et au-delà.

C’est pourquoi je veux répéter à la gloire de Dieu, à qui je suis, et que je sers, que chacun des shillings de cette somme et que tous les objets mobiliers ont été reçus sans que rien n’ait été demandé à personne qu’à Lui.

La chose à laquelle nous devons très particulièrement prendre garde en priant, c’est de croire que nous recevrons comme il est dit dans l’évangile de Marc (11. 24) : « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous le recevez, et il vous sera fait ». Il arrive souvent que cela manque à mes prières. Mais quand je suis capable de croire que je reçois, Dieu agit en conséquence.

Tandis que je rédige ces notes (28 juin 1837), j’attends du Seigneur les quatre cent trente-sept francs cinquante qu’il me faut pour le loyer de nos deux écoles, loyer dû dans trois jours, et je n’ai en mains que soixante-quinze francs. Je crois que Dieu peut donner cette somme, je crois que Dieu veut la donner si c’est pour notre bien et j’ai souvent demandé qu’Il la donne ; mais ma foi n’est pas triomphante et je ne puis dès maintenant Le remercier de ce qu’Il m’a exaucé et accordé cette petite somme.

J’attends le secours à chaque courrier, à chaque coup de sonnette ; certes, je compte sur Dieu, et sur Dieu seul, mais jusqu’ici je n’ai pas cette assurance de pouvoir payer le loyer, au même point que je l’aurais si j’avais déjà l’argent en poche.

Comme jusqu’ici le Seigneur a daigné exaucer mes prières, comme je crois que l’un des principaux talents qu’il m’a confiés, c’est de pouvoir saisir par la foi l’effet de ses promesses pour mes besoins temporels et ceux des autres ; à cause de la nécessité d’un orphelinat pour garçons au-dessus de sept ans dans cette ville de Bristol, et parce que sans cette « Maison » nous ne saurions comment placer les enfants qui ont atteint cet âge ou vont l’atteindre, dans l’Orphelinat des « Petits »; pour toutes ces raisons, je caresse le projet d’ouvrir une nouvelle maison qui pourra recevoir quarante garçons.

Toutefois, il y a entre ce projet et sa réalisation, trois difficultés qui doivent avoir leur solution avant que je puisse aller de l’avant :

1. J’ai déjà plus à faire que je ne puis accomplir. Je ne puis donc élargir mon champ d’action, à moins qu’il ne plaise à Dieu de m’envoyer un frère qui remplirait les fonctions d’économe et me déchargerait de tout le travail de bureau : les livres de comptes, l’achat des Écritures ou portions de la Bible pour la vente ou les distributions, les comptes à tenir de ce chef ; les conseils à donner pour les Orphelinats sur des questions toutes matérielles, la correspondance ou les entrevues pour les demandes d’admission, etc…

Un économe est d’ailleurs nécessaire tout de suite, qu’un Orphelinat de garçons soit ouvert ou non. C’est pourquoi je place ce besoin d’un aide sur le cœur de ceux qui liront ces lignes, afin qu’ils prient à ce sujet et que le frère qualifié pour ce poste soit trouvé.

2. Avant d’ouvrir un nouvel orphelinat, il faut trouver l’homme pieux qui pourra en prendre la direction, et le personnel nécessaire.

3. Si Dieu veut que j’aille de l’avant, j’aimerais qu’il me le montre clairement en m’envoyant tout ce qu’il faut. Si d’une part, je suis prêt à confesser à la louange de Dieu qu’Il m’a donné la foi requise pour m’attendre à Lui, d’autre part je demande qu’Il me garde de toute présomption et d’un enthousiasme inconsidéré.

Je n’ai pas l’intention d’attendre qu’Il m’envoie des milliers et des milliers de francs ou qu’Il assure la vie de l’Œuvre par des legs, mais j’attendrai qu’Il donne le nécessaire pour meubler une maison de quarante garçons, pour les vêtir, et la petite somme voulue pour commencer…

1er juillet. Dans sa bonté, Dieu continue de bénir la prédication de sa Parole pour la conversion de nombreux pécheurs. Voilà cinq ans qu’Il poursuit sans arrêt son œuvre dans les cœurs. Actuellement le nombre de ceux qu’Il a convertis à Bristol par notre moyen est de cent soixante-dix-huit.

12 juillet. La dame qui m’avait remis le 24 mai mille francs, et que jusque-là je n’avais jamais vue, m’a donné à nouveau onze mille cinq cents francs.

15 août. J’ai reçu aujourd’hui le premier envoi (cinq cents exemplaires), de la première partie du Récit (Le titre donné par G. Müller à ses « Mémoires est un récit de la manière dont Dieu a conduit George Müller).

Et tout aussitôt, un tumulte de pensées diverses s’élevèrent en moi. N’était-ce pas une erreur que de publier cela ? Une sorte de tremblement m’a saisi, et le désir de pouvoir défaire ce que j’avais fait. Cependant, comme j’avais constamment scruté mon cœur avant de commencer la rédaction de ce travail, me faisant subir une série d’examens et de contre-examens sur la question de mes motifs, comme j’avais recherché avec ardeur en prière la pensée du Seigneur et reçu l’assurance que sa volonté était bien que je serve aussi l’Église par le moyen de cette publication, j’attribuai à l’Adversaire les sentiments contradictoires qui m’assaillaient au moment où elle paraissait.

Ce tremblement, ces doutes, ces regrets, je les considérai comme une tentation, et allant délibérément vers la caisse, je l’ouvris, je pris quelques brochures et en donnai une presque aussitôt, afin de me couper la retraite (Ce fut la dernière lutte que j’eus à soutenir pour cette publication. Depuis, je n’ai jamais regretté même un instant de l’avoir fait paraître).

Le premier legs. 15 septembre. Ce matin, nous avons reçu d’une sœur éloignée un colis contenant des vêtements pour les orphelins, et un paquet d’argent. Parmi les dons, il y avait une petite somme de huit francs soixante léguée par un jeune garçon qui venait de mourir.

Le cher enfant avait reçu de temps à autre quelques sous durant sa dernière maladie, et il les avait mis de côté. Peu avant de s’endormir en Jésus, il avait demandé qu’on nous envoie la petite somme ainsi réunie. Ce précieux petit legs en faveur des orphelins est le premier que nous ayons reçu.

19 septembre. Deux choses ont fait, plus spécialement aujourd’hui, une profonde impression sur moi. Que Dieu daigne rendre encore plus profonde cette impression : Que je dois me ménager des moments de solitude, même si, en apparence, l’œuvre semblait devoir en souffrir ; qu’il faut prendre tels arrangements utiles pour que je puisse visiter davantage les frères. Une église qui n’est pas visitée s’anémie tôt ou tard.

28 septembre. Depuis longtemps, j’ai beaucoup trop d’occupations au dehors. Hier matin, je me suis retiré trois heures durant, à la sacristie de « Gideon Chapel », pour avoir un peu de solitude. J’avais l’intention de recommencer l’après-midi, mais avant qu’il me fût possible de quitter la maison, on vint m’appeler, puis les visites se succédèrent. Aujourd’hui ce fut la même chose.

21 octobre. Il y a quelques semaines, j’avais loué, à très bon compte, un très grand immeuble pour l’Orphelinat de garçons ; mais apprenant que les gens du quartier menaçaient le propriétaire d’un procès parce qu’il avait loué à un établissement charitable, je renonçai aussitôt à mes droits.

Et voici ce qui me guida en cette affaire : ces paroles de l’Écriture : « S’il est possible, autant que cela dépend de vous, vivant en paix avec tous les hommes » (Rom. 12. 18).

En renonçant à cette maison, j’avais l’assurance que le Seigneur m’en trouverait une autre. Ceci se passait le 5 octobre de bonne heure ; or, ce matin-là pour manifester qu’Il continuait de nous bénir, Dieu nous envoya mille deux cent cinquante francs par une sœur qui est loin d’être riche, argent destiné au mobilier de l’Orphelinat des garçons.

Aujourd’hui, Il nous donne pour cet Orphelinat une autre maison située, comme les deux précédentes, rue Wilson. À son heure, Dieu nous a donc encore aidés en cette circonstance. En vérité, chaque fois que dans cette Œuvre je n’ai eu affaire qu’à lui, je n’ai jamais été déçu.

1er novembre. Nous n’avons presque plus rien pour l’Institut biblique, pour les écoles et la caisse des Missions, et voici déjà quelque temps que je demande à Dieu de bien vouloir nous envoyer avec largesse ce qu’il nous faut. Je lui ai parlé à plusieurs reprises de deux mille cinq cents francs. Jusqu’ici il ne semblait pas que Dieu eût entendu, les dons étaient minimes.

Mais hier, il y a eu un don de deux mille deux cents cinquante francs et aujourd’hui un autre de deux cent cinquante, ce qui forme la somme de deux mille cinq cents francs que j’avais nommée. Nous pouvons donc augmenter notre stock de Bibles, lequel était fort diminué.

7 novembre. Ma tête est si faible que je comprends la nécessité absolue de laisser l’Œuvre pour quelque temps. J’avais à peine pris la décision de quitter Bristol pour prendre le repos nécessaire que je reçus d’Irlande une lettre anonyme contenant cent vingt-cinq francs pour mes besoins personnels. Dieu m’envoie donc les moyens de ce déplacement.

Je ne puis plus travailler, ma tête est dans un grand état de faiblesse provoquée par un labeur incessant, et je me sens heureux de partir. Cependant, humainement parlant, tout s’oppose à ce déplacement ! L’Orphelinat de garçons va être ouvert. Il faudrait mettre au courant le personnel. Certaines questions d’églises sont pendantes, et attendent toujours une solution. Mais Dieu sait tout cela mieux que moi, et il prend soin de son œuvre mieux que je ne le pourrais faire, mieux que je ne le puis faire.

16 novembre. Aujourd’hui je suis allé à Weston super Mare.

17 novembre. Weston super Mare. Ce soir, ma femme, l’enfant et la servante sont arrivées. Hier une sœur a placé cinquante francs dans le portefeuille de ma femme. Que le Seigneur est bon de nous envoyer les moyens suffisants. Qu’il est bon aussi de nous avoir envoyé l’aide nécessaire en frère T. pour s’occuper du travail qu’entraînent les écoles, les orphelinats, etc…, de même qu’il avait envoyé frère C… il y a deux ans lorsque je dus prendre un repos prolongé !

25 novembre. Nous sommes revenus à Bristol.

30 novembre. Je ne vais pas mieux. J’ai écrit à mon père, peut-être pour la dernière fois. Tout est bien, et tout sera bien ; tout ne peut être que bien puisque je suis en Christ. Qu’il m’est précieux, maintenant que je suis malade, de n’avoir pas à chercher Dieu, mais de l’avoir déjà trouvé.

17 décembre. Jour du Seigneur. J’ai vu passer sous mes fenêtres ce matin les trente-deux orphelines qui ont plus de sept ans. Quand je vis les chères enfants avec leurs robes propres, leurs chauds manteaux et la sœur qui les accompagnait à la chapelle, je me suis senti reconnaissant envers Dieu qui m’avait choisi comme son instrument dans cette œuvre ; car toutes sont beaucoup mieux avec nous sous tous les rapports : spirituel et matériel, qu’elles ne le seraient dans les milieux d’où elles sortent.

J’ai senti que, pour un tel résultat, il valait la peine d’avoir travaillé non seulement quelques jours, mais encore durant des mois et des années, et que ceci répondait suffisamment aux amis qui me disent : « Vous faites trop ».

24 décembre. Voici le septième dimanche que je suis immobilisé. Aujourd’hui j’ai décidé que je ne joindrais plus de lettres aux paquets puisque la loi le défend ; car je comprends maintenant que le disciple de Jésus doit se conformer à la législation en tout ce qui ne s’oppose pas à la conscience.

31 décembre. Il y a maintenant quatre-vingt-un enfants dans nos trois orphelinats, et neuf frères et sœurs pour prendre soin d’eux. Total : quatre-vingt-dix personnes à table tous les jours. Nos écoles de semaine ont toujours autant besoin de nous, et même davantage, puisqu’elles comptent trois cent vingt enfants, et les écoles du dimanche trois cent cinquante.

« Ô Dieu, ton serviteur n’est qu’un pauvre homme ! mais il s’est confié en toi, il s’est glorifié de toi devant les enfants des hommes, ne permets donc pas qu’il soit confondu. Ne permets pas qu’on puisse dire de ton œuvre qu’elle est le fruit d’un enthousiasme sans lendemain, un feu de paille qui ne peut durer ! »

Ce matin j’ai gravement déshonoré le Seigneur en me laissant aller à l’irritation avec ma chère femme. Or, peu d’instants auparavant, j’étais agenouillé devant Dieu et le bénissais de m’avoir donné une telle compagne !

Cette année, il a été dépensé dix-huit mille cinq cents francs pour les Orphelinats, dix mille pour les écoles et l’achat des Écritures saintes, et j’ai reçu pour mon entretien sept mille six cent soixante-dix-huit francs vingt.

George Müller ne s’occupait pas seulement des écoles, de la diffusion des Écritures, des missions, de son église, il avait encore demandé à Dieu des ressources particulières pour les pauvres de Bristol. Nous lisons à ce sujet dans son journal :

« Les cent paires de couvertures de laine sont arrivées aujourd’hui. Que le Seigneur est bon de faire de nous ses instruments pour subvenir aux besoins des pauvres parmi les frères, et dans le monde. Elles arrivent bien à propos ; les informations prises révèlent des cas d’extrême détresse…

Que le Seigneur m’accorde de renoncer à moi-même pour subvenir aux besoins des pauvres. Que de choses on peut faire avec le renoncement ! Seigneur, aide-moi ! Les couvertures sont de très bonne qualité : quiconque veut imiter Jésus en aidant les malheureux ne se demandera pas comment faire pour s’en tirer à bon compte, mais il s’exercera à donner avec largesse.

Maladie et bénédiction. 6 janvier. Il semble que l’état de ma tête ne s’améliore pas, mais que l’état général soit plus satisfaisant ; mais mon bon docteur assure que je vais mieux et conseille un changement d’air. Or, ce même jour, une sœur qui habite à quelque cinquante-quatre kilomètres d’ici, qui ne sait donc rien de l’ordonnance du docteur m’a envoyé trois cent soixante-quinze francs en spécifiant que c’était pour un changement d’air. Dieu prend soin des siens de façon merveilleuse !

J’ai donc les moyens de suivre l’avis du docteur. Aujourd’hui j’ai entendu parler d’une remarquable conversion provoquée par la lecture du « Récit ».

7 janvier. Ma tête est dans un état pitoyable et aussi malade que jamais, me semble-t-il. Les nerfs doivent être touchés ; et ceci provoque en moi une forte tendance à l’irritabilité, mêlée de je ne sais quel sentiment satanique, qui est étranger à ma nature. Ô Seigneur ! veuille garder ton serviteur de te déshonorer. Mieux vaudrait que tu me prennes à toi.

10 janvier. Aujourd’hui nous sommes partis pour Trowbridge, ma famille et moi.

12 janvier. Trowbridge. J’ai commencé la lecture de la « Vie de Whitefield » par M.

13 janvier. La lecture de cette biographie m’a déjà été en bénédiction. Il est évident qu’il faut attribuer les grands succès de la prédication de Whitefield à sa vie de prière intense et au fait qu’il lisait la Bible à genoux. Je sais depuis quelques années déjà l’importance de ce dernier point ; mais jusqu’ici je ne m’y suis que très peu conformé. J’ai eu aujourd’hui plus de communion avec Dieu que je n’en avais eu ces temps passés.

14 janvier. Jour du Seigneur. J’ai continué la lecture de la Vie de Whitefield, et Dieu continue de bénir celle-ci pour mon âme. J’ai passé plusieurs heures en prière aujourd’hui. À genoux, j’ai lu le Psaume soixante-trois, ce qui a été pour moi l’occasion de deux heures de méditation et de prière.

Mon âme est maintenant parvenue à ce point qu’elle fait ses délices de la volonté de l’Éternel quelle qu’elle soit. Oui, du plus profond du cœur, je puis dire maintenant que je ne voudrais pas guérir, aussi longtemps que je ne jouis pas pleinement de la bénédiction que Dieu veut me dispenser par ce moyen. Hier et aujourd’hui, il a puissamment attiré mon âme vers lui.

Ô Dieu ! continue de manifester tes bontés envers moi, et remplis-moi d’amour ! Je voudrais te glorifier davantage ; pas tellement par une activité extérieure que par la conformité intérieure à l’image de Christ. Qu’est-ce qui empêcherait Dieu de faire d’un être aussi vil que moi un autre Whitefield ? Il est certain que Dieu pourrait faire reposer sur moi autant de grâce qu’Il en fit reposer sur lui.

15 janvier. Les douleurs de tête ont été bien moins vives depuis hier après-midi. Cependant, je suis loin d’être bien. Mais à cause des bénédictions spirituelles que le Seigneur m’a déjà accordées, j’ai l’assurance que par cette maladie il veut me purifier pour son service béni, et qu’il me rendra bientôt, avec la santé, la possibilité de travailler encore pour Lui.

16 janvier. Journée bénie ! Oh ! que le Seigneur est bon ! Sa grâce entretient en moi la ferveur d’esprit. Le Psaume 66 a fait l’objet de mes méditations, et plus spécialement les versets dix, onze et douze, qui s’appliquent à mes circonstances particulières. Par le moyen de cette maladie, Dieu m’a déjà « mis au large et dans l’abondance », et je crois qu’Il veut me bénir encore davantage.

Que n’a-t-Il pas fait déjà pour moi durant les dix-huit années écoulées ! Si j’établis un parallèle entre ce 16 janvier 1838 et le 16 janvier 1820, jour de la mort de ma chère mère, je puis mesurer la grandeur de son amour à mon endroit. Aujourd’hui j’ai pris la résolution, si Dieu me rend la santé, d’avoir une fois par semaine ou tous les quinze jours, avec les enfants de nos écoles et les orphelins, une réunion spéciale à la chapelle pour étudier avec eux les Écritures.

Le Seigneur incline mon cœur à prier pour bien des choses ; celle-ci par exemple : qu’il veuille allumer en moi un saint désir de Lui gagner des âmes et un plus grand amour pour les perdus. C’est la lecture de la vie de Whitefield qui m’a fait sentir mon devoir sur ces points particuliers.

17 janvier. Dieu continue de me manifester sa faveur en maintenant en moi la ferveur d’esprit. À plusieurs reprises aujourd’hui, je me suis senti attiré par la prière, et j’ai prié longuement. J’ai lu à genoux le Psaume 68 en priant et en méditant. Au verset cinq, le qualificatif de « Père des orphelins » donné à Jéhovah m’a été en bénédiction. Je me suis approprié immédiatement tout ce qu’il comportait en pensant aux enfants qui me sont confiés ; jamais encore je n’avais réalisé comme aujourd’hui la vérité contenue dans ce passage.

Dieu aidant, elle deviendra mon argument pour les heures difficiles. Il est leur Père, Il s’est engagé à pourvoir à leurs besoins, à prendre soin d’eux. Je n’ai donc qu’à lui rappeler les besoins des orphelins pour qu’il donne le nécessaire. Mon âme s’est encore élargie pour les malheureux enfants sans parents. Cette expression : « le Père des orphelins » recèle assez d’encouragement pour que je puisse sans crainte placer des milliers d’orphelins sur le cœur du Père, et les remettre à son amour.

2 février. Ce matin, j’ai lu les versets cinq à douze du chapitre 3 des Proverbes, pendant les quelques instants libres que j’avais avant le déjeuner. Et ces mots m’ont particulièrement frappé : « Mon fils, ne méprise pas l’instruction de l’Éternel, et n’aie pas en aversion sa réprimande » (Prov. 3. 11).

Certes, je n’ai pas méprisé le châtiment du Seigneur, mais il m’arrive de temps à autre d’être las d’être repris. « Ô Dieu, aie pitié de moi, ton serviteur inutile ! Tu sais bien que l’homme intérieur veut endurer l’affliction avec patience, et que même il ne voudrait pas qu’elle se retirât aussi longtemps qu’elle n’a pas parfaitement accompli son œuvre et porté les fruits paisibles de justice qu’elle doit porter. Mais tu sais aussi quelle épreuve c’est pour moi de continuer à vivre comme je le fais maintenant. Viens à mon secours, Seigneur ! »

Ch. 9. Temps de maladie et d’épreuve de la foi

À nouveau, la possibilité d’un voyage en Allemagne se présenta pour G. Müller. Il hésita, il pesa le pour et le contre ; il pria pour connaître la pensée de Dieu. Les maux de tête continuaient… Parfois si atroces, qu’on craignit pour sa raison. Un changement d’air, le retour au pays natal, lui seraient peut-être favorables ? Enfin il pourrait aider frère X. dans sa mission. Voici ce qu’il écrivait à ce sujet :

2 mars. Après avoir beaucoup prié, j’ai décidé d’accompagner frère X en Allemagne : je pourrai l’aider à atteindre le but de son voyage ; avec la bénédiction de Dieu, ce déplacement et l’air natal pourront concourir à mon rétablissement ; j’aurai par-là une nouvelle occasion d’exposer la vérité devant mon père et mon frère.

3 avril. J’ai quitté Bristol ce matin. Avant de partir, j’ai choisi pour le lire avec ma chère femme le Psaume 121, et tous deux nous avons senti combien il était approprié.

6 avril. J’ai pris passage ce soir à bord du vapeur en partance pour Hambourg.

7 avril. Souffert toute la journée du mal de mer.

8 avril. Jour du Seigneur. J’ai pu me lever ce matin et prendre les repas. Je croyais être le seul à bord qui servît Dieu, mais ce matin, j’ai découvert une sœur en Christ parmi les passagers, et nous avons conversé tous deux longuement.

Au déjeuner, elle eut plus de courage que moi pour s’élever contre le mal. Au thé, le. Seigneur m’a aidé, et j’ai reçu assez de grâce pour parler de Jésus à mes compagnons de voyage, pour le confesser devant eux.

9 avril. Hambourg. Nous sommes arrivés ici à une heure du matin après une très rapide traversée de quarante-huit heures, à sept heures, je suis descendu à terre.

C’est pendant cette absence que George Müller écrivit une lettre pleine de tendresse aux frères de Bristol. Il y mentionne la bonté de Dieu à son égard, sa longanimité, sa fidélité, et ce qu’il a appris dans l’épreuve. Par-delà la maladie, il a pu discerner l’amour du Père céleste. Il ne peut plus célébrer le service divin ; même la simple lecture ou la seule conversation ou la prière avec quelques frères, le fatiguent.

Mais la prière secrète est toujours une force qui le soutient, et apporte quelque soulagement aux douleurs de tête si vives dont il souffre ; il y trouve toujours quelque allègement et quelque rafraîchissement pour son âme. Dans sa grande affliction, il ne saurait s’en passer.

Comme l’a dit Hudson Taylor, « Satan peut bien élever une barrière tout autour des chrétiens, mais il ne peut construire un toit au-dessus de leurs têtes et les empêcher de regarder vers Dieu ».

Ainsi, dans son cas, la maladie l’oblige à une retraite momentanée, mais elle ne peut l’empêcher de s’unir à ceux qui, à l’avant-garde, livrent les batailles de l’Éternel, et supportent l’effort du combat (D’après Pierson).

14 avril. Berlin. J’ai rencontré quelques frères qui désirent partir comme missionnaires. Nous avons prié ensemble et lu les Écritures.

Reçu ici deux lettres de ma chère femme. Dieu a repris à lui Harriett Culliford, l’une de nos orphelines qui avait autrefois l’un des caractères les plus difficiles. Elle est morte en chrétienne. Voilà certes qui dédommage de bien des peines. Ma femme mentionne aussi de nouvelles bénédictions accordées à la publication du « Récit ».

Aujourd’hui 21 avril, après avoir beaucoup prié à ce sujet, j’ai décidé de quitter Berlin pour aller chez mon père. II y a trop à faire ici pour moi ; plus que je n’y puis supporter, car je souffre beaucoup de la tête.

22 avril. Jour de confirmation à Berlin. Le fils de la personne chez qui nous logeons a été confirmé, et on célèbre le fait, ce soir, avec un violon et des danses ! Que c’est affreux !

On m’a parlé ces jours-ci de l’un de mes chers amis, un frère, qui a été mis en prison pour ses idées religieuses. Cela m’a fait penser à nouveau aux privilèges dont jouissent les enfants de Dieu en Angleterre.

24 avril. J’ai quitté Berlin hier soir. Je suis arrivé cet après-midi à Heimersleben. J’ai revu mon cher père, maintenant très âgé, qui semble s’incliner rapidement vers la tombe. Je me demande s’il passera l’hiver ?

25 au 28 avril. J’ai eu de nouveau l’occasion d’exposer devant mon père, de façon plus complète, plus simple, et qui, je crois, a touché son cœur, le plan du salut. J’ai obtenu ce résultat qu’il est bien convaincu maintenant qu’il lui manque quelque chose. Il s’est montré plein d’affection pour moi.

J’ai aussi parlé très nettement à mon pauvre frère qui vit ouvertement dans le péché… Quelle dette n’ai-je pas contractée envers Dieu !…

28 avril. Le moment du départ venu, mon père a voulu m’accompagner la distance de dix kilomètres à peu près. Comme notre séparation serait moins douloureuse, si mon cher père était chrétien ! Ce soir j’ai pris passage à bord d’un vapeur qui descend l’Elbe jusqu’à Hambourg, où nous arriverons le 30 au matin.

M. Müller quitta Hambourg le 2. Arrivé à Bristol le 7, il assista le même soir à la réunion de prière de Gideon Chapel, et remercia Dieu pour l’épreuve qu’Il lui avait envoyée ».

11 juin. J’ai eu la visite d’un étranger qui m’a demandé de remettre de sa part, avec les intérêts, une petite somme qu’il a dérobée il y a quelque temps. Il avait lu le « Récit », ce qui l’amenait à se confier en moi, et à me demander ce service. Il me donna donc les noms et adresses des deux personnes lésées, cent francs pour chacune, plus vingt-cinq francs à mon intention comme gage d’amour chrétien. J’ai fait l’envoi de cet argent ; non par la poste, comme il me l’avait demandé, mais par une banque, afin d’avoir les reçus en cas de besoin. En ce genre d’affaires, on ne saurait être trop prudent.

Peut-être quelque lecteur ayant sur la conscience une indélicatesse lira-t-il ces lignes ? En ce cas, qu’il n’hésite pas à rendre ce qu’il a pris, comme Zachée, et s’il en a les moyens qu’il le rende avec les intérêts simples, et même les intérêts composés.

Le 13 juin 1838, Mme Müller donna naissance à un enfant mort-né. Ce fut une douloureuse épreuve pour le père et la mère. Mme Müller fut quinze jours entre la vie et la mort. Une fois de plus, Dieu exauça la prière fervente qui montait vers Lui en sa faveur, et ses jours furent prolongés (Pierson).

12 juillet. La foi mise à l’épreuve. Depuis la fondation des orphelinats jusqu’à la fin de juin 1838, Dieu n’a cessé de nous montrer sa faveur en subvenant très largement à tous les besoins de l’Œuvre. Mais maintenant, il semble que le « Père des orphelins » veuille nous dispenser les ressources d’une autre manière. Il y a un an nous avions en caisse dix-neuf mille cinq cents francs ; aujourd’hui nous n’avons plus que cinq cents francs. Cependant, grâce à Dieu, ma foi est aussi ferme aujourd’hui qu’auparavant, et même elle est peut-être encore plus affermie. Jamais je n’ai douté du Seigneur.

Toutefois, comme Dieu veut que nous allions à Lui, et comme la foi véritable conduit à la prière, je me suis adonné plus particulièrement à la prière avec frère T., de l’orphelinat des garçons, afin de recevoir le nécessaire. Il est la seule personne à qui je parle de l’état de nos finances, en dehors de ma femme et du frère Craik.

Tandis que nous vaquions à la prière, on amena un orphelin de Frome ; quelques chrétiens de l’endroit s’étaient cotisés et envoyaient avec lui cent-vingt-cinq francs. Ce fut la première réponse à nos requêtes. Nous venons de décider l’admission de sept enfants ; et nous pensons en recevoir cinq autres, bien que la caisse soit presque vide ; mais nous comptons que Dieu subviendra à nos besoins.

22 juillet. Je me promenais ce soir dans notre petit jardin en méditant sur ces paroles : « Jésus Christ est le même, hier, et aujourd’hui, et éternellement » (Héb. 13. 8). Et tandis que je réfléchissais à cet amour, à cette puissance, à cette sagesse immuables, je me disais que ceux-ci ayant dispensé jusqu’ici tout ce qu’il fallait à nos orphelins, continueraient de le faire, puisqu’ils sont toujours les mêmes.

Un courant de joie remplit alors mon âme, tandis que je réalisais l’inaltérable amour de mon adorable Sauveur. Une minute après, on m’apportait une lettre contenant cinq cents francs accompagnés de ces lignes : « Veuillez employer au mieux le montant du billet inclus : pour l’Institut biblique ou les orphelins, ou de quelque façon que le Maître vous l’indiquera. Ce n’est pas une grosse somme, mais elle est suffisante pour le jour présent… ».

26 juillet. Aujourd’hui, trois sœurs et douze frères allemands se sont embarqués à Liverpool, à destination de l’Inde. C’est ici le résultat du voyage en Allemagne, que frère X et moi nous avons entrepris au printemps.

6 août. J’aurais à payer au moins huit cent soixante-quinze francs pour les orphelins cette semaine et je n’ai en mains que quatre cent soixante-quinze francs. Mais j’ai les yeux fixés sur « le père des orphelins », et je crois qu’il nous aidera, bien que je ne sache pas comment.

7 août. Dieu s’est manifesté à nouveau. Et si promptement ! envoyant le secours du côté où nous ne l’aurions pas attendu. J’avais prié avec ardeur hier et aujourd’hui, suppliant Dieu d’agir, de manifester sa puissance, afin que les ennemis ne puissent pas dire : « Où est maintenant son Dieu ? »

Je lui ai rappelé comment j’avais commencé l’œuvre pour manifester à notre siècle qu’Il est toujours prêt à répondre à la prière, et que la subsistance des orphelins était cette preuve. Et maintenant, voyez ! Hier, le frère Craik m’annonça qu’on lui avait remis deux cent cinquante francs pour l’Institut biblique, les orphelinats, et le fonds missionnaire. Comme il y avait six cent vingt-cinq francs à payer aujourd’hui et que je n’avais pas assez d’argent, je pris avec moi les clefs des boîtes placées dans nos Maisons, et passai voir le frère T. à l’orphelinat des garçons, sachant qu’il avait aussi reçu quelque chose.

Dans la boîte de l’orphelinat des garçons, je trouvai trente-quatre francs cinquante ; de son, côté, le frère T. avait reçu quatre cent neuf francs. Tout cela réuni me donnait plus que la somme nécessaire. Encore une fois, notre adorable Sauveur avait envoyé la délivrance. J’ai en mains plus qu’il ne me faut pour les dépenses courantes.

29 août. Aujourd’hui, seize chrétiens ont reçu le baptême. Parmi eux, un frère de quatre-vingt-quatre ans, et un autre de soixante-dix ans pour lequel sa femme priait depuis trente-huit ans !

5 septembre. L’épreuve continue. Dieu donne jour après jour le nécessaire, et presque heure après heure. Il semble qu’Il dise que « son moment n’est pas encore venu ». Mais j’ai foi en Lui, et je sais qu’Il enverra le secours… Tandis que j’étais en prière cet après-midi, je reçus l’assurance de l’exaucement, et j’ai loué le Seigneur par anticipation…

Hier j’avais demandé à Dieu que ma foi ne défaille point. Le frère T. est arrivé, apportant cent un francs, produit de plusieurs dons. Il m’a annoncé en même temps qu’il allait m’envoyer les comptes de la Maison des Petits, qui a besoin d’argent pour les dépenses courantes. Un instant j’ai pensé à garder la somme apportée en prévision de ces dépenses.

Mais, à chaque jour suffit sa peine : le Seigneur peut donner à nouveau pour demain, et j’ai envoyé soixante-quinze francs à une sœur pour le paiement du trimestre dû, et le reste pour l’orphelinat de garçons. Je suis donc à nouveau sans le sou. Mon espoir est en Dieu. Il pourvoira.

8 septembre. L’épreuve continue. Avant-hier, j’ai assisté au service du frère Craik ; il a prêché sur Abraham (Gen. 12) et a montré que tout alla bien pour lui aussi longtemps qu’il marcha par la foi, et selon la volonté de Dieu. Mais dès qu’il perdit confiance, et qu’au lieu de regarder à Dieu il suivit ses propres pensées, il rencontra la détresse.

Je me suis aussitôt appliqué les paroles entendues : que Dieu me garde de prendre les chemins de traverse, ou de recourir à quelque moyen qui ne serait pas « le sien ».

J’ai cinq mille cinq cents francs en banque, somme que m’ont remise un frère et une sœur pour une autre branche de l’œuvre. Je pourrais en distraire une partie et les en avertir. Ils aiment les orphelinats et l’ont souvent montré par leurs dons généreux ; le frère m’a même dit de lui faire savoir si j’avais besoin d’argent. Mais ce serait là une délivrance de ma façon ; ce ne serait pas celle de Dieu. Et quelle pierre d’achoppement pour la foi, lorsque l’épreuve surviendrait à nouveau.

En entendant le frère Craik, j’ai aussi discerné le danger de déshonorer le Seigneur sur le point même où je veux le glorifier. J’ai plaidé avec Dieu hier et aujourd’hui, Lui présentant onze arguments, onze raisons d’envoyer du secours ! Mon esprit jouit maintenant d’une grande paix, d’une paix qui devient de la joie.

Je dois ajouter que « le fardeau » de ma prière ces jours passés, la pensée dominante de mes requêtes, c’était que dans sa bonté, le Seigneur veuille bien empêcher ma foi de chanceler. Mes yeux sont sur Lui. Il peut intervenir à tout instant. Et je suis sûr qu’Il le fera à sa manière et à son heure. Voici les onze arguments que j’ai plaidés devant lui :

1) L’œuvre des Orphelinats est pour la gloire de Dieu, pour donner la preuve visible que par le seul exaucement de la prière, Il subvient aux besoins des orphelins. Qu’Il se révèle donc comme le Dieu vivant qui, encore aujourd’hui, entend la prière et qu’Il lui plaise d’envoyer des secours.

2) Il est le « père des orphelins ». Qu’Il veuille donc bien les assister en conséquence (Ps. 78. 5).

3) J’ai reçu les enfants au Nom de Jésus. C’est donc Lui que j’ai reçu en les recevant, en leur donnant la nourriture et le vêtement. Qu’il plaise à Dieu de prendre cela en considération (Marc 9. 36 et 37).

4) L’œuvre de l’orphelinat a jusqu’ici fortifié la foi de beaucoup. Si Dieu n’intervient pas, la foi des faibles en sera ébranlée, au lieu que, s’Il envoie le secours, elle en sera fortifiée.

5) S’Il n’envoyait pas le nécessaire, Il donnerait aux ennemis l’occasion de rire et de dire : « N’avions-nous pas annoncé que toute cette affaire finirait ainsi ? ».

6) Si le Seigneur n’envoyait pas le secours, les enfants de Dieu encore peu développés ou encore charnels, se sentiraient justifiés à s’allier au monde pour l’œuvre du Seigneur ; ils s’autoriseraient de notre échec pour continuer de recourir à des moyens non scripturaires, afin de trouver les subsides nécessaires aux œuvres similaires.

7) Qu’il plaise au Seigneur de se souvenir que je suis son enfant. Qu’Il veuille donc avoir pitié de moi puisque je ne puis pas nourrir tous ces orphelins. Qu’Il ne permette pas que ce fardeau pèse plus longtemps sur moi, et qu’Il daigne envoyer le secours.

8) Qu’Il daigne aussi se souvenir de mes collaborateurs qui, eux aussi, ont mis leur confiance en Lui ; mais qui seraient extrêmement éprouvés, s’Il ne venait pas à notre aide.

9) Qu’il veuille bien se souvenir que, faute de secours, j’aurais à renvoyer les orphelins auprès de leurs anciens compagnons, alors qu’ils sont élevés chez nous dans la connaissance de sa Parole.

10) Qu’Il lui plaise de montrer l’erreur de ceux qui ont dit : « C’est fort bien au début, et tant que la chose est nouvelle, mais cela ne durera pas ».

11) Que s’Il refusait maintenant de nous envoyer les recours nécessaires, je ne saurais plus comment interpréter les si nombreux et remarquables exaucements de prières accordés jusque-là dans l’Œuvre, exaucements qui m’ont donné la preuve qu’elle procédait de Lui.

Je comprends maintenant mieux que je ne le faisais jusqu’ici, l’expression qu’emploie si souvent le psalmiste : « Jusques à quand ». Même maintenant, en cette extrémité et avec son aide, je garde les yeux attachés sur Dieu, et je crois qu’Il enverra le secours.

10 septembre, lundi. Nous n’avons pas reçu d’argent hier, ni avant-hier. Il me semble urgent de prendre une décision et d’avertir nos collaborateurs. À l’exception du frère T., ils ignorent l’état de nos finances. Il faudrait aller aux orphelinats pour leur exposer la situation, examiner avec eux ce qu’il convient de faire, recommander qu’on cesse les achats d’objets divers ; mais que rien ne soit supprimé à la nourriture et aux vêtements des orphelins. Je préférerais renvoyer ceux-ci que de les voir manquer de quoi que ce soit.

Enfin il faudrait visiter nos maisons et s’assurer qu’il ne s’y trouve rien d’inutile et qui puisse être vendu. Je voudrais aussi dire à mes collaborateurs ma parfaite confiance en Dieu, malgré cette grande épreuve, et leur proposer que nous nous réunissions pour prier. Ce moment est très solennel.

À neuf heures et demie j’ai reçu soixante centimes ; j’y vois la preuve que Dieu aura compassion et qu’il donnera davantage. J’ai vu le frère Craik et lui ai ouvert mon cœur.

Vers dix heures, alors que je m’adonnais à nouveau à la prière, une sœur vint, qui donna cinquante francs à ma femme, et peu après, autant à moi. Le Seigneur a donc envoyé un peu d’aide, ce qui a puissamment fortifié ma foi.

Quelques instants après on venait demander de l’argent pour la Maison des Petits, j’ai remis cinquante francs ; puis j’ai envoyé vingt-cinq francs soixante à l’orphelinat de garçons et vingt-cinq francs à celui des filles.

J’ai rencontré aujourd’hui un jeune frère qui fut amené au Seigneur, ainsi que l’une de ses sœurs, par le moyen du « Récit ».

13 septembre. À nouveau, la nécessité d’exposer la situation des orphelinats à mes collaborateurs s’est imposée à moi. Il faut bien qu’ils soient avertis, à cause des achats et pour empêcher les dettes. Aujourd’hui, je les ai donc réunis, et je les ai mis au courant en leur demandant le secret. Puis nous avons prié ensemble. Il n’y a eu ni gêne, ni contrainte.

J’ai trouvé quinze francs soixante dans les boites des orphelinats, l’un de nos collaborateurs m’a donné quinze francs ; la vente de menus travaux à l’aiguille, faits par les enfants, a produit vingt-six francs vingt-cinq. L’une des sœurs m’a fait dire de ne pas me mettre en peine de son salaire ; elle avait tout ce qu’il lui fallait pour douze mois. Quelle bénédiction d’avoir de tels collaborateurs !

14 septembre. Nous nous sommes encore réunis pour la prière ce matin, car Dieu ne nous secourt qu’instant après instant. Un frère m’a donné vingt francs, tout ce qu’il possède, considérant qu’il ne serait pas convenable de demander de l’argent à Dieu tout en conservant par devers lui ce qu’il avait. Une sœur m’a dit qu’elle me donnerait cent cinquante francs dans quelques jours ; elle les avait mis à la banque pour un temps comme celui-ci. Que Dieu soit loué qui m’a donné de si précieux collaborateurs !

Les directrices de nos trois maisons avaient pris l’habitude de payer les boulangers et le laitier à la semaine parce qu’ils préféraient cela. On a parfois agi de même avec le boucher et l’épicier. Mais maintenant que le Seigneur ne nous secourt plus qu’au jour le jour, nous pensons qu’il serait mal de continuer à régler à la semaine. À partir d’aujourd’hui, on paiera donc comptant.

De retour à la maison, j’ai trouvé un gros colis de vêtements neufs, expédiés de Dublin pour les orphelins. Cet envoi nous apporte la preuve que le Seigneur se souvient toujours de nous. Nous avons encore prié ce soir ; nous sommes pleins de courage, et croyons que Dieu enverra le nécessaire.

15 septembre. Nous nous sommes réunis ce matin pour prier. Dieu soutient nos cœurs. Les provisions suffisent encore, mais l’argent manque pour le pain de demain ; nous le prenons toujours la veille pour qu’il soit rassis le lendemain.

Reçu aujourd’hui d’un de nos aides et d’ailleurs trente-huit francs, ce qui a permis l’achat de pain. Que Dieu soit loué !

17 septembre. L’épreuve continue ; et elle se fait chaque jour plus douloureusement sentir. Je suis assuré que Dieu poursuit l’accomplissement de ses desseins, en nous imposant cette attente prolongée. Il enverra le secours si nous savons l’attendre. L’un de nos collaborateurs apporte quinze francs soixante, une autre quatorze francs soixante-dix, tout ce qui lui restait. Nous avons pu acheter le nécessaire.

Ce soir, en considérant qu’il y avait si longtemps que nous n’avions plus reçu de grands dons, je me suis senti abattu. Comme j’en ai l’habitude, lorsqu’il en est ainsi, je suis allé à la Bible pour être réconforté ; et mon âme a trouvé un grand rafraîchissement dans la lecture du Psaume trente-quatre, en même temps que ma foi s’en trouvait fortifiée.

Tout joyeux, j’ai rejoint mes chers collaborateurs pour l’heure de la prière. J’ai relu avec eux ce Psaume en essayant de réchauffer leurs cœurs avec les si précieuses promesses.

18 septembre. Le frère T. avait trente et un francs vingt-cinq et moi trois francs soixante-quinze. Le total a suffi pour acheter les provisions nécessaires, un peu de thé pour l’un des orphelinats et du lait pour les trois Maisons. Il y avait du pain pour deux jours. Nous étions réduits à l’extrémité ; nos fonds étaient épuisés et nos collaborateurs avaient donné le peu qu’ils possédaient.

Eh bien, voyez comment Dieu nous a secourus. Nous avions déjà pensé à vendre certaines choses qui ne sont pas indispensables, toutefois j’avais demandé au Seigneur qu’Il ne le permette pas. Or une dame des environs de Londres, venue à Bristol où elle habite près des orphelinats depuis quelques jours, avait reçu de sa fille pour nous une somme de quatre-vingt francs à peu près. Elle est venue cet après-midi et m’a apporté l’argent. Penser que cette somme était depuis plusieurs jours si près des orphelinats, sans être apportée ! N’est-ce pas ici la preuve que Dieu voulait nous aider dès le début ?

Mais comme Il prend plaisir aux prières de ses enfants, Il a permis que nous ayons à intercéder aussi longtemps. Il a voulu mettre à l’épreuve notre foi pour que la réponse soit pour nous le sujet d’une plus grande joie. C’est une précieuse délivrance, je n’ai pu m’empêcher d’éclater en louanges, et d’exprimer à haute voix mes remerciements dès que j’ai été seul. Nous nous sommes à nouveau réunis ce soir, mes collaborateurs et moi, pour la prière et la louange ; ils se sont sentis puissamment encouragés.

27 septembre. Les douze francs reçus avant-hier ont été donnés à la « Maison des Petits ». J’étais allé aux informations et je savais qu’il y avait tout ce qu’il fallait dans les trois maisons pour deux jours, même de la viande.

Comme je suis souffrant aujourd’hui et ne puis me rendre à la réunion de prières, j’ai envoyé au frère T. les vingt-quatre francs que j’ai reçus, pour qu’il les partage entre les trois directrices. Cet après-midi, j’ai appris la nouvelle délivrance que le Seigneur nous accorde.

Il y a quelques semaines, j’avais répondu à un fermier, qui me demandait d’admettre sa fillette, orpheline de mère, que je la prendrais s’il payait une pension annuelle de deux cent cinquante-deux francs au minimum, puisqu’il en a les moyens et que cette somme représente à peu près les frais d’entretien d’une enfant de son âge ; somme payable par trimestre et d’avance. Ce matin il a amené l’enfant et payé les soixante-trois francs du trimestre, ajoutant vingt-cinq francs au prix convenu.

Que le Seigneur conserve dans nos âmes le vivant souvenir de ces délivrances ; et que chaque nouvelle marque de sa fidélité serve à augmenter notre confiance en Lui !

29 septembre. Voici plusieurs jours que nous prions pour avoir l’argent du loyer des maisons. Comme nous n’avons toujours rien, le frère T. et moi avons continué de prier depuis dix heures jusqu’à midi moins le quart. Midi a sonné. À cette heure le loyer aurait dû être payé. Je me suis demandé à plusieurs reprises si, par son silence, Dieu ne voulait pas nous conduire à mettre de côté l’argent du loyer, chaque semaine ou chaque jour ?

C’est ici la deuxième fois – et seulement la deuxième – que nous ne sommes pas exaucés, depuis quatre ans et demi. La première fois, c’était aussi à propos du loyer d’une salle de classe. Je suis convaincu maintenant qu’il faut mettre quelque chose de côté chaque jour, ou chaque semaine, pour cela…

Les jours se suivent, l’épreuve continue ; Dieu continue aussi de secourir.., mais les secours semblent mesurés, et ne survenir qu’à la dernière extrémité.

Quiconque lit attentivement le journal de George Müller à cette époque, est presque accablé par cette épreuve incessante qui tient la foi en haleine, et laisse à peine aucun répit. George Müller, lui, n’est pas du tout accablé ; et le lecteur est émerveillé par les explosions d’amour et de reconnaissance, par les louanges et les actions de grâce qui traversent les lignes tracées, durant ces jours d’épreuve, pour le moindre don reçu. (Nous ne pouvons parler de jours de disette, puisque les orphelins ne manquèrent jamais de rien).

Énergie, volonté, foi, fidélité, endurance, tout cela, toutes ces qualités sont mises à l’épreuve, fortifiées, décuplées, pendant ces semaines, ces mois, ces années d’intimité avec Dieu, qui obtiennent jour après jour la nourriture et l’entretien des orphelins et de leurs directeurs. Presque chaque journée ramène l’obligation de l’intercession pour que Dieu envoie le nécessaire. Mais jamais le Père des orphelins ne fit défaut.

Ainsi, le 21 novembre, il n’y avait plus un seul sou, absolument plus rien entre les mains des trois directrices des Orphelinats. L’heure semblait tout particulièrement sombre. George Müller était venu prier avec ses collaborateurs comme il en avait pris l’habitude. La réunion de prière terminée, sentant qu’il avait besoin d’exercice, car il faisait très froid, il prit le plus long chemin pour rentrer chez lui, et c’est ainsi qu’il rencontra un frère qui avait déjà passé deux fois inutilement à son domicile dans la matinée. Ce frère lui remit cinq cents francs pour les diverses œuvres, dont cent vingt-cinq francs pour les orphelinats.

Une semaine après, la situation est de nouveau très grave : « Il y a de quoi déjeuner dans les trois Maisons, écrit Müller, mais pour le soir, le pain, le thé et le lait, manquent chez les petits et chez les garçons. Nous n’avons jamais été plus pauvres, et même jamais aussi pauvres. Nous nous sommes assemblés pour la prière et avons exposé nos besoins à Dieu en toute simplicité.

Pendant que nous priions, on frappa à la porte et une des sœurs sortit. Après un temps de prière à haute voix, mes deux frères et moi, nous continuâmes à intercéder silencieusement. Personnellement, je demandais à Dieu de me faire voir l’issue de l’épreuve ; y avait-il autre chose que je puisse faire en toute bonne conscience, que de m’adonner à la prière pour donner du pain aux enfants ? En ce cas qu’il voulût bien me le montrer ».

Nous nous relevâmes enfin et je dis aussitôt : « Je suis certain que Dieu nous enverra du secours ». Je n’avais pas achevé ma phrase que j’aperçus sur la table une lettre qu’on avait apportée pendant que nous priions. C’était un pli de ma femme, contenant un second pli avec deux cent cinquante francs pour les orphelins. Un frère m’avait demandé la veille au soir si nous aurions encore cette année, comme l’année dernière, un fort encaisse une fois les comptes arrêtés ? Et je lui avais répondu que l’encaisse serait ce que Dieu voudrait bien qu’elle soit.

Le lendemain, ce frère se sentit pressé de nous envoyer deux cent cinquante francs qui arrivèrent chez moi, après mon départ. Et à cause de notre situation extrême, ma femme envoyait la lettre sans retard. De sorte que je pus donner cent soixante-deux francs cinquante pour les achats nécessaires, et mettre quatre-vingt-sept francs cinquante de côté pour le loyer.

29 novembre. Dieu bénit abondamment nos réunions de prières et il y répond en nous envoyant les subsides nécessaires. Ce matin, j’ai trouvé à l’orphelinat douze francs cinquante envoyés hier après-midi ; de retour à la maison, on me remit successivement deux dons de vingt-cinq francs. Enfin le soir, j’ai reçu mille deux cent cinquante francs d’une sœur qui habite le Suffolk et avait souvent dit comme elle aimerait nous aider plus largement si elle en avait les moyens.

Et quand nous en avions le plus grand besoin, Dieu lui avait donné ces moyens, de sorte qu’elle avait pu satisfaire ce désir de son cœur. Je me suis très particulièrement réjoui de ce don, pas tant à cause de son importance, mais parce que je puis ainsi payer les traitements des aides. Bien qu’ils soient prêts à travailler sans rémunération, cependant « l’ouvrier est digne de son salaire » (Luc 10. 7).

Ce don prouve aussi que Dieu veut bien nous aider à nouveau avec des sommes importantes. J’en attends de plus grandes encore. Notre sœur du Suffolk envoie en même temps sept cent cinquante francs pour le frère Craik et moi… Dieu pourvoit avec largesse à tous nos besoins. En vérité, nous servons un bon Maître !

Il semble évident que Dieu permit cette longue épreuve, durant laquelle il ne donnait le nécessaire que jour après jour, pour amener George Müller à établir une collaboration plus étroite avec ses aides et à partager avec eux les responsabilités de l’Œuvre à laquelle Il l’avait appelé.

Il semble aussi que Dieu ait voulu par-là amener tous les collaborateurs de Müller à une consécration plus entière, et provoquer cette union de tous dans la prière, union qui fut une source féconde de très grandes et nombreuses bénédictions.

11 à 13 décembre. Durant ces trois jours nous avons eu des réunions publiques au cours desquelles nous avons exposé, devant les frères, ce que Dieu avait accompli en faveur des orphelins, et donné les résultats des autres branches de l’Institut biblique. Comme notre travail, et particulièrement l’œuvre des orphelinats, a pour but d’enrichir l’Église en général, il nous semble utile de dire de temps à autre ce que le Seigneur accomplit. Et puisque la troisième année s’achève, il nous a paru bon de convoquer l’assemblée.

Si quelqu’un s’imaginait, après avoir lu les détails des quatre mois que nous venons de traverser, que j’ai été déçu dans mon attente, je lui dirais qu’il n’en est pas ainsi, bien au contraire. Je savais que les heures difficiles viendraient, et longtemps avant que le temps de l’épreuve soit là, j’avais souvent dit en public que c’était justement ces réponses à la prière à l’heure des difficultés, qui manifestaient que Dieu entendait, et que sa main pouvait toujours secourir quiconque s’attendait à Lui. C’est dans ce but que l’orphelinat avait été fondé.

J’ajouterai ici que les orphelins n’ont jamais manqué de rien. Si j’avais eu des centaines de mille francs en mains, ils n’auraient pu recevoir davantage, car ils ont toujours eu une bonne nourriture, des aliments nutritifs, et rien n’a manqué à leur habillement.

Du 10 décembre 1836 au 10 décembre 1838, les dépenses se sont élevées à quarante et un mille six cent cinq francs cinq centimes. Il y a deux ans, l’encaisse était de neuf mille trois cent trente francs soixante-quinze ; aujourd’hui, elle est de douze cent cinquante-six francs cinquante.

16 décembre. Un pli anonyme déposé dans le tronc de Béthesda Chapel contenait cent douze francs cinquante avec cette indication : « Pour le loyer des orphelinats du 10 décembre au 31 décembre 1838 ».

« Goûtez et voyez que l’Éternel est bon ! Bienheureux l’homme qui se confie en lui ! » (Ps. 34. 8) Si le lecteur veut comprendre la portée de ce don, qu’il se reporte aux quelques lignes que j’ai écrites le 29 septembre de cette même année, à propos du loyer…

La personne qui avait payé ces trois semaines de loyer continua durant quatre ans et jusqu’au 10 décembre 1841 à nous faire chaque semaine un don anonyme de 37,50, ce qui représentait la somme hebdomadaire nécessaire au loyer des trois maisons. C’est ainsi que Dieu récompensa notre fidélité.

Il avait fallu faire d’assez gros achats pour le ravitaillement général des orphelinats et ceci avait à peu près vidé la caisse. George Müller écrit à ce sujet dans son journal, en 1838 :

On aurait pu supposer que les cœurs de tous ceux qui avaient entendu le rapport de l’œuvre avaient été touchés en apprenant de quelle manière remarquable Dieu nous avait secourus jusque-là ; et par conséquent nous aurions pu nous attendre à des subsides abondants… Il n’en fut pas ainsi.

L’encaisse de douze cent cinquante francs que nous avions au commencement du mois a peut-être empêché qu’on soupçonne nos besoins sitôt après la clôture des comptes ? Quoi qu’il en soit, le 20 nous n’avions plus rien pour les dépenses du 21. Mes collaborateurs et moi, nous n’en fûmes pas autrement surpris, car nous avions appris à ne rien attendre de la créature, mais à regarder uniquement au Dieu vivant.

22 décembre. Jour solennel je reçois une lettre de mon père qui m’annonce la nouvelle de la mort de mon frère. Le décès remonte au 7 octobre. Je n’ai rien appris qui ait montré que sa fin avait été autre que sa vie, aussi éprouvé-je une grande tristesse. La mort d’un parent non converti est l’une des plus grandes épreuves qui puissent survenir au chrétien…

Au cours de ces mois de disette, l’œuvre de l’Orphelinat s’était développée comme au temps de l’abondance. Jamais on ne s’était occupé de ce qu’il y avait en caisse lorsqu’il y avait eu des demandes d’admission. Aussi longtemps qu’il y avait de la place, on recevait tous ceux qui étaient pauvres et dans l’abandon.

Les autres branches de l’Institut biblique n’avaient pas été négligées non plus. Dès le commencement de l’hiver, on avait distribué aux chrétiens dans la pauvreté du charbon et des vêtements chauds. Puis des milliers de francs avaient été consacrés aux achats de vivres, qu’on avait distribués au cours de l’hiver, et un grand nombre de veuves avaient été largement assistées.

22 janvier. Un frère, autrefois officier de marine et qui renonça à son grade et à sa solde pour l’amour de Jésus, nous a donné de l’argenterie (cuillers et fourchettes), pour que nous les vendions au bénéfice de l’orphelinat.

7 février. Journée remarquable. Ce matin nous n’avions plus d’argent. Le frère T. est allé à Clifford pour les arrangements nécessaires à l’admission de trois orphelins ; car même lorsque nous n’avons rien, l’œuvre continue, et notre confiance n’est pas diminuée. L’un de nos collaborateurs a donné six francs vingt-cinq et j’ai reçu la même somme vers quatre heures, avant de quitter la maison pour la prédication.

J’avais demandé au Seigneur mon texte, et il m’a conduit à choisir Matthieu 6. 19 à 34, passage des mieux appropriés à nos circonstances.

Le service terminé, je suis allé à l’orphelinat de filles pour prier avec le personnel et donner l’argent reçu. Une caisse à mon adresse y était arrivée ; l’expéditeur en avait payé le port… Heureusement ! Car l’argent manquant, nous n’aurions pu le payer nous-mêmes (voyez comme Dieu prend soin des plus petits détails !)

La caisse fut ouverte : elle contenait un don de deux cent cinquante francs que nous envoyait une sœur de Barnstaple ; un autre don de soixante-quatre francs de quelques frères du même endroit ; enfin un troisième de six francs vingt-cinq. La caisse contenait aussi des vêtements et quelques bijoux de peu de valeur à vendre. Je demandai alors à mes collaboratrices comment la journée s’était passée.

« Il y avait eu le nécessaire pour le déjeuner ; après le repas, une visiteuse de Thornbury était venue qui avait acheté un exemplaire du Récit et un autre du Rapport ; en payant, elle avait donné trois francs soixante-quinze en plus. Cinq minutes après, le boulanger arrivait chez les garçons, et la directrice de l’Orphelinat des filles l’apercevant, se hâta d’aller porter l’argent nécessaire, huit francs vingt, pour qu’on ne le renvoie pas sans rien prendre (faute de fonds).

Ce qui lui restait avait servi à acheter du pain pour l’Orphelinat de filles » (Le pain était toujours acheté un jour, et même deux jours à l’avance).

Les divers dons que je venais de recevoir me permirent de donner d’abondants subsides aux trois maisons.

Qu’il est doux de constater de quels tendres soins nous sommes entourés par notre Père céleste. Pour quiconque a quelque discernement spirituel, une journée comme celle-là manifeste cette Providence divine qui entre dans les plus petits détails de nos vies. Et combien de journées semblables !

13 février. Aujourd’hui, j’ai donné au frère T. tout ce qui me restait, en lui disant qu’il fallait à nouveau regarder à Dieu. Et ce soir nous avions cent vingt-cinq francs ! Voici comment : un monsieur et une dame sont venus visiter les orphelinats. Ils se rencontrèrent à la maison des garçons avec deux autres visiteuses, venues dans le même but. L’une d’elles se tournant vers la directrice dit : Et naturellement vous ne pouvez continuer cette Œuvre sans un gros capital ? Ce à quoi le monsieur ajouta : « Avez-vous un capital ? »

« Nos fonds sont déposés à une banque qui ne peut faire faillite, répondit la directrice ». Des larmes vinrent aux yeux de la personne qui avait posé la première question. Au départ, le monsieur donna cent vingt-cinq francs. Nous n’avions plus un seul sou en caisse.

5 mars. En plus des subsides pour la dépense quotidienne ordinaire, il me faut plusieurs centaines de francs pour l’achat du charbon. Il faut aussi renouveler les barils de mélasse (sorte de sirop qui est le résidu de la fabrication du sucre, et qui, chez les Anglais, entre couramment dans l’alimentation : plus particulièrement dans les desserts, les puddings, etc…) vides de deux orphelinats, tandis que j’étais en prière, exposant à Dieu nos besoins, G. envoya un chèque de cent quatre-vingt-sept francs cinquante.

C’est ainsi que le Seigneur nous donnait à nouveau le secours en temps opportun. À cette somme, nous pûmes ajouter cinquante francs provenant de la vente d’articles donnés pour que nous en disposions ainsi.

18 mars. Reçu hier soir cent vingt-cinq francs avec ce verset : « Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le selon ton pouvoir » (Éccl. 9. 10). Cela nous a permis de faire face aux dépenses du jour.

Cher lecteur, arrête-toi un instant. Considère que le Seigneur envoie toujours le secours quand le besoin s’en fait sentir. Pas une seule fois, Il ne nous a oubliés ! Pas une seule fois, Il n’a envoyé que la moitié du nécessaire ! Pas une seule fois le secours est arrivé trop tard ! Cher lecteur, si tu n’as pas fait une expérience analogue des soins vigilants du Seigneur, considère sa bonté, « Ô viens et vois combien le Seigneur est bon ! »

23 mars. J’ai reçu aujourd’hui une lettre du frère T. qui a dû partir en Devonshire pour raisons de santé. Il a donné l’un des rapports de l’Œuvre à un frère qui, extrêmement intéressé, se mit à prier pour que sa sœur, une chrétienne, donne ses bijoux pour les orphelinats, et il fut exaucé. C’est ainsi que le frère T. pouvait m’envoyer une chaîne de montre en or, une bague avec dix diamants et deux bracelets en or de la part de cette dame ; le frère avait joint une somme de cinquante francs à l’envoi.

Ces dons couvrirent les dépenses courantes en fin de semaine, et me permirent de régler les traitements en retard des aides, soit trois cent soixante-quinze francs. Mes collaborateurs ne demandent rien ; bien plus, si quelque besoin se fait sentir, ils sont prêts à donner ce qu’ils possèdent ; mais je n’en ai pas moins demandé à Dieu qu’Il m’envoie la possibilité de payer la rémunération convenue. Il m’a exaucé et j’en ai de la joie.

11 avril 1839. Il y a aujourd’hui trois ans que les premiers orphelins ont été reçus. Ces trois années sont remplies des bontés de Dieu à notre égard. Nous n’avons manqué de rien ! Aujourd’hui Il nous envoie cent vingt-cinq francs de façon peu ordinaire ; voici une copie de la lettre qui accompagne ce don :

« Mon cher ami. Nous avons une domestique qui a servi autrefois comme fille de cuisine dans une grande maison : Monsieur, membre influent du Parlement, Madame, fille de comte. Les pourboires étaient interdits mais, imitant les autres domestiques, notre bonne vendit à son profit des fournitures de cuisine. Elle estime que le préjudice causé à ses anciens patrons, de ce chef, peut s’élever à une centaine de francs, et que cent vingt-cinq francs couvriront l’intérêt et le principal. Cette somme était due à ses anciens maîtres et j’ai eu avec eux plusieurs entrevues à ce sujet.

Or, ils désirent que cela soit versé à une Œuvre quelconque. La coupable a lu le Rapport que vous m’avez aimablement envoyé, et elle a le plus grand désir que le produit de sa repentance aille à votre Œuvre de foi et d’amour. Il est remarquable que notre servante, qui est foncièrement chrétienne depuis un an et demi, se soit souvenu tout récemment seulement de ce péché des jours d’autrefois… ».

15 juillet. Lundi. Il nous fallait aujourd’hui cinquante-neuf francs cinquante pour les orphelins et nous n’avions rien. Comment se procurerait-on le nécessaire pour les repas ? Je n’aurais pu le dire… Mais mon cœur était dans une paix parfaite, et j’avais très particulièrement l’assurance d’un prompt secours, sans pour cela avoir la moindre idée de la façon dont il se produirait. Or, avant que le frère T. vienne demander les fonds nécessaires, je reçus une lettre de l’Inde contenant un chèque de mille deux cent cinquante francs pour les Maisons d’orphelins. L’envoi avait été fait en mai.

Il est à noter que l’avant-veille j’avais exactement indiqué cette somme au frère T. en lui disant qu’elle était nécessaire. Car nous avons à payer le traitement des aides, à acheter trois barils de mélasse, à remplacer quelques autres provisions épuisées, à acheter des vêtements, et enfin de la laine pour que les garçons puissent continuer le tricotage. Ainsi le Seigneur envoyait juste à point la somme que j’avais nommée ; et je lui en fus d’autant plus reconnaissant que je me préparais à quitter Bristol.

Visite à Teignmouth. Arrivés le 16 septembre à Teignmouth, mon premier champ de travail ; nous y avons passé douze jours. Depuis mai 1833, je n’avais pas revu les frères. Le Seigneur m’a donné à plusieurs reprises la force suffisante pour le ministère de la Parole… Bien des choses m’ont réjoui, entre autres celle-ci : certaines des vérités que j’avais prêchées ici dans la faiblesse, et confusément, sont maintenant bien appliquées et de façon intelligente. Les frères nous ont témoigné beaucoup d’affection.

De la bénédiction du lever matinal. Plymouth, 28 septembre. C’est ici que ma pensée a été ramenée de nouveau sur la bénédiction qu’il y a à se lever de bon matin, une habitude que je n’ai plus abandonnée par la suite, écrit-il plus tard (C’est parce qu’il est à nouveau malade que George Müller a dû quitter Bristol. Or c’est quand il est extrêmement faible, épuisé par l’œuvre multiple de Bristol et condamné au repos complet, qu’il fait la chose la plus contre-indiquée en apparence, et revient à l’habitude de se lever de très bonne heure).

Le frère qui nous reçoit se lève de bonne heure, et je l’ai entendu faire, à propos des sacrifices lévitiques, quelques applications fort justes à la vie du chrétien. Celles-ci ont retenu mon attention et je les donne ici : « C’était le meilleur de son troupeau, les prémices de ses récoltes que les Israélites devaient offrir en sacrifice à l’Éternel. Il convient donc aussi que le meilleur de nos journées lui soit consacré, qu’il soit mis à part pour la communion avec Dieu.

En général, je m’étais toujours levé d’assez bonne heure ; mais depuis que ma tête était si faible, je me disais que la journée serait toujours assez longue pour mes forces, qu’il était donc préférable de rester au lit plus longtemps. Aussi je me levais entre six et sept, et parfois après sept heures. Lorsque j’entendis mon frère, je décidai que, malade ou non, plus jamais je ne passerais au lit la partie la plus précieuse de mon temps.

Par la grâce de Dieu, je pus commencer le jour suivant, et j’ai continué depuis (C’était en 1839. G. Müller venait donc d’avoir trente-quatre ans), je m’accorde maintenant sept heures de sommeil, et bien que je ne sois pas fort et que j’aie en général bien des sujets de fatigue, cela me procure le repos suffisant.

Que chacun fasse cette expérience, et qu’il passe une, deux ou trois heures à méditer et à prier, avant le déjeuner du matin, soit dans sa chambre, soit dans les champs, avec sa Bible à la main, et il expérimentera rapidement les bienfaits de cette habitude sur l’être extérieur et l’être intérieur.

Je supplie tous mes frères et sœurs qui liront ces lignes et n’ont pas la coutume du lever matinal d’en faire l’essai, et ils ne tarderont pas à louer le Seigneur à ce sujet ».

George Müller, après quelques semaines de repos, revint à Bristol. Dieu continuait de pourvoir aux multiples besoins des orphelins dont le nombre allait croissant.

Dans l’abondance et la pauvreté, écrit Warnes, par temps ensoleillé ou en pleine tempête, l’esprit et le cœur de George Müller restaient en repos ; tellement il était persuadé que, de façon ou d’autre, Dieu pourvoirait à tout ce qu’il fallait pour les orphelins qu’il avait accueillis au Nom de Jésus… Et il lui fut fait selon qu’il avait cru.

Ch. 10. La Marche avec Dieu (1839-1842)

Dans ce travail qui est nécessairement un résumé de la vie de George Müller, il est impossible de suivre celui-ci semaine après semaine, mois après mois ; de signaler tous les exaucements, toutes les délivrances de ce chemin de la foi où il marchait d’un pas résolu, les yeux uniquement fixés sur Dieu et sur ses promesses.

Depuis que Dieu « l’avait saisi », pour employer l’expression du prophète, George Müller n’avait plus qu’une ambition : glorifier l’Éternel et manifester qu’Il est toujours le Dieu vivant, qui entend la prière. Mais cette sainte ambition devait avoir comme corollaire une vie complètement vécue dans la communion du Père céleste, en la présence de Celui dont les yeux sont trop purs pour voir le mal.

Effectivement, pour que Dieu répondît à tout instant à son enfant, il ne fallait pas que le péché s’immisce, qu’aucun nuage ou qu’aucune barrière ne s’élève qui auraient empêché l’exaucement. Aussi voyons-nous de plus en plus chez George Müller, cette constante recherche de la volonté de Dieu, et cette résolution d’obéissance absolue, dans la mesure où il discerne ce que Dieu veut.

Peu importe les chemins battus, les habitudes prises, les conseils de prudence, les doctrines qui ont cours, les règles et les méthodes admises par les Sociétés de Mission ou d’Évangélisation… Que dit Dieu ? Que révèle-t-Il dans sa Parole ? Pour lui tout est là.

Et nous voyons cet homme qui, autrefois, dans les sentiers du monde, avait poursuivi avec opiniâtreté l’accomplissement de sa volonté propre, poursuivre maintenant avec non moins d’énergie, mais dans l’humilité, le sentier de l’obéissance et de la foi ; celui de la volonté de Dieu.

Autrefois, il avait chéri l’indépendance, ignoré les scrupules, choisi sa route, dilapidé son argent et celui des autres, méprisé toute autre loi que celle de son bon plaisir. Aujourd’hui il a les yeux fixés sur Jésus-Christ. Jésus est son but, sa loi, son mobile, sa force, son tout.

Comme l’apôtre Paul, il aurait pu dire s’il ne l’a pas fait : George Müller, « esclave de Jésus-Christ ». Il n’oserait faire un seul pas de son propre mouvement ; il est pauvre, et cependant il possède toutes choses. Aujourd’hui, sa conscience est devenue si délicate qu’il n’accepte pas toujours l’argent qu’on veut lui donner : lui, qui autrefois, puisait sans scrupules dans la bourse des autres. Ô merveilles de l’Amour rédempteur ! Fruits merveilleux de la vie du Cep qui se communique aux sarments !

C’est ainsi qu’au service de fin d’année du 31 décembre 1839, il avait reçu d’une dame une certaine somme pour les orphelins. Mais se rappelant tout aussitôt que la donatrice avait des dettes non encore payées, malgré toutes les réclamations des créanciers, il prit la résolution de rendre ce qu’elle donnait, puisque personne n’a le droit de disposer de ce qui est dû.

« Et je le fis, dit-il, tout en sachant qu’il n’y avait pas assez dans la caisse des orphelinats pour faire face aux dépenses du 1er janvier ».

D’aucuns s’imaginaient que les difficultés de toutes sortes, l’anxiété, les soucis, faisaient peser sur George Müller un fardeau accablant. Ainsi, certain jour, sous le toit d’un ami qui avait réuni quelques frères, une dame chrétienne lui dit « qu’elle pensait souvent à la lourde charge que l’œuvre des orphelinats faisait peser sur ses épaules ». George Müller note cette réflexion dans son « Journal » puis il ajoute :

« Comme il est possible que d’autres personnes partagent cette façon de voir, je tiens à dire ici que, par la grâce de Dieu, il n’en est rien ; et que je n’ai aucune espèce d’inquiétude ni de souci. Les enfants, je les ai remis à Dieu dès longtemps. Quant à l’Œuvre, c’est la sienne ; il convient donc que j’aie confiance et sois sans crainte. Si en bien des choses je ne suis pas ce que je devrais être, en cette affaire du moins, et avec le secours de sa grâce, je puis déposer aux pieds du Père Céleste tout ce qui pourrait devenir un fardeau ou un sujet de souci ».

C’est cette foi toujours agissante qui lui fit envisager la possibilité d’ouvrir un quatrième orphelinat, quand les nombreuses demandes auxquelles on ne pouvait donner satisfaction, en firent sentir la nécessité. C’est elle qui l’amena à ouvrir ce quatrième asile, et à accepter les dépenses que cet agrandissement de l’œuvre entraînerait. C’est par elle qu’il faisait descendre ici-bas, d’auprès du trône des miséricordes, tout ce qui était nécessaire à la subsistance et à l’entretien des orphelins et de ceux qui s’occupaient d’eux.

C’est à cause de cette foi toujours puissante, toujours en éveil, que le quatrième orphelinat fut ouvert, malgré la longue période de pauvreté que l’œuvre venait de traverser. Si la foi de George Müller et de ses collaborateurs ne s’était pas développée, fortifiée, élevée pendant la période difficile qui la mit à l’épreuve, jamais plus on n’aurait ouvert de nouvelles « Maisons », ni rien ajouté à l’œuvre existante. Bien plutôt, on aurait envisagé la possibilité de restrictions.

Mais retournons à l’Autobiographie, pour y noter rapidement les faits saillants qui nous permettent de suivre la vie de Müller, en même temps que son développement spirituel, et les phases successives de l’œuvre qu’il fonda ; monument élevé par sa foi au Dieu qui entend la prière.

25 janvier 1840. J’ai beaucoup prié cette semaine au sujet d’un nouveau voyage en mon pays : il s’agit de rencontrer les frères qui offrent de partir pour l’Inde comme missionnaires ; ceci me permettra de revoir mon père ; ma santé laisse beaucoup à désirer, et il semble préférable que je quitte Bristol. Je pourrais ainsi me reposer, sans cesser de travailler pour Dieu. « Seigneur ! garde moi d’errer en cette affaire ! »

3 février. J’ai maintenant la certitude que je dois quitter Bristol et aller en Allemagne. Je pars demain.

Dernière rencontre avec M. Müller père. Après un séjour à Berlin, George Müller partit pour Heimersleben. Il trouva son père très affaibli et toussant beaucoup, et il eut le pressentiment que c’était la dernière rencontre qu’il avait avec lui ici-bas. Il occupa chez son père les deux mêmes chambres qu’il avait habitées autrefois, alors qu’il vivait sans Christ.

Cette fois, le temps qu’il y passa fut surtout consacré à la prière, à l’étude de la Parole de Dieu, et à confesser le nom de Jésus.

« À nouveau j’ai eu l’occasion d’exposer l’œuvre du salut devant mon père, en parlant longuement avec une visiteuse, écrit-il dans son journal. J’ai montré, d’après les Écritures, que ce ne sont pas les œuvres qui nous sauvent ; mais la seule foi au Seigneur Jésus, lequel a porté la peine de nos péchés, et accompli la Loi à notre place. Mon père pouvait suivre toute la conversation de la place où il se trouvait.

« Je l’ai quitté le 26 février. C’est un grand privilège pour moi d’avoir encore pu le voir pour lui témoigner mon amour filial et mon respect, et d’avoir annoncé la vérité à ses côtés. Quant à lui, il s’est montré plein d’affection et d’attentions à mon égard, comme il l’avait déjà fait lors des précédentes rencontres. J’aurais eu le cœur moins gros en le quittant ce matin, si j’avais eu la certitude qu’il se reposait uniquement sur Christ ».

George Müller se rendit ensuite à Sandersleben pour y rencontrer quelques frères. Comme les lois de cette époque interdisaient les réunions privées, celles-ci se tenaient en secret et dans les endroits les plus divers pour éviter toute surprise. Les frères risquaient effectivement, soit une très lourde amende qui dépassait leurs moyens, soit l’emprisonnement.

Cette fois, c’était chez un pauvre tisserand qu’on se réunissait. On offrit à G. Müller le seul siège de la chambre. Les autres personnes, une trentaine, s’étaient casées dans le métier ou autour ; le métier tenait à lui seul la moitié de la petite pièce.

Ces instants de réunion furent très précieux, écrit G. Müller, et je crois que Dieu fit reposer sur nous une double bénédiction. J’ai parlé aussi longtemps que je l’ai pu, et mes chers auditeurs semblaient boire la Parole de Dieu. Si je note ces faits, c’est afin que les enfants de Dieu en Angleterre apprécient comme il convient leurs très grands privilèges, et qu’ils sachent en profiter pendant qu’ils les possèdent…

Ces paroles de Müller ne s’adressent-elles pas aussi actuellement aux populations protestantes de langue française ? Que de privilèges dont ne jouissaient pas nos pères, et dont elles n’usent même pas, elles qui les possèdent. Attendront-elles qu’un régime de restriction s’étende sur le monde, et que ces privilèges soient retirés ?

9 mars. Je suis rentré en paix à Bristol. J’y ai retrouvé ma bien chère femme en bonne santé, et toutes choses avaient bien marché pendant mon absence. Dieu a abondamment béni le voyageur et ceux qui étaient restés.

26 mars. J’ai reçu il y a quelque temps, d’un frère qui nous a souvent aidés dans le passé, la lettre suivante : « J’ai une petite somme d’argent venant de… En avez-vous besoin maintenant pour votre établissement ? Je sais que vous ne demandez rien qu’à Celui dont vous faites l’œuvre ; mais répondre à quiconque demande, ce n’est pas la même chose, et c’est même une chose juste.

J’ai des raisons pour désirer ce renseignement ; car si vous n’aviez pas besoin de la somme susdite, je pourrais l’affecter à quelque autre branche de l’œuvre du Seigneur, ou à d’autres serviteurs de Dieu, à qui elle est peut-être nécessaire ? Ayez donc la bonté de me dire combien il vous faut, c’est-à-dire la somme nécessaire pour maintenant, ou pour toute autre dépense prévue ».

En vérité, au moment de la réception de cette lettre, nous avions grand besoin d’argent : pour l’école maternelle qui allait être ouverte ; pour l’achat de Bibles ; pour les Orphelinats, dont l’encaisse n’était que de deux francs quatre-vingt-cinq à ce moment-là !

Mais, puisque le but de l’Œuvre, c’était justement de fortifier la foi des saints et de les amener à vivre dans une plus grande dépendance de Dieu, il me sembla ne pouvoir répondre à la question posée sans nuire au but que je poursuivais, et j’écrivis donc comme suit : « Tout en vous remerciant pour la marque d’amour chrétien que vous me donnez, et bien que je reconnaisse la différence qu’il y a entre demander de l’argent, ou répondre à une question au sujet de l’Œuvre, cependant je ne me sens pas libre de vous donner le renseignement demandé puisque le premier objet de l’Œuvre des Orphelins, c’est justement d’amener les faibles en la foi à constater que ce n’est pas en vain qu’on s’adresse à Dieu seul, et qu’on place en Lui seul son attente… »

Ma réponse une fois expédiée, je me sentis pressé à plusieurs reprises de faire monter vers Dieu cette prière : « Seigneur, tu sais que c’est par amour pour toi que je n’ai pas dit à ce frère nos besoins. Et maintenant Seigneur, montre que ce n’est pas en vain que nous nous adressons uniquement à toi, et parle à ce frère pour qu’il nous vienne en aide ». Aujourd’hui en réponse à ma prière, il nous a envoyé deux mille cinq cents francs.

7 avril. Reçu ce soir la nouvelle que mon père était mort le 30 mars. C’est mon jeune demi-frère qui me l’écrit. Son état a empiré quelques jours après mon départ. Dieu est bon de m’avoir permis de le revoir… Je ne sais pas comment il est mort ; je ne sais pas s’il s’est endormi dans la foi ?…

À aucune époque je n’avais prié avec plus d’instance et aussi fréquemment pour la conversion de mon cher père, que durant la dernière année de sa vie. Il n’a pas plu au Seigneur de me laisser voir l’exaucement.

4 mai. Depuis le 1er avril, quarante et une personnes sont venues nous trouver pour nous parler de leur âme. Que le Seigneur suscite des aides dans son œuvre. En vérité la moisson est grande.

6 mai. Nous avons en ce moment quatre chrétiens sous notre toit ; et je n’ai plus que quelques francs. J’ai donc demandé à Dieu le nécessaire, il m’a envoyé cent vingt-cinq francs.

22 juin. Demain Dieu voulant, nous nous proposons, ma femme et moi, d’accompagner jusqu’à Liverpool, les huit missionnaires qui partent pour l’Inde : cinq sœurs et trois frères allemands… Le soir, réunion de prière spéciale à l’occasion de ce départ. Nous avons très particulièrement remis à Dieu ceux qui partent.

2 juillet. J’ai accompagné mes frères et sœurs jusqu’au vaisseau. Au moment de- monter à bord, l’un des frères m’a remis cent soixante-deux francs cinquante pour les orphelinats. Il avait vendu son argenterie à Bristol parce qu’il avait pensé qu’un serviteur du Maître qui veut prêcher Christ à de pauvres Hindous n’en a pas besoin. Il s’était acheté des livres et me donnait le surplus.

« La somme que nous avons en commun ; mes frères et moi, pour le voyage nous suffit, dit-il ; durant les mois de la traversée nous n’aurons besoin de rien, et cet argent peut vous être utile… Le Seigneur a très particulièrement placé l’œuvre des Orphelinats sur mon cœur, ainsi vous ne pouvez refuser d’accepter ». Ce frère ignorait que j’avais à plusieurs reprises demandé à Dieu des subsides pour les orphelins.

De quelle façon remarquable le Seigneur m’exauçait en se servant de lui ! En partance pour l’Inde, il donnait tout ce qui lui restait, s’attendant uniquement au Seigneur pour ses besoins temporels. J’ai immédiatement envoyé cent vingt-cinq francs à Bristol.

4 juillet. Ce matin, j’ai reçu de Bristol la lettre dont je donne ci-après copie :

Mon cher Frère,

Après les derniers comptes que je vous ai envoyés, nous étions extrêmement pauvres. Nous avions assez pour le présent, mais l’argent manquait pour l’achat de pain. L’après-midi, quelqu’un nous a envoyé un habit de cheval pour que nous le vendions au profit de l’Œuvre. J’en ai eu dix francs soixante-quinze ; j’ai aussi vendu quelques livres dont on m’a donné six francs vingt-cinq, deux vieux dés d’argent et une bague pour un franc quatre-vingt-cinq. Le total nous a permis d’acheter le déjeuner pour les trois maisons.

À midi, nous nous sommes réunis pour prier. Nous avions le plus grand besoin de fonds. Il fallait du pain, du lait ; la provision de charbon des trois maisons est épuisée et d’autres stocks sont aussi bien près de l’être. En réalité jusque-là nous n’avions manqué de rien, mais il ne nous restait presque plus rien. Or, tandis que nous priions, votre lettre est arrivée. L’une des sœurs est allée à la porte, et on la lui a remise ; la réunion terminée, on me l’a donnée.

Vous comprendrez notre joie en l’ouvrant et en découvrant le contenu ; je ne puis dire tout ce que j’ai ressenti… L’argent est très précieux pour ceux qui, comme nous, voient derrière le don, la pensée et le cœur du Père céleste…

Votre frère affectionné,

R. B.

29 août. Pour les autres branches d’activité aussi, nous sommes très pauvres. Nos principales rentrées proviennent de la vente des Bibles. Samedi dernier je n’ai pas pu payer tous les salaires de nos aides dans les écoles de semaine ; toutefois je ne suis pas leur débiteur, puisqu’il est entendu qu’ils doivent s’attendre au Seigneur pour leurs traitements. J’ai vu là une indication à leur dire notre situation, comme je l’ai fait pour le personnel des Orphelinats, afin qu’eux aussi puissent prendre part à l’épreuve de la foi, comme aux joies de la foi.

Je les ai donc réunis et leur ai parlé. Puis après avoir placé sur leur conscience la nécessité du silence à cause du Seigneur, et l’importance qu’il y avait à ce qu’ils gardent secret l’état de nos finances, nous avons prié ensemble.

8 septembre. Comme le Seigneur est bon d’avoir dispensé toutes choses de telle façon que j’ai été amené à exposer la situation aux aides des Écoles qui partagent aujourd’hui nos joies comme aussi les épreuves de notre foi. Il y a deux ans que j’ai dû faire cette communication au personnel des Orphelinats, ce qui a été un moyen de bénédictions pour tous.

Pour moi, cela m’a permis de quitter Bristol, et l’œuvre n’en a pas souffert. Je ne doute pas que nos aides des écoles de semaine ne trouvent aussi de grandes bénédictions à partager notre très précieux secret.

21 septembre. Aujourd’hui, un frère qui habite les environs de Londres m’a donné deux cent cinquante francs pour que je les emploie à ce qui est le plus urgent. Depuis plusieurs jours nous priions pour recevoir les subsides nécessaires aux Écoles, au Fonds Missionnaire, et à notre stock de Bibles ; j’ai donc versé la totalité de la somme pour ces trois branches d’activité. Jusqu’à ce qu’il vienne à Bristol, c’est-à-dire trois jours auparavant, ce frère ignorait tout à fait notre activité.

Ainsi le Seigneur, pour nous montrer qu’Il continue de nous entourer de ses soins, nous envoie de nouveaux concours. Ceux qui s’attendent à Dieu ne seront jamais confus.

Quelques-uns de ceux qui nous ont aidés pendant un certain temps se sont endormis dans le Seigneur ; d’autres ont laissé leur zèle se refroidir ; d’autres qui désirent aider autant que jamais n’en ont plus les moyens; d’autres dont le cœur est bien disposé et qui possèdent peuvent être conduits par Dieu à aider d’autres œuvres ; bref, si pour une cause ou l’autre nous nous appuyions sur l’homme, nous pourrions être confondus ; mais puisque nous nous attendons à Dieu seul, les déceptions ne peuvent nous atteindre et nous ne risquons pas d’être oubliés du fait que les premiers amis de l’Œuvre sont morts, ou n’ont plus de ressources, ou à cause du manque d’amour de quelques-uns, ou parce que d’autres œuvres les sollicitent qui ont aussi besoin d’être soutenues.

Qu’il est précieux d’avoir appris en une certaine mesure à s’appuyer uniquement sur Dieu, et d’être heureux dans l’assurance que celui qui marche dans ses voies ne manquera jamais d’aucun bien.

8 novembre, Jour du Seigneur. Jéhova-Jiré. Dieu nous a montré sa bonté ; Il a pris garde à notre pauvreté. En plus des trente-sept francs cinquante versés pour les loyers, j’ai reçu cent vingt-cinq francs, accompagnés de ce passage : « Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le selon ton pouvoir » (Éccl. 9. 10).

J’ai aussi reçu l’avertissement que deux grands sacs de farine d’avoine destinés aux asiles étaient partis de Glasgow. C’est un cadeau. D’autre part, un frère m’offre de choisir chez lui pour une valeur de deux cent cinquante francs de lainages à mon choix, pour confectionner des vêtements d’hiver. Enfin quelqu’un a déposé dans l’une des boîtes de Béthesda un franc vingt-cinq pour les orphelins, petite somme enveloppée d’un papier sur lequel étaient écrits ces mots : « Jéhova-Jiré ».

J’aime ces paroles qui, depuis plusieurs années, sont un rafraîchissement pour mon âme. Je les ai écrites avec les diamants d’une bague de grand prix sur l’une des vitres de ma chambre. Cela me rappelle de quelle façon remarquable cette bague a été donnée, ce qui m’a souvent fortifié quand, aux heures de grande pauvreté, mes yeux s’arrêtaient sur les mots gravés « Jéhova-Jiré », c’est-à-dire : « l’Éternel y pourvoira » (Gen. 22. 14).

31 décembre 1840 à Janvier 1841. Depuis le 20 décembre, Dieu a abondamment pourvu à tous nos besoins ; et nous pouvons penser à faire imprimer le rapport de l’Œuvre.

19 mars. Voici quelque temps que je me sens très faible physiquement. Je crois qu’un changement d’air m’est nécessaire, mais ces jours passés, je manquais d’argent. Or ce matin j’ai reçu un chèque de trois cent soixante-quinze francs, dont cent vingt-cinq pour moi personnellement. Je vais donc pouvoir quitter Bristol.

À Nailsworth. 20 mars. Aujourd’hui, à mon arrivée, et lorsque je fus mis au courant de l’état de choses existant parmi les frères de Nailsworth et des environs, je n’ai pu m’empêcher de penser que le Seigneur m’avait envoyé pour travailler quelque temps au milieu d’eux.

Comment avoir l’assurance du pardon des péchés. Une sœur irlandaise qui n’a pas l’assurance d’être une enfant de Dieu, d’être née de nouveau et pardonnée, qui ne possède pas la certitude du salut, m’écrit pour m’exposer sa détresse. Son cas n’est pas unique malheureusement ; il y a bien des enfants de Dieu qui ignorent leur état de fils et de filles… C’est pourquoi je donne ici quelques réflexions sur cet important sujet.

Comment puis-je avoir l’assurance d’être enfant de Dieu, d’être né de nouveau, que mes péchés sont pardonnés, que je ne mourrai point et que j’aurai la vie éternelle ? C’est la Parole de Dieu qui donne la réponse à cette question, et elle est la seule règle, le seul code du chrétien… Que dit-elle ?

« Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi dans le christ Jésus » (Gal. 3. 26). « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le droit d’être enfants de Dieu, [savoir] à ceux qui croient en son nom ; lesquels sont nés, non pas de sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu » (Jean 1. 12 à 13).

La question qui se pose est donc celle-ci : Ai-je reçu Jésus ? Est-ce que je crois en son Nom ? Si oui, je suis né de Dieu, je suis son enfant. Comment puis-je savoir que mes péchés sont pardonnés ? Dois-je attendre de le sentir ? Ou bien faut-il que quelque passage de l’Écriture, qui affirme le pardon, se présente à mon esprit avec puissance ?

C’est encore la Parole de Dieu qui nous donne la réponse : Non ; nous n’avons pas à tenir compte de ce que nous ressentons. Personnellement, voilà plus de dix-neuf ans que je suis croyant (Ces lignes ont été écrites en 1845).

Depuis combien de temps n’ai-je aucun doute sur le pardon de mes péchés ? Je ne puis le dire exactement. En tout cas depuis que je suis en Angleterre (il y a de cela seize ans), je n’ai jamais eu l’ombre d’un doute à cet égard ; or, je n’ai jamais ressenti ce pardon. Savoir est une chose, et sentir en est une autre.

Pour savoir, allons à la Parole de Dieu. Nous lisons dans le livre des Actes au sujet du Seigneur Jésus : « Tous les prophètes rendent de lui ce témoignage que quiconque croira en lui recevra la rémission de ses péchés par son nom » (ch. 10. 43). Quiconque s’attend à Lui pour être sauvé, et non à soi-même, quiconque croit qu’Il est ce que Dieu déclare dans sa Parole, reçoit la rémission de ses péchés.

La question est donc : Est-ce que je vis sans Christ ? Est-ce que je compte sur mes efforts pour être sauvé ? Est-ce que je crois que mes péchés seront pardonnés parce que j’amenderai ma vie à l’avenir ? Ou bien ma seule attente est-elle en Jésus, mort sur la croix pour sauver les pécheurs ? En Jésus qui a accompli la loi pour que les pécheurs soient justifiés ?

Si je suis de ceux qui regardent uniquement au Sauveur, mes péchés sont pardonnés, que je le sente ou non. Le pardon m’est acquis d’ores et déjà. Je n’ai pas à attendre de mourir, ou que Jésus revienne… Mais je dois prendre Dieu au mot, croire que ce qu’Il dit est vrai… Et quand je crois ce que Dieu dit, j’en éprouve aussitôt de la paix et de la joie…

Lorsque ceux qui ne placent pas leur confiance en eux-mêmes ni dans leur bonté naturelle, mais regardent uniquement aux mérites et aux souffrances du Christ, ne savent pas s’ils sont enfants de Dieu, si leurs péchés sont pardonnés, et s’ils sont sauvés, cela provient généralement de l’une ou de l’autre des causes énumérées ci-après :

Ils ignorent la simplicité de l’Évangile ; ils veulent régler la question avec ce qu’ils ressentent, ce qu’ils éprouvent ; ils attendent une puissante impulsion, ou un rêve, ou une voix du ciel, ou quelque passage qui se précisera avec force à leur esprit pour leur donner l’assurance du salut. Ou bien ils vivent dans le péché.

S’il s’agit de cette dernière cause, c’est bien inutilement qu’ils comprendraient parfaitement l’Évangile, et qu’ils chercheraient dans la Parole de Dieu quelque assurance de salut… Aussi longtemps qu’il y a péché, la joie et la paix ne peuvent habiter le cœur. Il peut y avoir chez le chrétien beaucoup de faiblesse et d’infirmités, mais le Saint-Esprit ne console pas, et ne consolera jamais quiconque se laisse aller à faire le mal, quiconque se console de pécher…

Il est très important d’avoir un cœur droit et honnête devant Dieu, pour posséder l’assurance du salut, du pardon des péchés, de la nouvelle naissance.

7 mai. Nous quittons aujourd’hui Nailsworth, où j’arrivai le 20 mars. J’y ai travaillé au service de la Parole, et j’ai préparé pour l’impression la deuxième partie du « Récit ».

Il a plu au Seigneur de m’enseigner durant ce séjour à Nailsworth que l’affaire principale de chaque journée, c’est que mon âme soit heureuse en Dieu mon Sauveur. La première chose que je doive rechercher, ce n’est pas comment je pourrai servir le Seigneur durant la journée, ou comment je pourrai Le glorifier, mais comment je pourrai remplir mon âme de joie, nourrir l’être intérieur.

Car même si j’annonce la vérité aux inconvertis, et si j’essaye de la communiquer aux fidèles ; si je secours les affligés, si je me conduis en citoyen des cieux, et qu’en même temps, je ne sois pas heureux en Christ, parce que je n’ai pas nourri l’être intérieur, il est impossible que mon activité procède d’un esprit joyeux, bien équilibré.

Jusqu’à ce temps de séjour à Nailsworth, j’avais toujours commencé mes journées en priant, aussitôt habillé. Maintenant, je lis immédiatement la Parole de Dieu, en demandant au Seigneur son aide. Je viens de commencer la lecture du Nouveau Testament ; et je m’applique à trouver une bénédiction dans chaque verset ; non pas en pensant à de futures prédications, mais dans le seul but de nourrir mon âme.

Le résultat presque constant, c’est que je me trouve conduit à la confession ou à l’action de grâce, à l’intercession ou à la supplication. Je commence par la méditation et suis conduit à prier.

Je passe ensuite au verset suivant, cherchant ce qu’il tient en réserve pour moi, G. Müller ; gardant comme pensée dominante que mon but, c’est de nourrir mon âme. Et lorsque sonne l’heure du déjeuner, mon être intérieur ayant été nourri, fortifié, éprouve une grande paix, et même une grande joie.

De cette manière, Dieu me donne aussi ce qui deviendra nourriture pour les autres.

Autrefois, quand je priais aussitôt levé, il arrivait que ma pensée vagabonde longtemps, avant qu’il me soit possible de la fixer dans la prière. Aujourd’hui, il est bien rare que cela se produise encore. Et comme je me nourris de la vérité qui procède de Dieu, j’entre aussitôt en communion avec mon Père céleste. Je lui parle de ce qu’Il vient de me dire par sa très précieuse Parole.

De même que nous ne saurions travailler longtemps sans donner au corps la nourriture qu’il réclame, que cette nourriture est l’une des premières choses de la journée, il en est ainsi pour l’être intérieur.

L’homme doit se nourrir ; et sur ce point tout le monde est d’accord. Mais quelle est la nourriture de l’âme ? Ce n’est pas la prière, mais c’est la Parole de Dieu. Non pas une simple lecture de celle-ci, de sorte qu’elle traverse seulement la pensée comme l’eau, la conduite qui la transporte ; mais une méditation du texte qui devient un sujet de réflexions et que nous appliquons à notre âme.

La vraie prière, celle qui n’est pas purement formaliste, ne peut se prolonger sans une certaine somme de puissance et de saints désirs ; c’est donc lorsque nous avons nourri notre âme par la méditation de la Parole, que nous pouvons le mieux prier.

Si j’insiste sur cette pratique de la méditation de la Parole, c’est que j’en reçois le plus grand bien, que j’en tire un immense profit spirituel, et qu’elle est un moyen de rafraîchissement unique pour l’âme.

Aussi je supplie mes frères en Christ de bien vouloir en essayer. C’est par elle, avec la bénédiction de Dieu, que j’ai reçu les secours et la force nécessaire pour traverser en paix, par la suite, de très douloureuses épreuves ; des épreuves qui ont dépassé tout ce que j’avais connu jusque-là.

Voici quarante ans que je fais ainsi. C’est donc en toute connaissance de cause et dans la crainte du Seigneur que je recommande cette méditation matinale de la Parole. Quelle différence lorsque l’âme s’est rafraîchie, rassasiée, lorsqu’elle a été rendue joyeuse dès le matin ! Alors elle n’est pas faible pour le service, et elle est prête pour la rencontre des épreuves et des tentations quotidiennes (ces lignes ont été ajoutées en 1881 à l’occasion d’une nouvelle édition. Müller avait alors 76 ans).

29 mai. J’ai reçu ce jour deux mille cinq cents francs de l’Inde. En réponse à la prière, le Seigneur daigne nous envoyer de temps à autre de fortes sommes ; elles proviennent même, comme celle-ci, des endroits les plus éloignés.

7 juin. Depuis quelque temps nous nous demandions, le frère Craik et moi, s’il était utile, dans les circonstances actuelles, que nous laissions encore les troncs dans la chapelle, avec la mention de nos noms.

Était-ce la meilleure manière de faire ? Après réflexion, nous avons rédigé une lettre, communiquant celle-ci à nos paroissiens par la presse ; lettre que nous donnons ci-après :

« Aux saints en Jésus-Christ qui se réunissent à Béthesda Chapel, Bristol,

« Chers Frères,

« Il nous a semblé bon d’enlever de la chapelle, les troncs qui recevaient les offrandes volontaires destinées à nos frais d’entretien. C’est pour éviter les malentendus, et empêcher que cet acte soit dénaturé que, dans un sentiment d’affection, nous exposons aujourd’hui nos raisons devant vous :

« En arrivant à Bristol, nous avons refusé d’accepter aucun salaire régulier, non plus que le produit de la location des bancs. Ce n’était pas que nous n’eussions aucune objection à être assistés dans le domaine temporel par ceux que nous servons dans le domaine spirituel. Mais nous ne voulions pas que la libéralité des frères fût contrainte, forcée ; elle doit être libre, volontaire.

D’autre part, la location des sièges est contraire à l’enseignement de l’Écriture (Jac. 2. 1 à 6). Nous avons donc eu recours à des troncs où chacun pouvait déposer ses dons, selon que Dieu lui mettait au cœur de le faire. « Que celui à qui l’on enseigne la Parole de Dieu fasse part de tous ses biens à celui qui l’enseigne » (Gal. 6. 6).

À cette époque, il semblait que nous devions être les seuls à travailler parmi vous au service de la Parole et de la doctrine. Depuis, les circonstances ont bien changé.

À cause de cela et aussi parce que nous avons reçu plus de lumière, il nous a semblé bon de supprimer ces troncs. Qu’il soit bien entendu toutefois que nous n’avons pas changé, quant aux grands principes qui ont dicté notre première manière de faire. Au contraire, une expérience de dix ans a fortifié notre jugement d’alors, sur la question du traitement, et celle de la taxe sur les bancs. Voici pourquoi nous avons enlevé les troncs :

1. Aussi longtemps qu’ils existaient, il fallait indiquer l’affectation des dons ; il fallait donc mettre nos noms au-dessus des troncs. Ceci nous donnait l’apparence de nous élever au-dessus des autres frères, de nous arroger un pouvoir sur eux, alors que nous cherchons uniquement à remplir l’emploi que le Saint-Esprit nous a départi dans l’Assemblée.

2. Il est possible que le Seigneur veuille appeler et qualifier de plus en plus d’autres frères, pour diriger l’Église et y enseigner. Aussi longtemps qu’on nous considérait comme spécialement préposés sur l’Assemblée, parce que nos noms étaient apposés sur ces boîtes, cela pouvait créer des difficultés pour ceux que les saints reconnaissent ouvertement et pleinement comme occupant avec nous la place que le Seigneur leur donne.

3. Il était possible qu’on pose cette question (et même maintenant on pourrait la poser) : sont-ils les seuls ouvriers ? Et voici la réponse : d’autres travaillent aussi, qui ne sont pas aidés de la même manière.

À ceux qui ne nous connaissent pas, cela pourrait donner l’impression que nous essayons de garder une place prépondérante par quelque marque extérieure, alors que nous voulons l’occuper uniquement dans l’obéissance au Seigneur, en laissant à son Esprit le soin d’amener les saints à reconnaître notre direction.

4. Enfin, du fait que nos noms étaient affichés de la sorte en public, quelques frères (nous avons des raisons de le croire) nous considèrent comme les seuls ministres, et ils se tiennent pour négligés parce que nous ne les visitons pas personnellement.

Or c’est une erreur que de supposer que deux personnes peuvent suffire, pour faire les visites pastorales et s’occuper de la cure d’âme de cinq cent cinquante fidèles à peu près. En ce qui nous concerne, nous n’oserions pas assumer celle responsabilité.

Selon le don et la force qui nous sont départis, nous désirons conduire, enseigner, nourrir de façon générale les brebis du Seigneur, mais nous n’osons pas entreprendre la direction spirituelle personnelle de tous ceux qui se sont joints ou se joindront à nous, sur la base de la foi au Seigneur Jésus.

Voici, résumées, les raisons qui nous amènent à supprimer les troncs de Béthesda. Nous demandons à Dieu la grâce de vous servir plus fidèlement que dans le passé, et nous nous confions (comme nous l’avons fait jusqu’ici) en Celui qui a dit : « Si quelqu’un me sert… mon Père l’honorera » (Jean 12. 26).

Henry Craik, George Müller, Bristol, ce 7 juillet 1841.

Du fait de cette décision, il m’a été donné une nouvelle preuve des bénédictions qu’entraîne l’obéissance de la foi. En d’autres circonstances, je me serais demandé : « Que va-t-il se passer ? Comment les offrandes seront-elles transmises ? Y aura-t-il encore des offrandes ? » Pas un seul instant une seule de ces questions ne m’a troublé !

Et comme par le passé, on nous a apporté ou envoyé des dons en nature, des vêtements, des provisions diverses, dons provenant des saints parmi lesquels nous travaillons et de ceux qui sont au loin. De petits paquets d’argent avec les noms des destinataires, celui du frère Craik ou le mien, ou les deux réunis, ont été déposés dans le tronc qui reçoit les offrandes pour les pauvres, parmi les saints ; ou dans celui qui reçoit les dons pour les frais du culte, l’entretien de la chapelle, etc… et les diacres nous ont remis ces offrandes.

Parfois des frères et des sœurs m’ont remis directement de l’argent ; enfin le Seigneur a continué d’incliner le cœur de bien des chrétiens éloignés et même d’inconnus à m’envoyer des dons.

La seule chose que je craignais, lorsque la décision d’enlever les troncs fut prise, ce n’était pas de perdre quelque secours, mais que des enfants de Dieu en prennent prétexte pour ne rien donner ; ou que les pauvres craignent à donner les oboles qu’ils pouvaient mettre de côté ; les uns et les autres se privant par là d’une bénédiction. Par la grâce de Dieu, je puis dire avec l’apôtre Paul : « Ce n’est pas que je recherche les dons, mais je cherche à faire abonder le fruit qui vous en doit revenir » (Phil. 4. 17).

Je vise aussi à atteindre, avec l’aide de Dieu, cet état d’esprit que manifestent ces paroles de l’apôtre : « Et pour moi je dépenserai très volontiers pour vous tout ce que j’ai, et je me donnerai encore moi-même pour vos âmes, bien que vous aimant avec tant d’affection, je sois moins aimé » (2 Cor. 12. 15).

C’était donc pour ceux qui s’abstiendraient de donner, que je craignais un préjudice ; pour ceux que Satan tenterait à ne plus rien faire à cause de la suppression des troncs. Toutefois, tout bien considéré, nous avons agi selon ce qui nous parait être la pensée du Seigneur en cette affaire…

2 septembre 1841. Durant les quatre derniers mois, nous avons reçu au-delà du nécessaire pour les Orphelins. Les cours d’eau des bienfaits de Dieu n’ont cessé de couler vers nous, apportant de l’argent et des dons en nature. Ceci succède à une longue période qui a commencé en juillet 1838 et durant laquelle notre foi a été souvent mise à l’épreuve… ».

Pauvreté. À nouveau, un temps de disette succéda à la période d’abondance. Dieu dispensait le secours jour après jour, souvent repas après repas, et cela dura six mois. George Müller écrivit dans son journal à la fin de l’année 1841 :

« À cause de notre grande pauvreté et bien que le moment de l’Assemblée générale de l’Œuvre soit venu, nous avons décidé de remettre à plus tard sa convocation, et de ne pas publier de rapport financier. Il nous semble que nous donnons ainsi la meilleure preuve que nous regardons uniquement au Dieu vivant ».

Cette période de pauvreté se prolongea assez longtemps.

À la date du 8 février 1842, après quelques remarques sur les conditions dans lesquelles l’œuvre se poursuit, George Müller écrivait :

« Si le Seigneur ne nous envoyait pas le nécessaire avant neuf heures du matin, demain, son nom serait déshonoré. Mais j’ai l’assurance qu’il ne nous abandonnera pas ».

Effectivement, avant huit heures, le lendemain, le secours était arrivé.

« Ce même matin, un monsieur se rendant à ses affaires avait déjà fait deux kilomètres à peu près, lorsque sa pensée fut absorbée par les orphelins, au point qu’il s’arrêta : « je ne puis cependant retourner sur mes pas maintenant, se dit-il, je leur porterai quelque chose ce soir » ; et il continua son chemin.

Toutefois, sa conscience parlant très haut, et comme cette pensée qu’un secours immédiat était nécessaire ne lui laissait pas de repos, il revint sur ses pas pour aller aux Orphelinats. Chemin faisant, se souvenant qu’une très importante affaire l’attendait au bureau, il partit derechef dans cette direction.

Cependant il ne pouvait trouver la paix ; ces paroles ne cessaient de résonner en lui : « Va maintenant, va maintenant, n’attends pas à ce soir », de sorte qu’il prit résolument le chemin des Orphelinats et remit soixante-quinze francs pour l’Œuvre. Müller arriva aux asiles ce même matin, avant le déjeuner, pour s’assurer que Dieu avait secouru ; il y trouva la petite somme que M. X. venait de remettre ».

Quinze jours plus tard, c’était un samedi soir, l’argent manquait pour acheter le pain du dimanche. Il était huit heures et demie ! Un visiteur arrive, qui ne sait rien ; il laisse à M. Müller douze francs cinquante, ce qui permet de se procurer le pain du lendemain, avant la fermeture des magasins.

Le surlendemain, les provisions sont extrêmement réduites, et on manque de thé. Un visiteur vient qui, pressé par l’heure, parcourt rapidement les trois maisons, et laisse vingt-cinq francs dans chacune des boîtes.

« S’il avait eu plus de temps, dit G. Müller, il aurait parlé plus longtemps et nous n’aurions pas eu son don au moment voulu pour l’heure du thé. Quiconque connaît ces détails ne peut que s’écrier : c’est ici l’œuvre du Seigneur, et c’est une chose admirable à nos yeux ».

Plus tard, quand l’abondance fut revenue, jetant un coup d’œil en arrière sur ces journées durant lesquelles il fallait s’attendre à Dieu instant après instant, George Müller écrit :

« L’épreuve de notre foi a été si prolongée, si aiguë que c’est uniquement par la grâce de Dieu que la confiance de nos collaborateurs n’a pas sombré, qu’ils ne se sont pas fatigués de donner leur concours à l’œuvre comme la nôtre (Sans fonds de roulement, sans banquiers ici-bas, et devant tout attendre de Dieu instant après instant), qu’ils ne sont pas retournés aux coutumes et aux maximes de ce monde mauvais.

Je ne puis dire ce qu’ils ressentaient alors, ni ce qu’ils pensaient ? mais je puis parler pour moi et dire à la louange de Dieu que, durant tout ce temps, ma foi n’a pas bronché !

Cependant elle fut souvent si durement éprouvée que ma requête se réduisait alors à demander à Dieu qu’il daigne me la conserver, et qu’il prit pitié de moi comme un père prend pitié de son enfant. Au milieu de l’épreuve, je conservais l’assurance inébranlable que Dieu interviendrait à son heure, et que s’Il permettait ces semaines et ces mois durant lesquels nos circonstances étaient si difficiles, c’était pour que cela concourt de quelque façon au bien de l’Église et que ces paroles de l’apôtre Paul se vérifient par ma vie : « Si nous sommes affligés, c’est pour votre consolation ».

En parcourant ces pages, plus d’un lecteur aura pensé sans doute : « Et s’il n’y avait plus d’argent ? S’il arrivait que vous n’en ayez plus, et vos aides non plus, et que l’heure du repas fût-là, sans que vous n’ayez rien à donner aux orphelins ? »

En vérité, la chose n’est pas impossible, car nos cœurs sont désespérément mauvais ! Et je dis que si nous étions laissés à nous-mêmes, que nous ne nous attendions plus au Dieu vivant, ou que nous tolérions l’iniquité dans nos cœurs, cela pourrait arriver. Mais, bien que nous soyons loin d’être ce que nous devrions être, aussi longtemps que nous nous confions en Dieu et que nous ne vivons pas dans le péché, cette chose-là est impossible.

« Envoyé ». 5 mars. Ce ne fut pas une petite délivrance que celle que nous accorda aujourd’hui le Seigneur : entre dix et onze heures le matin, j’ai reçu soixante-deux francs cinquante d’Édimbourg, alors que nous n’avions pas assez d’argent pour acheter ce qu’il fallait pour le déjeuner.

Le soir, à huit heures, un visiteur s’est présenté en me disant ceci : « Je viens bien tard, mais j’espère être reçu quand même. Je vous apporte un peu d’argent pour les orphelins ». Et il me tendit cinquante francs. Quand je lui demandai son nom, il me répondit qu’il le donnerait volontiers s’il y voyait aucune utilité. Ce n’était pas le cas.

« Pour le Rapport, dit-il, vous n’avez qu’à mettre à côté du don « Envoyé », car je suis certain que c’est Dieu, Lui, qui m’a envoyé ».

Certes je le crois aussi ; car ce don se produisait à un moment des plus opportuns, et en réponse à la prière.

Il vaut la peine d’être pauvre. 17 mars. Ce matin, nous étions extrêmement pauvres. Je quittai la maison peu après sept heures pour me rendre aux Orphelinats et voir si on avait assez d’argent pour prendre le lait que le fournisseur apporte vers les huit heures. Je priais en marchant, demandant à Dieu « qu’il eût pitié de nous, comme un père a pitié de ses enfants ».

Certainement il ne voulait pas nous imposer un fardeau dépassant nos forces ; qu’il daigne donc verser en nos âmes quelque rafraîchissement en nous envoyant le secours.

Je lui rappelai aussi que l’interruption de l’Œuvre, faute d’argent, aurait les répercussions les plus déplorables sur les croyants et les incrédules. Enfin je m’humiliai à nouveau devant Dieu, confessant que j’étais indigne d’être son instrument dans l’Œuvre des Orphelinats ».

Tandis que j’étais ainsi en prière, et presque arrivé à destination, je rencontrai un frère qui se rendait à ses affaires à cette heure matinale. Nous échangeâmes quelques paroles et je continuai mon chemin ; mais il courut après moi, et me remit vingt-cinq francs pour les orphelins. Le Seigneur avait répondu immédiatement à ma requête.

En vérité, il vaut la peine d’être pauvre et d’avoir de ces grandes épreuves de la foi pour avoir aussi, jour après jour, les preuves si précieuses de l’amour du Père qui s’intéresse aux détails de nos vies.

Celui qui nous a envoyé la preuve la plus éclatante de son amour en nous donnant son propre Fils, nous donnera aussi toutes choses avec Lui.

Il vaut la peine d’être pauvre et que la foi soit éprouvée si, par-là, le cœur d’autres enfants de Dieu est réjoui, et leur foi affermie ; si ceux qui ne connaissent pas le Seigneur, apprenant ce qu’il a fait en se servant de nous, constatent que la foi en Dieu n’est pas une simple notion, mais une puissance, et que le christianisme est une réalité ».

George Müller dit plus tard de cette époque de la vie des Orphelinats pendant laquelle Dieu n’exauçait que dans l’instant même :

« Il est impossible de raconter avec détails comment, jour après jour, repas après repas, Dieu étendit sa main pour donner tout ce dont nous avions besoin ».

Ch. 11. Évangéliste en Allemagne (1843-1844)

L’abondance revenait enfin avec un don de douze mille cinq cents francs. Ce don a tout une histoire que nous voulons essayer de résumer en quelques lignes :

Le 25 octobre 1842, une sœur pauvre était venue voir M. Müller et lui avait ouvert son cœur. Comme elle prenait congé, il lui avait dit sa sympathie, et que, si jamais elle en avait besoin, sa maison et sa bourse étaient à sa disposition ; qu’il serait enchanté si elle voulait accepter de ne faire qu’une bourse avec lui.

« À cause d’une chose qui s’était passée deux jours auparavant, j’avais tout lieu de croire qu’elle ne possédait rien ou à peu près », écrit G. Müller dans son journal. Ma visiteuse me prit au mot. Tout aussitôt elle me dit qu’elle en serait enchantée et ajouta qu’elle avait douze mille cinq cents francs.

Dès que je l’entendis, je revins sur mon offre, lui expliquant que je la croyais pauvre. Je lui donnai les raisons que j’avais eues de le croire. Eh bien non ! elle possédait ces cinq cents livres sterling… Dieu avait mis cette somme entre ses mains sans qu’elle le recherche, elle considérait donc que c’était Lui qui avait constitué cette réserve à son intention et elle n’y touchait pas ».

C’est à peine si je répondis quoi que ce soit, et toute la conversation sur cette question d’argent ne dura que quelques secondes ; mais en partant elle ajouta : « Voulez-vous prier pour moi à ce sujet ? »

Après qu’elle soit partie, je demandai donc au Seigneur de la combler de joie, de cette joie que Lui seul peut donner, et de lui faire prendre conscience des richesses de son héritage éternel, à ce point que, pressée par l’amour de Christ, elle puisse déposer avec joie son argent aux pieds de son Sauveur. Chaque jour, je présentais cette chère sœur à Dieu, et parfois plusieurs fois par jour, mais je me gardai bien d’aborder à nouveau le sujet avec elle, considérant qu’il était préférable qu’elle conserve sa réserve, que de la donner sous quelque influence autre que celle du Seigneur, ce qui ne manquerait pas de provoquer des regrets.

Il y avait vingt-quatre jours que je priais ainsi pour elle, lorsqu’un soir, en rentrant à la maison, je la trouvai qui m’attendait. Elle me dit alors, qu’après avoir étudié les Écritures à propos de cette somme d’argent, elle était convaincue maintenant que le Seigneur la lui demandait ».

Je lui conseillai de ne rien faire avec précipitation, d’attendre encore une quinzaine avant de prendre une décision définitive.

Dix-huit jours après, je reçus cette lettre :

« Cher frère, je crois que Dieu n’a pas permis que vous vous fatiguiez de prier pour moi, et qu’il vous a aidé à continuer de le faire. Tout va bien à mon endroit. Votre requête a été entendue et exaucée. Je suis heureuse et j’ai la paix.

En vérité, Dieu m’a manifesté ses tendres soins et son grand amour en Jésus, et il a incliné mon cœur à déposer joyeusement aux pieds de mon Sauveur, tout ce que jusque-là, j’avais considéré comme mien. C’est un grand privilège.

J’écris à la hâte pour vous demander (puisque maintenant nous n’avons plus qu’une bourse), de bien vouloir toucher cette somme à une banque de Bristol. Je fais le nécessaire pour que l’argent vous soit remis, etc… ».

Je répondis longuement à cette lettre et reçu à nouveau, le 18 décembre, un message de notre sœur, dont voici quelques extraits :

« Depuis, je n’ai pas eu le moindre doute sur ce que j’avais à faire… La Parole de Dieu est claire… je me repose sur elle. À cause de vos prières, aucune tentation n’a prévalu, je crois même pouvoir dire qu’aucune ne s’est élevée. Mais ceci pourrait survenir… Mon cœur est si mauvais, et ma foi si faible !

C’est pourquoi j’aimerais que vous demandiez à Dieu qu’il me garde de l’offenser en regrettant, ne fût-ce qu’un instant, l’acte d’obéissance que je puis accomplir par sa grâce…

Avant, de vous avoir jamais vu, j’avais demandé au Seigneur qu’il incline mon cœur à vous offrir cette somme, si la chose était selon sa volonté ; et elle vous était léguée par testament… celui-ci contresigné par deux témoins… ».

À la fin de la lettre, elle m’avertissait que, quelques obstacles survenant, elle ne pouvait toucher immédiatement ce qui lui était dû, et que probablement la somme ne me serait versée que fin janvier 1843.

L’annonce de ce retard aurait pu me jeter dans une grande perplexité. Mais le Seigneur m’aida à m’approprier la promesse du verset : « Nous savons que toutes choses travaillent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rom. 8. 28), de sorte que je continuai de jouir d’une grande paix ; bien que nous n’ayons plus qu’un ou deux jours de vivres aux Orphelinats.

Dès le lendemain, le 19 décembre, je reçus d’A. B. une somme de deux mille cinq cents francs ; le 22, d’un frère de Bristol, une autre de douze cent cinquante francs, et plusieurs autres dons.

Dieu m’avait donné le secours de sa grâce, de sorte que j’avais pu faire de sa volonté mes délices ; et maintenant Il m’envoyait environ cinq mille francs pour couvrir les grosses dépenses des stocks de vivres à renouveler, etc…, ce qui semblait impossible, lorsque j’avais appris ne pouvoir compter immédiatement sur les douze mille cinq cents francs offerts… ».

Depuis quelque temps déjà, la question de l’ouverture d’un nouvel orphelinat occupait George Müller, qui en faisait un sujet de prière : une quinzaine de fillettes auraient dû quitter la Maison des enfants en bas âge, elles y étaient restées parce que la place manquait dans l’Orphelinat des filles ; il fallait refuser de nombreuses demandes d’admission ; deux « sœurs » qualifiées étaient prêtes à prendre la direction de la maison à fonder ; un local libre à côté des autres orphelinats pouvait être aménagé avec les fonds qui restaient du don de douze mille cinq cents francs.

Enfin, George Müller sentait que l’ouverture d’une nouvelle Maison après les cinq années d’épreuves de la foi serait la meilleure des réponses et montrerait que, loin d’être las de cette façon de vivre, qui attendait tout de Dieu, il était prêt à aller de l’avant. Cependant il pria longuement à ce sujet jusqu’à ce qu’il eût la certitude que ce projet répondait à la pensée de Dieu.

Alors que tout était en bonne marche pour l’ouverture du quatrième orphelinat, Müller reçut une lettre de Stuttgart, où il vit un appel à se rendre en Allemagne. L’auteur de cette missive, une dame allemande venue en Angleterre pour y apprendre la langue, avait vécu un an à Bristol. La première fois qu’elle était venue voir M. Müller, elle lui avait demandé son concours à titre de compatriote : « Ne voulait-il pas l’aider à trouver des leçons ? »

Après lui avoir donné quelques informations utiles, M. Müller avait amené le grand sujet du salut, et s’était aperçu « qu’elle pouvait avoir eu des impressions religieuses de temps à autre, mais qu’elle ignorait le Seigneur ». Quand elle prit congé il lui remit les deux premières parties du récit que cette dame, après lecture, proposa de traduire en allemand. Bien qu’il ne l’ait pas crue qualifiée pour cela, Müller avait accepté, en pensant que cela lui ferait du bien.

Par la suite, elle apporta son travail ; puis le moment de son départ pour l’Allemagne étant arrivé, elle vint prendre congé de Müller qui, à nouveau, lui parla du salut en Christ. Il découvrit que son cœur était brisé par le sentiment de son péché ; et il fit tous ses efforts pour amener Mme G. à regarder à Jésus, dont le sang purifie de tout péché. Lorsqu’elle repartit pour l’Allemagne, elle avait trouvé le pardon et la paix auprès de son Sauveur.

C’était elle qui écrivait maintenant à G. Müller. Elle lui disait qu’elle avait inutilement cherché autour d’elle des chrétiens comme ceux de Béthesda Chapel. Après réflexion, elle s’était jointe à l’Église baptiste de Stuttgart. Mais bien des choses la rendaient perplexe ; sur lesquelles elle désirait connaître sa pensée.

Or, à plusieurs reprises déjà, écrit G. Müller, on m’avait demandé pourquoi je n’allais pas évangéliser mes compatriotes ?

Peu auparavant, le frère R.C. Chapman, en revenant du Danemark, avait placé la question sur mon cœur. Il avait vu quelque chose de l’état spirituel des églises du Continent, dont il avait entendu dire plus encore. Presque chaque fois qu’il avait exposé quelque vérité devant les frères, on lui avait répondu : « Sans doute, ceci est scripturaire ; vous avez raison. Mais si nous le mettions en pratique, quelles en seraient les conséquences ? Que deviendrions-nous, nous, nos femmes et nos enfants ? » – cela ou quelque chose d’analogue.

Aussi, dès son retour, le frère Chapman était venu me faire une visite à ce propos. Il lui semblait que mon devoir était de consacrer un certain laps de temps à l’Allemagne, après tout ce que le Seigneur avait fait pour moi. Il pensait aussi que je devrais publier le « Récit » en allemand ce qui, avec la bénédiction de Dieu, pourrait fortifier la foi des frères, et les amener à vivre en conséquence…

Cette lettre de M. G. plaçait à nouveau toute la question sur mon cœur. Où était la volonté de Dieu ? J’allai à Lui, demandant qu’il daigne me la révéler. Tant de choses paraissaient s’opposer à mon départ : le quatrième orphelinat qui était à la veille de s’ouvrir, où bien des travaux étaient encore inachevés, et ma présence nécessaire.

Avant de partir, il fallait que je laisse une certaine somme pour l’œuvre, me semblait-il. De l’argent était aussi nécessaire pour les frais de voyage et de séjour en Allemagne. Frais doubles cette fois ; car j’avais décidé que ma femme m’accompagnerait, l’état de sa santé ne me permettait pas de laisser retomber sur elle, en mon absence, la responsabilité de l’œuvre des orphelinats.

Pour la publication du Récit en allemand, il me fallait aussi une assez forte somme ; car je pensais à un gros tirage de 4000 volumes.

J’éprouvais une secrète satisfaction à repasser en mon esprit la grandeur et le nombre des obstacles qui barraient la route. Au lieu de m’accabler, ils remplissaient mon cœur de joie. Plus ils étaient grands, et plus la preuve de la volonté divine en l’un ou l’autre sens, serait manifeste…

La prière et la foi, remèdes universels à tous les besoins et à toutes les difficultés ; et la lecture de la Parole qui nourrit la prière et la foi, surmontèrent tous les obstacles.

(En 1895, G. Müller ajoutait à ce passage les lignes suivantes : depuis que je suis à Christ, c’est-à-dire depuis plus de soixante-neuf ans, je ne me souviens pas d’avoir jamais cherché sincèrement et patiemment la volonté de Dieu, sans qu’Il me l’ait fait connaître par son Saint-Esprit au moyen des Écritures, et Il m’a toujours conduit parfaitement.

Mais lorsque mon cœur manqua de droiture devant Dieu, ou que je n’attendis pas avec patience qu’Il me guide, ou que je préférai les conseils des hommes à la Parole du Dieu vivant, j’ai commis de grandes erreurs).

D’abord ceux-ci avaient grandi : les dépenses dépassaient ce qu’on avait prévu, l’argent ne rentrait pas… Mais le 12 juillet, un papier était placé dans les mains de M. Müller qui, par là, se trouvait disposer de dix-sept mille cinq cent cinquante-quatre francs ; la note accompagnant ce don était ainsi conçue :

« Pour les frères et les sœurs pauvres de notre bien-aimé Seigneur et Sauveur Jésus-Christ,

Pour envoyer les secours de l’Évangile aux chers frères allemands ou pour publier le Récit,

Pour les chers Orphelins,

Pour achever de payer les dépenses qu’entraînera la construction de la chapelle érigée pour l’assemblée des saints à Barnstaple.

Je m’en remets au jugement du serviteur de Dieu, frère Müller, pour la part qu’il y a lieu d’attribuer à chacun des chapitres désignés ci-dessus, sachant que Celui dont il est l’économe le guidera en cela comme en toute autre chose.

Que le saint nom du Seigneur soit béni pour la véritable joie que j’éprouve aujourd’hui à faire une chose dont l’accomplissement m’apparaissait, il y a quelques semaines, comme une douloureuse épreuve d’obéissance ».

« Trois des obstacles qui barraient ma route se trouvaient enlevés… Les autres le furent aussi, et le 9 août, ma femme, Miss W. (une sœur allemande) et moi, nous quittions Bristol. Durant cette absence je n’ai pas tenu de journal, je ne puis donc donner le détail de mon activité » (Autobiographie).

M. Müller ne rédigea pas de journal, mais ses lettres nous en tiennent lieu, dit le Dr Pierson dans son livre : « G. Müller de Bristol ».

Il visita Rotterdam, Weinheim, Cologne, Mayence, Stuttgart, Heidelberg, etc… Partout, il distribuait des traités, tenait des conversations avec les personnes rencontrées ; enfin et surtout il lisait et expliquait la Parole de Dieu, dans de petites assemblées de croyants qui s’étaient séparés de l’Église nationale pour diverses raisons…

C’est au début de son séjour à Stuttgart que sa foi fut mise à une très rude épreuve. On l’avertissait que les dix-sept mille cinq cent cinquante-quatre francs offerts étaient retirés ! George Müller fit le silence sur cette affaire (Évidemment le retrait ne fut que partiel ou même momentané).

Ceci ressort de ce passage de l’Autobiographie, daté du 31 décembre 1843 : « Il a plu au Seigneur de me donner cette année 8152,50. À quoi il faut ajouter tous les frais de voyage et de séjour en Allemagne pour la période du 9 août au 31 décembre, lesquels furent prélevés sur la somme qui m’avait été remise avant notre départ. N’est-il pas évident que nous servons un très bon Maître, même pour ce qui est des besoins temporels ? Et j’ai la plus grande joie à le souligner !

Si j’avais travaillé de tout mon pouvoir à obtenir un gros traitement en 1843, je n’aurais pu avoir davantage. C’est environ 10000 francs que, de façon ou d’autre, le Seigneur m’a donnés sans que je n’aie rien demandé à personne. Donc, plus qu’il n’était nécessaire, pour moi, pour ma famille, et pour exercer l’hospitalité).

D’ailleurs il lui eût été difficile d’en parler sans nuire à la partie en cause… Ce ne fut pas la seule épreuve qui l’atteignit.

Au contraire, des difficultés surgissaient de toutes parts, si nombreuses, si grandes, si diverses, qu’il eut besoin de toute la sagesse, de toute la grâce que Dieu lui avaient départies, de toute l’expérience acquise au cours des années passées, pour n’en être pas accablé. Toutes ces épreuves ne purent troubler la paix dont il jouissait.

Il dit même qu’il avait la conviction si entière, si absolue que tout cela révélerait en son temps la bonté de Dieu, qu’il n’y aurait rien changé, même s’il avait été en son pouvoir de le faire.

Ses plus grandes épreuves portèrent effectivement les plus riches moissons ; et parfois même toute une série de bénédictions. Il fut amené en particulier à adorer la sagesse divine qui avait déterminé le moment de son voyage : s’il était parti pour l’Allemagne plus tôt, il aurait devancé l’heure, parce qu’il n’aurait pas encore eu toute l’expérience requise pour résoudre les questions complexes qui l’attendaient en son pays.

Quand les ténèbres obscurcissaient sa route, sa foi l’aidait à attendre la lumière, en tout cas une direction dans les ténèbres, et il vit s’accomplir en sa faveur la promesse de ce texte : « Tandis que tu avanceras pas à pas, un chemin s’ouvrira devant toi » (lire dans l’hébreu le texte de Proverbes 4. 12).

À Stuttgart, il découvrit qu’il lui fallait combattre, comme Jude autrefois, « pour la foi donnée aux saints une fois pour toutes ». Même parmi les frères, de nombreuses erreurs avaient jeté de profondes racines.

La principale consistait à donner au baptême une importance exagérée, excessive, hors de toute proportion avec l’enseignement des Écritures. Un frère avait été jusqu’à prêcher que, sans le baptême, il ne pouvait y avoir de nouvelle naissance ! Avant le baptême, pas de rémission des péchés !

Les apôtres n’étaient pas nés d’En-Haut avant la Pentecôte ; le Seigneur Lui-même était né de nouveau seulement après son baptême, et seulement alors et jusqu’à la fin de sa vie mortelle il avait cessé d’être sous la Loi !

Quantité d’autres notions fantaisistes avaient cours : le vieil homme mourait vraiment dans les eaux du baptême ; et par le baptême, Dieu contractait une alliance avec l’homme… ; enfin on croyait généralement que le pain et le vin consacrés n’étaient pas des symboles, mais se transformaient vraiment en sang et en corps de Christ.

Il y avait une doctrine bien plus dangereuse encore contre laquelle George Müller s’éleva de toutes ses forces et qu’il nomme « une épouvantable erreur ». D’après celle-ci, qui était universellement répandue en Allemagne, tous les pécheurs sont sauvés à un moment donné, les démons aussi !

Avec calme et courtoisie, mais aussi avec courage et fermeté, Müller s’éleva contre ces erreurs et d’autres encore, en s’appuyant sur le témoignage des Écritures. Ceci provoqua beaucoup d’amertume, et même d’animosité, chez les adversaires aveugles de la vérité…

George Müller s’aperçut aussi qu’on ignorait les grandes vérités scripturaires de la présence et de la puissance du Saint-Esprit dans l’Église, du ministère mutuel des saints en tant que membres du Corps de Christ, auxquels le Saint-Esprit distribue ses dons selon qu’Il lui plaît en vue du service.

C’était une lacune qu’il essaya de combler ; car du fait de leur ignorance sur ce point, les assemblées de frères, au lieu d’être un moyen de sainte édification dans la foi, devenaient le plus souvent l’occasion de discussions inutiles.

Le seul remède à de tels errements et à de telles lacunes, c’était d’enseigner fidèlement la Parole de Dieu. C’est ce que fit G. Müller, assumant à lui seul la tâche d’instruire l’assemblée, afin que la Parole de Dieu ait libre cours et soit glorifiée. Ensuite, lorsque les frères se furent appropriés la vérité en une certaine mesure, conséquent avec lui-même, avec humilité, il reprit sa place dans l’Assemblée, comme en étant l’un des membres, tous pouvant enseigner selon qu’ils y étaient conduits par le Saint-Esprit.

Il mit l’accent sur cette présence dirigeante du Saint-Esprit dans l’assemblée des saints. C’est un devoir et un privilège que de Lui laisser la direction ; si rien ne s’élève qui fasse obstacle, c’est Lui qui incline tel ou tel frère à parler à tel moment, sur tel ou tel sujet selon ce qu’Il veut, et lorsque les chrétiens ne sont pas charnels, le choix de l’Esprit est toujours en harmonie avec le leur (1 Cor. 12 ; Rom. 12 ; Éph. 4 etc.).

À propos de cette visite de M. Müller, on fit courir le bruit qu’il avait été délégué en Allemagne par l’Église baptiste d’Angleterre pour ramener les frères allemands séparés dans l’Église nationale ; un journal religieux avait accueilli cette étrange explication, et l’avait mise en circulation. Ceci était inexact ; mais Müller ne put le démentir, l’ayant ignoré jusqu’au moment de son retour en Angleterre.

Le Seigneur, qui avait permis que cette erreur se propageât, la fit servir à ses fins ; et c’est à cause de cela que les autorités allemandes n’inquiétèrent pas G. Müller. Bien qu’il eût exercé son ministère durant de longs mois parmi des frères séparés de l’Église nationale, aucune entrave ne fut mise à son activité, et il jouit d’une entière liberté (Pierson).

1er janvier 1844. Hier soir, j’ai rencontré au thé toute la petite église de Stuttgart. Les dernières heures de l’année ont été consacrées à la prière.

Alors que j’avais déjà achevé la préparation d’une bonne partie du Récit pour l’impression, le Seigneur me fit trouver, par l’intermédiaire d’un frère que je connais depuis huit ans : un fabricant qui m’a cédé à bon compte le papier nécessaire à l’impression de cet ouvrage, et un imprimeur qui s’est engagé à tirer deux feuilles par semaine. (Il faut probablement comprendre deux feuilles de seize pages, comme cela se pratique encore aujourd’hui).

Mon imprimeur est un homme qui tient parole ; de sorte que six semaines à l’avance j’ai pu fixer au 26 février la date de notre départ de Stuttgart. Pour plusieurs raisons, il est très nécessaire que je sois à Bristol à cette époque ; c’est pourquoi j’ai la conviction d’avoir été guidé vers lui par Dieu. J’ai tout lieu de supposer que cet homme craint le Seigneur…

À ce propos, je voudrais supplier ici tous ceux qui aiment le Seigneur Jésus et qui sont dans le commerce ou les affaires, de se garder de faire des promesses, sans avoir la certitude de pouvoir les tenir. Même dans les petites choses de la vie, nous pouvons honorer ou déshonorer Dieu, et c’est à ces choses que les incrédules regardent.

Pourquoi entend-on dire si souvent (et parfois avec quelque raison), que les chrétiens font de mauvais serviteurs, de mauvais commerçants, de mauvais maîtres ? Ceci ne devrait jamais être vrai, puisque nous sommes puissants avec Dieu, pour obtenir par la prière et la foi toute la grâce, toute la sagesse, tout le savoir-faire dont nous avons besoin.

Tandis que l’impression du Récit se poursuivait, je me suis occupé de trouver un libraire qui veuille bien en assurer la vente. Ceux à qui je me suis adressé ont refusé ma demande ; sans doute parce que je n’appartiens pas à l’Église nationale ; d’ailleurs l’un d’eux me l’a dit nettement.

Sans me décourager, je me suis mis à prier avec ma chère femme. Durant quatre semaines, nous avons quotidiennement prié à ce sujet ; puis je me suis adressé à un autre libraire, et celui-ci a accepté sans hésitation. Il est entendu qu’il prélèvera une commission sur la vente. Il aura un stock de deux mille exemplaires, et je garderai le reste, soit aussi, deux mille exemplaires, par devers moi.

Cher lecteur, il n’y a pas de difficultés sur la route du chrétien, qui ne puissent être vaincues. À titre d’enfants du Père céleste, nous sommes puissants auprès de Lui par la foi et la prière, qui font descendre d’En-Haut d’abondantes bénédictions.

Ma chère femme et moi, nous avons quitté Stuttgart le 26, et nous sommes arrivés à Bristol le 6 mars. Certes, depuis que nous avions discerné que Dieu nous rappelait en Angleterre, il nous tardait d’y rentrer ; et cependant nous étions déjà si fortement attachés aux frères de Stuttgart que le plaisir du départ a été grandement tempéré par la tristesse.

Notre consolation fut de pouvoir remettre ceux que nous laissions entre les mains du Bon Berger.

Deux manières d’obtenir de l’argent. 23 mai.

Ces temps-ci le Seigneur subvient à nos besoins au jour le jour… Nous recevons le nécessaire, mais nous sommes pauvres ; il ne nous reste rien pour le lendemain.

Deux visiteurs qui font profession d’être chrétiens sont venus me voir aujourd’hui ; ils vont de maison en maison dans la rue Wilson où j’habite, pour collecter les fonds nécessaires à l’extinction d’une dette contractée pour la construction d’une chapelle.

J’ai essayé de leur démontrer qu’en allant chercher de l’argent chez tous, même chez les ennemis de Dieu, ils Le déshonoraient ! Si leur œuvre est selon la volonté divine, Dieu enverra le nécessaire ; sinon mieux valait se défaire de ce qui ne pouvait subsister qu’avec un secours recueilli en frappant à toutes les portes : celles des croyants et celles des incrédules.

Ils me dirent alors que l’argent et l’or appartenaient à Dieu et qu’ils se sentaient donc libres d’aller le chercher ici et là. « C’est justement parce que l’argent et l’or sont à Dieu, dis-je, que nous, ses enfants, nous n’avons pas besoin d’aller chercher des contributions pour son œuvre chez ses ennemis ».

À cet instant même, alors que je parlais pour Dieu, le facteur m’apporta un petit paquet et une lettre. Mes visiteurs partirent et continuèrent leurs visites. Je ne les avais donc pas convaincus…

Eux partis, j’ouvris le paquet. Le Seigneur me donnait une nouvelle preuve de la bénédiction qu’II attache à l’obéissance à ses commandements : le paquet contenait cinq cents francs envoyés d’Irlande et un dessus de tabouret brodé ; la lettre qui venait de Seaton m’apportait vingt-cinq francs ; ces sommes ajoutées au contenu des boîtes des orphelinats relevées ce même jour, me donnaient plus de cinq cent cinquante francs pour les orphelins.

Lundi 10 juin. Nous nous sommes réunis pour prier, quelques-uns de nos collaborateurs et moi, nous avons particulièrement demandé au Seigneur son secours pour la rédaction du prochain Rapport, afin qu’Il veuille bien faire reposer sur ce travail et sur l’Assemblée générale que nous pensons convoquer, le sceau de sa bénédiction.

Nous lui avons demandé la conversion de nos chers orphelins, toute la grâce et la sagesse nécessaires pour ceux qui ont quelque part dans l’œuvre ; enfin, des subsides pour nos écoles de semaine, des fonds en suffisance pour pouvoir envoyer l’ordre d’achat de gruau d’avoine qu’on fait venir d’Écosse, de l’argent pour repeindre les Orphelinats, aussi les subsides nécessaires aux dépenses courantes…

Ce matin au culte de famille, j’avais lu ce passage : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, heurtez et l’on vous ouvrira » (Mat. 7. 37). Je m’en suis emparé immédiatement ; puis ensuite j’ai repris ce texte avec mes collaborateurs pour plaider avec Dieu, et il m’a exaucé une fois de plus.

Dieu continua d’envoyer le nécessaire jour après jour ; mais le 7 juillet enfin, A. B. envoya une somme de mille deux cent cinquante francs qui permettait de faire la commande d’une tonne de gruau.

Or, ce don arrivait exactement au moment où le correspondant de M. Müller, qui se chargeait de ces achats, un frère d’Écosse, lui écrivait pour proposer un marché très avantageux de cette denrée. La coïncidence entre le don et l’avis d’Écosse frappa George Müller, et il le souligna dans son journal.

14 juillet. Voici le jour fixé pour arrêter les comptes. L’encaisse est de quarante francs. Du 10 mai 1842 au 14 juillet 1844, il a été dépensé pour les orphelins soixante-deux mille cent quatre-vingt-six francs.

31 décembre 1844. Après quelques considérations sur le total de ce qu’il a reçu, le voyage de retour d’Allemagne, etc…, G. Müller ajoute : une dame chrétienne a voulu se charger complètement de notre chère enfant, instruction et pension, et a absolument refusé tout salaire. C’est un cadeau de douze cent cinquante francs qu’elle nous fait de la sorte.

Dieu m’a mis au cœur de m’occuper de pauvres orphelins et maintenant, à titre de récompense dès ici-bas, Il met au cœur de cette sœur chrétienne de prendre notre chère fille dans sa pension, de sorte qu’elle reçoit une instruction et une éducation de premier ordre, sans qu’il ne m’en coûte rien.

Certes, j’avais assez pour payer, et je l’aurais fait bien volontiers, mais le Seigneur a voulu m’offrir le montant de cette pension, pour me montrer qu’Il est toujours prêt à subvenir abondamment à tous mes besoins.

6 janvier 1845. Mauvaises nouvelles de Stuttgart. J’ai reçu la très douloureuse nouvelle qu’un faux docteur venu de Suisse s’est introduit parmi les frères et les sœurs de Stuttgart, qu’il en a entraîné un grand nombre dans l’erreur, et que chez plusieurs, le fondement même de la foi a été ébranlé.

Je ne puis dire toute l’amertume de cette épreuve ; je souffre de voir que le Seigneur est déshonoré, et que le travail des sept mois passés là-bas semble réduit à néant.

Mais le Seigneur a mis sur mon cœur un tel fardeau de prières pour ces frères et sœurs égarés, que je puis le Lui présenter chaque jour, et que j’ai pris la résolution de retourner à Stuttgart, si j’en vois la possibilité.

3 mai. Voici quatre mois que je prie quotidiennement pour eux, sans demander à Dieu qu’Il m’envoie les fonds suffisants pour les rejoindre, parce que je crois qu’Il les enverra au moment favorable, et aussi parce qu’Il n’avait pas incliné mon cœur à le faire.

Mais aujourd’hui, je Lui ai demandé le nécessaire : frais de voyage, aller et retour, frais de séjour, frais d’impression pour des traités en allemand, des fonds pour l’œuvre à Bristol afin qu’elle soit pourvue avant mon départ au moins pour quelque temps…

Je ne désire pas partir si le Seigneur ne le veut pas ; mais s’Il le veut, Il peut m’en donner les moyens. À peu près un quart d’heure après que, pour la première fois, nous avions prié à ce sujet, ma chère femme et moi, je reçus une lettre contenant douze mille cinq cents francs avec cette indication : pour le voyage en Allemagne ; et le surplus, pour l’œuvre que vous dirigez.

19 juillet. Ma chère femme et moi nous avons quitté Bristol ce matin pour Stuttgart.

Ce nouveau séjour en Allemagne fut accompagné de bénédictions presque plus nombreuses que le précédent.

Des portes s’ouvrirent devant M. Müller qui eut de nombreuses occasions d’annoncer la vérité ; l’église de Stuttgart fut aidée à reprendre pied, et deux cent vingt mille traités furent imprimés en allemand : onze sujets différents y étaient exposés. (F.C. Warnes).

Müller tint jusqu’à huit réunions par semaine. Dieu pourvut à sa manière (c’est-à-dire d’une manière extraordinaire) à tous ses besoins.

Ainsi, un médecin riche, qui n’avait jamais loué ses appartements les lui offrit, de sorte qu’il fut confortablement logé, alors que la ville était remplie d’étrangers, et les appartements difficiles à trouver.

De façon providentielle, on lui offrit la chaire d’une église nationale. C’était une occasion de faire entendre la vérité, et bien qu’il ne fût pas d’accord sur tous les principes de cette Église, il accepta (Pierson). Le séjour de Stuttgart dura sept semaines ; après quoi G. Müller se mit à la recherche d’une voiture qu’il loua. Donnons-lui à nouveau la parole :

« En Allemagne, impossible de prêcher dans les rues et les places publiques, autrement je l’eusse fait volontiers. J’ai dû recourir aux imprimés et j’ai distribué onze cents exemplaires du « Récit », et des dizaines de milliers de traités. En ce faisant, je me sentais encouragé par la pensée que c’est au moyen d’imprimés surtout, que la Réforme avait fait son œuvre.

Dix-sept jours durant, nous avons voyagé dans une voiture, que j’avais louée, couvrant de quarante à cinquante kilomètres chaque jour.

J’avais fait faire une caisse spéciale qui pouvait contenir trente mille traités et qu’on fixait à l’arrière de la voiture. Sur le devant, des valises remplies de « Récits » et encore des traités.

Pendant ce voyage, ma chère femme et moi nous attendions les voyageurs qui se présentaient, ou bien nous nous adressions aux personnes que nous rencontrions le long du chemin, et leur donnions livres ou traité.

Le lecteur demandera peut-être : « Et quel a été le résultat de ce travail ? » À quoi je répondrai : « Dieu seul le sait… ».

Mais si je pense aux huit mois de prières qui ont précédé le temps des semailles, aux prières quotidiennes qui ont accompagné et suivi celles-ci, j’ai le droit d’attendre des fruits et j’en attends… Deux cent vingt mille traités ont été distribués.

Dieu aidant, quelques-uns sont allés jusque dans les recoins les plus enténébrés de l’Europe, d’autres en Amérique et jusqu’en Australie. Les quatre mille brochures de l’édition allemande du « Récit » sont presque épuisées. Et je suis amené à considérer la possibilité d’une édition en français.

Les traités ont été réimprimés à Hambourg et à Cologne, et des chrétiens s’occupent de les répandre. Ils sont aussi distribués en Angleterre, et en plusieurs autres contrées.

Ne pouvant évangéliser de façon directe, M. et Mme Müller firent donc du colportage. Même ceci aurait pu être interdit par la police. Mais Dieu ne le permit pas ; et aucune entrave ne fût mise à l’activité de ses serviteurs (F.G. Warnes).

Ch. 11. Construction des Maisons pour les Orphelins (1845-1857)

Quelques semaines seulement après le retour de M. Müller en Angleterre, l’un des habitants de la rue Wilson prenait l’initiative de lui écrire une lettre polie et amicale sans doute, mais où il signalait cependant les nombreux inconvénients qu’entraînait le voisinage des Orphelinats pour les habitants du quartier.

Le signataire s’en remettait à M. Müller lui-même et à son esprit d’équité pour prendre la décision qui s’imposait. Sollicité par de nombreuses occupations le jour où il reçut cette lettre, le 30 octobre 1845, G. Müller la mit de côté pour la relire à tête reposée dès qu’il le pourrait. Le 3 novembre, il se ménagea quelques heures de liberté pour examiner avec prière la question devant Dieu.

– Je pris un papier et me mis à écrire les raisons qui m’apparaissaient militer en faveur d’un déplacement, et celles qui semblaient s’y opposer.

Les voisins se plaignaient du bruit aux heures de récréations. Certes, cette plainte est justifiée ! Je sais que personnellement je ne supporterais que difficilement tout ce tapage. Ma pauvre tête en serait brisée. Je dois donc faire pour les autres ce que je voudrais qu’ils fassent pour moi. Jamais encore je n’avais considéré la chose sous ce jour.

Le nombre des pensionnaires de nos maisons est si grand que, à plusieurs reprises, les canalisations des eaux ménagères ont été bloquées, et les voisins fort incommodés.

Nous n’avions pas de terrain de jeux au sens exact de ce mot. Nous disposions d’un seul emplacement qui en tienne lieu, et qui ne peut servir que pour les enfants d’une seule maison à la fois.

Pas de terrain de culture non plus dans les alentours de Wilson Street. Si nous nous transportions ailleurs et que nous puissions avoir une propriété entourée de champs pour le jardinage et autres travaux manuels, il en résulterait de très sérieux avantages, pour nos garçons surtout.

Nous pourrions alors les occuper de façon plus utile qu’au tricotage, qui est actuellement leur seul travail manuel. (Ils font aussi leurs lits, le nettoyage des maisons et aident à la préparation des repas). Mais il est bien certain que le travail en plein air serait le meilleur des exercices physiques, et qu’il favoriserait le développement de l’organisme.

Nous pourrions avoir une blanchisserie, ce qui est impossible à Wilson Street faute de place, de sorte qu’une partie du linge seulement est blanchie aux Orphelinats. Nos filles auraient alors plus de travail manuel à fournir – un point très important, car il leur semblerait moins dur ensuite d’être placées comme servantes.

L’air de Wilson Street n’est peut-être pas assez tonique pour des enfants de constitution généralement débile ; fils et filles de parents malades le plus souvent. Un air plus vif leur serait donc favorable.

La situation actuelle n’est certainement pas enviable pour le personnel. Nos collaborateurs n’ont pas de jardin, pas de champ à proximité, où se détendre pendant les heures de repos.

En temps de maladie, l’espace manque ; nos maisons sont trop petites pour le nombre d’occupants.

Même en temps ordinaire, il serait désirable d’avoir plus de place.

Or il n’y a pas de propriétés à Bristol ni dans les environs immédiats qui nous donneraient les avantages requis. Voici une dizaine d’années que je pense à cela et que je cherche inutilement dans toutes les directions. Je ne puis songer à avoir une maison d’un côté, l’autre ailleurs.

Pour les réunions de prière, pour la répartition des vivres ou des fonds, aux époques durant lesquelles nous vivons au jour le jour, pour les réunions du personnel, pour les visiteurs…, nos orphelinats doivent se trouver au même endroit.

De plus, les difficultés d’adaptation ou de transformation des maisons particulières m’apparaissent toujours plus clairement. Ces maisons ne sont pas faites pour répondre aux besoins d’œuvres du genre de la nôtre.

Aucune maison particulière, par exemple, n’offre de moyens de ventilation suffisants pour l’agglomération des pensionnaires d’une institution charitable. Il n’y a donc qu’une chose à faire : construire.

Et maintenant quelles raisons pourraient nous induire à rester à Wilson Street ?

– Le fait que c’est Dieu qui nous a manifestement conduits. Oui, mais ne désire-t-Il pas maintenant nous conduire ailleurs ?

Il ne serait peut-être pas impossible de louer rue Wilson les immeubles n° 2, 5 et 7 ; d’aménager deux de ces maisons comme orphelinats, et la troisième en infirmerie ? Mais les protestations des voisins subsisteraient ; les canalisations seraient encore plus insuffisantes, et faire faire les travaux d’une installation serait extrêmement coûteux.

Je vois trois grandes objections à la construction d’orphelinats : la dépense ; les sommes que cela nécessitera et qu’autrement on pourrait affecter aux orphelins ; bâtir fait perdre de vue le caractère du chrétien qui est ici-bas « un étranger et un voyageur » ; cela prendra beaucoup de temps.

Mais toutes ces objections seraient valables si je pouvais faire autrement, et si j’entreprenais de construire sans que la chose s’impose…

Je consacrai quelques heures à la prière, après quoi je commençai à discerner que Dieu m’appelait à faire construire, que cela serait non seulement pour le plus grand bien des orphelins et une meilleure organisation du travail, mais surtout un nouveau témoignage rendu à Celui qui peut et qui veut dispenser largement ses bienfaits à quiconque en a besoin et s’attend à Lui…

Le jour même, je réunis dans l’église ceux qui travaillent avec moi, afin qu’ils examinent la situation et me donnent leur opinion. Tous tombèrent d’accord qu’il fallait quitter Wilson Street ; personne ne fit d’objection au projet de construction.

Le 4, ma chère femme et moi nous commençâmes à prier pour cette affaire, décidant de le faire chaque matin. Nous demandions plus de lumière sur tout ce qui touchait à ce projet de construction, et, convaincus que nous agissions selon sa volonté, nous avons commencé aussi à demander à Dieu l’argent nécessaire.

Le 7 novembre, il m’apparut que l’achat du terrain, les constructions et les dépendances, etc…, pour trois cents enfants pris en bas âge et gardés jusqu’à quinze ou seize ans, pour le personnel et les aides… pourraient coûter environ dix mille livres sterling, soit 250000 francs. Je ne me laissai pas décourager par ce chiffre et je regardai à Dieu.

… Bien que nous priions depuis quelque temps, je n’ai encore rien reçu. Cependant, plus que jamais encore, j’ai la certitude que Dieu me demande de bâtir, et cette certitude va s’affirmant. J’ai déjà dit quelques-unes des raisons qui ont amené cette assurance.

L’une des principales, celle qui a pour moi le plus de poids, je la trouve dans l’ordre que donne l’apôtre dans sa lettre aux Philippiens : « Que votre douceur soit connue de tous les hommes » (4. 5). J’ai vu que ce ne serait pas agir selon la pensée de Christ que d’ignorer les réclamations fort justes de la lettre que j’ai reçue.

Le 9 décembre. Trente-cinq jours après que nous avions commencé à prier, quelqu’un a envoyé vingt-cinq mille francs. Ce don, le plus important que j’aie reçu jusqu’ici, n’a pas provoqué chez moi de grande émotion ni d’exaltation. J’avais prié pour obtenir des fonds et je ne fus pas étonné d’en recevoir…

13 décembre. Ma belle-sœur arrive de Londres. Elle y a rencontré un monsieur qui avait lu avec un vif intérêt, le « Récit des dispensations de Dieu envers George Müller », et désirait avoir le plus de détails possibles sur l’Œuvre.

Apprenant par elle que nous pensions bientôt faire construire, il offrit d’établir les plans et d’en surveiller l’exécution gratuitement. La main de Dieu est manifeste dans cette offre d’un architecte chrétien.

G. Müller avait parlé à quelques amis seulement de ses projets de construction. Il s’était gardé d’envoyer des circulaires ou de faire aucune communication aux journaux, voulant tout attendre et tout recevoir de Dieu.

Fin décembre, quelques dons lui parvinrent : l’un d’eux était de douze cent cinquante francs, un autre de vingt-cinq mille francs ; alors il pensa que le moment d’acheter un terrain était venu.

Il fallait que celui-ci soit assez grand, et pas trop loin de Bristol. À vues humaines, cela coûterait très cher, car la spéculation achetait les terrains des environs et faisait bâtir.

J’ai entendu parler aujourd’hui, 2 février 1846, d’un terrain à Ashley Down, qui conviendrait à nos projets et n’est pas trop cher. Je suis allé le voir le lendemain. C’est assurément ce que j’ai trouvé de mieux jusqu’ici… je voulais rencontrer le propriétaire. Il n’était pas à la maison, mais à son bureau. Je m’y rendis aussitôt ; il venait de partir… J’ai pensé alors que Dieu n’avait pas permis que je le rencontre, et je suis rentré chez moi.

5 février. J’ai vu le propriétaire. Il me dit que de trois à cinq heures ce matin il n’avait pas pu dormir, et que ma demande de la veille, dont on l’avait averti, n’avait cessé d’occuper sa pensée durant les heures d’insomnie.

Il avait décidé que si je me présentais comme acheteur du terrain pour faire construire les orphelinats, il consentirait une diminution de quatre-vingts livres sterling (deux mille francs) par acre (un demi-hectare à peu près). Comme le Seigneur est bon !

J’ai immédiatement conclu le marché et acheté le terrain, qui a près de sept acres à trois mille francs l’un. Remarquez la bonté de Dieu qui n’a pas permis que je trouve le propriétaire avant que Lui-même n’eût parlé à son serviteur.

11 février. J’avais écrit le 6 février à l’architecte qui m’a fait faire des offres de services ; voici sa réponse :

« Mon cher Monsieur, Il me sera extrêmement agréable, au-delà de ce que je puis dire, d’apporter mon concours à l’œuvre d’amour que vous poursuivez, et c’est pour moi un privilège que d’être l’architecte et le surveillant des constructions que vous vous proposez de faire élever pour les Orphelins…

Je vous fournirai volontiers les plans et sections de plans avec les détails et le prix de revient approximatif, le tout gratuitement ; enfin je vous offre aussi de surveiller, sans frais, l’exécution du travail ».

19 février. L’architecte est venu de Londres. Il trouve que la situation est excellente, très favorable pour les fosses et les canalisations d’eau, etc…

George Müller ne put prendre possession du terrain aussitôt qu’il le pensait, le vendeur était mort peu après, et bien des difficultés surgirent de ce chef.

La vente du terrain fut confirmée, et les dons affluèrent aussitôt… Dons infimes et dons princiers, que George Müller reçut comme lui étant également envoyés par Dieu et avec une égale reconnaissance ; depuis soixante centimes (six pence) jusqu’à douze mille cinq cents francs, vingt mille francs et même cinquante mille !

Il reçut à cette époque deux dons de cinquante mille francs. « Rien de tel que de s’adresser directement au Seigneur », disait-il. Certain jour, alors que Dieu venait de lui envoyer l’une de ces fortes sommes il fut plongé dans un profond sentiment d’adoration, et s’étendant sur le sol, la face contre terre, il éclata en actions de grâce et en louanges, se consacrant à nouveau et tout entier au service du Seigneur.

29 avril 1846. Aujourd’hui, à Hippocampe où nous sommes pour le service du Seigneur, ma femme bien-aimée et moi, nous avons eu l’immense joie de recevoir de notre chère fille la lettre ci-après, de sorte que nos prières se transforment en actions de grâce et en louanges :

« Je suis extrêmement heureuse que tu ailles mieux, et: très reconnaissante à maman pour son gentil petit billet. J’aurais voulu vous dire que j’avais maintenant trouvé le bonheur ; puis je ne l’ai pas fait, pensant qu’il me serait plus facile de l’écrire que de le dire. Je ne puis préciser quand j’ai commencé à être heureuse en pensant à la mort et à l’éternité…

Dieu a fait son œuvre en moi très graduellement. Je puis dire maintenant : « Grâces soient rendues à Dieu pour son don ineffable ». S’il vous plaît, chers Papa et Maman, priez pour moi afin que je ne déshonore pas le Seigneur ; afin que j’aie toujours plus de reconnaissance pour le don de son Fils, et pour mes chers parents, ma chère tante, mes chers professeurs, et pour tous les bons amis qui m’aiment et prient pour moi.

Avec tout l’amour de votre petite fille bien affectionnée, je reste, chers papa et maman, votre Lydia Müller ».

« Elle était si jeune, écrit G. Müller, qu’il m’a semblé bon d’observer un peu l’œuvre qui s’accomplissait en elle. À la fin de l’année, mes collègues étant d’accord, elle fut baptisée et admise à la communion. Elle venait d’avoir quatorze ans ».

Dans l’espace de treize mois, du 10 décembre 1845 au 25 janvier 1847 exactement, G. Müller avait reçu neuf mille deux cent quatre-vingt livres sterling, uniquement en réponse à la prière (au pair 232125 francs).

Le 3 juillet 1847, on commença de construire. Les dons affluèrent derechef. En juin 1849, les constructions étaient achevées. Avant cette date, G. Müller s’adonna à la prière pour les dépenses d’ameublement qui s’imposaient. Dieu l’exauça et lui accorda au-delà de ce qu’il avait demandé.

Le 9 février 1849, il écrivait : « Plus cette pensée d’ameublement m’occupait, plus je me rendais compte des sommes nécessaires. Or aujourd’hui j’ai eu la visite d’un chrétien qui m’a remis de la main à la main deux mille livres sterling (cinquante mille francs) pour que je les emploie comme je le jugerais le plus utile ».

Le nouvel orphelinat avait été construit pour cent quatre-vingts filles, quatre-vingts garçons et quatre-vingts enfants des deux sexes au-dessous de six ans, au total trois cents orphelins au lieu des cent vingt enfants qu’abritaient les maisons de Wilson Street. À la date du 9 mars, nous lisons dans le Journal de G. Müller :

« Le Nouvel Orphelinat est presque prêt. Il faut penser au tissu nécessaire pour vêtir les nouveaux. J’ai donc commandé des milliers de mètres d’étoffe et il en faudra des milliers d’autres, pour ne rien dire des provisions de toutes sortes auxquelles il faut penser. Je viens de recevoir sept mille cinq cents francs qui vont être affectés à ces dépenses uniquement…

Ce don a été pour mon esprit comme une brise rafraîchissante. En ce moment, alors que commence la grande augmentation de dépenses qu’entraîne l’entretien de trois cents enfants au lieu de cent vingt, j’aime à voir en cette somme un gage de Dieu, une promesse qu’Il subviendra encore à tous les besoins.

Que Dieu soit loué pour tous ses bienfaits ! Jusqu’ici nous avons reçu pour le Fonds de Construction quinze mille sept cent quatre-vingt-quatre livres sterling, dix-huit shillings, dix pence (au pair 394623 francs 50) ».

Au 31 mars, toutes dépenses payées pour l’achat de la terre, les droits d’enregistrement, la construction, l’ameublement, l’acte de cession, il restait une encaisse de dix-neuf mille cinq cents francs à peu près.

Le 18 juin 1849, et les jours suivants, un peu plus de douze ans après la fondation de l’Œuvre, rue Wilson, on transféra successivement les orphelins dans leur nouvelle Maison.

Quelques mois après, leur nombre atteignait 275. Avec le personnel enseignant et les aides, les nouvelles constructions abritaient, en mai 1850, trois cent huit personnes.

La Maison des orphelins fut remise par M. Müller entre les mains de onze administrateurs et l’acte de cession enregistré. On décida qu’on n’admettrait les visiteurs que le mercredi après-midi. Il fallait effectivement une heure et demie pour voir entièrement l’Orphelinat d’Ashley Down.

Et maintenant que voici réalisé le grand projet, George Müller va probablement se consacrer à l’Œuvre existante, aux affaires courantes de la Nouvelle Maison, à l’éducation des jeunes, au service d’intercession, et dans la mesure du possible, il va se reposer ? Il n’en fut pas ainsi.

Le 5 décembre 1850, il écrivait : « Il y a maintenant trois cents enfants au « Nouvel Orphelinat », et un personnel de trente-cinq personnes. J’ai beaucoup à faire ; et comme je dois être ici une bonne partie de la journée, je suis constamment séparé de ma femme et de ma fille, ce que je ressens très douloureusement.

Et cependant, je suis comme poursuivi par la pensée de faire davantage pour les Orphelins, et j’ai commencé de prier à ce sujet… Que le Seigneur daigne me montrer quelle est sa volonté… ».

26 décembre. J’ai si longtemps servi Satan pendant les années d’autrefois, que je désire ardemment servir Dieu de toute ma force pendant les années de pèlerinage terrestre qu’il me reste à vivre. Je viens d’avoir quarante-cinq ans. Chaque jour enlève quelque chose au nombre de ceux que j’ai à vivre ici-bas ; et je désire intensément travailler

Il y a des multitudes d’orphelins qui ont besoin de secours. Un frère en Christ m’a dit avoir eu sous les yeux un rapport officiel, établissant qu’il y avait dans les prisons d’Angleterre six mille jeunes orphelins. Parce que la place manquait dans les orphelinats existants où il était très difficile de faire entrer les enfants tout à fait pauvres, destitués de tout secours et de toute protection, on les envoyait donc dans les prisons.

En 1834, dans tous les orphelinats réunis, il n’y avait en Angleterre que trois mille places, et près de six mille orphelins de moins de huit ans étaient placés dans les prisons. Plus tard, l’exemple de Müller fut suivi, et de nombreuses Maisons furent ouvertes (Pierson).

Je désire ardemment que Dieu m’emploie à apporter un remède à cet état de choses, et à empêcher que d’aussi jeunes enfants soient obligés d’habiter des prisons. Par-dessus tout, je veux qu’il soit manifeste aux yeux de tous et toujours davantage, que notre Dieu entend et exauce la prière.

L’honneur de Dieu est pour moi la chose principale en cette affaire. Si je Le glorifie mieux en m’abstenant d’agrandir l’Œuvre et d’aller de l’avant, j’abandonne toute idée de recueillir un millier d’orphelins.

« Certainement, ô mon céleste Père, puisque par ton Saint-Esprit tu m’as conduit en cet état de joie parfaite dans lequel je veux ce que tu veux, tu ne permettras pas que ton enfant se laisse égarer… je m’attends à toi ; je ne voudrais pas faire un seul pas en avant aussi longtemps que tu ne le demanderas pas ».

En janvier 1851, G. Müller reçut un don de soixante-quinze mille francs. D’autres suivirent, gros dons et petits dons, qui ont pour la plupart une histoire intéressante ou même touchante.

L’œuvre se poursuivait avec les activités diverses qu’elle entraînait (l’une d’elles était le placement des orphelins) et Dieu qui, en réponse à la prière, avait nourri les cent vingt enfants des maisons de la rue Wilson, subvenait maintenant aux besoins des trois cents orphelins de la maison d’Ashley-Down.

Dans le courant de l’année 1852, M. A.N. Groves (beau-frère de G. Müller, et dont l’exemple avait été pour celui-ci en bénédiction) rentra de Bagdad avec sa famille pour la troisième fois. Il arrivait à Bristol à l’automne, et cette fois, gravement malade.

20 mai 1853. Mon cher beau-frère, malade depuis quelques mois, vient de s’endormir en Jésus. Il demeurait avec nous et a rendu, jusqu’à la fin, un fidèle témoignage qui a été en bénédiction à plusieurs.

Juillet 1853. II a plu au Seigneur d’éprouver ma foi d’une manière que j’ignorais jusqu’ici. Ma fille bien-aimée est tombée malade le 20 juin. Il s’agissait de la typhoïde. Le 8 juillet, notre chère enfant était condamnée par les médecins.

Le Seigneur nous a aidés, ma femme et moi à la lui remettre. Il nous a soutenus. Mais je ne parlerai que de ce qui me concerne. Bien que mon unique enfant, mon enfant bien-aimée, fût aux portes du tombeau, mon âme resta dans une paix parfaite, toute prête à acquiescer à la décision du Père Céleste, bien assurée que cette décision serait pour le plus grand bien de l’enfant et de celui de ses parents.

L’état d’extrême gravité continua jusqu’au 20 juillet, puis une amélioration se produisit. Le 18 août, bien qu’elle fût très faible encore, notre enfant était assez bien pour supporter le voyage de Clevedon. Il y avait cinquante-cinq jours qu’elle était tombée malade.

Durant ce temps d’affliction, de très grande affliction, non seulement je fus gardé dans un très grand repos d’esprit, au sujet de l’épreuve elle-même, mais aussi quant à la raison de l’épreuve.

Précédemment, il était arrivé que la main de Dieu s’appesantisse sur moi pour me guérir de l’état de tiédeur dans lequel j’étais tombé. Cette fois, il n’en était pas ainsi.

Tout en ayant conscience de bien des faiblesses, de nombreux manquements dans mon service, et d’erreurs, et bien que j’aie été prêt à m’écrier avec l’apôtre Paul : Oh ! Misérable que je suis ! cependant je savais qu’il n’y avait pas cette fois-ci une répréhension du Seigneur, mais une épreuve… Ma foi était mise à l’épreuve.

On s’imagine généralement que celle-ci n’est éprouvée qu’à propos de questions d’argent, bien que j’aie souvent eu l’occasion de déclarer le contraire. Cette fois-ci, le Seigneur m’éprouvait dans ce que j’avais de plus cher ici-bas : l’un de mes plus précieux trésors, la plus précieuse de mes possessions terrestres après ma femme bien-aimée.

Les parents savent la place qu’occupe dans leurs cœurs leur unique enfant ; plus particulièrement l’enfant qui craint et sert le Seigneur. Eh bien, cette épreuve-là m’atteignait, et le Père Céleste me disait : « Es-tu prêt à me donner ton enfant ? » Mon cœur put répondre : « comme il te semblera bon, mon Père, que ta volonté soit faite ».

Comme le cœur des parents était prêt à Lui remettre celle qu’Il avait donnée, lui aussi était prêt à la laisser, et elle vécut. Fais de l’Éternel tes délices et il te donnera ce que ton cœur désire (Ps. 37. 4). Or je voulais par-dessus tout ce que Dieu voulait, et ne conserver ma chère enfant que si la chose était conforme à sa volonté. Et le moyen de la garder, c’était justement de trouver la volonté divine bonne, agréable et parfaite, de quelque manière qu’elle se manifestât.

De toutes les épreuves de la foi que j’aie eu à traverser, celle-ci a été la plus douloureuse ; et par la grande bonté de Dieu, je le dis à sa louange, je fus rendu capable de faire de sa volonté mes délices… C’est pourquoi mon cœur fut gardé en paix, une paix parfaite, sans un seul moment d’anxiété. C’est ainsi qu’il en serait toujours pour le chrétien, si sa foi en Dieu était agissante.

31 décembre 1853. Cette année, il a plu au Seigneur de me donner quinze mille neuf cent soixante-quatre francs. Quelques lecteurs diront peut-être : près de seize mille francs ! Quelle somme ! Il n’y a pas un pasteur sur cent qui touche cela !…

Et je leur répondrai que ma manière d’obtenir ce qu’il me faut pour vivre est évidemment la bonne. Mais si quelqu’un désire entrer dans cette voie, qu’il le fasse vraiment et ne se contente pas de le dire.

Quelques-uns disent se confier uniquement en Dieu, mais saisissent toutes les occasions directes ou indirectes de le publier et d’exposer leurs besoins aux autres. Je ne dis pas qu’il soit mal de faire connaître ses besoins ; mais je dis qu’il ne convient pas de les exposer pour trouver de l’aide autour de soi quand on fait profession de s’attendre uniquement à Dieu

Si vraiment nous nous attendons à Lui uniquement, il nous suffit de demeurer avec Lui et de Lui parler, à Lui seul…

Quiconque se confie uniquement en Dieu doit vouloir être riche ou pauvre comme le Seigneur le voudra. Il doit être prêt à savoir ce que c’est que d’être dans l’abondance et dans la disette ; et à laisser ce monde sans y rien posséder.

Il doit être prêt à recevoir de la manière qu’il plaira à Dieu de lui donner : sommes infimes, oboles, ou dons importants… Il doit être prêt à se considérer comme l’économe du Seigneur, et à partager avec d’autres ce qu’il reçoit.

Autrement, si le serviteur se mettait à entasser, à thésauriser ou à tout dépenser pour lui-même, le Seigneur ne tarderait pas à faire tarir les canaux utilisés pour subvenir à ses besoins, en influençant autrement les cœurs des chrétiens qu’Il emploie pour ce service.

Pour bien des raisons, je pourrais juger préférable de ne pas publier chaque année le total des sommes reçues, mais je le fais en n’ayant en vue que la gloire de Dieu, et parce que je trouve mes délices à proclamer la bonté du Maître que je sers.

Ce que j’écris, je l’écris pour le réconfort et l’encouragement de mes compagnons de voyage, afin qu’ils soient conduits à se confier toujours davantage en Dieu…

28 mars 1855. Je relève dans le journal de M. Müller une liste de dons, les uns fort importants ; nous ne pouvons les signaler tous, il s’en faut ! Mais voici, à la date du 28 mars 1855, l’indication d’un petit don et une lettre que nous tenons à transcrire ici :

« Reçu ce jour douze francs cinquante d’un orphelin confié autrefois à nos soins, et dont nous nous sommes longtemps, occupés. Il est aujourd’hui domestique. Le don est accompagné de cette lettre :

Cher Monsieur,

Voulez-vous accepter cette obole de la part de quelqu’un qui pense souvent à vous et aux vôtres avec reconnaissance ? C’est vraiment bien peu de chose ! Je regrette de ne pouvoir donner plus pour votre si noble entreprise.

Cela sera peut-être assez pour l’une des pierres d’angle du nouvel édifice que vous pensez faire élever ? J’aimerais travailler pour le Seigneur dans ce nouveau Foyer qu’on va construire, si la chose est selon sa volonté, et amener beaucoup de jeunes orphelins à la connaissance de Jésus.

C’est dans la Maison de Wilson Street, en 1846, que pour la première fois la lumière de la vie pénétra dans les ténèbres de mon âme ignorante. C’est là que pour la première fois, j’appris à appeler Dieu, mon Père. Aussi je ne puis autrement qu’aimer l’Orphelinat ; non seulement parce que c’est là qu’on s’est occupé de mes besoins matériels, mais parce que c’est là que je suis né à la vie spirituelle.

Que le Seigneur vous récompense, cher Monsieur, pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je sais qu’Il le fera…

Veuillez me croire, cher Monsieur, votre bien respectueusement… »

X

C’est à cette époque que George Müller s’occupa de chercher un terrain pour les Nouvelles Maisons qu’il avait pris la résolution d’élever.

Ne pouvant acheter l’emplacement qu’il considérait comme le plus favorable, il lui sembla qu’il pourrait faire construire sur le terrain même qu’il possédait déjà ; ce qui fut décidé après examen du terrain et consultation avec des architectes. Il vit alors qu’en plus de l’économie réalisée, ce plan avait de grands avantages qui rendraient la direction et la surveillance plus faciles.

31 décembre 1855. Durant l’année écoulée, il a plu au Seigneur de me donner dix-huit cent trente-cinq francs vingt-cinq.

Voici vingt-cinq ans que j’ai réglé ma vie d’après les principes exposés dans le Récit ; il ne s’agit donc pas de l’expérience d’une semaine, d’un mois, d’un an ; et voyez ce que le Seigneur a fait pour moi !

La seconde Maison. Janvier 1856. En mai 1853, G. Müller avait déjà trois cent quinze mille francs pour l’édification d’une nouvelle Maison d’orphelins ; mais il estimait qu’il lui en fallait le double avant de commencer à bâtir.

En janvier 1856, des amis chrétiens s’engagèrent à verser solidairement cent quarante-deux mille francs… M. Müller avait reçu huit cents demandes d’admission auxquelles il n’avait pu répondre favorablement. Il décida donc de faire commencer les travaux de la seconde Maison. Les dons en argent et en nature soutenaient et encourageaient sa foi.

À cette époque, il reçut en une seule fois cent mille francs. Un ami s’engageait à faire poser à ses frais les vitres des trois cents grandes fenêtres. « Or, écrit George Müller, il se trouva que cette dépense n’avait pas été comprise dans le contrat comme pour la première Maison ».

Les gros travaux touchaient à leur terme, et on s’occupait de l’aménagement intérieur de ce que le langage moderne nommerait : « le Palais des Orphelins ».

Certain jour que M. Müller rentrait chez lui après avoir vérifié les installations de gaz et les cent cinquante brûleurs, il trouva en arrivant un chèque de vingt-cinq mille francs avec cette note : « Il me semble bon et avantageux de placer cette somme sur les orphelinats… ».

12 octobre 1856. J’ai reçu aujourd’hui un chèque de deux mille cinq cents que le donateur désire me voir placer. Dans sa pensée, ce don doit commencer un fonds destiné à mes besoins et à ceux des miens lorsque la vieillesse sera là.

Cette proposition, si pleine de bonté, si bienveillante, m’est cependant apparue comme une subtile tentation, destinée à me faire sortir de la voie que je me suis tracée depuis vingt-six ans, et à me faire délaisser les principes directeurs de ma vie et de l’Œuvre des Orphelinats. Voici cette lettre et ma réponse :

« Cher Monsieur, j’admire les services que vous rendez à la cause des Orphelins et à l’humanité en général, c’est pourquoi je crois qu’il est juste de penser à vous. J’envoie donc deux mille cinq cents francs pour vous et les vôtres. Dans ma pensée, c’est là le commencement d’un fonds que bien d’autres personnes augmenteront de leurs dons. J’espère que vous voudrez bien tenir compte du désir que j’exprime.

Que Dieu daigne continuer de vous bénir, vous et vos travaux, comme il l’a fait jusqu’à maintenant… ».

Par la grâce de Dieu, je n’ai pas eu un instant d’hésitation sur ce que j’avais à faire. Tout en appréciant la grande bonté du donateur, je vis là une tentation permise par Dieu, une sollicitation à me confier en quelque chose, au lieu de regarder à lui seul. Je répondis donc comme suit :

« Mon cher Monsieur, je me hâte de vous accuser réception de votre aimable communication que j’ai bien reçue, ainsi que le chèque qui l’accompagnait.

Je n’ai rien, non plus que ma chère femme ; depuis vingt-six ans j’ai renoncé au traitement de pasteur, et je ne touche rien de ce chef, non plus que comme directeur des Orphelinats et autres œuvres de notre Institut biblique.

Quand j’ai besoin de quoi que ce soit, je m’agenouille devant Dieu et lui demande qu’il lui plaise de me l’accorder ; alors Il met au cœur de quelqu’un de ses enfants de me le donner. C’est ainsi que depuis vingt-six ans, Il a subvenu à tous mes besoins, et je puis dire à sa louange que je n’ai jamais manqué de rien. Ma chère femme et ma chère fille sont tout à fait d’accord avec moi sur cette façon de vivre…

Je n’ai jamais cru devoir mettre quoi que ce soit de côté pour moi, pour ma chère femme ou ma fille, si ce n’est de cette manière : quand je suis en contact avec quelque veuve âgée et pauvre, quelque personne malade, quelque enfant sans secours, je les ai aidés de tout mon pouvoir, dépensant sans compter sur ce que Dieu me donnait, pleinement persuadé que si jamais j’étais dans le besoin, ou ma femme ou ma fille, le Seigneur rendrait largement ce que nous lui avions prêté, puisque quiconque donne au pauvre, prête à Dieu.

Je ne puis donc accepter la somme que vous m’offrez pour le commencement d’un fonds en vue de l’avenir.

Tout ce qu’on veut bien m’envoyer pour moi personnellement, ou ma famille, ou les Orphelinats, je l’accepte avec reconnaissance ; mais je craindrais de déplaire à Dieu qui m’a si généreusement donné mon pain quotidien jusqu’ici, en constituant une réserve pour l’avenir. Je tiens donc le chèque à votre disposition…

Croyez, cher Monsieur, que je suis touché de votre bonté à mon endroit et je demande à Dieu qu’il lui plaise de vous récompenser au point de vue temporel et spirituel… ».

Deux jours après je recevais une réponse de mon correspondant, il donnait la somme pour les orphelins.

Le lendemain je recevais un autre chèque de deux mille cinq cents francs du même donateur pour les orphelins, enfin quatre jours après une somme identique, avec la même destination.

Décembre 1856. À la fin de l’année 1855, j’ai dit que le Seigneur avait pourvu à tous mes besoins avec munificence. Je l’ai dit, en toute dépendance de Dieu et pour le glorifier.

Je n’ai pas été sans penser qu’en lisant le chiffre de la somme mise à ma disposition, quelques chers amis chrétiens, qui jusqu’ici se sont intéressés à mes affaires temporelles, penseraient que leurs dons étaient désormais superflus, puisque j’avais une telle abondance…

Malgré cela j’ai voulu publier à la gloire de Dieu ce qu’avaient été ses dispensations à mon endroit, sans m’occuper de mes intérêts temporels et des répercussions que cela pourrait avoir pour moi.

Et quel a été le résultat ? Quelques-uns de mes amis chrétiens se sont dit effectivement : « M. Müller est si largement pourvu qu’il n’est plus nécessaire que nous pensions à lui ».

Et qu’a fait le Seigneur ? Il savait, Lui, que je me considérais uniquement comme l’économe de l’abondance qu’il m’envoyait, que je ne mettais rien de côté, et considérais comme un honneur de dépenser pour Lui, ce qu’Il me confiait ; de sorte que si certains se sont tenus à l’écart à cause de mon abondance, Lui au contraire a honoré de plus en plus la foi que j’ai mise en Lui et les principes auxquels j’obéis, en me considérant comme son économe. Au lieu d’avoir moins, j’ai eu davantage.

Le mois qui suivit la publication du Récit, j’ai reçu plus d’argent que je n’en avais encore jamais eu en aucun mois ; depuis, le fleuve de l’abondance n’a cessé de couler pour moi. Et lorsque j’ai établi mes comptes, il s’est trouvé que j’avais reçu sept cent quatre-vingt-une livres sterling sept pence (soit au pair : 14525 francs 70).

Ainsi, le pauvre étranger qui n’avait que cent vingt-cinq francs en poche, quand il commença de travailler pour Dieu, en ce pays, a reçu au cours de l’année qui vient de finir, cette très forte somme en réponse à la prière… « Ô goûtez et voyez combien l’Éternel est bon, heureux l’homme qui se confie en lui » (Ps. 34. 9).

21 février 1857. J’ai reçu la lettre dont je donne la teneur ci-après :

« Ci-inclus deux cent cinquante francs (« Le fruit d’une graine semée »). Veuillez les attribuer aux orphelins, à moins que vous n’en ayez encore besoin pour la construction. En ce cas, la moitié pour chaque objet.

L’année dernière, dans ma très humble situation, j’ai consacré au Seigneur une certaine partie de mon revenu annuel : deux cent cinquante francs, et je vous les ai envoyés par anticipation ; le résultat, c’est que j’ai cette année presque deux mille cinq cents francs à consacrer au service du Seigneur ».

Cher lecteur, accordez quelques instants d’attention à cette lettre. L’expéditeur dit que les deux cent cinquante francs sont le fruit d’une graine semée. Souvenez-vous qu’il y a dans ce domaine des semailles et des moissons selon ce que dit l’apôtre Paul : « Sache-le, celui qui sème peu moissonnera peu… » (Lire tout le passage : 1 Cor. 9. 6 à 12).

L’enseignement des jeunes, les visites de maison en maison pour faire du bien au point de vue temporel ou spirituel, donner aux pauvres de l’argent, du pain, des vêtements, etc…, employer son argent d’une manière qui honore et glorifie Dieu, tout cela, d’après ce passage, c’est semer. Et la récompense que donne le Seigneur à celui qui sème pour ce temps et l’éternité se nomme la moisson.

Généralement le temps de la moisson commence plus ou moins dès ici-bas ; celle-ci donne souvent le dix et même le cent pour cent. Car le Seigneur rend avec munificence, même dans les choses de cette vie, en suscitant des amis et en mettant sa bénédiction sur notre activité terrestre. Mais supposons que la moisson n’ait pas lieu ici-bas ; elle se fera certainement dans le monde à venir.

Le récit de ce que fit M. Cobb, un marchand de Boston, est très instructif ; il illustre ce que je viens d’écrire. À l’âge de vingt-trois ans, ce chrétien rédigea et signa le document que je transcris ci-après :

« Par la grâce de Dieu, je ne posséderai jamais plus de cinquante mille dollars ;

Avec le secours de sa grâce, je donnerai le quart de mes bénéfices nets pour les œuvres religieuses et charitables ;

Si jamais je possède vingt mille dollars, je donnerai la moitié de mes bénéfices nets ;

Si j’arrive à trente mille dollars, je donnerai les trois quarts de mes bénéfices nets, et le tout au-dessus de cinquante mille dollars. Veuille donc m’aider, ô Dieu ! Ou bien donne à un économe plus fidèle et laisse-moi de côté ».

M. Cobb resta fidèle à cet engagement. Il ne cessa d’augmenter ses contributions aux diverses œuvres à mesure que ses affaires prospéraient, jusqu’à ce qu’il eût atteint la somme qu’il s’était fixée comme maximum de fortune ; alors il donna tous ses bénéfices.

S’apercevant un jour que sa fortune atteignait cinquante-sept mille dollars cinq cents, il s’empressa de consacrer à Dieu le surplus.

À l’heure de sa mort, M. Cobb disait à un ami, en faisant allusion à cette résolution du temps de sa jeunesse : « Je n’ai jamais gardé rien de plus ! Par la grâce de Dieu qui m’a aidé à tenir ferme, j’ai pu donner ainsi plus de quarante mille dollars. Il s’est montré plein de bonté envers moi !… »

Et un peu plus tard : « Qu’il est beau, de mourir ! (Glorious). J’ai connu les temps d’activité, j’ai connu bien des jouissances ici-bas.

Dieu m’a grandement béni ! Tout, semble-t-il, devrait me retenir Je suis heureux au sein de ma famille. J’ai des biens de ce monde en suffisance. Mais sur un lit de maladie, que ce monde paraît donc petit et mesquin !

Rien ne peut égaler la joie que j’éprouve à savoir le ciel tout proche. Mon espérance en Christ dépasse infiniment comme valeur toutes les choses d’ici-bas. Le sang de Christ ! Le sang de Christ ! Rien que Christ !

Mon cœur déborde de reconnaissance envers Dieu de ce que, bien que je sois pécheur, je puis grâce à son Fils bien-aimé saluer avec joie le monde à venir ».

En 1874, G. Müller ajoutait à ce sujet : voici plus de quarante-six ans que je sers le Seigneur. J’ai rencontré des milliers de chrétiens, et je puis dire que je connais intimement des centaines d’entre eux, ainsi que leurs affaires privées. Un très grand nombre m’honorent de leur amitié, me demandant avis et conseils même sur des questions tout à fait personnelles.

Et parmi plusieurs autres choses que j’ai apprises de la sorte, j’ai pu vérifier l’exactitude de cette déclaration de l’Écriture : « Tel qui donne libéralement devient plus riche, et tel qui épargne à l’excès ne fait que s’appauvrir. L’âme bienfaisante sera rassasiée, et celui qui arrose sera lui-même arrosé » (Prov. 11. 24 et 25).

Que de fois j’ai vu les enfants de Dieu répandre à pleines mains, et ils ont toujours davantage, et leurs revenus augmentent extraordinairement. Mais j’ai vu bien plus souvent, hélas, des personnes épargner à l’excès et s’appauvrir.

Avec un grand désir d’arriver, beaucoup ne le peuvent pas parce qu’ils ne pensent qu’à eux-mêmes ; ils épargnent à l’excès et deviennent pauvres ou le restent : c’est de l’argent qui leur est dû et qui n’est pas payé ; c’est toute une clientèle qui se déplace de façon inexplicable, ce sont de grandes épreuves familiales qui drainent cet argent qu’on voulait indûment garder pour soi quand Dieu le réclamait. (Je parle ici des enfants de Dieu, et non de ceux du monde). « Dieu châtie celui qu’il aime ». Pour les derniers, la condamnation est réservée au jour du jugement (1 Cor. 11. 32).

Il est encore écrit : « Honore l’Éternel de ton bien et des prémices de tout ton revenu, et tes greniers regorgeront d’abondance, et tes cuves regorgeront de moût » (Prov. 3. 9 et 10). Ces deux passages ne s’appliquent pas aux Juifs exclusivement, et les principes qu’ils contiennent sont très importants pour les chrétiens de notre économie.

Quiconque veut faire ce que Dieu commande ici, ne tardera pas à savoir, par l’heureuse expérience qu’il fera, que leur application est aussi pour ce temps-ci. La pensée charnelle de bien des chrétiens de nom, les amène à laisser de côté ce que Dieu demande dans ces passages.

Mais toi, cher lecteur, ne te laisse pas dépouiller de ce que Dieu veut te donner et des bénédictions qu’il veut t’accorder, si tu lui obéis. C’est parce que j’ai obéi, que j’ai été béni.

12 octobre 1857. J’ai appris aujourd’hui la conversion d’un gentleman pour qui je prie quotidiennement depuis novembre 1844 : il y a donc douze ans et onze mois ! Seuls, ceux qui ont longtemps attendu quelque exaucement du Seigneur peuvent comprendre l’immensité de ma joie.

12 novembre 1857. Le jour si longtemps attendu et pour lequel j’ai si longtemps prié est enfin arrivé.

Le désir ce mon cœur m’est accordé, et je puis ouvrir la seconde Maison ; celle-ci est faite pour recevoir quatre cents orphelins…

J’avais aussi prié Dieu que, dans sa bonne Providence, Il veuille bien par son Saint-Esprit préparer les aides nécessaires ; et quand la Maison fut prête, eux aussi étaient prêts, sans que j’ai recouru à la voie des annonces. Ainsi je recueille la précieuse récolte des milliers de prières que j’ai fait monter vers Dieu.

Tous frais payés, il restait entre les mains de M. Müller cinquante-sept mille francs qu’il mit de côté en vue de l’édification de la troisième Maison ; car il désirait pouvoir recueillir mille orphelins.

Dès le commencement de l’année suivante, il recevait une somme de trois mille livres sterling (soixante-quinze mille francs). D’autres dons suivirent et il s’occupa de l’achat d’un terrain, pensant qu’il était préférable de ne pas construire à nouveau sur la propriété où s’élevaient les deux Maisons, comme il l’avait d’abord projeté.

En septembre, il fit l’acquisition d’une pièce de terre à côté des Orphelinats, ce qui était essentiel. Les demandes d’admission dépassant toujours les places vacantes, M. Müller, après avoir consulté les architectes, décida qu’on construirait en vue de recevoir quatre cent cinquante enfants. Ceci donnerait un total de places de mille cent cinquante, au lieu des mille qu’il avait prévues à l’origine.

« L’armée des malheureux enfants destitués de tout, écrit Müller, l’immensité des bénédictions de Dieu, le sentiment profond que je ne puis vivre qu’une vie ici-bas pour le Seigneur, et une vie si brève ! – ceci surtout m’a décidé à prendre cent cinquante orphelins de plus que je n’avais résolu, bien que cette augmentation doive entraîner un surplus de dépenses d’au moins quarante-cinq mille francs par an.

On commença de bâtir le 17 juillet 1859. Il y eut certaines lenteurs d’exécution, provenant d’une difficulté rencontrée par l’un des entrepreneurs.

Le 12 mars 1862, la Maison était enfin ouverte : il y avait un encaisse de deux cent cinquante mille francs pour les dépenses courantes.

Mais les demandes d’admission d’orphelins se multipliaient, en même temps que Dieu subvenait à tous les besoins et faisait reposer ses plus riches bénédictions sur l’œuvre de foi et d’amour de son serviteur ; aussi celui-ci continua-t-il de regarder en avant.

De nouvelles constructions se précisèrent en sa pensée, qui furent élevées au cours des années suivantes, et le 6 janvier 1870, lorsque furent terminées les quatrième et cinquième maisons, les Orphelinats d’Ashley Down pouvaient abriter deux mille orphelins et tout le personnel nécessaire pour ce nombre d’enfants.

Ch. 13. Visite aux Orphelinats (1857-1866)

Nous voulons proposer à nos lecteurs la visite des nouveaux orphelinats, écrit F. G. Warnes dans sa biographie de Müller. Leur fondateur était souvent peiné de les entendre désignés comme « Orphelinats de M. Müller ». C’était donner à l’homme la gloire qui n’appartenait qu’à Dieu ».

Cette œuvre, disait-il, n’est pas la mienne. Elle n’est pas non plus d’aucun parti ou d’aucune secte. C’est l’Orphelinat que Dieu a élevé ».

Lorsqu’on atteint les hauteurs d’Ahsley Down où souffle une brise vivifiante, et qu’on arrive aux Orphelinats, on peut embrasser d’un coup d’œil l’importance de l’œuvre accomplie. Les cinq groupes de constructions sont bâtis sur un modèle identique… Autrefois ces bâtiments s’élevaient au milieu des champs. Aujourd’hui, des fenêtres des Orphelinats, la vue s’étend sur des alignements de villas entourées de beaux jardins.

Chaque Maison a son jour de visite. C’est une règle qui ne souffre d’exception pour personne, prince ou paysan. La Maison n° 1 est ouverte aux visiteurs le mercredi après-midi. Elle abrite cent quarante filles, quatre-vingts garçons au dessus de huit ans et quatre-vingts garçons au-dessous de cet âge.

La Maison n° 2, qui abrite deux cents petites filles, deux cents fillettes plus âgées, peut être visitée le mardi après-midi.

La Maison n° 3 (trois cent cinquante filles) – le jeudi après-midi, la Maison n° 4 deux cent dix garçons de huit ans et au-dessus, deux cent trois petits garçons, et trente-sept jeunes filles âgées qui restent comme « ménagères », le vendredi seulement.

Enfin, la Maison n° 5 (deux cent dix bébés fillettes, deux cent quarante plus âgées), le samedi après-midi.

Le premier groupe de visiteurs est introduit à deux heures et demie, le second à trois heures et, s’il est nécessaire, le troisième à trois heures et demie. Il faut une heure et demie pour visiter une maison. Durant l’hiver, on ne conduit jamais que deux groupes de visiteurs : à deux heures et demie et à trois heures.

La Maison qu’on préfère voir, c’est la première ; non qu’elle diffère des autres, mais comme elle abrite à la fois des garçons, des fillettes et des tout-petits, elle offre une vue d’ensemble des Orphelinats.

Le visiteur qui se présente à la loge du portier, après admission, traverse les jardins, où quelques orphelins transformés momentanément en jardiniers, sont à l’ouvrage. Les terrains à l’entour sont de vastes potagers ; il y règne un ordre admirable qui retient l’attention.

Ceci frappe encore plus quand on pénètre dans les Maisons. La propreté, la netteté, la méthode, se voient partout, même avant qu’on atteigne la chambre des visiteurs où l’on est conduit. Rien ne traîne nulle part, rien qui ne soit à sa place, tout donne l’impression de la méthode, de la régularité.

Exactement à l’heure dite, l’une des aides paraît et invite les personnes rassemblées à la suivre. Nous traversons des dortoirs qui contiennent jusqu’à soixante-dix lits, chacun avec sa couverture d’une blancheur immaculée, sa paire de draps blancs.

Les planchers sont si brillants qu’on a peine à croire que quelqu’un y marche. Les murs peints sont parfaits de propreté. L’ordre et la propreté doivent être profondément enracinés chez les orphelins : ils y vivent… Les dortoirs, comme toutes les autres pièces, sont vastes, les plafonds élevés, la lumière y entre à flots.

C’est le seul luxe. M. Müller se considérant comme l’économe des biens que Dieu lui confie ne croit pas pouvoir en distraire quoi que ce soit pour des questions de décoration, d’autant que l’un des buts qu’il poursuit, c’est de donner l’exemple d’une vie simple, et de décourager le luxe chez les chrétiens.

Nous passons ensuite dans la chambre des vêtements. Chaque enfant y possède un compartiment avec le numéro qu’il a reçu à son entrée aux Orphelinats. C’est là qu’il ou elle, place ses vêtements. Dans chaque section, six orphelines à tour de rôle prennent soin de cette chambre des vêtements.

Les garçons ont trois costumes, les filles qui font elles-mêmes et raccommodent leurs effets en ont cinq. L’été elles portent la robe de percale bleue et le tablier blanc ; le dimanche un costume couleur lilas qui est remplacé en hiver par la robe de mérinos brun.

Pour les sorties, elles ont des châles en été, des manteaux en hiver, et des chapeaux de paille, genre bonnet, comme coiffure. Les garçons portent la veste bleue, le pantalon de serge, le béret. Chaque enfant a trois paires de souliers.

Mais le spectacle le plus intéressant est sans contredit celui de la nursery où l’on s’occupe des tout-petits. Il est touchant de voir ces petits êtres, dont certains sont si frêles, jouer avec des livres ou de menus objets…

Quelques-uns n’ont que quelques mois lorsqu’on les amène à Ashley. Les orphelinats sont leur foyer, ils y resteront, quelques-uns en tout cas, quinze, seize ou même dix-sept ans ! Parfois, on admet trois, quatre et cinq enfants de la même famille, pour empêcher que les liens familiaux soient brisés ; bien plus, on travaille à resserrer ceux-ci.

Il est rare que les parents des orphelins soient morts d’accident. Généralement, ils ont été emportés par la phtisie. Il s’ensuit donc que les enfants sont le plus souvent de constitution faible. Mais la vie si saine d’Ashley Down, le grand air, la nourriture hygiénique, la vie régulière, tout ceci améliore généralement la santé des orphelins de façon surprenante.

Comme le dit M. Müller : la proportion si faible des décès donne la preuve des soins dont les enfants sont entourés.

Ils se lèvent à six heures. Les grands aident les jeunes à faire leur toilette et à s’habiller. Tous doivent être prêts à sept heures. Les filles se mettent alors à tricoter et les garçons prennent leurs livres jusqu’à huit heures, le moment du déjeuner. Celui-ci terminé, de huit heures et demie à neuf heures, culte de famille.

Alors la plupart des enfants se rendent dans leurs classes respectives, à l’exception de quelques-uns des plus grands qui aident à faire les lits et n’entrent en classe qu’à neuf heures et demie.

Les leçons sont terminées à midi et demi. Tous sortent jouer dehors jusqu’à ce que la cloche sonne à une heure pour le déjeuner.

Il y a de nouveau classe de deux à quatre, puis récréation jusqu’à cinq heures et demie. À ce moment, les orphelins sont réunis pour le service du soir, qui est suivi du thé-repas du soir à six heures.

Ensuite les filles font quelques travaux à l’aiguille, les garçons du jardinage, jusqu’à huit heures. C’est le moment d’aller au lit pour les plus jeunes ; les plus âgés n’y vont qu’à neuf heures.

Lorsque le temps est favorable, il arrive qu’instituteurs et institutrices emmènent leurs enfants pour de longues promenades dans les environs. Parfois on les conduit à la ville pour qu’ils puissent admirer les jolis objets exposés aux étalages des magasins.

Menus. Pour le matin, les enfants ont de la soupe d’avoine, le soir du thé, du pain et du beurre, du lait coupé d’eau.

Pour le déjeuner à une heure (que nos voisins anglais nomment dîner, les Français aussi, quand ils ne suivent pas la mode instaurée par Louis 14, le menu diffère avec le jour : lundi, viande et pommes de terre ; mardi, soupe et viande (celle-ci dans la soupe) ; mercredi et jeudi, comme lundi et mardi ; le vendredi, du riz et de la mélasse ; le samedi, viande et pommes de terre, dimanche, riz et mélasse pour que tous, autant que possible, puissent assister au service divin.

Lorsqu’il fait beau, les plus grands, en partie, vont jusqu’à Bristol et assistent au service dans l’une des chapelles dont M. Müller est l’un des pasteurs.

Des services sont célébrés dans chaque Maison pour ceux qui restent, services présidés par des chrétiens à la piété éprouvée, qui appartiennent à toutes les dénominations. Le soir, nouveaux services où assistent toutes les servantes qui n’ont pu assister au culte le matin, et les ménagères qui restent dans l’établissement et s’occupent uniquement des soins du ménage.

Et maintenant que nous sommes à peu près initiés à la vie des orphelins, suivons notre guide en compagnie des autres visiteurs : nous voici dans une salle de classe ; tous les enfants se lèvent, et aussitôt, maître ou maîtresse nous donnent un exemple de ce que peuvent faire leurs élèves comme chant et exercice physique ; les exercices sont parfaits et la marche et les chants qui l’accompagnent feraient honneur comme précision et cadence à un régiment de soldats.

Dans la salle des petits, ce sont de jolies récitations, d’agréables chansons dites par des bambins dont les figures heureuses et les regards confiants en disent long sur les soins et l’affection dont ils sont entourés. Ils chantent si joyeusement « le Pays de Bébé », « les Petites Poupées », etc…, qu’on regrette d’avoir à les quitter lorsque la personne qui sert de guide donne le signal du départ.

Nous voici dans les salles de récréation, avec leurs casiers remplis de jouets de toutes sortes. Voici les terrains de jeux, les buanderies, les lavabos, les salles d’approvisionnement, la salle à manger, la lingerie, nous jetons un coup d’œil aux chambres des directrices, à celles des maîtres, aux salles de couture où travaillent des jeunes filles.

La plupart sont formées pour devenir servantes, mais un bon nombre d’entre elles arrivent à de plus hautes situations, grâce à l’excellente instruction qu’on leur donne. Elles reçoivent des leçons de grammaire, de géographie, d’histoire d’Angleterre, d’histoire générale, elles apprennent le ménage et tous les travaux à l’aiguille.

« Le but que nous visons, dit souvent G. Müller, c’est de faire de nos jeunes filles des personnes utiles à la société, et si l’une d’elles ne réussit pas à gagner sa vie ou tourne mal, du moins ce ne sera pas de notre faute ».

Les garçons reçoivent la même instruction que les filles ; ils font leurs lits, tricotent leurs bas, travaillent au jardin ; enfin on leur enseigne un métier de leur choix.

L’âge de sortie n’est pas fixé de façon absolue ; on prend en considération le bien de chacun individuellement. Mais généralement les jeunes filles quittent l’orphelinat à dix-sept ans ; les garçons à quatorze ou quinze ans.

Des centaines de garçons qui ont passé par les asiles sont maintenant dans les affaires, les uns sont directeurs, contremaîtres, d’autres patrons ; certains sont devenus associés dans de grandes maisons de commerce, d’autres sont commis, d’autres instituteurs, évangélistes, missionnaires.

Le tout premier orphelin reçu dans la première maison, est devenu pasteur de l’Église anglicane.

On s’occupe beaucoup du développement spirituel des orphelins, et de temps à autre des vagues de bénédiction sont accordées.

En février 1887, l’inspecteur des écoles, M. Herne, écrivait à M. Müller, alors à Singapour, en tournée missionnaire : « Le 15 janvier, deux garçons de la Maison 4 sont allés demander à leurs maîtres la permission de se réunir pour prier, ce qui leur fut accordé. Ils se réunirent donc le même jour et plusieurs se joignirent à eux…

Le lendemain, ils étaient cent cinquante et ils prièrent pendant deux heures. Maintenant, les réunions se tiennent après le repas du soir jusque vers sept heures. Ils sont souvent plus de cent. C’est surtout parmi les grands que l’Esprit de Dieu est à l’œuvre. L’un des maîtres a remarqué que le travail est maintenant mieux fait, que les manières sont plus douces et que les garçons ne boudent plus comme autrefois…

Quelques-uns prient pour des camarades dont ils ont dressé une liste. D’autres sont allés trouver leur maître en particulier pour lui parler de leur âme ; deux lui ont dit : « S’il vous plaît, Monsieur, faites de nous des chrétiens ».

Enfin un autre a confessé ceci : « Sur son lit de mort, papa m’a fait promettre de le retrouver au ciel, mais je sens que je ne suis pas prêt ». Dimanche dernier les garçons de quatorze ans et au-dessus ont été réunis, ils étaient cinquante-cinq à peu près ; trente-cinq firent profession de croire en Christ, et leur conduite ne dément pas leur profession. Toute la Maison 4 est transformée ».

C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, le Saint-Esprit accomplissait son œuvre de façon plus générale, plus manifeste ; et sur les milliers d’enfants qui ont passé et passent par les Orphelinats, beaucoup se sont convertis alors qu’ils y vivaient.

Ce serait une erreur de croire que les enfants étaient toujours d’humeur facile et qu’ils avaient tous d’heureux caractères. Quiconque a eu à s’occuper de nombreux enfants sait le contraire.

Il est même arrivé qu’après un long temps de patience, qu’après avoir essayé de tous les moyens, on ait dû recourir à l’expulsion de certains élèves. Même alors, M. Müller ne cessait pas de prier pour eux, espérant quand même que la semence répandue lèverait avec le temps.

D’autres enfants, au contraire, étaient un sujet de joie ; beaucoup restaient en relations épistolaires avec leur bienfaiteur, joignant à leurs lettres quelque don pour l’œuvre quand ils le pouvaient, Plusieurs, une fois parvenus à de belles situations envoyèrent même de très grosses sommes.

C’est surtout à la date du 27 septembre, anniversaire de M. Müller, que le Fondateur de l’Orphelinat recevait un volumineux courrier. Presque tous les « anciens » accompagnaient leurs lettres d’un don, presque tous disaient vouloir vivre chrétiennement ; et ils en donnaient la preuve par la façon dont ils parlaient des années passées à Ashley Down, dans « la chère Maison », par leurs sentiments d’affection et de reconnaissance qu’ils manifestaient.

Certes, ils pouvaient entourer de leurs prières et de leur amour celui qui, pour montrer que Dieu entend la prière, leur avait consacré sa vie, une vie de rude labeur.

Ce labeur est tel qu’il est difficile de l’embrasser en pensée : demandes d’admission qu’il faut examiner (certains jours on en recevait trois ou quatre), questions multiples, se rapportant aux pensionnaires (il fallait parfois se résoudre à décider une expulsion pour empêcher que le vice ou l’insubordination contaminent les autres) ; au personnel, au recrutement de celui-ci, au placement des orphelins dont la préparation était terminée.

M. Müller cherchait pour ses pupilles des patrons et des maîtresses qualifiés donnant toutes les garanties désirables.

Que de sagesse il fallait, quel esprit de prière, que de foi, que de grâces étaient nécessaires pour embrasser toutes ces questions et leur donner les solutions favorables ! Quelle persévérance dans la prière et dans la foi il fallait pour présenter quotidiennement à Dieu tous les besoins d’une œuvre sans cesse grandissante.

« Que le lecteur se représente nos charges, écrit M. Müller. Plus de deux mille personnes à nourrir chaque jour… Mais la nourriture n’est pas la seule dépense, il y a les vêtements, le blanchissage, l’entretien, et tout cela absorbe des dizaines de mille francs chaque année.

Les chaussures ! Réfléchissez à ce seul article ! Il nous en faut des milliers ! Nos enfants ont six mille paires de chaussures ! Chaque année nous recevons des centaines de nouveaux orphelins et orphelines, et des centaines d’autres partent comme apprentis, comme servantes, comme élèves-maîtres.

Tous emportent un trousseau complet. De plus, nous payons aux patrons trois cent trente francs par apprenti ».

Pour tout ce petit monde d’enfants, nous avons un nombreux état-major d’inspecteurs, de directeurs et directrices, d’instituteurs et d’institutrices, tout un personnel médical, enfin de multiples aides dans tous les services.

À côté des dépenses faites pour les choses qui touchent directement aux orphelins, à leur entretien, leur éducation, leur instruction, à côté des frais de maladie, et hélas ! parfois aussi ceux qu’entraîne la mort, il y a toutes les dépenses occasionnées par les réparations des immenses édifices.

M. Müller qui ne possédait rien en propre, connaissait cependant les charges que supportent les propriétaires : « Nous avons les frais d’entretien de nos cinq groupes de constructions qui réunissent dix-sept cents grandes fenêtres et cinq cents salles ! Essayez d’imaginer les seuls frais de crépissage, de badigeonnage, de peinture, et les réparations en tous genres que nécessitent les bâtiments… Il faut nettoyer, entretenir, réparer, renouveler les meubles de cinq cents salles ; entretenir les toitures, les canalisations, etc…

Nous avons de lourds impôts à payer, et, chaque année, des sommes considérables pour les choses imprévues… Cependant, comme nous nous attendons à Dieu qui est infiniment riche, tout va bien ; il pourvoit à tout ».

Les cinq orphelinats avaient coûté trois millions de francs, ils n’étaient pas assurés. G. Müller les remettait à Dieu pour qu’il les garde du feu, et chaque année, il remerciait Dieu de ce qu’Il l’avait exaucé.

Nous ne pouvons transcrire toutes les pages intéressantes qui aident à saisir l’étendue de l’œuvre de G. Müller et à comprendre les responsabilités qui pesaient sur lui ; nous ne pouvons dire tous les faits qui font pénétrer dans sa vie de chaque jour, publier toutes les pages qui révèlent le développement intérieur et la vie de communion avec Dieu. Il faut se borner à choisir. Voici quelques extraits :

Réparations urgentes à la chaudière du chauffage central. Novembre 1857. Vers la fin du mois, j’appris de la façon la plus inattendue qu’il y avait une fuite à la chaudière de notre appareil de chauffage, que la chose était grave et demandait des réparations immédiates.

L’appareil se compose d’une immense chaudière cylindrique, au centre de laquelle se trouve le foyer. Cette chaudière alimente les conduites d’eau chaude et d’air chaud de nos radiateurs…, et on m’avait assuré qu’elle pouvait suffire pour l’hiver. Comme elle est complètement enfermée dans des travaux de maçonnerie, il fallait commencer par démolir ceux-ci pour s’assurer de son état exact.

Depuis huit ans que l’appareil fonctionne, rien de semblable ne s’était produit. J’étais très ennuyé et pensais particulièrement aux petits enfants. Que faire pour qu’ils n’aient pas à souffrir du froid ? Remplacer la chaudière demanderait plusieurs semaines probablement : quant à la réparer, était-ce possible ? II fallait s’en rendre compte, et abattre la maçonnerie. Et pendant ce temps, comment chauffer nos trois cents enfants ?

Je pensais à des poêles à gaz, mais notre installation était, paraît-il, insuffisante et ne pouvait fournir le chauffage en même temps que l’éclairage. J’aurais volontiers donné deux mille cinq cents francs pour cette installation, ou tout autre chose, afin que les enfants n’aient pas froid. Ne voyant aucune solution, je décidai de remettre toute l’affaire entre les mains de Dieu, qui est toujours miséricordieux et compatissant.

Le jour fut fixé pour les réparations, il fallait naturellement laisser éteindre le feu. Considérez ce qui se passa : nous avions fixé le jour des réparations à la semaine suivante, le mercredi ; or dès le jeudi (ou le vendredi ?), un vent du Nord, glacial se mit à souffler.

C’était les premiers grands froids de l’hiver qui nous arrivaient avec le commencement de décembre. Impossible de remettre à plus tard les réparations. Je demandai alors deux choses au Seigneur : qu’Il voulût bien changer la direction du vent et le faire souffler du sud ; qu’Il mît au cœur des ouvriers de travailler avec ardeur.

Car je me souvenais de la besogne accomplie en cinquante-deux jours, au temps de Néhémie, parce que « le peuple avait pris à cœur le travail ». Le jour approchait ; le mardi soir, le vent du Nord soufflait toujours ; mais le mercredi, le vent du sud s’établit comme je l’avais demandé à Dieu. Le temps était si doux que le chauffage était inutile.

Le mur de briques enlevé, on découvrit rapidement l’endroit à réparer, et les ouvriers de la Maison qui avaient fait l’installation, se mirent à travailler avec ardeur. Vers huit heures et demie du soir, lorsque je retournais chez moi, on m’avertit, près de la loge du portier, que l’un des directeurs était arrivé pour se rendre compte du travail qu’il y avait à faire ; je me rendis aussitôt dans le sous-sol pour le rencontrer, ainsi que les ouvriers.

Il me dit que les hommes seraient de nouveau là, le lendemain, de bonne heure. Nous étions près des ouvriers et ceux-ci avaient entendu la conversation. Alors le contremaître, prenant la parole au nom de tous, dit : « Pardon, Monsieur, mais nous préférerions travailler toute la nuit ». Je me souvins alors de la seconde partie de ma requête. Dieu leur avait vraiment mis au cœur de travailler avec ardeur.

Au matin, la réparation était terminée ; trente heures après, la maçonnerie était refaite ; tout le temps que dura cet ouvrage, le vent du sud continua de souffler, comme nous l’avions demandé à Dieu…

Tout alla bien durant trois mois. Au commencement de février, nouveaux dommages, nouvelle fuite. Nous recourûmes à la prière, et les réparations furent faites très rapidement, en trente heures à peu près. Au printemps, nous avons fait remplacer la chaudière.

Exaucements. Voici d’autres détails que nous ne trouvons pas dans l’autobiographie Bergin et que nous empruntons au livre du Dr Pierson :

« Il y eut une grande sécheresse en 1864. Les trois Maisons alors achevées possédaient quinze grandes citernes, neuf puits très profonds et une excellente source qui, de mémoire d’homme, n’avait jamais tari. Tout cela était presque à sec, le niveau de l’eau était très bas, et il fallait chaque jour trois mille galons d’eau !

On cria à Dieu, demandant l’eau nécessaire et qu’il voulût bien envoyer la pluie. Dieu exauça les requêtes en inclinant le cœur d’un voisin : un fermier, à fournir la moitié de l’eau qu’il fallait (ses puits étaient plus profonds que ceux des Orphelinats), l’autre moitié se trouva sur place.

Au bout de quelque temps, ce fermier avertit qu’il ne fallait plus compter sur lui. Vingt-quatre heures ne s’étaient pas écoulées qu’un autre fermier venait offrir à M. Müller l’eau d’un ruisseau qui traversait ses champs. Cette provision dura jusqu’à ce que la pluie fût à nouveau donnée. Vingt ans plus tard un système de canalisation assurait la provision d’eau nécessaire aux Orphelinats.

Cette même année, une triple épidémie de fièvre scarlatine, de fièvre typhoïde et de petite vérole dévastait Bristol et les environs ; cela dura trois ans ! À nouveau M. Müller et ses collaborateurs prièrent Dieu qu’il veuille bien étendre sa protection sur les Orphelinats, et les Maisons furent à peine touchées : pas de scarlatine, pas de typhoïde, quinze cas bénins de petite vérole parmi les enfants, un seul sans gravité, dans le personnel.

En janvier 1865, ce sont de terribles tempêtes qui s’abattent sur la ville et les environs de Bristol. Bien des immeubles eurent à souffrir. À Ashley Down, les toitures furent endommagées en plus de vingt endroits, de grandes vitres brisées, etc…

C’était un samedi, impossible d’avoir les vitriers et les couvreurs. À nouveau, on pria Dieu qu’il veuille bien faire cesser la tempête : le vent se calma, la pluie diminua, et dès le lundi on put se mettre aux travaux de réparation urgents.

M. Müller notait fidèlement toutes ces choses avec leurs détails ; elles faisaient partie du témoignage qu’il rendait au Dieu de miséricorde et d’amour qui entend la prière, et entoure ses serviteurs de sa bonté.

En l’année 1866, une vague de Réveil atteignit l’orphelinat des jeunes filles, comme cela avait eu lieu l’année précédente pour celui des garçons. Plus de cent d’entre elles furent dans l’angoisse au sujet de leur âme et recherchèrent le salut.

M. et Mme Müller et leurs collaborateurs priaient Dieu pour que ce Réveil gagne en profondeur et en étendue. Une jeune fille de dix-sept ans, qui était aux Orphelinats depuis l’âge de trois ans était restée dans la plus complète indifférence religieuse, malgré tous les soins et tout l’amour dont l’entouraient M. et Mme Müller et leurs collaborateurs.

Délicate de santé, Emma Bunn était devenue poitrinaire, et bien que la maladie fût si grave et ne laisse aucun espoir, son insouciance subsistait. On ne cessait de prier pour elle. Enfin, il plut à Dieu de donner à la jeune fille une révélation de Jésus comme son Sauveur.

Immédiatement elle se vit telle qu’elle était, se prit en dégoût et confessa ses péchés ; en même temps une joie inexprimable remplissait son cœur et remplaçait l’indolence, l’apathie et la froideur des jours passés.

Comme elle était tristement célèbre aux Orphelinats, sa conversion et les messages de ses derniers moments eurent un très grand retentissement : ils furent le moyen que Dieu voulut bien bénir pour la conversion de très nombreux orphelins.

Dans une seule Maison, trois cent cinquante enfants furent amenés à chercher la paix qui se trouve uniquement en Jésus, et à la saisir par la foi. La conversion et le témoignage d’Emma Bunn furent l’occasion du plus grand réveil qui eût encore éclaté à Ashley Down…

Ce fait comporte bien des enseignements : le cœur le plus dur peut être brisé par la prière ; la connaissance de la Bible, même si elle ne semble porter aucun fruit immédiat, n’est jamais inutile ; dès que la grâce de Dieu a pénétré le cœur et délié la langue, elle devient une source de bénédiction ; généralement on s’occupe trop peu de l’instruction religieuse des enfants, et on ne donne pas assez de confiance aux conversions des jeunes.

En avançant dans la vie, M. Müller était de plus en plus frappé par les triomphes de la grâce qu’il observait chez de tout jeunes enfants convertis à l’âge de neuf et dix ans, lesquels restèrent toujours fidèles à la foi de leur enfance ».

Le pasteur Lorstch écrivit les lignes suivantes après avoir vu les orphelinats :

« Une visite aux Orphelinats d’Ashley Down, le 29 mars 1901, nous a laissé l’impression qu’il y a quelque chose de plus extraordinaire encore que la manière dont l’argent y arrive. C’est la manière dont il est employé. L’ordre, la discipline, l’hygiène morale et spirituelle qui règnent dans ces établissements sont tout simplement admirables.

Il n’y a pas d’enfants dans la plus heureuse des familles chrétiennes qui aient l’air plus épanoui, plus heureux que ces enfants-là. On sent qu’ils sont enveloppés et pénétrés par les saintes et victorieuses influences de l’amour chrétien…

Il n’est pas étonnant que Dieu envoie en abondance un argent dont on fait un tel usage. Ne manquons pas à Dieu, et rien ne nous manquera ». D. Lortsch.

En 1865, trente et un ans après l’ouverture du premier orphelinat de la rue Wilson, George Müller, jetant un coup d’œil en arrière, note que, par la grâce de Dieu, il est resté fidèle aux principes posés à la base de l’œuvre. Il n’a jamais contracté de dettes, il n’a jamais recherché d’autre soutien que celui de Dieu, d’autre patronage que celui du Père céleste.

Quant à ses collaborateurs, il les a choisis parmi ceux qui craignent Dieu et Le servent Il rappelle que son but primordial, c’est de glorifier Dieu en montrant ce que peuvent accomplir la foi et la prière, et il peut rendre ce témoignage que « jusqu’ici, le Seigneur a secouru ».

Si pendant cinq ans à peu près, ses collaborateurs et lui ont vu presque quotidiennement leur foi mise à l’épreuve, ils ont été quotidiennement aussi les témoins de la fidélité de Dieu. L’œuvre n’avait fait que croître, mais le secours divin avait grandi dans la même proportion ».

Ce serait une erreur de croire que les diverses branches de l’Institut biblique que dirigeait M. Müller étaient oubliées, et qu’il se laissait uniquement absorber par l’œuvre des Orphelins et son rapide développement.

Ni la mission et les missionnaires, ni l’œuvre de distribution de traités et de la Bible, ni les écoles chrétiennes n’étaient oubliées. M. Müller veillait à attribuer à l’œuvre qui en avait le plus besoin, les fonds qu’il recevait (lorsque les donateurs n’avaient rien spécifié), et ce qu’il donnait lui-même.

En cette année 1865, lorsqu’il s’occupe de la répartition des sommes dont il dispose pour l’œuvre missionnaire, il se trouve en présence de cent vingt-deux noms de missionnaires.

Pour envoyer à chacun les fonds qu’il leur destine, il lui faut onze mille six cent cinquante francs. Il lui manque deux mille trois cents francs. Alors il demande à Dieu cette somme, et reçoit successivement vingt-cinq, deux mille cinq cents, et douze cent cinquante francs ; plus qu’il n’avait demandé.

22 janvier 1866. Ce soir, vers onze heures et demie, mon bien-aimé collègue, mon ami depuis trente-six ans, vient d’entrer dans son repos. Il était malade depuis sept mois à peu près. Tous deux nous connaissions le Seigneur depuis plus de quarante ans, tous deux nous avions dépassé la soixantaine.

Mon bien-aimé frère et ami a maintenant achevé sa course, j’ai l’honneur et le privilège de continuer à travailler pour le Seigneur ici-bas, mais sans lui ! sans celui qui a été si souvent mon conseiller ! Comme dans mes précédentes épreuves et toutes mes difficultés, je regarde à Dieu ; c’est sur lui que je m’appuie depuis plus de trente-six ans.

Le nom de M. Craik avait d’abord été associé à celui de M. Müller dans les Rapports de l’Institut biblique, mais en 1844, comme c’était son collègue qui s’occupait à peu près exclusivement de cette œuvre, il jugea préférable que son nom n’y parût plus.

Également distingué par sa bonté, son humilité, ses dons intellectuels, M. Craik avait publié plusieurs ouvrages d’une haute valeur. En reconnaissance de quoi l’université de St-André lui avait offert le titre de Docteur. Il le refusa, demandant en même temps que l’Université veuille bien accorder ce titre à une tierce personne qu’il nomma et à laquelle cela pouvait être utile.

Le conseil de l’Université fit ce qui lui était demandé ; puis à nouveau, offrit le titre de Docteur à M. Craik, lequel crut devoir maintenir son refus (Ch. Challand).

30 janvier. Aujourd’hui a été remise à la tombe, la dépouille mortelle de mon bien cher ami. Je suis malade, retenu à la maison. État plus grave ce soir. (Il s’agissait d’une extrême faiblesse ; avec des hauts et des bas. Cet état inquiétant dura trois mois).

L’œuvre du colportage. 1867. L’exposition de Paris vient d’ouvrir ses portes. C’est une occasion unique pour annoncer l’Évangile aux foules qui traversent la capitale ou y séjournent.

Et George Müller est heureux de recourir aux services de deux frères que Dieu a envoyés dans la grande ville pour y travailler. L’un parle trois langues, l’autre huit. Par leur moyen, douze mille exemplaires de la Bible ou portions de la Bible furent distribués en treize langues différentes, à l’Exposition surtout.

On a calculé que pendant cette Exposition, il fut distribué plus d’un million deux cent soixante mille Bibles en seize langues différentes. La Bible fut reçue avec reconnaissance. De sorte qu’en six mois, ceux qui surent profiter de l’occasion que leur offrait l’Exposition, répandirent plus d’exemplaires de la Bible que n’eussent pu le faire dix mille colporteurs en vingt fois plus de temps, dans les conditions ordinaires.

L’année suivante, c’était l’exposition du Havre. À nouveau G. Müller s’occupa de faire distribuer les Écritures. Et lorsque, de façon inattendue, une porte s’ouvrit en Espagne, au pays de l’Inquisition, il se hâta de prendre les mesures nécessaires pour y faire distribuer la Parole de Dieu.

Pour la première fois, on vit alors la Bible offerte dans les rues de Madrid. On vendit jusqu’à deux cent cinquante exemplaires par heure, et bientôt les demandes dépassèrent les stocks disponibles.

Parmi les pages les plus captivantes du « Récit », il faut placer les lettres que G. Müller recevait de ses colporteurs, et dont il publiait quelques-unes. Pour lui, le champ d’activité, c’était le monde ; et il saisissait avec ardeur toutes les occasions d’y semer abondamment… Il faisait aussi faire des distributions de traités…

Les foires, les champs de courses, les voyages, les exécutions capitales, autant d’occasions de rassemblements dont il savait profiter pour ses distributions. Dès le début, cette activité produisit d’abondantes moissons.

Ch. 14. Madame Müller (1870)

Mme Müller s’était donnée sans réserve à l’œuvre de son mari. Bien qu’elle ne fût pas de santé délicate, elle avait été très malade au moment de la naissance de ses enfants. Sa vie avait même été en danger ; mais Dieu l’avait rétablie.

En 1859, elle s’aperçut que le bras gauche, qui avait été blessé dans une chute faite autrefois, devenait très faible, faiblesse qui ne fit que s’aggraver. Vers la fin d’octobre, ce bras devint extrêmement douloureux et enfla. L’enflure ne fit qu’empirer, gagna tout le membre, « et la main prit de telles proportions qu’il fallut couper l’alliance que je lui avais passée au doigt le 7 octobre 1830 », écrit M. Müller.

Bientôt ma chère femme dut rester à Bristol. La chambre d’Ashley Down, où j’avais pris l’habitude de la rencontrer après le déjeuner, et parfois entre temps, allait rester vide pendant de longs mois.

J’ai déjà dit que ma chère femme était foncièrement chrétienne. C’était là sa qualité par excellence ; son unique objet ici-bas, c’était de vivre pour Dieu. Elle avait un esprit doux et paisible… Jamais elle ne mettait d’obstacles sur le chemin que Dieu ouvrait devant moi.

Toujours elle s’employait à fortifier mes mains, même dans les plus grandes difficultés et lorsque le service auquel elle apportait son concours, demandait d’elle les plus grands sacrifices. De septembre 1838, jusqu’à la fin de 1846, notre confiance fut constamment mise à l’épreuve.

Des centaines de fois, nous avons dû donner pour les orphelins jusqu’aux derniers centimes que nous avions, pour qu’ils aient le nécessaire. Jamais elle ne me fit le moindre reproche ; mais elle priait Dieu avec moi pour qu’il voulût bien envoyer le secours, et le secours arrivait. Alors, ensemble, nous nous réjouissions ; à moins qu’ensemble, nous ne nous mettions à pleurer de joie.

J’ai déjà parlé de l’excellente éducation qu’elle avait reçue, j’ai dit qu’elle était musicienne, qu’elle pouvait peindre et broder ; cependant ses occupations avaient généralement un but plus pratique. C’était par exemple la préparation des centaines de petits lits blancs de nos orphelins, de nos enfants déshérités qui n’avaient jamais vu d’aussi confortables couchettes, et surtout qui n’en avaient jamais eues.

C’était la confection des chaudes couvertures, et de beaucoup d’autres choses nécessaires. Elle servait le Seigneur Jésus, en servant les enfants pauvres destitués de tout. Ma chère femme avait le don de savoir soulager, de trouver la chose qu’il fallait dire pour aider quiconque était dans la peine, pour alléger le fardeau des autres…

Lorsqu’elle tomba malade, et dès le début de cette douloureuse épreuve, je me rappelai que Dieu m’avait donné, en ma chère femme, la plus précieuse des compagnes ; et qu’il ne siérait pas de se laisser accabler parce qu’il Lui plaisait maintenant de l’affliger, alors que durant trente ans à peu près, elle avait joui d’une santé relative…

Il convenait que j’accepte sa volonté comme bonne, agréable et parfaite. La maladie dura presque neuf mois. De temps à autre, ma femme venait en voiture jusqu’aux Orphelinats pour donner quelques conseils, quelques directions. Je ressentais très douloureusement son absence, et cependant, comme je discernais la main de Dieu dans cette affliction, mon âme restait en paix.

Nous priions encore ensemble chaque jour, et nous demandions aussi à Dieu qu’il veuille bien rendre l’usage du bras malade si telle était sa sainte volonté…

Enfin, en avril 1860, notre excellent docteur pensa qu’elle était assez bien pour qu’on pût essayer d’un déplacement jusqu’à Clevedon où elle devait prendre des bains de mer chauds. Je la conduisis donc jusque-là et notre fille resta près d’elle. Les bains de mer firent effectivement du bien, et le mieux semblait évident, lorsqu’un jour, en rentrant du bain, elle glissa malheureusement en remontant sur le trottoir, près de la maison où elle demeurait ; la tête porta sur le mur et le poids du corps sur le bras malade qui était maintenu en écharpe.

À cause de ce bras malade, elle n’avait pu amortir la chute. Comme elle restait immobile, inanimée, notre chère fille courut chercher du secours à la maison. Lorsqu’elle arriva avec de l’aide pour faire transporter sa mère, celle-ci avait repris ses sens.

Tout semblait sombre maintenant ; et l’état empira. Tous les soirs, une fois la journée de travail achevée aux Orphelinats, j’allais à Clevedon pour veiller ma chère femme pendant la nuit. Elle souffrait beaucoup. Puis graduellement, la souffrance s’atténua et elle se retrouva à peu près au même point que trois mois auparavant, lors de son arrivée à Clevedon.

Je la ramenai à la maison, à Bristol, pour six semaines ; puis nous décidâmes d’aller passer ensemble un mois à Teignmouth. C’était un changement d’air, et il y avait aussi cet avantage qu’elle pourrait continuer là-bas les bains de mer chauds. Nous y sommes donc allés tous les trois….

Lorsque nous revînmes, ma chère femme allait tellement mieux qu’elle pouvait à nouveau se servir de la main et du bras malades, de sorte qu’elle put reprendre ses occupations habituelles aux Orphelinats. Sa main avait presque repris les dimensions normales, et il fut possible de remettre à son doigt l’alliance brisée que j’avais fait réparer par un bijoutier.

Que Dieu est bon d’avoir accordé la guérison. Qu’il est bon de n’avoir pas permis qu’elle se soit tuée dans la chute qu’elle fit à Clevedon ! Je veux rendre grâce à l’Éternel pour tous ses bienfaits, et j’ajoute : « Qu’il est bon d’avoir permis cette maladie ! »

Effectivement, cette épreuve fut une marque de son amour. Je m’explique : ma chère femme s’était beaucoup trop fatiguée pendant les années 1856, 1857, 1858, 1859 ; le travail qui retomba sur elle pour l’ouverture de la seconde Maison et en prévision de l’ouverture de la troisième, fut tel que sa santé fut atteinte. Elle se dépensa beaucoup trop, et au-delà de ses forces, bien que je l’aie constamment suppliée de ne pas le faire. Mais elle avait la passion du travail ! Elle ne pouvait supporter de rester un instant sans rien faire.

C’est parce que son état de santé était si précaire que le rhumatisme eut aussitôt autant de prise sur elle. Mais voyez la bonté de Dieu ! Il se servit justement de cette maladie pour l’obliger au repos. Le docteur ordonna aussi une diète fortifiante, ce qu’autrefois elle avait toujours refusé. L’épreuve fut donc le moyen dont le Seigneur se servit pour prolonger sa vie de quelques années et conserver aux orphelins leur grande amie…, à notre chère fille, sa mère, et à son pauvre mari, la plus précieuse des compagnes.

En octobre 1860, sa santé était meilleure qu’elle ne l’avait été depuis de longues années. Qu’il est donc vrai ici ce passage des Écritures : « Nous savons que toutes choses travaillent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rom. 8. 28).

Le mieux se maintint pendant quelques années. Mais en 1867 il devint évident pour ceux qui l’approchaient que Mme Müller s’affaiblissait. Son mari la supplia de prendre plus de repos, plus de nourriture, mais il ne pouvait prévaloir sur cette volonté arrêtée d’aller jusqu’au bout, sans se soucier de rien pour elle-même.

Il s’inquiète de ses longues insomnies : « Je deviens vieille, explique-t-elle, et les vieilles gens n’ont plus besoin d’autant de sommeil ».

S’il insiste et dit sa crainte d’une nouvelle maladie comme en 1859, elle lui répond : « Mon bien-aimé, le Seigneur me permettra encore de voir l’aménagement et l’inauguration des Maisons 4 et 5 ; et ensuite il pourra me prendre à Lui ».

Elle voulait travailler jusqu’à la fin. Or il y avait tant à faire et dans tant de domaines aux Maisons d’Ashley Down. Elle y travaillait du matin au soir ; elle y travailla jusqu’à la fin.

Au commencement de 1870, elle prit froid. Elle soignait les autres avec tant de sollicitude, refusant généralement qu’on s’occupe d’elle. M. Müller obtint cependant qu’elle vit un docteur. Celui-ci insista pour qu’elle prît une voiture chaque jour pour se rendre aux Orphelinats et rentrer à Bristol, et recommanda une alimentation plus fortifiante, quelques remèdes et la sieste. Ce régime lui fit le plus grand bien.

Ne sortant plus qu’en voiture fermée pour aller à Ashley Down et en revenir, elle évitait l’air de la nuit et la mauvaise toux qui l’épuisait cessa complètement. Les dimanches 23 et 30 janvier, elle assista aux services du matin. Le soir du 30, elle ressentit une vive douleur dans le dos et le bras droit, laquelle ne fit qu’empirer jusqu’au lundi, de sorte que M. Müller fit chercher le docteur.

Celui-ci n’était pas à la maison, et Mme Müller voulut se rendre en voiture aux Orphelinats comme elle en avait l’habitude. Sa fille l’y accompagna pour travailler sous sa direction, car elle craignait de ne pouvoir faire beaucoup elle-même. La journée fut assez bonne, mais la souffrance augmentant vers le soir, elle rentra à Bristol avec sa sœur et sa fille.

M. Müller était resté pour assister à la réunion de prière. Quand il arriva à Bristol, le docteur avait passé chez lui et prescrivait le repos absolu à la malade : Mme Müller était couchée, on avait allumé un bon feu dans sa chambre sur l’ordre du médecin. Celui-ci avait diagnostiqué une fièvre rhumatismale. La nuit fut mauvaise, les souffrances augmentaient, les membres se prenaient l’un après l’autre, et ils étaient si douloureux qu’elle ne pouvait ni les bouger ni supporter qu’on les touche, à l’exception du bras et de la main si malades dix ans auparavant.

« Le mardi 1er février, je restai à la maison, à côté de ma chère femme, écrit G. Müller. Dans sa chambre, il y avait des textes, entre autres ceux du « Silent Comforter »… « Mes temps sont dans ta main » (Ps. 31. 15).

De tout cœur, je pus répondre à l’affirmation du message : « Oui, mon Père, les temps de tes enfants sont en ta main. Et certainement ce que tu décideras, sera pour le mieux, pour le plus grand bien de ma chère femme et pour le mien, que ce soit la vie ou la mort.

S’il est possible, guéris-la encore cette fois. Tu peux le faire, bien qu’elle soit si malade ; mais quoi que tu décides, ô Père, soutiens-moi afin que je trouve toujours ta volonté bonne et parfaite… ».

Pendant toute cette semaine, alors que ma chère femme était si gravement malade, j’eus constamment en pensée le verset de l’un de nos cantiques qui célèbre la tendresse infinie et l’Amour insondable du Père céleste :

« Best of blessings He will provide us,

Nought but good shall e’er betide us,

Safe to glory He will guide us,

Oh how He loves ! »

« La meilleure des bénédictions qu’il nous accordera,

Il n’y aura que du bien pour nous,

En sécurité vers la gloire, Il nous guidera,

Oh comme il aime ! »

Et mon cœur répondait : « Oui, il nous aime parfaitement, et ne veut que notre plus grand bien ».

Le mercredi, comme ma chère femme souffrait beaucoup moins, je pus lui lire un verset du Psaume 84, avant de partir aux Orphelinats : « l’Éternel-Dieu est un soleil et un bouclier, l’Éternel donne la grâce et la gloire, Il ne refuse aucun bien à ceux qui marchent dans l’intégrité » (v. 12).

Après avoir lu ce passage, je lui dis : « Ma bien-aimée, Dieu nous a donné sa grâce à l’un et à l’autre, nous recevrons donc aussi la gloire : et puisque, avec son secours nous marchons dans l’intégrité, Il ne nous refusera aucun bien ».

Ce verset fut pour elle un réconfort et elle en reparla à notre fille dans le courant de la journée…

Le jeudi, je vis que le docteur considérait l’état comme très grave.

Le vendredi, il m’avertit qu’il désirait une consultation et voulût appeler un confrère, l’état de ma femme étant des plus sérieux. Je lui répondis que j’étais satisfait de son traitement ; toutefois s’il désirait cette consultation, je le laissais libre de l’avoir.

Je demeurai près de ma chère malade, toute la matinée et jusqu’à l’heure du déjeuner. À ce moment comme il me fallait la quitter quelques heures, je lui dis : « ma bien-aimée je regrette d’avoir à te quitter, mais je reviendrai aussitôt que possible ». Elle répondit : « Tu me laisses avec Jésus ».

Quand je revins, je la trouvai à peu près dans le même état qu’elle était au moment de mon départ. Mais la nuit qui suivit fut très mauvaise ; elle souffrit beaucoup, bien plus qu’elle n’avait encore souffert jusque-là.

Presque toute la nuit je fus sur pied, essayant de façon ou d’autre d’alléger sa souffrance, et de l’aider, puisqu’elle ne pouvait plus bouger un seul membre. Enfin vers deux heures du matin, les douleurs semblèrent céder, jusque vers quatre heures. Mais ce qu’elle avait enduré cette nuit-là devait amener rapidement la fin de son pèlerinage terrestre.

À dix heures du matin, il n’y avait plus aucun espoir de guérison, et je sentis qu’il était de mon devoir d’avertir ma bien-aimée que le Seigneur allait venir la chercher.

Elle me répondit : « Il viendra bientôt ». Voulait-elle dire que le Seigneur viendrait bientôt, et que nous serions réunis ? Je l’ai supposé.

À une heure et demie, quand j’essayai de lui faire prendre un peu de médicament, puis une cuillerée de vin mélangé d’eau, je remarquai qu’elle avait quelque peine à avaler. Quelques minutes après, elle n’articulait plus que difficilement. Elle essaya de me dire quelque chose que je ne pus comprendre. Je m’assis alors devant elle de façon qu’elle pût me voir, observant sa chère figure, et à peine un quart d’heure après, je remarquai un changement dans ses chers yeux toujours si brillants.

J’appelai aussitôt Lydia et sa tante, Miss Groves, les avertissant de la fin prochaine. Elles vinrent dans la chambre ; peu après, Mrs Mannering entrait aussi (une autre sœur de ma chère femme). Tous quatre en silence, nous entourions ma bien-aimée…

Vers quatre heures vingt, elle s’endormit en Jésus, au jour du Seigneur, l’après-midi du 6 février 1870 (à l’âge de soixante-treize ans). Alors je tombai à genoux et bénis Dieu qui l’avait délivrée, Le suppliant aussi de nous aider et de nous soutenir.

Le lendemain, G. Müller assista à la réunion de prière du lundi soir à Salem (le nom d’une chapelle). Se levant, et avec une expression radieuse que les assistants n’oublièrent pas, il demanda aux frères de se joindre à lui pour bénir Dieu qui, dans sa miséricorde infinie, avait mis un terme aux souffrances de sa chère compagne pour l’introduire dans la céleste Patrie.

« Maintenant, ajouta-t-il, auprès du Maître qu’elle a tant aimé ici-bas, elle trouve, je le sais, un bonheur qui surpasse tous ceux qu’elle pourrait connaître sur cette terre. Voulez-vous demander au Seigneur qu’il m’aide à me réjouir de sa joie… que mon cœur se laisse plus absorber par sa félicité que par l’incalculable perte que je subis ». (Ces paroles furent rapportées par l’une des personnes présentes à cette réunion ; elles s’étaient gravées en elle de façon ineffaçable).

Accompagnée par des milliers d’amis, la dépouille mortelle de Mme Müller fut portée au champ du repos. Douze cents orphelins suivirent le convoi, et tout le personnel dont la présence aux Orphelinats n’était pas absolument nécessaire.

Extraordinairement soutenu par le Seigneur, George Müller fit le service funèbre. Dans son journal, il écrivit : « C’est moi, moi-même, qui, extraordinairement soutenu par Dieu, ai fait le service à la chapelle et au cimetière ».

Autour de lui, bien des gens trouvent étrange cet homme qui, dans le deuil, a des accents pour bénir ; ils ne comprennent pas cette foi qui saisit les réalités invisibles et se réjouit du bonheur de la compagne que Dieu a rappelée. Frappé de cette sérénité surnaturelle pendant la cérémonie funèbre, son médecin dit à un ami : « Je n’ai encore jamais vu d’homme aussi peu humain que lui ». Jugement exact ; mais pas dans le sens que pensait le médecin.

Jugement exact parce que G. Müller se mouvait dans ce domaine inaccessible à l’homme naturel, où le racheté marche avec les forces d’en-haut, les forces divines, et où il dépasse l’humaine mesure. Mais cet homme jugé inhumain, parce qu’il est surhumain, est cependant brisé : chez lui la vigueur spirituelle dépasse celle de l’organisme physique, et il tombe malade. Chaque fois qu’il a traversé une grande douleur, nous voyons la rupture d’équilibre se produire. (Ainsi, après la mort de son ami : M. Craik).

Cela répond suffisamment à ceux qui critiquent son insensibilité apparente, la sérénité de son attitude, la grandeur des paroles qui naissent de sa foi.

Aussitôt rétabli, G. Müller, dans un service public, fit revivre le souvenir de sa femme, et prononça ce qu’il nomme dans son journal : le Funeral sermon (En Alsace : « le cours de vie », expression qui est probablement une traduction de : curriculum vitae).

C’est de ce morceau, publié in extenso dans l’autobiographie, que nous extrayons ici et là quelques passages, qui nous font pénétrer en une certaine mesure dans l’intimité de M. et Mme Müller. Le texte du sermon était emprunté au Psaume 119 au verset soixante-dix-huit : « Tu es bon et bienfaisant ».

Après avoir évoqué le temps des fiançailles, du mariage, rappelé les qualités de Mme Müller et sa consécration totale à Dieu, George Müller continue en disant :

« En me donnant une telle femme, Dieu me donnait les éléments du bonheur conjugal. Avons-nous été heureux ? Certes ! Nous avons eu le bonheur ; un bonheur qui allait croissant avec les années. Il ne m’est jamais arrivé de rencontrer à l’improviste ma chère femme, à Bristol ou aux Orphelinats ou ailleurs, sans en ressentir aussitôt une grande joie.

Parfois, avant l’heure du déjeuner ou celle du thé, nous nous rencontrions dans notre petit appartement d’Ashley Down où nous faisions un peu de toilette avant le repas. Cela aussi nous donnait du bonheur. J’étais extrêmement heureux de la voir apparaître, et c’était réciproque.

Ce n’est pas une fois ni cent fois, mais des milliers de fois que je lui ai dit : « Ma bien-aimée, je ne t’ai jamais rencontrée depuis que tu es ma femme sans en éprouver la plus grande joie ». Et ce ne fut pas là notre façon d’être durant la première année de mariage seulement, ou pendant les dix ans ou les vingt ans ou les trente ans qui suivirent, mais tout le temps et jusqu’à la fin.

Chaque jour, pour autant que cela était possible, je passais avec elle dans sa chambre, aux Orphelinats vingt à trente minutes, m’asseyant sur la chaise longue qu’un cher frère chrétien lui avait offerte, lors de la première crise rhumatismale. Je savais qu’il était bon que son cerveau et ses mains si actives aient du repos et je savais qu’ils n’en prendraient pas si je n’étais assis à ses côtés.

D’ailleurs il m’était bon également d’avoir quelques instants de repos à cause de la faiblesse d’estomac persistante dont je souffre. Nous restions assis côte à côte, la main dans la main, ne parlant qu’à peine, heureux l’un par l’autre et heureux dans le Seigneur. Notre bonheur d’être à Dieu et l’un à l’autre était indescriptible…

Il m’est souvent arrivé de dire à ma femme : « Crois-tu, ma chérie, qu’il puisse y avoir à Bristol ou ailleurs de par le monde, une union plus heureuse que la nôtre ? »

Pourquoi rappeler tout cela ? Pour souligner la grande bénédiction qu’il y a pour un mari à posséder une femme pieuse et faite pour lui.

J’ai dit que le christianisme de ma chère femme (une chrétienne vivante et de toutes façons la compagne qu’il me fallait) était à la base de notre bonheur. Je n’en suis pas moins convaincu que cela seul n’aurait pas suffi à la persistance de ce bonheur pendant quarante ans. Je dois donc ajouter ceci :

Tous deux nous poursuivions le même but ici-bas : vivre pour Christ. Toute autre chose n’avait pour nous qu’une valeur très secondaire. Bien que nous ayons été faibles et que, sur bien des points, nous n’ayons pas été ce que nous aurions dû être, cependant nous ne nous sommes jamais détournés du but que nous nous étions proposé.

Cet idéal unique que nous poursuivions ensemble a concouru, dans une forte proportion, à augmenter notre bonheur mutuel. Si cette unité de but manque dans la vie de deux époux chrétiens, qu’ils ne soient pas surpris de ne pas connaître le bonheur.

Nous avions l’un et l’autre beaucoup à faire, et nous travaillions tous les deux. Et cette abondance de travail aussi fut l’un des facteurs de notre bonheur. Jamais, le matin, nous n’avions à nous demander « Que va-t-on faire aujourd’hui ? »

Plus de travail nous attendait déjà l’un et l’autre, avec chaque nouvelle journée, que nous n’en pouvions faire ; et ceci donnait une grande douceur aux instants que nous avions à passer ensemble.

Bien des gens, et même des chrétiens authentiques, voudraient ne pas être astreints au travail quotidien, être libres de leur temps. Ils ne savent pas qu’ils désirent un grand mal, au lieu d’un grand bien. Dégagés d’occupations régulières, ils se trouveraient très particulièrement exposés à la tentation.

Si nombreuses qu’aient été nos occupations, nous n’avons jamais permis qu’elles nous absorbent au point de nous faire négliger le soin de nos âmes. Avant de nous mettre au travail, nous avions pris l’habitude de prier et de lire la Bible, chacun séparément.

Si les enfants de Dieu négligent d’avoir chaque matin des instants de communion avec le Seigneur, des moments durant lesquels ils nourrissent leur être, s’ils se laissent absorber par leur service, même par le service de Dieu, ils ne peuvent conserver longtemps la joie de Christ, et le bonheur au foyer s’en ressent aussitôt.

Plus encore, ma chère femme et moi, nous priions ensemble, et cela surtout est un facteur essentiel de bonheur conjugal. Depuis de longues années, vingt ans ou trente ou davantage, en plus de nos moments de recueillement individuel, en plus du culte de famille, nous priions ensemble chaque matin. Alors tous deux nous disions à Dieu notre reconnaissance pour les marques les plus signalées de sa bonté, nous lui exposions les choses les plus importantes de la journée qui commençait.

Si nous traversions quelque grande épreuve ou si nous avions plus particulièrement besoin de quelque chose, nous priions de nouveau après le repas d’une heure, si nous passions par un temps de très grandes difficultés, nous priions encore une ou deux fois au cours de l’après-midi, mais c’était exceptionnel.

Enfin le soir, il était convenu que la dernière heure que nous passions aux Orphelinats était consacrée à la prière, bien que nous ayons toujours eu beaucoup à faire, plus qu’à aucune autre période de notre vie. C’était alors ma bien-aimée qui venait chez moi : prière, supplication, intercession, actions de grâce duraient généralement de quarante à cinquante minutes, et parfois une heure.

Nous exposions à Dieu une cinquantaine d’affaires différentes : nous Lui disions nos difficultés, ou nous priions en particulier pour quelqu’un ou au sujet de quelque chose. Généralement nous continuions de prier chaque jour pour les mêmes objets, jusqu’à l’exaucement ; alors la louange prenait la place de la requête… jamais nous ne nous sommes réunis pour la prière sans avoir quelque nouvelle raison d’action de grâces, en même temps que quelque nouveau fardeau, à déposer aux pieds du Seigneur.

Je recommande très particulièrement aux parents chrétiens, de s’unir ainsi pour la prière. En ce qui nous concerne, je crois que c’est là surtout qu’il faut chercher le secret de notre bonheur conjugal, et de notre amour mutuel, qui ne firent qu’augmenter avec les années. Et, cependant, nous nous aimions tendrement dès le début de notre union.

Le Seigneur a été bon et bienfaisant en me donnant une telle compagne.

Il a été bon et bienfaisant en me la laissant. (Ici, M. Müller relate les maladies, les accidents qui mirent à plusieurs reprises la vie de Mme Müller en danger ; nous les avons mentionnés précédemment).

Le Seigneur a été bon et bienfaisant en ôtant le désir de mes yeux.

Tous les chrétiens qui m’ont entendu sont probablement prêts à dire avec moi que le Seigneur a été bon en me la donnant, et bon en me la laissant. Qu’ils fassent encore un pas avec moi et disent que Dieu a été bon en la reprenant à lui. Tandis que je dis ceci, je sens le vide de mon cœur. Chaque jour je découvre, davantage, tout ce que les orphelins ont perdu en la perdant.

Et cependant, sans effort, mon âme se réjouit de son bonheur. Sa joie me donne de la joie. Ma chère fille et moi nous ne voudrions pas la rappeler, même s’il était en notre pouvoir de le faire. C’est Dieu qui l’a prise ». (Ici suivent les détails déjà donnés sur l’état de santé de Mme Müller durant les dernières années).

« Il y a deux ans déjà, ma fille avait vu quelques lignes écrites par sa chère mère dans l’un de ses carnets de poche, qui restait à Ashley Down, et que je ne connaissais pas. Elle m’a montré le précieux trésor, et je l’ai en ce moment sous les yeux.

Voici les paroles qu’elle y a tracées : « S’il plaisait au Seigneur de reprendre M. M. (Mary Müller) par une mort subite, qu’aucun des chers survivants ne s’imagine qu’il y a là un jugement de Dieu, pour elle ou pour eux. Quand elle jouit du sentiment de la présence du Seigneur, elle a si souvent pensé qu’il lui serait très doux de partir sur l’heure pour être avec Jésus ! Seul le sentiment du coup qu’en recevraient ses bien-aimés l’a empêchée de désirer que l’esprit libéré prît son vol pour la céleste Patrie.

Ô mon bien-aimé Sauveur ! (Precious Jésus !) Que ta volonté soit faite, en ceci comme en toute autre chose, et non la mienne ! »

Ayant sous les yeux ces lignes tracées de sa main, sachant d’autre part le profond attachement de ma bien-aimée pour Celui qui a porté nos péchés en son corps sur la croix, comment pourrais-je faire autrement que de me réjouir de la joie de celle qui est maintenant et pour toujours avec le Seigneur ? Comme mari…, comme directeur des Orphelinats, je sens tous les jours davantage ma perte ; mais comme enfant de Dieu, comme serviteur de Jésus, je veux ce que veut le Seigneur, et j’essaie de Le glorifier par une soumission entière à sa sainte volonté… ».

George Müller termina cette oraison funèbre par quelques mots d’appel aux inconvertis. (Avec l’autorisation de M. Müller, des orphelins prirent l’initiative de commander une pierre tombale ; elle fut payée par les nombreux dons qu’envoyèrent, d’un peu partout, tous ceux qui, depuis vingt-cinq ans, avaient connu et aimé Mme Müller).

Ch. 15. Second Mariage (1871-1892)

Solitude. Par les lignes qui précèdent, le lecteur a pu voir, qu’au moment de l’épreuve, Dieu m’avait soutenu de façon extraordinaire. Toutefois, bien qu’il m’ait rendu capable de Le glorifier par une soumission entière à sa volonté, je ressentais chaque jour plus vivement, plus douloureusement, toute l’étendue de ma perte.

En Jésus, je trouvais des consolations et un adoucissement à ma peine ; en Lui, je discernais que l’épreuve était entre ses mains un moyen de bénédictions inexprimables. Mais, qu’était devenu mon bonheur ici-bas ?…

Le soir, lorsque je quitte les Orphelinats, entre huit et neuf heures, pour rentrer à Bristol, seul sur la route que nous avons si souvent suivie à deux, je pense à mon céleste Ami. Lui est toujours là… Je pense aux raisons que j’ai d’être reconnaissant ; à ma chère fille qui veille au moment de mon arrivée pour m’accueillir, et essaie par ses prévenances d’adoucir ma peine…

Cependant mon épreuve est très grande, la blessure profonde ; et loin de rien cicatriser, le temps donne plus d’acuité à ma peine… Je suis généralement heureux en Dieu, et même, je Le loue pour cette dernière dispensation à mon endroit, bien que la séparation me soit tous les jours plus douloureuse…

31 décembre 1870. Il a plu au Seigneur de me donner cette année, cinquante-et-un mille six cent quatre-vingt-sept francs.

4 août 1871. Aujourd’hui, M. Wright, l’un de mes principaux collaborateurs de l’Institut biblique, m’a demandé la main de ma fille bien-aimée. Un an après la mort de Mme Müller. Cette demande m’a extraordinairement surpris, et en même temps je suis obligé de convenir qu’il n’existe aucune autre personne à qui je confierais aussi volontiers le plus précieux trésor qui me reste ici-bas.

Pendant une quinzaine, un douloureux combat s’est livré dans le cœur de ma chère fille, parce qu’elle ne pouvait se faire à l’idée de me laisser seul. Mais je la suppliai de ne pas permettre que je sois un obstacle sur sa route et je lui ai dit quelle joie et quelle consolation ce serait pour moi de la savoir unie à un tel homme. Elle a donc agréé la demande de M. Wright.

Les fiançailles de ma chère fille, et beaucoup d’autres raisons, m’ont amené finalement à considérer la possibilité d’une nouvelle union. Qu’il s’agisse de l’œuvre des Orphelinats à laquelle ma chère femme s’était consacrée et où elle me manque à tout instant, qu’il s’agisse de moi, je crois que tout bien considéré, il est préférable que je me remarie.

J’ai porté cette question devant Dieu, et je suis arrivé à la conviction que cette décision avait l’approbation de mon Père céleste, et qu’il la sanctionnait.

Le 10 novembre le mariage de ma chère fille avec M. Wright a été célébré.

Le 30 novembre 1871, j’ai épousé Miss Susannah Grace Sangar, que je connais depuis plus de vingt-cinq-ans, comme chrétienne éprouvée, et qui, j’ai toutes les raisons de le croire, m’apportera le concours dont j’ai besoin dans mes diverses activités.

31 décembre. Il a plu au Seigneur de me donner cette année cinquante-quatre mille deux cent soixante-quinze francs.

Depuis plus de vingt ans il m’a été dit un nombre incalculable de fois, et par bien des gens : « Que deviendront les orphelinats, quand vous ne serez plus là, M. Müller ? »

Et, invariablement, j’ai répondu que la propriété bâtie et le terrain avaient été remis entre les mains de onze administrateurs, de sorte que sous ce rapport il en était des Orphelinats d’Ashley Down comme des autres établissements similaires.

« Mais, après vous, qui dirigera l’œuvre dans le même esprit que vous l’avez fait, en s’attendant uniquement à Dieu ? demande-t-on encore. Et je réponds : quand il plaira au Seigneur de me rappeler à lui, il montrera que lui, l’Éternel, ne dépend pas de moi et qu’Il peut facilement pourvoir à mon remplacement… ».

Des amis chrétiens m’ont aussi souvent représenté que je devrais prier Dieu au sujet d’un successeur. Sur ce point je leur disais généralement que je le faisais. Et maintenant, j’ai la joie d’annoncer que Dieu a accordé ce que mon cœur désirait. J’ai trouvé en mon gendre, M. James Wright, le collaborateur que j’avais demandé à Dieu, afin d’être aidé dans la direction de l’Institut ; et, quand il me rappellera, un successeur.

Voici une trentaine d’année que je le connais, c’est-à-dire, depuis sa conversion. Au cours des années écoulées, j’ai assisté à son développement spirituel, et depuis treize ans, il est l’un de mes meilleurs collaborateurs ; je dirai même mon bras droit dans toutes les affaires importantes.

Comme tel nous avons souvent prié pour lui, ma femme et moi, afin que Dieu le prépare à devenir mon successeur.

Lorsque je tombai malade en 1870 après la mort de ma chère compagne, je le fis appeler et lui ouvris mon cœur. Mme Wright vivait ; à vues humaines il ne semblait pas que Dieu fût sur le point de la rappeler à lui ; donc aucune probabilité que M. Wright devînt jamais mon gendre.

Dans son humilité, il me répondit qu’il ne se jugeait pas suffisamment qualifié pour me remplacer à la direction. Connaissant ses capacités, je ne pouvais accepter ce refus.

Une autre difficulté, ce fut l’opposition de sa femme, une excellente chrétienne, qui prévoyait que l’œuvre allait absorber tout le temps de son mari. Cependant, peu après, elle comprit qu’il devait accepter s’il y voyait la volonté de Dieu ; et il accepta.

C’est dix-huit mois plus tard, veuf à son tour, que M. Wright demanda ma chère fille en mariage…

Même si je puis encore travailler comme autrefois, par la bonté de Dieu, il est bon que je puisse me décharger partiellement de tout ce qui m’incombe. Or, pour cela, quelqu’un doit partager avec moi la direction. J’ai donc pris comme associé M. Wright, après l’avoir quelques mois auparavant, désigné comme successeur.

La lecture des Rapports de l’œuvre, et celle du « Récit des Dispensations de Dieu à l’égard de G. Müller », ont été le moyen dont Dieu a daigné se servir pour la conversion de bien des âmes. D’autre part, des milliers de chrétiens ont été fortifiés et encouragés par cette lecture ; ils ont été ramenés aux Écritures, conduits à se confier davantage en Dieu et à entrer plus ou moins dans le sentier de la foi, où je marche moi-même avec le secours d’En-Haut.

Depuis trente-six ans, il ne se passe presque pas de journée sans que j’en aie de nouvelles preuves ; et ce sont des milliers et des milliers d’exemples de bénédictions reçues que je pourrais citer. Ceci m’a conduit à prier avec plus d’ardeur encore pour que Dieu veuille bien continuer de bénir ces publications pour l’édification des croyants et la conversion des incrédules.

Je crois donc bien faire en donnant les détails suivants, qui encourageront les chrétiens à prier ; en même temps qu’ils fourniront le récit exact de faits souvent cités en relation avec le Réveil :

En novembre 1856, un jeune Irlandais, M. James Mac Quilkin, fut amené à la connaissance du Seigneur. Peu après, voyant l’annonce des deux premiers volumes du « Récit », il ressentit un grand désir de les lire, et se les procura en janvier 1857. Leur lecture fut, par la bonté de Dieu, une source de grandes bénédictions pour son âme.

Il y vit surtout ce que la prière pouvait obtenir, et se dit à peu près ceci : « Vois ce que M. Müller obtient uniquement en priant. Tu peux donc, toi aussi, obtenir la bénédiction par la prière ».

Il se mit à prier, et demanda en premier lieu que Dieu lui fît trouver un ami chrétien, à la piété vraiment spirituelle, quelqu’un qui connût le Seigneur. Peu après, il faisait la connaissance du compagnon qu’il cherchait.

Tous deux commencèrent alors une réunion de prière dans l’une des Écoles du dimanche de Connor. M. Mac Quilkin demanda à nouveau que Dieu veuille bien le conduire vers d’autres chrétiens (Some more of His Hidden Ones) et le Seigneur lui donna deux autres jeunes gens…

Cette même année, à l’automne, il dit à ceux que Dieu lui avait donnés en réponse à la prière de la foi, quelle bénédiction il avait reçue en lisant le « Récit », et il proposa que tous ensemble se réunissent pour chercher la bénédiction du Seigneur sur leurs diverses activités : écoles du dimanche, réunions de prière, évangélisation.

Tous quatre tombèrent d’accord, et en conséquence ils se réunirent pour la prière tous les vendredis soir dans une petite école près du village de Kells (paroisse de Connor). C’est à cette époque que le Saint-Esprit agissait avec puissance aux États-Unis, M. J. Mac Quilkin se dit : « Et pourquoi cela n’arriverait-il pas aussi chez nous, puisque M. Müller a fait de si grandes choses, uniquement en priant ? »

Le 1er janvier 1858, le Seigneur leur accorda un remarquable exaucement, en convertissant un domestique de ferme qui, dès lors, se joignit à eux. Puis ce fut le tour d’un jeune homme de vingt ans. Ils furent alors six, ce qui encouragea puissamment le groupe des trois premiers. D’autres se convertirent aussi qui s’unirent à eux pour la lecture de la Parole, la prière et l’exhortation en commun.

Tout cela se passait sur le territoire de la paroisse de Connor. Aux approches de Noël, un jeune homme d’Aboghill, converti à Connor, retourna chez lui et entretint ses amis au sujet de leurs âmes, et il leur dit ce qui se passait à Connor. Ceux-ci exprimèrent le désir de rencontrer quelques-uns des convertis.

C’est ainsi que J. Mac Quilkin et deux autres allèrent à Aboghill, et tinrent une réunion dans l’une des églises presbytériennes, le 2 février 1859. Quelques-uns crurent, d’autres se moquèrent, d’autres jugèrent que ces jeunes convertis avaient bien de la présomption ; plusieurs réclamèrent une nouvelle réunion.

Elle eut lieu le 16 février, et c’est à cette occasion que l’Esprit de Dieu commença de travailler avec puissance. Il y eut plusieurs conversions, et le nombre de celles-ci ne cessa de croître. Quelques-uns des convertis se déplacèrent, apportant avec eux la flamme du Réveil, de sorte que l’action divine s’étendit en bien des endroits…

Tel fut le commencement du puissant Réveil qui provoqua la conversion de centaines de milliers d’âmes… On n’a pas oublié comment il s’étendit à l’Angleterre, au pays de Galles, à l’Écosse et passa en Europe…

Inutile d’ajouter qu’aucun honneur ne doit revenir aux instruments, mais au Saint-Esprit uniquement ; et si je rappelle ces faits dans l’ordre qui convient, c’est pour montrer que Dieu prend plaisir à exaucer magnifiquement et abondamment la prière de ceux de ses enfants qui croient à l’exaucement.

« Économes du Seigneur » : quelques détails sur la gérance de G. Müller. 29 mai 1874.

Durant les trente ans écoulés, j’ai souvent souligné que l’enfant de Dieu était l’économe du Seigneur, et qu’il y avait lieu de donner de façon systématique à mesure que Dieu bénissait, sans s’amasser de trésors sur la terre ; j’ai dit les bénédictions temporelles et spirituelles qu’il y avait à obéir au Seigneur, les fruits abondants que récoltaient ceux qui Lui obéissaient…, mais je n’ai pas donné en chiffres l’état de ma gérance.

C’est ce que je veux faire passer maintenant sous les yeux du lecteur, en remontant à l’époque où j’ai commencé de vivre par la foi. Je ne recherche pas la louange des hommes mais la gloire de Dieu, et le bénéfice que mes frères pourront tirer de mon exemple.

Je laisserai les derniers mois de 1830 et commencerai avec 1831. Cette année-là, il plut au Seigneur de me donner 3795 francs, sur lesquels nous avons donné 1250 francs. Je dis, nous, car ma bien chère femme partageait absolument ma façon de voir, et elle désirait autant que moi vivre de façon simple et économique à cause du Seigneur.

En 1833, je reçus 4880 francs. Remarquez que le Seigneur nous rendit, et bien au-delà, ce que nous avions donné pour Lui. C’est ainsi qu’Il fait ; j’ai souvent eu l’occasion de l’observer durant ces quarante-quatre ans passés. Cette année-là, nous avons donné au Seigneur 1750 francs.

Une petite fille était née à notre foyer, mais cela ne modifia pas notre manière de faire ; nous ne fûmes que plus désireux de nous amasser des trésors dans le ciel, afin qu’elle aussi en eût le bénéfice.

En 1833, je reçus comme pasteur 6693 francs. Le Seigneur me rendait ce que je lui avais donné et bien au-delà. Il veille à ce que nous soyons toujours ses débiteurs, et ne veut pas être en reste avec nous.

Sur cette somme, nous avons donné 2750 francs ; car alors nous vivions à Bristol parmi des frères dont un grand nombre étaient pauvres ; et nous considérions comme un honneur et un privilège de pouvoir les aider. Cette somme ne fut pas donnée en une seule fois…, mais selon que le Seigneur nous en fournissait les moyens, et plaçait sur notre route ceux qui en avaient besoin ».

Avec les années, G. Müller reçoit davantage : en 1839, quelque 9000 francs et il donne aussi toujours davantage. Mais en 1840, il ne reçoit que 6062 francs :

Le Seigneur change souvent de méthode, écrit-il à ce propos. Non seulement cette année-là il n’y eut pas d’augmentation, mais encore une sérieuse diminution. C’est ainsi qu’Il éprouve la foi de ses enfants, avant en vue leur plus grand bien : Il leur enseigne de très précieuses leçons et permet certaines difficultés pour éprouver leur cœur… Nous avons continué de donner dans la mesure du possible.

En 1841, l’épreuve de notre foi continua. Mais l’année suivante, il plut au Seigneur de nous confier davantage, soit 8244 francs. Sur cette somme, nous avons donné 3250 francs. Nous ne nous sommes pas dit alors que la maison louée que nous habitions nous convenait, et qu’il serait sage de mettre de l’argent de côté pour l’acheter.

Mais, nous souvenant que nous sommes ici-bas étrangers et voyageurs, que nos possessions sont célestes et à venir, et que nous ne sommes que les économes de ce que le Seigneur nous confie, nous Lui avons consacré tout ce que nous possédions. Je ne crains pas de me placer à côté du chrétien qui, en 1842, a essayé d’amasser des richesses pour lui-même et a persévéré dans cette voie, et de lui demander s’il est plus heureux que moi, et s’il a de plus brillantes espérances que les miennes pour l’éternité.

Oh ! si les chrétiens voulaient s’attacher à la Parole de Dieu et conformer leur vie à ce qu’elle enseigne !…

En 1845, je reçus 10833 francs… Cette année-là nous eûmes la grande joie le pouvoir donner 5500 francs. Non pas dans le but d’obtenir davantage, mais pour que Dieu fût glorifié, avec les moyens qu’Il lui plaisait de mettre à notre disposition. « Tel répand son bien, qui l’augmente encore davantage ; et tel épargne outre mesure, pour n’aboutir qu’à la disette » (Prov. 11. 24).

En 1852, je reçus 11137 francs. Que le lecteur veuille bien se souvenir que je n’avais pas de traitement, que je ne recevais rien pour les actes pastoraux…, que ni ma femme ni moi ne touchions rien comme directeurs des Orphelinats, où cependant nous travaillions beaucoup tous les jours, et année après année.

J’aurais pu, en toute justice, attribuer à chacun de nous un salaire, car pour parler à la manière des hommes, nous le gagnions bien ! Mais pour plusieurs raisons, nous avons préféré ne pas le faire, et dépendre uniquement du Père céleste qui est toujours si bon et si tendre envers ses enfants.

En 1858, je reçus 25737 francs 37 centimes. Le total est exact, même pour les centimes. Il y a des centimes dans les sommes qui me sont envoyées anonymement. Vous êtes peut-être surpris du chiffre de cette somme, cher lecteur ? C’est effectivement un chiffre élevé… mais vous avez certainement découvert mon secret…

Ce n’est pas à cause de mes mérites, ni parce que je demandais quoi que ce soit aux hommes, directement ou indirectement, en leur laissant entendre mes besoins… Je n’en parle qu’à Dieu. Et quand il lui plaît de me donner plus que le nécessaire pour ma famille et pour moi, je le consacre avec joie à son œuvre ou au service des pauvres ou aux membres de la famille qui peuvent en avoir besoin ; je me considère comme l’économe du Seigneur ; du moins j’essaye de l’être. Sur la somme ci-dessus, nous avons donné 19900 francs ».

L’année suivante, G. Müller reçut encore davantage et après avoir donné des chiffres, il ajoute :

J’entends encore la chère femme que Dieu m’a reprise : lorsque je lui annonçais que j’avais pu attribuer 2500 ou 5000 francs au fonds de construction des Orphelinats ou à celui de la Mission, elle me répondait alors avec son affectueux sourire : « Merci, mon ami ». Ou bien, si je la consultais, j’avais immédiatement la plus chaude des approbations ; non seulement cela, mais elle éprouvait une grande joie à la pensée que nous pouvions donner autant.

Je me souviens aussi de lui avoir dit souvent, ainsi qu’à ma chère fille : mes bien-aimées, s’il plaisait à Dieu de me reprendre avant vous, et que vous ayez besoin de quelque chose, allez à lui avec une simplicité enfantine ; demandez qu’il vous rende un peu de ce que j’ai donné aux pauvres et pour son œuvre. Certainement Il ne vous fera pas défaut… ».

En 1862… Dieu nous a fait la grâce de pouvoir donner 21921 francs 25. Je dis que Dieu nous a fait cette grâce. Car n’imaginez pas, cher lecteur, que l’argent me soit indifférent… Non, vous vous tromperiez fort. En cela comme en toutes choses j’ai besoin de faire monter vers Dieu la prière du psalmiste : « Aide-moi, et je serai sauvé » (Ps. 119. 117). Si j’étais laissé à moi-même et malgré toutes les expériences faites, je me laisserais aller à aimer l’argent, à l’entasser, à essayer d’augmenter ce qu’on ne donne ; car je suis calculateur par nature, et mon tempérament naturel, c’est celui de l’homme d’affaires.

Mais Dieu me fait la grâce de calculer pour l’éternité…, de calculer que le Seigneur Jésus s’est fait pauvre pour que je sois enrichi, de considérer qu’Il a versé son sang pour me sauver ; il convient donc que je Lui donne en retour ce qu’il lui a plu de me confier à titre d’économe ».

En 1870, l’année de la mort de Mme Müller, G. Müller reçut 51687 francs… sur lesquels il donna 42839 francs 45.

Durant les années suivantes, G. Müller garda davantage par devers lui ; et il explique que cela ne provenait pas d’une augmentation de dépenses personnelles, ou de ce qu’il s’était décidé à placer de l’argent… Non ! mais il n’avait pas eu l’occasion de tout dépenser utilement. Par contre, en 1874, il fut amené à donner, durant les cinq premiers mois, douze mille cinq cents francs de plus que ce qu’il avait reçu.

À cette époque, les dons pour l’œuvre restant constamment en-dessous des dépenses, G. Müller considéra la situation en face. C’était 2100 bouches qu’il fallait nourrir chaque jour, sans compter tous les frais de vêtements, d’entretien, les soins médicaux, etc…

De plus, il aidait 189 missionnaires, soutenait 100 écoles ayant ensemble quelque 9000 élèves ; il fournissait des millions de traités et des milliers d’exemplaires de l’Écriture. Enfin, à côté des dépenses courantes, il y avait les dépenses imprévues avec lesquelles il fallait aussi compter. Allait-il se trouver devant une caisse vide ? Voici ce qu’il écrivit à ce propos :

« Dieu, notre trésorier, notre trésorier infiniment riche nous reste. C’est cette pensée qui me donne la paix… Lorsque j’ai vu se dresser devant moi la possibilité d’une caisse vide, je me suis dit presque invariablement : Puisque Dieu s’est servi de moi pour fonder cette œuvre, et qu’Il m’a conduit à l’agrandir, puisqu’il a subvenu jusqu’ici, c’est-à-dire durant quarante ans, à tous ses besoins, Il donnera encore le nécessaire. J’ai mis ma confiance en Lui ; il ne permettra pas que je sois confus ».

C’est à propos des sommes gardées pendant les années d’abondance, surplus qui lui permit de traverser les mois de disette, que G. Müller écrivit les lignes suivantes : « Ce serait une erreur de croire que je me hâte de dépenser ce que je reçois, comme si c’était un crime que de posséder quelques billets de banque. Non !

Mais ce que je veux, c’est de ne jamais me considérer comme le propriétaire de ce que j’ai, peu ou beaucoup ; et d’avoir présent à l’esprit que cela appartient à Dieu et non à moi… j’ai donc pu donner du 1er janvier au 26 mai 1874, beaucoup plus que je ne recevais, et subvenir aux dépenses de l’œuvre que les dons ne couvraient plus ».

Bien des lecteurs diront, j’en suis sûr : qu’il fait bon pouvoir donner ainsi ! Qu’il est agréable de pouvoir répandre si largement. Que j’aimerais pouvoir faire de même ! » Effectivement ! C’est là une expérience bénie. Ne voulez-vous pas la faire aussi ? Donnez, à mesure que Dieu vous bénit, et qu’Il vous accorde l’aisance.

Ne donnez que peu si vous n’avez pas assez de foi pour donner beaucoup : mais ce que vous faites, faites-le de tout votre cœur, avec fidélité, avec persévérance. Ne faites pas un essai de quelques semaines seulement…, continuez quelles que soient vos circonstances…, et vous aurez toujours plus de joie à donner.

Encore un mot. Comme économes du Seigneur, il ne convient pas que nous dépensions largement pour nous-mêmes. Je me suis toujours accordé le nécessaire, et même ce qui rend la vie confortable, facile, surtout depuis que j’avance en âge ; mais je me suis toujours gardé du luxe…

Et maintenant, au soir de ma vie, pensez-vous que je regrette les six cent soixante-quinze mille francs que j’ai donnés jusqu’ici ? Certainement pas ! Et je bénis Dieu de l’honneur qu’Il m’a conféré en me permettant de les donner.

Ch. 16. Un crépuscule transformé en aurore

« Au soir de ma vie », disait G. Müller qui venait de jeter un regard sur la gérance des années écoulées ; de récapituler les sommes qu’il avait plu au Seigneur de lui donner, et l’usage qu’il en avait fait. Il était loin de se douter alors, que Dieu allait lui demander encore plus de vingt ans de service actif en dehors de Bristol ; un service missionnaire par plus d’un côté, et celui qu’il avait ambitionné autrefois.

Cinq fois pendant les huit années qui suivirent sa conversion, G. Müller avait essayé de partir en mission ; à cinq reprises, Dieu avait permis que la route fût barrée. Maintenant, l’instrument était prêt, Dieu l’avait enrichi de toutes les expériences faites à son service, et Il allait l’envoyer.

Voici comment G. Müller fut conduit à cette nouvelle sphère d’activité : Mme Müller tomba malade ; si malade qu’on craignit pour sa vie. Quand elle fut mieux, et comme un changement d’air s’imposait, tous deux partirent pour l’île de Wight où G. Müller prêcha pour un cher frère en Christ.

Celui-ci, bien qu’ayant une grande expérience de la prédication, fut très frappé en entendant son ami ; et il lui dit que le jour qu’il avait entendu son premier sermon était le plus heureux de sa vie. Cette remarque pénétra tout particulièrement dans la pensée de M. Müller, bien qu’il eût déjà entendu des appréciations de ce genre ; et il entrevit la possibilité d’un ministère de la prédication s’étendant au-delà des limites de Bristol.

Tout aussitôt, il se mit à rechercher les directions du Seigneur à ce sujet. Il pria longuement, comme il faisait pour toutes choses, redoutant de prendre aucune décision qui ne fût pas selon Dieu. Et durant cette période d’attente, il lui apparut que c’était bien le Seigneur qui l’appelait à ce nouvel apostolat.

L’œuvre d’Ashley Down était alors universellement connue, et vraiment, il avait un message pour l’Église universelle : son long ministère, le volumineux courrier qu’il recevait, les confessions qu’il y trouvait parfois, les nombreux visiteurs qu’attiraient les orphelinats et leur fondateur (surtout celui-ci), tout cela et sa propre expérience des années qui avaient précédé et suivi sa conversion lui faisaient comprendre : les points faibles de la prédication en général, l’insuffisance du christianisme pratiqué par la plupart des chrétiens, leur manque d’obéissance sur bien des points de l’enseignement de Christ, leur anémie spirituelle.

Et sous le regard de Dieu, il décida qu’il prêcherait l’Évangile dans sa simplicité, et montrerait que le salut n’est pas basé sur nos sentiments ou notre foi, mais sur l’œuvre accomplie par Christ. Qu’il essaierait d’amener les chrétiens à prendre conscience de ce que le salut leur confère. (Tant de croyants et même tant de pasteurs ignorent la paix et la joie que donne le Seigneur ; ils ne peuvent donc les communiquer aux autres).

Qu’il s’emploierait à conduire ses auditeurs à la Bible pour y découvrir les trésors qu’elle renferme, pour les incliner à apprécier toutes choses d’après ce critère divin, pour leur conseiller la méditation quotidienne des Écritures ; et de traduire en obéissance immédiate l’enseignement donné. Il plaiderait la cause de l’amour fraternel parmi les croyants, encourageant tous ceux qui aiment le même Maître et se confient dans le même Sauveur, à s’élever au-dessus des barrières, lesquelles barrières empêchent la communion fraternelle.

Il travaillerait à fortifier et à développer la foi des chrétiens, en les encourageant à une confiance plus simple, plus enfantine, plus vraie, plus inébranlable en Dieu, qui répond invariablement à la prière faite avec foi, lorsque celle-ci s’appuie sur les promesses formelles, précises, énoncées dans sa Parole.

Il montrerait que le chrétien doit se séparer du monde, mourir au monde ; mais il mettrait aussi en garde contre les exagérations du fanatisme religieux. Enfin il dirigerait les regards de ses auditeurs vers l’espérance bénie du retour du Seigneur Jésus.

Il leur rappellerait en même temps le véritable caractère de la dispensation actuelle, pendant laquelle Dieu rassemble du milieu des nations l’Église militante, qui est l’Épouse mystique du Christ. Ainsi, il rappellerait aux chrétiens quelle est la position de l’Église par rapport au monde.

Voici un résumé succinct des voyages missionnaires de G. Müller ; ce qu’il nomme ses « Preaching Tours ». C’est le 26 mars 1875 qu’il quitta Bristol, accompagné de Mme Müller, pour dire à l’Église et au monde les expériences qu’il avait faites de la grâce et de la fidélité de Dieu.

Le premier voyage se fit en Angleterre : Brighton, Sunderland, Londres (au tabernacle de Spurgeon, et ailleurs), Newcastle on Tyne.

Les auditoires dépassaient souvent mille personnes, et atteignirent à trois reprises jusqu’à trois mille personnes.

Commencé le 14 août 1875, le deuxième voyage se continua jusqu’au 5 juillet 1876.

Moody et Sankey qui, à ce moment-là, avaient des réunions d’évangélisation, ne faisaient que passer d’un lieu à un autre. À leur suite, G. Müller va dans les endroits visités, pour y réunir les nouveaux convertis et les fortifier dans la grâce et dans la connaissance. C’est ainsi qu’il parcourut l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande.

De grandes assemblées vinrent l’entendre à Londres, à Glasgow, à Dublin, Leamington, Warwick, Kenilworth, Coventry, Rugby, Liverpool.

La première fois qu’il prêcha dans cette dernière ville, au Victoria Hall, il se trouvait dans l’auditoire un capitaine de la marine marchande, un ancien orphelin recueilli par M. Müller, qui se convertit. Puis G. Müller se rendit à Kendal, Carlisle, Edimbourg, Arbroath, Ballater, Crathie, Braemar, Inverness, Wick, Canisbury, Reading-en-Berckshire, et rentra à Bristol.

Le troisième voyage dura presque un an : commencé le 16 août 1876, il se termina le 25 juin 1877. Il nous intéresse plus particulièrement parce que, cette fois, G. Müller dirigeait ses pas vers l’Europe et qu’il visita la France, la Suisse, l’Allemagne, la Hollande.

Après quelques semaines de travail à Ashley Down et l’expédition des affaires des diverses branches de l’Institut biblique, écrit Mme Müller, après avoir prêché régulièrement dans les trois chapelles de Bristol dont il est l’un des pasteurs, M. Müller entreprit son troisième voyage, se sentant appelé par le Seigneur à travailler au service de l’Évangile en Suisse et en Allemagne ».

Il resta une dizaine de jours à Paris où il prêcha cinq fois en anglais à la chapelle de la rue Royale (Les détails qui suivent sont empruntés au livre rédigé par Mme Müller : Preaching Tours and Missionary Labours of George Müller).

M. et Mme Müller visitèrent Versailles et Charenton et en profitèrent pour distribuer des évangiles. Le 28, départ pour Dijon où ils passent la nuit ; le lendemain en route pour Neuchâtel et Berne où ils arrivent le 31. Le 1er septembre, G. Müller parla en allemand à l’Église Libre. Il y avait trente et un ans qu’il n’avait pas prêché en cette langue. L’assistance est telle qu’il faut tenir le second service à l’Église française dont le local est plus vaste.

Le 3 septembre, il s’adresse à un auditoire de quinze cents personnes à peu près, au Festhütte. Il visite l’orphelinat du Dr Bliisch et prêche tous les soirs jusqu’au dimanche 10 septembre. À trois heures, il prêche encore au Festhütte devant un auditoire estimé à deux mille personnes. Après quelques jours de détente à Lucerne et aux alentours, il continua sa tournée de prédications à Zurich et environs, à Saint-Gall, à Constance, Schaffhouse, Winterthur, Bâle. Puis il partit pour l’Allemagne et la Hollande… Nous trouvons dans le journal de M. Müller après le troisième voyage ce court résumé :

« J’ai prêché trois cent deux fois en soixante-huit endroits différents… Partout, j’avais été invité ; car mes travaux et mes écrits sont connus sur le Continent aussi bien qu’en Angleterre. Partout, la bénédiction de Dieu a accompagné mes pas de façon manifeste, ce qui m’encourage à persévérer dans ce ministère de la Parole, et à employer le soir de ma vie à aller de lieu en lieu, de pays en pays, aussi longtemps que le Seigneur m’en donnera les forces, et ouvrira le chemin devant moi.

Pendant notre absence, tout à marché à Bristol comme si nous y étions restés. Lorsque mon avis est nécessaire, je le transmets par lettre, et chaque semaine M. Wright m’écrit une ou deux fois.

Je tiens à faire remarquer que mon service de prédication itinérant ne dépend pas de l’œuvre de Bristol. Je n’ai pas entrepris ces voyages pour collecter, non plus que pour faire connaître l’œuvre, mais uniquement pour communiquer aux chrétiens et surtout aux jeunes, mon expérience et ma connaissance des choses divines, et pour annoncer l’Évangile aux inconvertis. Je ne fais même pas allusion à notre Institut, à moins qu’on ne me le demande.

Quatrième voyage : le Canada et les États-Unis (18 août 1877 – 8 juillet 1878. « À notre retour d’Europe, nous avons passé quelques semaines aux Orphelinats, écrit Mme Müller. Tout y allait bien. Après avoir longuement prié, M. Müller décida de répondre cette fois à l’invitation collective qu’il avait reçue d’Amérique ; c’est ainsi que le 18 août nous gagnâmes Liverpool pour nous embarquer pour le Canada ; car on nous avait fortement recommandé la traversée la plus courte : Liverpool-Québec.

Le dimanche matin, M. Müller prêcha à l’Albion Hall, le soir à Toxteth Tabernacle ; et trois fois encore en d’autres endroits durant notre court séjour à Liverpool. Le jeudi après-midi, le 23, nous sommes montés à bord du Sardinian (Allan Line) et avons quitté le port à sept heures le même soir. Le lendemain matin, nous fîmes escale à Moville (côte Nord de l’Irlande) pour y prendre le courrier, et nous avons continué notre route vers l’Atlantique. La cabine de pont que nous occupions était assez confortable, et bien que la mer fût démontée, le voyage fut assez bon.

Le 30 au soir, M. Müller fit un service pour les matelots et les passagers de l’entrepont, puis un second pour les autres passagers. Le 31, nous entrions dans le golfe du Saint-Laurent où la mer était démontée… Le soir, M. Müller parla dans l’un des salons. Toute la journée du 1er septembre, nous avons remonté le Saint-Laurent…

Sur le soir, nous accostions à Point-Louis, au sud de Québec. Une voiture nous conduisit à l’Hôtel Saint-Louis situé au haut d’une colline à pente rapide. Un volumineux courrier nous y attendait : lettres de bienvenue sur la terre américaine, et de multiples invitations à prêcher.

Le dimanche soir 2 septembre, M. Müller prêcha pour la première fois en terre canadienne à l’Église baptiste, puis à deux reprises dans un Hall de la ville. On aurait voulu le garder au Canada. Mais comme la lettre qui l’avait décidé à se mettre en route provenait des pasteurs des États-Unis, il nous sembla que nous devions nous rendre d’abord en ce pays, et plus particulièrement à Brooklyn où habitait M. Thwing… ».

Nous avons tenu à citer ces lignes du livre de Mme Müller ; elles montrent mieux que des commentaires l’activité inlassable de ce vieillard qui, de santé délicate, saisissait cependant sans jamais se lasser toutes les occasions d’annoncer Christ, en temps et hors de temps. Revenons au journal de G. Müller :

…En fondant l’Institut et plus particulièrement l’œuvre pour les Orphelins, j’espérais surtout que, par ce moyen, Dieu daignerait montrer à l’Église l’importance et la valeur de la prière, de sorte que la foi des chrétiens en serait fortifiée, et que le monde verrait la réalité des choses d’ordre divin et spirituel. Les résultats ont dépassé, et de beaucoup, toutes mes espérances ; que Dieu en soit loué !

Par correspondance, par des entrevues personnelles, j’avais déjà appris que pour des milliers de personnes, l’œuvre de Bristol avait été et était toujours en bénédiction. Et cependant tout cela n’est rien à côté de ce que j’ai vu et appris au cours de mes tournées missionnaires dans les Iles Britanniques, en Suisse, en Allemagne, en Hollande, au Canada et aux États-Unis.

Dans tous les endroits où j’ai prêché, généralement en des villes importantes, j’ai rencontré un grand nombre de personnes qui se sont converties, ou dont la foi a été fortifiée, ou qui ont remis plus complètement toutes leurs affaires entre les mains du Seigneur par la prière et la foi, après avoir lu l’un des Rapports de l’œuvre ou le « Récit des dispensations de Dieu avec G. Müller ».

De sorte que partout, j’étais reçu comme un ami qu’on connaissait et qu’on aimait depuis vingt ou trente ans, ou plus, en quelque endroit que je porte mes pas. En grand nombre, des chrétiens voulaient me voir ou me parler, ou écouter mes prédications ; des centaines de milliers vinrent ainsi me trouver dans tous les pays où je me trouvais, pour se fortifier de manière ou d’autre.

Durant l’année écoulée, j’ai travaillé en Amérique pour répondre à de multiples invitations, qui se faisaient de plus en plus pressantes. C’est après avoir examiné la question devant Dieu que je me suis décidé à ce voyage. J’ai prêché à Québec et dans toutes les villes principales des États-Unis…

À plusieurs reprises, et sur demande spéciale, je me suis adressé à un auditoire exclusivement composé de pasteurs. Ils étaient généralement de cent à deux cents, mais aussi trois cents, et une fois cinq cents. Je parlais généralement une heure et plus ; puis ils me posaient des questions sur les points qui les intéressaient davantage. Je compte ces réunions spéciales parmi les plus importantes de cette tournée.

J’ai aussi eu l’occasion de parler dans les universités, les collèges, les séminaires, et devant des assemblées de cinq cents à deux mille cinq cents ouvriers chrétiens.

J’ai prêché deux cent quatre-vingt-dix-neuf fois en anglais, et aussi en allemand parmi ceux de ma nation, devant des congrégations de blancs et de noirs et dans les églises de toutes les dénominations ; car j’aime tous ceux qui aiment le Seigneur Jésus-Christ, et j’essaie toujours davantage d’unir les enfants de Dieu.

J’ai prêché parmi les Épiscopaux, les Presbytériens, les Congrégationalistes, les Méthodistes épiscopaux, les Luthériens et les Baptistes. Partout les portes s’ouvraient, et j’y entrais avec joie, puisqu’on ne demandait rien que je ne puisse faire en toute bonne conscience.

Tout a bien marché à Bristol pendant mon absence. Certains journaux ont publié que j’avais reçu de très fortes sommes en Amérique pour l’œuvre de Bristol ; ce qui est faux. Tout ce qui m’a été donné dans ce but, soit un peu moins de quinze cents francs, n’est pas suffisant pour couvrir la moitié des dépenses d’un seul jour ».

Lorsque Dieu avait repris à M. Müller sa compagne, il avait été soutenu par sa foi, par l’assurance parfaite que « toutes choses travaillaient ensemble au bien de ceux qui aiment le Seigneur ». Mais pour lui, l’épreuve restait mystérieuse…

« Huit ans après, dit-il, la lumière se fit. Tout à coup, mes yeux s’ouvrirent. Et je compris qu’elle n’aurait jamais pu supporter les grandes fatigues de ces longs voyages, car elle avait soixante-treize ans lorsque Dieu la reprit ».

Et F.G. Warnes ajoute : « D’autre part, il ne pouvait être question pour M. Müller de voyager seul à cause de son grand âge ; et Dieu, voulant lui demander ce service missionnaire des dernières années, lui donna avec la seconde Mme Müller l’aide qui lui était indispensable ».

Cinquième voyage en Suisse, en France, en Espagne et en Italie (5 septembre 1878 au 18 juin 1879).

Durant cette tournée de prédication, j’ai parlé en anglais et en allemand, mais aussi en français après m’être remis quelque temps à l’étude de cette langue.

En Espagne et en Italie, je me suis servi de l’une ou l’autre de ces trois langues qu’on traduisait en espagnol ou en italien si la chose était nécessaire. Il a plu à Dieu de faire reposer sur ce voyage de prédication de très grandes bénédictions.

Après avoir prêché trois fois à Paris, je gagnai Berne en passant par Neuchâtel. Nous reçûmes en Suisse le plus chaleureux des accueils (Mme Müller consacre cinquante-deux pages de son livre à cette cinquième tournée ; elle donne le détail des localités visitées, le nombre de fois que M. Müller a parlé, et parfois aussi elle indique le sujet de la prédication.

Ainsi, pour le sermon d’adieu prêché à l’église française de Berne devant un immense auditoire, elle ajoute : À cette occasion, M. Müller prêcha avec beaucoup de puissance sur la seconde venue du Seigneur. À la fin du service, avant la bénédiction, le colonel von Büren se leva pour remercier le prédicateur au nom des chrétiens de Berne.

Puis comme elle vient d’énumérer toute une série de prédications données ici et là à Berne et environs, elle continue ainsi : le lecteur de ces lignes pensera peut-être : comment M. Müller peut-il remplir un tel emploi du temps, avoir de constants entretiens avec des étrangers, et cependant se nourrir lui-même spirituellement ? Quand prend-il le temps de fortifier « l’homme intérieur ?… », car ceux qui annoncent Christ ont plus que d’autres besoin de la grâce et de la sagesse divines ».

Par la bonté de Dieu M. Müller s’est toujours adonné à la méditation de la Bible et à la prière. Qu’il voyage ou se repose, un jour ne se passe pas sans qu’il étudie avec prière la Parole de Dieu ; et il donne à cette méditation tout le temps possible. Il est l’homme d’un seul livre : la Bible. Il s’attend habituellement à Dieu, et Dieu lui renouvelle jour après jour la vigueur et la force spirituelles. Toutefois je saisis cette occasion pour le recommander instamment aux prières des enfants de Dieu » (Preaching Tours, p. 88, 89).

À Yverdon, j’ai vu la veuve d’un cher frère que Dieu a rappelé à lui depuis bien des années. J’avais fait sa connaissance dès les débuts de mon ministère à Teignmouth en 1830 ; et c’est seulement en 1878, quarante-huit ans après, que sa veuve m’apprit que j’avais été l’instrument de sa conversion…

D’Yverdon, je gagnai Genève où je prêchai douze fois ; puis Lyon, Marseille, Nîmes, Montpellier et l’Espagne ».

Par Mme Müller, nous avons beaucoup plus de détails : nous savons que G. Müller fit une série de prédications à Neuchâtel où il resta du 30 septembre au 2 octobre puis à Lausanne où il demeura jusqu’au 25 octobre. Le service d’adieu eut lieu au temple allemand. À cette occasion, le pasteur Wagner le remercia au nom de l’Alliance évangélique.

Avant de quitter Lausanne le 23, M. et Mme Müller firent un pèlerinage au cimetière de la Sallaz jusqu’à la tombe de Manuel Matamoros, ce chrétien espagnol bien connu qui fut si longtemps emprisonné en son propre pays à cause de sa foi en Christ. Peu après sa libération, il mourait à Lausanne des suites des mauvais traitements subis en prison. Il n’avait que trente-deux ans. Sur la pierre tombale, on lit distinctement : Manuel Matamoros de Malaga, 8 octobre 1834 – 31 Juillet 1866. Puis ces textes en langue espagnole : Romains 8. 18, et 5. 2, Philippiens 2. 30.

« L’endroit du cimetière où se trouve cette tombe est très beau, ajoute Mme Müller ; bien que l’automne soit avancé, il est encore couvert de roses et d’autres fleurs en plein épanouissement… ».

À Genève, l’Alliance évangélique avait organisé toute une série de prédications dans de nombreux lieux de culte ; M. et Mme Müller y séjournent du 9 au 21 novembre. Ils vont voir les maisons de Calvin… Le 20, service d’adieu à l’Oratoire de l’Église libre.

À Lyon, G. Müller prêcha en anglais à la Chapelle Évangélique de la rue Lanterne, le vendredi 22 novembre, il fut traduit par M. Monod. « Beaucoup vinrent l’entendre ; la présence et la puissance du Saint-Esprit se firent particulièrement sentir, écrit Mme Müller, ce fut une excellente réunion ».

Puis elle mentionne que les protestants lyonnais eurent les plus grandes difficultés à obtenir un lieu de culte à cause de l’opposition. En 1851, Lyon n’avait pas de temple. Grâce à l’influence de l’ambassadeur anglais, les protestants allemands obtinrent un lieu de réunion, mais à condition que la prédication se fasse uniquement en allemand.

Après plusieurs autres services, à la Chapelle évangélique et à l’Église allemande, les voyageurs se dirigèrent sur Marseille où, le 27, G. Müller prêcha au Temple évangélique devant une nombreuse assistance, et en plusieurs autres endroits, en français et en allemand. À Nîmes, il prêcha à l’Église méthodiste et à l’Église libre, et alla jusqu’aux carrières de Lecques où l’Église nîmoise persécutée se réunissait pour adorer au temps de Louis 14.

À Montpellier, il prêcha trois fois à l’Église réformée indépendante, assista à une réunion de prières où il prit la parole… « Devant l’hôtel où nous logions, écrit Mme Müller, s’étend un terrain qu’on a récemment transformé en jardin public. C’est sur cet emplacement qu’en 1721 des pasteurs furent pendus à cause de leur foi ; c’est ici que d’autres serviteurs du Christ subirent le supplice de la roue. La personne qui nous donne ces détails, un descendant de huguenots, ajoute : « Nous avons été persécutés plus qu’aucune autre race sous les cieux… ».

Le 12 décembre, à 7 heures du matin, nous quittions Montpellier à destination de l’Espagne… ».

« Je désirais beaucoup voir de mes propres yeux les écoles qui sont entièrement soutenues, depuis de nombreuses années, par notre Institut de Bristol, écrit M. Müller ; et je voulais prendre contact avec l’œuvre missionnaire à laquelle nous avons envoyé tant de milliers de livres sterling durant les dix ans écoulés.

Nous avons fait un séjour de quinze jours à Barcelone, j’y ai parlé vingt-trois fois. C’est dans cette ville que nous avons eu la joie de rencontrer bien des frères qui sont au service de l’Évangile en terre d’Espagne. J’ai visité nos dix écoles de semaine dont M. Payne est le directeur. Elles sont fréquentées par sept cent cinquante-six élèves, presque tous catholiques. Les parents les laissent chez nous parce qu’ils apprécient beaucoup l’enseignement qui y est donné ».

« Le dimanche matin 15 décembre, nous avons assisté à un service célébré dans une salle d’école à Calle San Gabriel, Garcia : d’abord un frère aveugle pria, puis un autre frère lut plusieurs portions des Écritures, et M. Müller parla pendant près d’une demi-heure, traduit en espagnol par M. Payne. Ensuite, célébration de la sainte cène, chant d’un cantique, et prière finale.

Nous donnâmes alors de nombreuses poignées de mains à nos frères et sœurs espagnols ; et l’aveugle qui avait commencé le service levant un doigt vers le ciel nous dit en espagnol : « Là-haut nous parlerons tous le même langage ».

Le 19, nous avons accompagné M. Payne à Barcelonetta pour y visiter les écoles. C’est un quartier pauvre de la ville. M. Müller s’adressa aux écoliers de l’une des classes, et voici ce qu’il leur dit :

« Mes chers enfants, je vous aime tous beaucoup, et je prie pour vous tous les jours. Je désire ardemment vous rencontrer tous au ciel, un jour. Mais pour que vous puissiez y aller, en tant que pécheurs misérables, coupables et perdus, vous devez placer toute votre confiance en Jésus-Christ qui a pris sur Lui notre châtiment. Car c’est uniquement son sang qui peut nous purifier du péché ». Puis il leur parla des orphelins d’Ashley Down… » (Mme Müller).

Revenons au journal de G. Müller :

« De Barcelone, écrit-il, nous sommes allés à Saragosse (À Saragosse, il prêcha à deux reprises à l’église de M. Gullich ; ce monsieur voulut bien traduire. C’est après avoir visité la cathédrale de Nuestra Señora del Pilar où elle a été le témoin de nombreux actes de superstition grossière, que Mme Müller écrit ces lignes : « Pour connaître le catholicisme tel qu’il est en réalité, il faut l’avoir vu dans la catholique Espagne.

Dans nos pays protestants il se dégage de ses plus grossières superstitions… Quelle est donc grande, la responsabilité de ceux qui connaissent l’Évangile !), puis à Madrid, où j’ai parlé quinze fois… je ne pouvais que me réjouir en constatant que tant d’enfants à Barcelone et à Madrid se trouvaient par nos écoles en contact avec l’Évangile, et en pensant que, par eux, les parents aussi connaissaient plus ou moins la Parole de Dieu, puisque les enfants apprennent à la maison des passages de la Bible, et chantent dans leur langue nos beaux cantiques ».

Au retour, M. Müller prêcha à Bayonne, à Biarritz, Pau, Bordeaux, la Force, puis à Cannes, à Nice, à Menton. À la Force, il tint une réunion à « la Famille » et le lendemain prêcha au Temple devant un nombreux auditoire – plus de quatre cents personnes, écrit Mme Müller.

M. Bost dit à mon mari qu’il était admirable, et ne voulut pas entendre parler d’un interprète ; de sorte que M. Müller parla en français pendant une heure et quart ».

À Menton, comme la salle de l’Église libre était bondée, on dut laisser fenêtres et portes ouvertes. Bien des personnes écoutèrent dehors, assis sur des chaises au balcon ; parmi ces dernières se trouvait M. Spurgeon, que nous avons eu le plaisir de voir de temps à autre.

Nous avons aussi fait quelques promenades en voiture avec lui. Un après-midi que nous étions sur la route de Turin qui passe à Castiglione, alors que lentement notre équipage montait la colline par un chemin en lacets, M. Spurgeon, admirant le magnifique panorama s’étendant sous nos yeux dit :

« Quand je me trouve au milieu de semblables merveilles, j’ai l’impression que de la tête aux pieds tout mon être transporté va éclater en un cantique d’adoration et de louanges… ».

« De Menton, nous avons gagné l’Italie. J’ai prêché à Bordighera, à San Remo, à Gênes, à Pise, à Florence, à Rome ; dans cette dernière ville, vingt fois, en plusieurs langues, dont l’italien. Où que les regards se portent ici, vous voyez les signes de l’idolâtrie. (Nous avons vu, la Scala Santa, écrit Mme Müller, un long escalier de vingt-huit marches de marbre ; onze pèlerins y montaient en se traînant à genoux (pour gagner des indulgences). C’est là qu’un jour Luther montait aussi péniblement lorsqu’il entendit ces paroles dites comme par une voix du ciel : « Le juste vivra par la foi » (Rom. 1. 17).

Je considère donc comme un grand honneur d’avoir pu rendre témoignage à Christ, également dans cette ville. À Naples aussi j’ai prêché vingt fois dans les principaux lieux de culte. Là comme partout ailleurs, j’ai eu la joie d’entrer en relation avec bien des chrétiens, et de prêcher dans toutes les églises des diverses dénominations : c’est-à-dire dans celles qui reconnaissent Christ comme Chef, et sont fidèles aux vérités fondamentales de notre très sainte foi.

J’ai encore prêché à Bologne, à Venise, à Brescia, à Côme, Milan, Turin, enfin dans les vallées vaudoises du Piémont. De là, nous avons regagné Paris et Bristol ».

Les sixièmes et septièmes voyages eurent pour but l’Amérique et le Canada.

Partis en août 1879, M. et Mme Müller s’apercevaient au retour du premier voyage qu’il restait cent cinquante-quatre invitations écrites, auxquelles ils n’avaient pu répondre. Aussi, après deux mois de séjour à Bristol, ils traversèrent à nouveau l’Atlantique pour ne revenir qu’en mai 1881 en Angleterre.

G. Müller note qu’en Amérique il a recherché toutes les occasions de prêcher en allemand devant ses compatriotes et les Suisses allemands, qui sont nombreux en ces pays… À New York seulement trente mille.

Il remarque à l’occasion de la cinquième traversée de l’Atlantique, en septembre 1880, « qu’il n’a pas souffert du mal de mer ni de la moindre indisposition, et il en donne gloire à Dieu ».

« Lorsque, pour la première fois, la question du voyage en Amérique s’était sérieusement posée pour moi, dit-il, j’avais placé devant Dieu l’appel reçu et je lui avais dit que j’étais prêt à partir, malgré mon antipathie naturelle pour ce voyage : vingt-cinq fois déjà j’avais été sur mer pour son service, et j’avais été fort malade. Cependant j’étais prêt, s’il le voulait, à souffrir du mal de mer ou de tout autre indisposition, et même à risquer ma vie pour cette traversée.

Et quels furent les résultats ? Non seulement j’ai fait ces six longs voyages sur mer, sans souffrir le moins du monde, mais j’ai dû soigner ma chère femme, toujours très malade durant les premiers jours de la traversée ; j’ai annoncé à bord la Parole de Dieu et servi le Seigneur de plusieurs autres manières.

Si je note ce qui précède, c’est pour que mes frères bien-aimés ne permettent pas à la crainte de la souffrance ou de l’épreuve de les détourner d’un service que Dieu demande. Durant cette dernière traversée, j’ai pu prêcher à bord huit fois ».

C’est pendant ces voyages de prédication en Amérique que le Dr Pierson, l’auteur du livre « G. Müller de Bristol », rencontra M. Müller et qu’il l’invita à venir prêcher à Détroit, la ville qu’il habitait. Tous deux se virent souvent et eurent l’occasion de nombreuses conversations.

Le Dr Pierson soumit à M. Müller bien des questions dont les solutions ne le satisfaisaient point, ou encore il lui dit les conclusions auxquelles il était arrivé sur certains points controversés. Ainsi il s’élevait contre ce qu’on nomme le retour pré-millénaire (Avant le Millénium) du Seigneur Jésus. M. Müller lui répondit à ce sujet :

« Mon bien cher frère, j’ai déjà entendu tous les arguments et toutes les objections contre le retour pré-millénaire ; ils n’ont qu’un seul défaut, mais capital : pas un seul n’est basé sur la Parole de Dieu. Dans les choses divines vous n’arriverez jamais à comprendre la vérité, si vous ne mettez pas de côté vos préjugés, et ne cherchez pas, avec la simplicité d’un enfant, quel est le témoignage des Écritures ».

Et avec patience, avec sagesse, il démêla l’écheveau embrouillé de mes difficultés (A. T. Pierson).

Au moment des adieux, comme le Docteur Pierson lui exposait sa façon de voir sur le culte moderne qui a perdu la simplicité des temps apostoliques, sur la coutume néfaste de la location des places, et celle non moins funeste du traitement des pasteurs ; sur le devoir de ne nommer aux charges de l’Église que des hommes remplis du Saint-Esprit, et l’obligation pour les chrétiens de penser aux masses, devoir qu’ils négligent souvent honteusement, M. Müller répondit :

« Mon bien-aimé frère, le Seigneur vous a donné beaucoup de lumière sur tous ces sujets, et il vous en demandera compte. Si vous lui obéissez et si vous marchez dans la lumière, il vous donnera plus de lumière ; sinon ce que vous possédez déjà vous sera ôté ».

Ces quelques mots, prononcés il y a plus de vingt ans, ont eu une influence quotidienne sur ma vie, dit le Dr Pierson ; et ceci prouve la puissance des lèvres que le Seigneur a touchées, du langage qu’Il a sanctifié. Plus tard, lorsque, au milieu de subtiles tentations, j’ai été sollicité de suivre les traditions des hommes plutôt que la Parole de Dieu, les paroles de M. Müller sont revenues à ma pensée avec une force toujours nouvelle…

Nous risquons de perdre nos privilèges en n’en faisant pas usage, et d’émousser nos convictions en n’y conformant pas nos vies : « Emploie ou perds ». Telle est la règle divine : « On donnera à celui qui a…, mais à celui qui n ‘a pas, on ôtera même ce qu’il semble avoir » (Luc 19. 20).

L’hiver 1880-1881 fut extrêmement froid à New-York. Il y avait une trentaine d’années qu’on n’avait pas eu d’hiver aussi rigoureux. Les courses de douze à quinze kilomètres que M. Müller faisait chaque soir à Brooklyn ou ailleurs étaient extrêmement fatigantes…

« Poussé par l’amour de Christ, il n’en persévéra pas moins dans une activité que, généralement, on trouve épuisante à son âge. Il sentit le froid, mais Dieu ne permit pas qu’il en souffre ».

Le huitième voyage, commencé le 23 août 1881, dura jusqu’au 30 mai 1882. M. Müller visita l’Allemagne, l’Égypte, la Palestine, la Syrie, l’Asie-Mineure, la Turquie et la Grèce. Lorsque, ni l’anglais, ni le français, ni l’allemand n’étaient compris, il se servait d’un interprète d’arabe ou de turc.

Il s’adressa aux pèlerins russes qui vont en Terre sainte, aux étudiants, aux Juifs, il prêcha dans les Églises missionnaires, dans les prisons ; il annonça Christ en temps et hors de temps.

L’année 1882 fut une année difficile pour l’Institut de Bristol. Des amis de l’œuvre insistèrent auprès de M. Müller pour qu’il reste à Ashley Down ; c’était ses absences, pensaient-ils, qui étaient cause de la baisse des dons. M. Müller écoutait les conseils, mais se réservait de chercher auprès de Dieu la direction suprême.

Il avait constaté qu’avec M. Wright et ses nombreux collaborateurs, toutes les branches de l’œuvre n’avaient cessé de se développer harmonieusement et de porter des fruits. D’autre part Dieu mettait de façon manifeste sa bénédiction sur ses travaux missionnaires à travers le monde. Enfin, M. Müller avait la conviction toujours plus grande qu’il accomplissait bien l’œuvre que le Seigneur demandait des dernières années de sa vie.

D’ailleurs, même absent, il restait en contact avec l’Institut de Bristol ; et ses prières, de quelque endroit qu’elles montent vers Dieu, avaient évidemment une valeur identique à celle des prières qu’il aurait pu formuler à Bristol. Mais pour lui, la considération suprême fut celle-ci : accorder que sa présence à Bristol était nécessaire à la bonne marche de l’œuvre, c’était se mettre en opposition directe avec les principes qui avaient déterminé la fondation de celle-ci. La véritable confiance en Dieu ne se laisse pas ébranler par les circonstances ou les apparences.

C’est pourquoi, malgré le conseil affectueux des amis de l’Institut qui étaient aussi des donateurs, G. Müller crut devoir se remettre en route pour faire la preuve, si besoin était, que la présence d’aucun homme n’était nécessaire à Dieu pour faire son œuvre.

Il continua donc son activité missionnaire et fit encore neuf voyages pendant les dix années qui suivirent ; c’est-à-dire jusqu’en 1892.

Les derniers voyages missionnaires.

En 1882 il visita l’Europe centrale : l’Allemagne (Il avait alors soixante-dix-huit ans. C’est pendant ce voyage qu’il parla à Kroppenstaedt, sa ville natale, où il donna deux conférences sur sa vie et ses travaux. De tous côtés on vint l’entendre, de sorte que le plus grand local de l’endroit fut absolument rempli.

Puis il fit l’Autriche, la Hongrie, la Bohême, la Pologne, la Russie. En 1883, il se tourna vers les Indes et il écrivit à ce propos :

« Peu après ma conversion, en novembre 1825, j’avais essayé de partir comme missionnaire pour l’Inde…, et dans les huit années qui suivirent je m’étais encore offert à quatre reprises de façon très solennelle et avec prière, mais inutilement. Plus je priais, plus il devenait manifeste que Dieu voulait que je reste en Angleterre et que c’était là que je devais travailler pour Lui.

À soixante-dix-neuf ans, quelque cinquante ans après ma dernière offre de départ, je parlai à nouveau de l’Inde au Seigneur, et cette fois, Il exauça ma requête ».

À bord du navire où il a pris le passage, dans les ports où l’on fait escale, puis dans les villes visitées, partout, G. Müller évangélisa, prêcha, fortifia les frères. Il fut très particulièrement ému de compassion à la vue des multitudes encore sans Christ, surtout à Bénarès, la ville sainte des Hindous, avec ses deux cent mille habitants, ses quinze cent cinquante temples, ses mosquées, ses puits sacrés et ses bains sur la rive gauche du Gange, ses centaines d’écoles, ses vingt-cinq mille pandits (savants) qui y enseignent, et ses millions de pèlerins. C’était le contact avec le paganisme ; et le grand amour qu’il avait déjà pour les missions et les missionnaires s’en accrut encore…

Les années 1884 et 1885 furent consacrées au Pays de Galles, à l’Écosse et à l’Angleterre. En novembre 1885, M. Müller avait quatre-vingt ans ; il repartit pour l’Australie, la Chine, le Japon, la Malaisie. Il désirait rencontrer les missionnaires aidés par l’Institut Biblique pour les encourager, les fortifier. Partout sur son passage il annonçait l’Évangile.

En 1887 il se dirige vers l’Australie du Sud, et visite ensuite la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande, Ceylan et les Indes. À Calcutta il tomba malade à cause de l’extrême chaleur.

« Je restai à Calcutta quinze semaines jusqu’à ce que le thermomètre marque 110 degrés à l’ombre (degrés Fahrenheit). La chaleur devint alors torride, et nous n’avons pu la supporter davantage. Nous avons donc dû gagner Darjeeling sur les pentes de l’Himalaya.

(Durant la première partie du trajet en chemin de fer, M. Müller fut accablé par la chaleur de façon si excessive, et devint tellement malade, que Mme Müller pensa qu’il allait mourir).

D’autre part, durant certains de nos voyages, écrit G. Müller, nous avons aussi été exposés à des températures très rigoureuses : cinquante à cinquante-six degrés au-dessous de zéro. Il faut avoir passé par là pour comprendre quelles répercussions ces températures extrêmes peuvent avoir sur l’organisme, et quels malaises elles infligent.

Sur mer, nous avons eu à essuyer bien des tempêtes, et même un typhon. En chemin de fer, nous avons voyagé jusqu’à sept jours de suite (jour et nuit) sans interruption. Bien que de façon générale, nous ayons toujours eu le confort nécessaire dans nos voyages, cependant il est arrivé que nous ayons dû nous accommoder de moyens de locomotion très inférieurs et très fatigants.

À deux reprises, et bien que nous ayons occupé les meilleures cabines d’un navire de première classe, nous avons eu beaucoup à souffrir d’insectes (G. Müller dit : « insectes » sans spécifier leur nature). Aux États-Unis, dans la Nouvelle Galles du Sud, à Ceylan, aux Indes, nous avons été fort incommodés par les piqûres de moustiques ; enfin sur deux des navires de première classe où nous avons voyagé, les rats pullulaient, à ce point qu’ils couraient la nuit sur les passagers. Cependant jusqu’ici, le Seigneur nous a aidés et nous croyons qu’Il nous aidera jusqu’à la fin.

Lorsque la mousson commença de souffler et que la chaleur torride diminua, de sorte qu’il devenait possible de voyager sans danger, humainement parlant, nous avons quitté Darjeeling pour Simla, via Calcutta. C’est un long voyage de plus de deux mille kilomètres…

En route, nous avons rencontré bien des difficultés et avons été éprouvés de bien des manières, mais le Seigneur ne nous abandonna pas ; au contraire, en bien des circonstances, nous avons été comme portés par lui ».

Les voyageurs s’arrêtèrent encore dans plusieurs autres villes : Dehli, Agra, Cawnpore, Allahabad, Jubbulpore.

G. Müller prêche devant les Européens, les Eurasiens, les Américains, les Indiens ; pour ceux-ci, il se fait traduire…

C’est à Jubbulpore qu’un télégramme de M. Wright annonça à M. Müller la triste nouvelle de la mort de sa fille. Immédiatement, il s’occupa de retourner en Angleterre par le premier paquebot. Qui allait remplacer maintenant sa chère fille ? Depuis trente ans, elle se dépensait aux Orphelinats sans compter, et de façon bénévole, comme l’avait fait sa mère. Dieu l’avait reprise à lui le 10 janvier 1890, à l’âge de cinquante-huit ans ! M. Müller écrivit à propos de cette épreuve :

« J’aimais tendrement ma chère fille, et le coup fut très dur. Mais pour elle, c’est le terme des épreuves et des tristesses de cette vie, et il est évident qu’il lui est de beaucoup meilleur d’être avec le Seigneur.

Quant à moi, comme j’ai l’intime conviction que toutes choses travaillent au bien de ceux qui aiment Dieu, mon cœur demeure dans une paix parfaite. Je voudrais que tous ceux de mes chers frères qui passent par l’épreuve et n’ont pas encore saisi la vérité renfermée dans ce passage de l’épître aux Romains (8. 28) se l’approprient enfin, de telle sorte que leur cœur reste en paix à l’heure de l’épreuve ».

L’expression de la foi de G. Müller au sein de la douleur atteint une telle hauteur qu’elle a été souvent incomprise, peut-être même critiquée. Son amour est à ce point dégagé d’égoïsme qu’il peut se réjouir du bonheur de ceux qui le précèdent dans la Maison du Père, et par là il est apparenté à l’Amour divin.

Or, dans les pleurs versés sur les cercueils, que d’égoïsme souvent ! Que de fois l’âme endeuillée gémit sur soi-même et sur la perte qu’elle vient de faire ! Ainsi fait le monde ; aussi, quiconque aime assez pour être heureux du bonheur de ceux « qui se reposent de leurs travaux » auprès du Seigneur, est facilement taxé d’insensibilité, de froideur.

G. Müller, dans son humble dépendance du Père céleste, et sa foi inébranlable en l’Amour éternel, détourna les yeux de lui-même, de ce que les hommes nomment « une perte cruelle ». Il ne chercha pas dans le cercueil sa dernière enfant, son unique enfant. Il la chercha auprès du Seigneur ; il songea à son bonheur et en fut consolé. Cette attitude de la foi dépasse infiniment les mesures ordinaires, et seuls la comprennent ceux qui marchent avec Dieu.

En mars 1890, les voyageurs rentraient à Bristol et, dit M. Müller : « Je n’ai que des actions de grâce à rendre à Dieu, de ce que l’œuvre n’a cessé de prospérer sous la sage direction de M. Wright ».

Le seizième voyage conduisit en Allemagne et en Suisse l’infatigable missionnaire qui avait maintenant quatre-vingt-cinq ans. Partis de Bristol le 8 août, ils y rentraient tous deux le 5 juin 1891 pour entreprendre presque aussitôt le dix-septième voyage en Allemagne, en Hollande, en Autriche et en Italie, qui prit fin en mai 1892.

Bien des chrétiens compétents estiment que les voyages missionnaires de G. Müller furent l’œuvre la plus importante de sa vie. Ceux-ci s’accomplirent sur dix-sept années durant lesquelles il parcourut quarante-deux pays, et parla à des auditoires dépassant bien souvent un millier de personnes.

Ces voyages entraînèrent de grosses dépenses. Les sommes nécessaires furent trouvées en réponse à la prière comme pour toutes les autres branches de l’Institut.

Désormais M. et Mme Müller restèrent à Ashley Down où ils s’installèrent dans l’une des Maisons. Toute sa vie, G. Müller avait été un infatigable travailleur, il continua de l’être. Se levant de très bonne heure en hiver aussi bien qu’en été, il avait généralement parcouru son courrier avant huit heures. Probablement celui qui était arrivé la veille ? Il recevait alors ses collaborateurs et leur distribuait la besogne.

En 1892, un représentant du « Commonwealth Christian » alla voir G. Müller à Ashley Down, et il écrivit ce qui suit à l’occasion de sa visite :

« M. Müller vit dans l’un des orphelinats. J’avais sollicité une entrevue et il m’a reçu sur rendez-vous. Au jour dit, j’ai été conduit au haut d’un escalier de pierres puis dans un grand corridor sur lequel s’ouvrent des portes à intervalles réguliers. On a poussé l’une d’elles, je suis entré et me suis trouvé devant M. Müller. La pièce où l’on venait de m’introduire était meublée simplement…

Aux murs quelques textes ; sur la table, une Bible ouverte : qu’on vient de lire sans doute. Je m’attendais à voir un vieillard affaibli, d’aspect vénérable, et ployant sous le poids des ans. À ma grande surprise, M. Müller me donna une impression tout autre : celle d’une vigueur physique très grande. Il se tient parfaitement droit, et pour autant que j’ai pu en juger lorsqu’il m’accompagna au départ, dans le corridor, son pas est allongé et rapide.

La figure est austère ; les traits accentués révèlent qu’il doit être par plus d’un côté un homme de fer. Cependant il sait sourire, et quand cela lui arrive, vous voyez l’homme sous un tout autre aspect. Il donne une profonde impression de dignité. Ses manières sont celles d’un prince : il est courtois et aimable. Sa parole est nette, facile, mais on y discerne l’accent allemand.

Voici un homme de quatre-vingt-sept ans qui dirige l’œuvre la plus remarquable du monde. L’étendue de son activité peut se mesurer à ce seul détail qu’il a sept secrétaires pour la correspondance uniquement. Il arrive qu’on entende cette question : Dieu exauce-t-il la prière ? Que celui qui cherche sincèrement une réponse à ce sujet étudie l’histoire de l’Institut de Bristol…

Les sceptiques, comme le professeur Huxley, veulent des preuves. En voici une, et elle n’est pas constituée par un fait seulement mais par des milliers de faits ; elle n’est pas éphémère mais s’étend sur plus d’un demi-siècle. Si les faits ont quelque valeur, quelque signification, il est impossible que la science ignore le monument élevé par la foi de G. Müller : l’existence des orphelinats d’Ashley Down ».

Nous avons dû passer rapidement sur l’activité des années missionnaires. Que de faits intéressants cependant ! Que d’œuvres fondées après la lecture du « Récit » et dont G. Müller put visiter quelques-unes. Ainsi celle du Dr Cullis pour tuberculeux, près de Boston. « Sans votre exemple, tout ceci n’existerait pas », lui dit le fondateur, au cours de la visite.

Ch. 17. L’Appel. Mort de la seconde Mme Müller. 13 janvier 1895.

« Il a plu à Dieu de reprendre à lui la chère compagne des vingt-trois années écoulées ; exactement vingt-trois ans et six semaines… Plus que jamais je veux garder les yeux fixés sur Dieu et cette promesse de sa Parole : « Toutes choses travaillent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rom. 8. 28).

…C’est en mars 1875 que, ensemble, nous avions commencé la série des voyages missionnaires. Mme Müller n’a jamais parlé en public ; mais sa collaboration était extrêmement précieuse. Elle m’aida à placer et à distribuer des milliers et des milliers de Bibles et de traités en de nombreuses langues ; elle reçut de nombreux visiteurs, et s’entretint avec des milliers de personnes inquiètes au sujet de leur âme.

Je considère que mes voyages missionnaires constituent la partie la plus importante de l’œuvre que le Seigneur m’a demandée. Or, pour bien des raisons, je n’aurais pu voyager seul, et la chère femme de mes premières années, si elle avait vécu, aurait été bien trop avancée en âge pour supporter les fatigues de longs voyages.

J’ai donc compris, plusieurs années après ma grande épreuve, les dispensations de Dieu à mon égard ; et j’ai pu constater dès ici-bas que toutes choses travaillent ensemble au bien de ceux qui aiment le Seigneur.

Peut-être dis-tu, cher lecteur : « Et maintenant ? » Maintenant je m’attends toujours à ce que se vérifie la promesse de Romains. Ma solitude est très grande ; mais je loue Dieu sans cesse pour tout ce qu’Il m’a donné pendant tant d’années, et pour ce qu’il a maintenant repris : étant bien convaincu qu’Il agit toujours pour le plus grand bien de ceux qui l’aiment.

Ma chère femme m’a dit bien souvent qu’elle avait constamment demandé à Dieu qu’Il veuille bien la remplir de son Esprit. Elle possède maintenant parfaitement ce après quoi elle soupirait, et possède en la présence du Seigneur un bonheur qui dépasse ce que les mots terrestres peuvent exprimer. Sa joie m’aide à supporter ma solitude ; bien plus, elle m’amène à louer Dieu…

Si je publie ces réflexions, c’est parce que je crois que mon service ici-bas consiste très particulièrement à consoler les affligés, et à fortifier la foi des enfants de Dieu… ».

Ce ministère de consolation et d’édification qu’il considère comme celui que le Seigneur lui a confié, G. Müller s’en acquitte avec fidélité, et il atteint le but proposé. Nous en trouvons une nouvelle preuve dans le récit fait par une personne qui assista au service funèbre de la deuxième Mme Müller :

« J’ai pu assister vendredi dernier à « Stokes Croft Chapel » au service funèbre de Mme Müller, cérémonie d’une austère simplicité qui est peut-être unique dans l’histoire du monde. Là, le patriarche vénérable officia lui-même malgré son grand âge, soutenu par cette foi qui le rendit capable d’accomplir de grandes choses, et qui le porta dans toutes les vicissitudes, toutes les épreuves, tous les travaux d’une longue vie, laquelle manifeste un christianisme peut-être sans précédent dans l’histoire de notre race.

Sa foi ne semble pas touchée par l’épreuve ni par l’âge : sous le coup du plus douloureux dépouillement, elle semble inébranlable.

Quel fait de l’histoire classique chanté par les plus grands poètes, quel sujet fixé sur la toile par les anciens maîtres, ou devenu le thème de l’éloquence des plus grands orateurs, pourrait soutenir la comparaison avec celui dont je parle : ce grand homme, cet homme bon, disant devant la mort, en ce siècle de doute, de négation et de ritualisme, sa foi illimitée en Dieu ; tandis que, de toute sa personne, émanait quelque chose qui affirmait les réalités de la communion avec le Seigneur, d’une communion intense, personnelle, réelle, directe, et toute suffisante…

Il semblait vivre en une sphère supérieure. Quant à ses paroles, il était évident qu’elles n’étaient pas seulement une prédication pour les autres, mais que sa foi le portait vraiment dans la plus douloureuse des épreuves… ».

Foi inébranlable en la Parole de Dieu. Invité à prendre la parole en 1897 à une réunion de la Société biblique britannique et étrangère à Birmingham, et ne pouvant s’y rendre, G. Müller écrivit ces lignes :

« Auriez-vous la bonté de lire à l’assistance ce message : Depuis soixante-huit ans et trois mois, c’est-à-dire depuis juillet 1829, je suis « a lover » (On pourrait traduire : « J’ai un grand amour pour la Parole de Dieu » mais la pensée de G. Müller perdrait de sa force) de la Parole de Dieu ; et cela sans interruption.

Je l’ai lue bien plus de cent fois avec méditation et prières ; en général quatre fois dans l’année. Mon grand amour de la Bible et mon intime conviction qu’il fallait la répandre m’ont amené à demander à Dieu qu’il m’emploie comme instrument de sa diffusion et m’en donne les moyens. Il a bien voulu m’exaucer, de sorte que j’ai pu envoyer des exemplaires en grand nombre par toute la terre et en diverses langues. Avec ce résultat, que des milliers de personnes ont été amenées à la connaissance de Jésus par leur seule lecture ».

Dernières années. La direction de l’Institut biblique, celle des Orphelinats et le ministère pastoral occupèrent les dernières années de G. Müller ; mais il cessa de prêcher le soir. Il donnait toujours son concours aux églises qui l’invitaient à le faire, et ses discours où la vérité était soulignée par des exemples tirés de sa vie extraordinaire, étaient en grande bénédiction, surtout aux jeunes. Il n’était jamais fatigué de dire ce que Dieu avait fait pour lui.

Sa santé était généralement bonne. Cependant, au cours de l’été 1897, les grandes chaleurs le fatiguèrent beaucoup. Il tomba malade, et on craignit pour sa vie : le cœur s’affaiblissait, le pouls devenait irrégulier et il dit à son docteur : « C’est la fin, n’est-ce pas ? » Cependant il se rétablit pour quelque temps encore.

La dernière prédication de G. Müller (6 mars 1898). « Le dimanche matin 6 mars, écrit M. Bergin père, M. Müller prêcha à Alma Road Chapel, Clifton. Nous donnons ci-après quelques notes du sermon qu’un auditeur, un ami, nous a communiquées. Il lut d’abord le chapitre 6 du prophète Ésaïe, puis le chapitre 12 de l’évangile selon saint Jean, versets trente-sept à quarante et un.

« Ésaïe dit ces choses lorsqu’il vit sa gloire et qu’il parla de lui ». Ce verset prouve que ce que nous venons de lire au chapitre six d’Ésaïe s’applique bien à notre adorable Sauveur Jésus-Christ, et à sa gloire. Dans toutes les Écritures, nous n’avons pas d’autre passage qui décrive à un plus haut point sa majesté et sa gloire.

Lisons-le donc à nouveau et étudions-le verset par verset, en l’appliquant à notre adorable et cher Sauveur.

Le verset premier nous donne l’époque de la vision : « L’année de la mort du roi Ozias ». Ces quelques mots évoquent à notre pensée la vie de ce roi. Tout alla bien pour lui jusqu’à ce qu’il devint puissant et qu’il fut exalté ; alors il s’enorgueillit, alla dans le temple et offrit l’encens à l’Éternel, au mépris du commandement de Jéhovah lequel confie ce soin aux seuls sacrificateurs.

C’est alors qu’il fut frappé de la lèpre. Il y a là pour nous, une grande leçon, une leçon importante, où nous trouvons une invitation à rechercher l’humilité, à prier pour être gardés de l’orgueil et du contentement de soi, ce qui fut le péché d’Ozias.

Au verset deux, nous lisons : « Des séraphins se tenaient au-dessus de Lui ». Il est environné par les anges de l’ordre le plus élevé : les séraphins. « Chacun avait six ailes, de deux ils couvraient leurs faces ». L’humilité de ces créatures qui occupent cependant une situation si élevée leur interdit de regarder le Seigneur.

Voilà qui nous convie à essayer de nous considérer avec plus d’horreur encore, à cause de nos multiples transgressions ; à nous juger indignes de regarder celui qui est Saint.

Verset cinq : « Malheur à moi ! » Tel est le cri du prophète qui a conscience de son péché, en la présence de celui qui est infiniment saint : « Malheur à moi, je suis perdu » à cause de mon iniquité.

Versets six et sept : l’autel représente le Seigneur Jésus-Christ, et le charbon ardent est le symbole de son sang. De même que le charbon qui toucha les lèvres du prophète le purifia de son péché, le nettoya, et lui permit de rester en la présence divine, il en est ainsi du sang de Jésus pour nos péchés innombrables, le sang qui fait que nous sommes purs et sans tache au regard de Dieu.

Position extraordinaire, joie indicible que celles du racheté qui a saisi par la foi dans le sang du Seigneur Jésus (dont nous allons rappeler la mort en rompant le pain), tout ce qui lui est conféré.

Verset 8 : ce que fit le prophète en s’offrant au Seigneur dès que retentit l’appel, nous devons aussi le faire. Quels que soient le travail, les affaires, le service, que le Seigneur demande de nous, que nos cœurs soient prêts à répondre par l’affirmative, comme le fit Ésaïe…

Suivre l’appel, répondre à l’appel, impose souvent un travail pénible, douloureux. Le prophète doit endurcir le cœur des enfants d’Israël et aveugler leurs yeux… Ministère douloureux. Mais comme serviteurs du Très-Haut, nous avons à faire ce que le Seigneur demande : que ce soit agréable ou non…

Versets 10 à 12 : il est rare que nous trouvions dans la Bible des jugements aussi terribles que celui-ci. Si celui dont il est ici question tombe sur Israël, c’est que Dieu lui a envoyé ses prophètes, et qu’il ne les a pas écoutés.

Ce jugement subsiste encore aujourd’hui ; cependant Israël est toujours et quand même le peuple élu, et les promesses faites à Abraham, Isaac et Jacob auront leur accomplissement…

Quant à nous, nous devons réfléchir à ceci : qu’une sentence identique aurait pu nous atteindre. Ainsi en ce qui me concerne, mes yeux auraient pu ne plus voir, mes oreilles ne pas entendre, non cœur aurait pu s’endurcir si, me châtiant avec justice, Dieu m’avait fait selon mes péchés…

Avec quelle pitié, quelle miséricorde, quelle tendresse, il s’est penché vers nous en Jésus-Christ… Ce qu’il a commencé, Il l’achèvera… Encore un peu de temps, et il nous prendra à lui… Glorieuse promesse, brillante perspective, qui nous appartiennent à nous misérables pécheurs, par la foi en. Jésus-Christ ! Enfin nous demeurerons dans la Maison du Père ! Enfin nous le verrons…

Celui qui a donné sa vie pour nous, et nous pourrons baiser ses pieds et ses mains ! Espérance infiniment précieuse ! Encore un peu de temps, encore un peu de temps, et tout sera accompli Nos cœurs devraient être un continuel cantique de louanges et de reconnaissance à Jésus-Christ… Ô le précieux sang de Jésus-Christ ».

Le lendemain, le lundi soir, 7 mars, il assista à la réunion de prière de Béthesda, à l’issue de laquelle il salua très chaleureusement quelques amis. Le mardi et le mercredi, il fit son travail habituel aux Orphelinats, mais sur le soir, il dit à M. Wright s’être senti très faible le matin en se levant, et avoir dû se reposer trois fois en s’habillant. Cette sorte de faiblesse avait disparu au cours de la journée, et, ajouta-t-il « Je me sens à nouveau tout à fait bien » (I feel quite myself again).

M. Wright suggéra qu’il ne devrait pas se lever d’aussi bonne heure, et garder quelqu’un près de lui. « Et le courrier ? », répondit M. Müller. M. Wright qui demeurait à Bristol, offrit de venir plus tôt chaque jour. « Disons que je commencerai demain ? », ajouta-t-il. Mais M. Müller fit un geste de la main pour protester en disant : « Ne parlons pas de demain ».

Ce même soir il dirigea lui-même la réunion de prière hebdomadaire de la Maison n° 3, celle qu’il habitait. Il fit chanter l’un de ses cantiques préférés.

Là-haut la multitude innombrable

Dans ses cantiques de louange, chante le Nom de Jésus

Elle récuse tous mérites personnels,

Mais elle proclame uniquement ceux de Jésus.

Pour terminer, il indiqua le cantique : « We will sing, of the shepherd that died – That died for the sake of the flock » (Nous chanterons au sujet du berger qui mourut, qui mourut pour le salut du troupeau).

Ce fut le dernier cantique qu’il fit chanter ici-bas.

L’appel. Lorsque la réunion du soir fut terminée G. Müller se retira à l’heure accoutumée ; et quand il dit bonsoir à M. Wright, il semblait jouir de sa santé habituelle.

Le lendemain matin, le jeudi 10 mars, à sept heures, la servante porta le thé qu’il prenait généralement à ce moment-là. Elle frappa, et comme on ne répondait pas, elle entra, et vit M. Müller étendu sur le plancher près de son lit.

Le docteur Eubulus Williams, appelé à la hâte, déclara que la mort devait remonter à une heure à peu près, et qu’elle avait été causée par une syncope. Depuis quelque temps déjà, M. Müller avait pris l’habitude d’absorber un peu de nourriture pendant la nuit. Il se leva probablement pour prendre le verre de lait et le biscuit qu’on avait placés sur la table de toilette, et dut tomber à ce moment-là.

« Cher M. Müller ! s’exclama une chrétienne en apprenant la nouvelle, Dieu lui aura murmuré : « Viens », et il s’est tranquillement évadé pour gagner la Maison du Père ».

La nouvelle de sa mort souleva dans tous les milieux une très grande et très profonde émotion. Au Synode national des Églises Libres qui se tenait à ce moment-là à Bristol, une motion de reconnaissance envers Dieu fut votée pour la vie et l’œuvre de G. Müller.

Le dimanche suivant, presque tous les prédicateurs de Bristol, à quelque Église qu’ils aient appartenu, firent au moins une allusion au départ de celui qui avait si fidèlement servi le Seigneur, tellement aimé les déshérités, et ajouté de la sorte un nouveau chapitre aux glorieuses annales du Christianisme.

George Müller avait pris pour devise quelques mots de ce verset de l’épître aux Philippiens : « Frères, pour moi je ne crois pas avoir encore atteint le but, mais je fais une chose : oubliant ce qui est derrière moi et m’élançant vers ce qui est devant moi, je cours vers le but pour obtenir le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ » (Phil. 3. 13).

« Je fais une chose »

Telle était sa devise, et elle dépeint bien son idéal constant, son unique désir, et l’élan de sa course vers le ciel. Dès que Christ l’eut saisi, Christ seul compta pour lui. Sans arrêt, sans faiblesse, il suivit le Sauveur, parcourant sur sa trace l’extraordinaire carrière dans laquelle sa foi grandissant sans cesse des exaucements obtenus atteignait ces sommets sublimes où dès ici-bas, elle se transforme en vue.

Cette vie de constante communion avec Dieu avait forcément une répercussion sur le physique. Le Docteur Pierson raconte que lorsqu’il rentra en Amérique en 1866, après son premier voyage en Europe, il rencontra à bord du « Persia » un pasteur unitarien de Boston, qui était allé voir G. Müller à Bristol.

Ce pasteur racontant l’entrevue, disait à ses compagnons de voyage : « J’ai eu très vivement l’impression de parler avec l’un des princes de la Maison de Dieu ; avec quelqu’un qui, comme Moïse, lui parle face à face ».

Parmi les nombreuses personnes qui montèrent jusqu’à Ashley Down pour y saluer le vétéran que Dieu venait de rappeler, on put remarquer une dame manifestement très âgée. Elle avait voulu revoir celui qui, soixante ans auparavant, l’avait recueillie et élevée, alors qu’elle était seule et sans soutien ici-bas.

« Je fais une chose »

« Je fais une chose ». Cette chose : manifester que Dieu est, et qu’Il est le rémunérateur de ceux qui croient, G. Müller l’a accomplie. Sa vie a manifesté et manifeste encore que Dieu entend toujours la prière, qu’aujourd’hui encore, toutes choses sont possibles à celui qui croit, et « il a obtenu le témoignage d’être agréable à Dieu ».

Appendice

La cérémonie funèbre

    La mort de George Müller frappait l’Église tout entière ; la multitude de ceux que sa foi avait fortifiés, encouragés, le grand nombre de ceux que son amour chrétien avait recueillis, entourés, élevés, ou simplement secourus, pleurèrent son départ comme on pleure celui d’un parent aimé et vénéré.

    Ce fut le 14 mars 1898 que la dépouille mortelle fut conduite au champ du repos. Ce jour-là, hommes et femmes de toutes les situations sociales et de toutes les croyances laissèrent le travail accoutumé ou les distractions habituelles, et se rendirent par dizaines de milliers sur le long parcours qui va des hauteurs d’Ashley Down à Bristol jusqu’à « Bethesda Chapel », et de là à « Arno Vale Cemetery ».

    Le drapeau de la cathédrale et ceux des autres églises étaient en berne, les cloches sonnaient le glas, et dans toutes les principales artères de la ville, les magasins restèrent fermés et les stores baissés : Bristol était en deuil !

    De bonne heure, un service fut célébré dans la Maison même où s’était produit le décès. Le cercueil avait été placé dans la grande salle à manger devant le pupitre : un cercueil tout simple en bois d’ormeau et sans fleurs, pour se conformer aux désirs du défunt. Sur le couvercle était fixée une plaque de cuivre avec cette inscription gravée :

    « George Müller s’est endormi le 10 mars 1898, dans sa 93ème année ».

    M. Wright prononça quelques paroles d’exhortation rappelant que tous doivent passer par la mort jusqu’au moment où Christ reviendra, mais que « ceux qui meurent dans le Seigneur sont heureux dès maintenant ».

    Un grand nombre d’orphelins sanglotaient ; ils perdaient en M. Müller un père, et beaucoup de ces enfants n’en avaient jamais connu d’autre. Le service terminé, le cortège se forma. Le cercueil fut porté à bras à travers la propriété jusqu’aux grandes portes d’entrée où stationnaient le char funèbre et quelque cinquante voitures pour les parents, les amis et les collaborateurs. Il y avait une lieue entre Ashley Down et Béthesda et un long parcours entre la chapelle et le cimetière.

    Orphelines et orphelins suivaient le cercueil, et parmi ceux-ci se trouvaient quelques hommes d’âge qui avaient été recueillis tout petits par le fondateur de l’Orphelinat.

    Ensuite venaient les parents, les amis, les anciens et les diacres des églises plus particulièrement en rapport avec le défunt, les médecins des Orphelinats et tout l’état-major des collaborateurs… Une cinquantaine d’autres voitures suivaient ensuite avec les délégations des divers corps ecclésiastiques, etc.

    Arrivés à Park Street, les enfants quittèrent le cortège et retournèrent à l’Orphelinat. Parents et amis entrèrent à Béthesda Chapel où des places leur avaient été heureusement réservées. Si l’église avait eu plusieurs fois les dimensions qu’elle avait, elle eût encore été trop petite ; chaque mètre carré était occupé. Presque toute la congrégation avait pris le deuil.

    Le cercueil fut placé devant la chaire : M. Bergin indiqua le dernier cantique qu’avait fait chanter M. Müller la veille de sa mort, puis la prière fut faite par M. Mc Lean, et M. Wright prononça le sermon en prenant son texte dans l’épître aux Hébreux, chapitre 13 versets 7 et 8.

    Après que M. Wright eût terminé, ce fut M. Benjamin Perry, un intime ami du défunt, qui prit la parole.

    Nous citerons quelques extraits de son discours, lesquels jettent un peu de lumière sur l’impression que Müller donnait à ceux qui l’entouraient. Lui-même disait toujours en parlant de lui-même qu’il était « vil et misérable » :

    « Nous sommes réunis, mes chers amis, pour apporter un dernier tribut d’amour à celui qui n’a jamais recherché les honneurs d’ici-bas et qui a été cependant, à mon avis, le plus grand homme de Bristol en cette génération. Sa vie a rayonné sur le monde entier…

    Quant à nous, paroissiens et amis, nous ressentons un vide, une perte, que rien ne pourra combler ;… la terre s’est appauvrie, mais le ciel s’est enrichi,… le ciel où il a été recueilli avec les paroles de bienvenue : « Bien, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Seigneur ».

    « Il eut à traverser de très douloureuses épreuves… J’ai eu le privilège de son amitié et de son affection pendant de longues années, et si je devais peindre en quelques mots mon bien-aimé frère, je dirais ceci : sauvé d’une vie de péché par l’Amour incommensurable du Père, il aima Dieu en retour d’un amour immense, absolu, par-dessus toutes les choses d’ici-bas et toutes les créatures, trouvant sa joie la plus haute à Lui plaire et à Le servir, ce qu’il considérait aussi comme un très grand privilège…

    Et comment ne rien dire de son humilité. Il n’était jamais rien – et Christ : tout. Il y a peu de temps un ami lui disait : « Quand Dieu vous appellera, cher M. Müller, vous serez comme un navire qui entre au port toutes voiles déployées ». Ce à quoi il répondit : Oh non ! je ne serai jamais que le pauvre George Müller qui a besoin de répéter chaque jour la prière : « Garde mes pieds de glisser » (Ou « Soutiens-moi afin que mes pieds ne glissent point » (Ps. 17. 5).

    Des vies passées au service de Dieu puis se détournant du droit chemin dans la vieillesse, comme celles des rois Salomon et Asa, étalent pour lui un solennel avertissement qui l’incitait à demander à Dieu de le garder de toute chute en sa vieillesse.

    Quelques-uns, en pensant à lui, disent peut-être : un géant est tombé ! Non chers amis, il n’est pas tombé ; mais Dieu l’a appelé à prendre possession de l’héritage qui lui était réservé.

    « Pour la première fois, mercredi dernier, il dit avoir senti la faiblesse et la fatigue…, et la même nuit, l’escorte céleste venait le chercher pour le conduire triomphalement devant le Seigneur…, qu’il servait depuis plus de soixante-dix ans… ».

    Après le service à la Chapelle, de nombreux équipages, quatre-vingts à peu près, se joignirent au cortège, entre autres, la voiture de gala du maire de Bristol… Il fallut une heure pour arriver au cimetière où s’étaient rassemblées plusieurs milliers de personnes.

    Le service commença par le cantique : « I rest in Christ » (Je me repose en Christ), que chantèrent quelque sept mille voix ; les flots d’harmonie se répercutaient sur les pentes de la colline. Ce fut un instant solennel et sublime.

    Après la prière, M. Fred-G. Bergin (L’auteur de l’Autobiographie du Centenaire où nous avons largement puisé pour écrire ces pages ; le père de M. Wm. M. Bergin, qui a bien voulu écrire quelques lignes de préface pour cette édition française de la vie de G. Müller) prononça quelques paroles en prenant pour texte 1 Corinthiens 15. 10, et dont voici un court extrait : « M. Müller vivait de façon constante en communion avec Dieu par la prière…

    Celle-ci était bien, selon l’expression du poète : sa respiration. Sur ce point-là, nous croyons qu’il n’y a pas de vie d’homme qui ne soit jamais parvenue au niveau que la sienne a atteint… ».

    M. Bergin termina par un appel aux inconvertis, puis indiqua comme dernier cantique celui-là même que George Müller avait indiqué à la fin de la réunion de prière du mercredi précédent.

    La prière termina la cérémonie, puis le cercueil fut descendu dans la tombe. Presque tous les assistants défilèrent alors, recueillis, devant la fosse ouverte, en dernier hommage à celui que Dieu venait d’appeler à Lui.

    De nombreux orphelins demandèrent à offrir la pierre funéraire comme ils l’avaient fait pour la première Mme Müller, les dons affluèrent aussitôt ; mais M. Wright fit savoir que le défunt avait souvent exprimé le désir qu’on ne fît pas de dépense inutile et qu’on se contentât d’une simple pierre.

    Dans le grand public, on parlait de faire élever une statue ; la presse s’en occupait et on consulta M. Wright. Celui-ci dans une lettre motivée répondit qu’il ne pouvait entrer dans ce projet qui n’aurait certainement pas eu l’approbation de M. Müller.

    Une pierre fut donc dressée sur la tombe avec les indications habituelles de noms et de dates, puis suivent ces lignes :

    « Il crut en Dieu à qui rien n’est impossible et en son Fils bien-aimé, notre Seigneur qui a dit : « Je vais à mon Père et tout ce que vous demanderez en mon nom je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils ; et en sa Parole inspirée qui déclare « Que toutes choses sont possibles à celui qui croit » et Dieu accomplit ses promesses dans la vie de son serviteur, en lui donnant les moyens d’élever environ dix mille orphelins.

    Cette pierre a été érigée avec le produit des dons spontanés d’un grand nombre de ces orphelins.

    • Le testament

    Par celui-ci, George Müller demandait que l’œuvre des Orphelinats et les autres branches de l’Institut biblique continuent avec les mêmes principes qui avaient présidé à leur fondation, et il nommait M. Wright seul directeur. Il le désignait aussi comme héritier, lui léguant ce qu’il possédait en propre : meubles, linge, livres, argent, etc. (Le tout, y compris l’argent, un peu plus de quinze cents francs, fut estimé à quatre mille francs, à la mort du donateur). Ce document se termine par ces lignes :

    « En achevant d’écrire ce dernier testament de ma propre main, je ne puis m’empêcher d’admirer la merveilleuse grâce de Dieu qui m’amena à la connaissance du Seigneur Jésus à l’âge de vingt ans et cinq mois, alors que je ne me souciais pas de lui, et qui m’a gardé dans sa crainte et sa vérité jusqu’à ce jour, c’est-à-dire pendant soixante-neuf ans et quatre mois, me permettant ainsi de le servir durant tout ce temps.

    Et maintenant, en face de l’éternité, je déclare que ma seule espérance de salut est basée sur ma foi dans les mérites du Seigneur, et en sa mort expiatoire. Je signe ce testament de ma propre main, devant deux témoins, ce 16 mars mil huit cent quatre-vingt-quinze (1895) George Müller D.

    • Appréciations de contemporains sur G. Müller et son œuvre

    Il nous est impossible de transcrire ici les appréciations nombreuses et élogieuses qui furent publiées à l’époque de la mort de George Müller. Voici quelques extraits :

    « M. Müller laisse derrière lui une vie toute consacrée aux Orphelins. La piété, l’humilité, l’amour de cet homme, resteront longtemps dans le souvenir des églises… Unissons-nous silencieusement dans un acte solennel d’actions de grâce pour bénir Dieu qui l’a donné au monde. Ce don-là est le plus précieux qu’Il puisse faire à l’humanité » (Séance du Synode National des Églises libres évangéliques).

    « Les résultats obtenus par M. Müller sont sans précédent… Cependant, loin d’aimer à paraître, il était d’un tempérament timide et retiré, et redoutait la publicité. Il y a bien des années, on lui offrit cinq cents livres sterling (au pair douze mille cinq cents francs) s’il voulait se laisser photographier ; il le refusa énergiquement.

    (Jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, il refusa absolument qu’on publie aucune de ses photographies. Mais quelques journaux s’étant mis à publier des reproductions fantaisistes de sa personne, il pensa qu’il était préférable de céder sur ce point et d’accorder la reproduction d’une photographie).

    Bien des visiteurs de marque allèrent à Ashley : le Comte de Derby, Lord Salisbury, Lord Hampton, etc… » (The Times).

    « On se souviendra de George Müller comme de l’homme qui ne fit jamais d’appels ni de réclame… Son œuvre fut la meilleure des réclames… Sa foi était de celles qui soulèvent les montagnes… Il ne se lassa pas de faire le bien » (St-James Gazette).

    « M. Müller occupe une place unique parmi les philosophes du 19ème siècle. En ce temps d’agnosticisme et de matérialisme, il mit à l’épreuve des théories sur lesquelles la plupart des hommes se contentent d’avoir d’inutiles controverses.

    Même ceux qui élaborent des discours sur les lois naturelles et ne partagent pas les vues de M. Müller sur la puissance de la prière, ne peuvent s’empêcher d’admirer la foi et la persévérance extraordinaires de cet homme qui fonda une colonie d’Orphelins, et reçut jusqu’en mai dernier pour son œuvre et les autres branches de l’Institut biblique plus de trente-cinq millions de francs » (Bristol Evening News).

    « …Comment ce miracle fut-il accompli ? Par la prière, dit M. Müller. » Cette réponse ne peut manquer d’exciter les sarcasmes et les railleries du rationalisme. Mais les faits demeurent ; qu’on les explique. Il n’est pas scientifique de diminuer des événements historiques qu’on trouve trop difficiles à expliquer. Quant à escamoter les Orphelinats qui s’élèvent à Ashley, la chose semble bien impossible, et tous les tours de passe-passe n’y suffiraient pas » (Liverpool Mercury).

    « George Müller est mort, et le monde est appauvri par son départ… La vie de cet homme touche à ce point au merveilleux qu’elle semble difficilement croyable. Avec lui, comme le veut l’adage, la vérité est plus étrange que la fiction. L’étudiant prussien à la vie tapageuse est devenu le philanthrope le plus âgé et le plus avisé de son pays d’adoption.

    Sans amis, sans influence, sans argent, sans situation sociale, avec un passé de dissipation, cet homme s’est attiré, par l’intégrité et la noblesse de sa vie, le respect et l’amour de ses contemporains. Il a enlevé au trottoir des milliers de victimes, aux prisons des milliers de criminels, aux maisons de pauvres des milliers de malheureux parias.

    Et tout cela, il le fit « en maniant l’Épée de l’Esprit », pour employer son propre langage. Sa vie et son exemple ont une beauté touchante et émouvante qui ne peuvent qu’impressionner vivement, même en ce siècle sceptique et utilitaire… » (Daily Telegraph).

    • Les donateurs et les dons

    Il faudrait plusieurs volumes pour la seule publication des dons que recevait chaque jour George Müller. Beaucoup ont une histoire intéressante. « Nos fonds sont déposés à une banque qui ne peut faire faillite, avait dit une fois la directrice de l’un des orphelinats à un visiteur ». Réponse concise et juste. En apparence, il pouvait y avoir des jours sombres, Dieu intervenait toujours en temps voulu.

    « Ce n’est pas de temps à autre que Dieu pense à nous, écrivait G. Müller, mais toujours. Quelle que soit la chose dont nous avons besoin : de l’argent, des provisions, des habits, il l’envoie immanquablement ».

    Quatre-vingt-dix-huit pour cent des donateurs étaient des inconnus. Certains léguèrent à leur mort des milliers de livres sterling sans avoir jusque-là donné aucun signe de vie. Parfois la cloche de la porte d’entrée retentissait, et lorsqu’on venait ouvrir, au lieu de visiteurs on trouvait un paquet sur le seuil.

    Une fois, M. Müller prenant au portemanteau son chapeau et ses gants pour sortir, trouva dans l’un de ces derniers un billet de cinq livres sterling (cent vingt-cinq francs). C’était là un exaucement remarquable : quelques secondes avant, il était à genoux demandant à Dieu d’envoyer du secours.

    Les dons en nature sont des plus variés : un jour c’est un monsieur qui envoie une bibliothèque de valeur ; un autre jour on reçoit des autographes de George 4, Sir Robert Peel, Lord Melbourne, une autre fois une voiture, une cage et huit canaris, deux bœufs vivants, à tuer et à débiter pour les orphelins, des chars chargés de légumes, etc…

    Nous relevons parmi les dons en nature de l’année 1897, 7203 pains de quatre livres qui représentent 296 dons, 306 gâteaux, près de 44699 pommes et de 4238 poires, 40 sacs de pommes de terre, 20 caisses de savon, un sac de pois, 9 tonnes de charbon, 26 cuissots de venaison, 112 lapins, 312 faisans, 1 lièvre, 8 oies, 8 grands fromages, 5 sacs de gruau d’avoine, huit sacs de farine, 16 morues, du saumon salé, 30 livres de thé, 44 de miel, des œufs, du chocolat, des figues, des bonbons, des caisses d’oranges, des dattes, des raisins secs, etc…, des bijoux, des habits, et de multiples objets destinés à être vendus pour que le produit en fût attribué aux Orphelinats.

    Quelques-uns des donateurs envoient le produit d’une pièce de terre qu’ils ont mise à part pour l’Orphelinat ; d’autres, une part sur la vente de poules, de porcs, de vaches, de moutons, de fruits, de légumes, de fleurs, d’abeilles, de raisins, de fougères, etc…

    Les rapports ne donnent que les initiales des donateurs, et souvent les détails du don. Nous voyons ainsi que les uns ont pris l’habitude du don systématique, les autres donnent à l’occasion d’une délivrance, d’un exaucement, d’une bénédiction, d’autres en se refusant un voyage, une voiture de première classe, du sucre avec le thé, un dessert ; un armateur renonce à assurer ses navires et donne pour les orphelins le montant de la police d’assurance ; un prince renonce à aller à une soirée de gala et envoie l’économie réalisée de ce chef, ce qui suffit à payer le dîner de cent enfants ; le fils d’un baron se passe de beurre et d’œufs pendant six semaines, et ajoute à l’argent reçu de ce chef celui qu’il gagne en chassant les rats et les souris.

    Voici un don de trente francs qu’envoie une couturière, prix du premier travail fait avec une machine à coudre qu’elle vient de recevoir ; quarante francs économisés en supprimant le champagne à un déjeuner de noces ; vingt-neuf francs d’une couturière qui les a amassés en donnant vingt centimes par robe faite ; cent francs d’un mécanicien pour acheter des puddings aux orphelins le jour de Noël ; la moitié du montant des prix obtenus à des expositions, par un fermier, pour ses moutons ; deux cents francs réunis en donnant trente centimes par agneau « Trois mille sept cents francs pour payer la pension d’un nombre d’orphelins égal à celui de mes enfants » (onze cette année-là), etc…

    Cinq cents francs économisés en ne fumant pas pendant un an ; douze cent soixante-quinze francs parce que j’ai fait de grandes pertes, et que Dieu a permis que je puisse continuer mes affaires quand même ; dix francs d’une veuve, la première semaine de gages de mon enfant ; douze mille cinq cents francs d’Irlande avec ces mots : « Je vous ai envoyé six francs vingt-cinq il y a quelques années ; c’était alors une grosse somme pour moi. Depuis lors, je me suis considéré comme l’administrateur des biens que Dieu me donne et je vous envoie bien plus facilement cette seconde somme que la première ».

    Un octogénaire envoie cent francs de Californie et écrit : « J’ai compris en lisant votre dernier rapport que j’étais un figuier qui n’avait que des feuilles et pas de fruits, bien que je fasse profession d’être chrétien depuis longtemps. Je vous envoie le montant de l’économie faite en supprimant le verre de grog auquel j’étais habitué ».

    En 1865, M. Müller est à Ilfracombe, il est accosté dans la rue par un monsieur qui lui demande s’il est bien M. Müller ? Sur une réponse affirmative, son interlocuteur explique qu’il vient de M. et lui apporte de l’argent pour les Orphelins.

    « Je suis un homme d’affaires, continua-t-il en se présentant, ce qu’on nomme « un bûcheur ». L’un de vos rapports m’est tombé sous la main : je l’ai lu et je dois vous confesser que cela m’a laissé sceptique. Je ne pouvais croire que vous obteniez le nécessaire en priant. Toutefois, cette question revenait souvent en ma pensée ; M. Müller reçoit-il vraiment ces fortes sommes d’argent uniquement par la foi, et en réponse à la prière ?

    Sur ces entrefaites, j’entendis parler d’une propriété à vendre et que je désirais acheter. J’allai la voir et je la fis évaluer par un homme d’affaires compétent qui l’estima un certain prix. Sceptique, je me dis alors : « Et maintenant nous allons voir si Dieu est avec M. Müller ; si le prix de vente ne dépasse pas un prix inférieur et que je stipulai, je donnerai cent livres sterling à M. Müller.

    Je donnai des ordres à une tierce personne pour qu’elle se rendît à la vente aux enchères et achetât pour mon compte ; ceci se passait en un endroit assez éloigné ; mais ma curiosité était excitée à un si haut point, et je désirais tellement savoir l’issue de cette affaire, que je pris le train suivant pour être renseigné sans délai.

    À ma grande surprise, j’appris que j’étais l’acquéreur au prix inférieur que j’avais stipulé. Alors je me mis à réfléchir sur les principes qui réglaient votre manière de faire : ils étaient éminemment évangéliques, avais-je le droit en tant que chrétien de mettre en doute les exaucements à la prière ? Plus je vais, plus je comprends que vous êtes dans le vrai, et me voici !…

    Le 5 juillet 1880, George Müller recevait une lettre de Nouvelle-Zélande avec cent vingt-cinq francs. Voici un extrait de la lettre : « l’année dernière, nous étions à Bristol et nous demeurions en face de vos maisons d’orphelins dont la vue renouvelait sans cesse notre foi.

    À cette époque, j’ai été huit mois sans travail, ne recevant qu’un secours de 8,75 par semaine pour ma famille et moi, mais Dieu n’a pas permis que nous manquions du nécessaire. Quand les choses semblaient aller au plus mal, vos mille fenêtres éclairées dans la nuit me paraissaient comme autant de promesses, comme disait ma femme, et je puis ajouter qu’elles ont été le moyen d’un millier d’exaucements… ».

    • Conseils pour lire la Bible

    Si quelqu’un me demandait ce qu’il faut faire pour lire la Bible avec profit, je répondrais d’abord : comprendre que seul Dieu peut l’illuminer par son Esprit ; et puisque Dieu veut que nous lui demandions ce qui nous est bon, il convient que nous implorions sa bénédiction avant de la lire, et pendant que nous la lisons.

    Le Saint-Esprit est le meilleur des maîtres et un maître suffisant ; mais il ne s’ensuit pas qu’il réponde immédiatement à nos requêtes ; nous pouvons avoir à demander bien des fois l’explication d’un passage avant d’être exaucé, mais l’exaucement est certain si nous cherchons patiemment la lumière dans le but de glorifier Dieu.

    Il est extrêmement important de lire chaque jour et en suivant une portion de l’Ancien et du Nouveau Testament : parce que cela aide à la compréhension du texte. Choisir un chapitre préféré ici et là empêche de comprendre grand-chose aux Écritures. Aussi longtemps que nous habitons ce corps, le changement nous est nécessaire, même dans les choses spirituelles. Dieu y pourvoit par la grande variété que nous trouvons dans sa Parole.

    Lire la Bible entièrement glorifie Dieu : en laissant ici et là quelques chapitres, nous disons, en fait sinon en paroles, que certaines parties sont meilleures que d’autres, ou bien qu’il y a des pages inutiles. Lire l’Écriture régulièrement et d’un bout à l’autre peut nous donner une vue d’ensemble, donc aider à sa compréhension. Cela empêche de donner trop de valeur à certaines conceptions que nous chérissons.

    Les Écritures contiennent tout ce qu’il a plu à Dieu de nous révéler de sa volonté. Nous devons donc faire notre possible pour lire complètement le document qui l’exprime. Je crains que, de nos jours, il y ait bien des chrétiens qui n’ont jamais lu entièrement la Bible ; et cependant ils pourraient le faire en quelques mois, en en lisant quelques chapitres chaque jour.

    Il est nécessaire de méditer durant la journée sur ce que nous avons lu, soit sur une partie de notre lecture, soit sur le tout… Quant aux Commentaires, ils remplissent la tête de toutes sortes de notions et aussi de la Parole de Dieu ; mais lorsque le Saint-Esprit lui-même nous enseigne en réponse à la prière et à la méditation, c’est le cœur qui est touché et pénétré.

    Or la connaissance intellectuelle enfle, et puis elle est essentiellement variable. Que de fois nous délaissons quelque théorie, quelque opinion reçue, pour de nouvelles, lorsque nous lisons quelque commentaire qui nous semble meilleur ; quitte à les abandonner aussi par la suite pour d’autres.

    Ce que le cœur a saisi rend généralement humble, joyeux, et conduit plus près de Dieu. La connaissance acquise de cette manière-là ne se laisse pas ébranler par quelque raisonnement que ce soit, et comme elle a pris racine dans notre cœur, nous l’utilisons en l’appliquant à notre vie…

    • Du formalisme

    J’ai souvent remarqué qu’il est funeste de faire une chose parce que d’autres l’ont faite, ou parce que c’est la coutume, ou parce que l’on s’est laissé persuader d’accomplir tel acte de renoncement apparent, alors que le cœur ne s’est pas donné. L’acte doit être le résultat de l’action intérieure et puissante du Saint-Esprit, de la communion avec le Père et le Fils.

    Ayons la terreur de ce qui n’est que formalisme, habitude, coutume, dans les choses divines. C’est la vie, la puissance, la réalité, qu’il faut rechercher. Ce n’est pas du dehors, mais du dedans que doit venir notre inspiration.

    Que doivent être mes vêtements, ma maison, mes meubles ? Pour répondre à ces questions, je ne regarderai pas à ce que font les autres, ni à ce que font généralement mes frères et sœurs en Christ… Tout ce qui est don, renoncement, mort à l’égard du monde, doit être un fruit de la joie que nous expérimentons en Dieu, parce que nous savons que nous sommes ses enfants, et que, par la foi, nous sommes entrés dès ici-bas dans notre héritage éternel…

    Autrement, tôt ou tard, se produisent le regard en arrière et les regrets… Quiconque n’agit que sous l’action de la joie qu’il trouve en Dieu, se gardera de considérer avec condescendance ceux qui ne sont pas arrivés au même point que lui ; mais bien plutôt il priera pour eux… Nous avons peut-être plus de lumière et de force qu’eux sur certain point, mais sur tel autre ils peuvent avoir plus de lumière ou de grâce que nous.

    • Volonté propre

    Le cœur naturel est toujours prêt à raisonner quand il faut croire, à travailler quand il faut se reposer, à choisir son propre chemin quand il faut suivre avec persévérance celui que Dieu veut, si pénible que cela puisse être.

    D’après G. Brunel