DEUX RAMONEURS

 

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LES DEUX RAMONEURS

J’ai assisté, il y a de nombreuses années, à Londres, à un enterrement qui a produit sur moi la plus profonde impression.
Le cimetière regorgeait de monde ; on était venu de très loin pour honorer la mémoire de celui qu’on allait conduire à sa dernière demeure.
On évaluait le nombre des assistants à environ mille cinq cents personnes. Et pourtant, l’enterrement n’était celui ni d’un souverain, ni d’un grand de ce monde, mais d’un ramoneur.
La conversion de William Carter remontait à bien des années en arrière. Grâce à Dieu son cœur avait été blanchi par le sang de Christ et il avait consacré sa vie à la prédication de l’évangile.
Un très grand nombre de personnes furent converties par son moyen. Beaucoup de celles qui remplissaient le cimetière pour lui rendre les derniers devoirs étaient passées de la mort à la vie en croyant au message divin qu’elles avaient entendu de ses lèvres.
Souvent des chrétiens, soit de Londres, soit au dehors, avaient eu recours à lui pour savoir comment s’y prendre pour atteindre les âmes inconverties.
On l’invitait souvent aussi à entreprendre des tournées d’évangélisation, au cours desquelles le Seigneur se plaisait à honorer la foi et l’énergie tant du prédicateur que de ceux qui l’avaient convié.
Une fois on le pria de tenir une série de réunions en plein air dans une ville, à l’occasion d’une fête annuelle qui attirait des milliers de spectateurs de la campagne environnante. C’était toujours une occasion de débauche et des chrétiens dévoués désiraient sincèrement arracher quelques-unes de ces pauvres âmes à l’empire de Satan.
Ils s’arrangèrent donc de manière que l’évangile soit prêché plusieurs heures durant, du haut d’une charrette, sur la place même où la fête avait lieu.
On apposa dans toute la ville des affiches annonçant que William Carter, le ramoneur converti prêcherait l’évangile sur la place de fête…
Une de ces affiches entra jusque dans un bar qui était connu pour être des plus mal famés de la localité.
Elle ne tarda pas à attirer l’attention des buveurs attablés dans la pièce et l’un d’eux se mit à la lire à la grande joie de l’auditoire.
-Attendons que Bill la trouve, s’écrièrent-ils et nous verrons ce qu’il en dira.
Bill était, lui aussi, un ramoneur, grand et gros, et qui faisait la terreur de son entourage quand il se trouvait ivre.
On entendit bientôt son pas bien connu. La porte s’ouvrit violemment et Bill se laissa choir à sa place accoutumée.
A son tour il lut l’affiche en s’accompagnant de maintes plaisanteries blasphématoires.
-William Carter, le ramoneur converti, ah ! Vraiment ! va prêcher l’évangile. Et bien ! Camarades, vous m’entendez, il ne prêchera pas. Ce serait une honte pour notre honorable profession. Non, il ne prêchera pas ; et c’est moi qui l’en empêcherai.
Et il poursuivit sur ce ton pendant toute la soirée.
Or, ce que Bill avait décidé, il l’exécutait toujours et ne reculait même pas devant les moyens les plus violents pour arriver à ses fins.
Le jour fixé arriva.
Bien des prières montèrent devant Dieu. Elles furent entendues et reçurent une réponse merveilleuse.
Sans se douter le moins du monde du complot qui se tramait contre lui, William Carter se trouvait au milieu de sa prédication. Une grande foule l’entourait et lui prêtait une attention soutenue, quand il aperçut soudain un homme à l’aspect repoussant qui s’approchait de la tribune sur laquelle il se tenait.
Le nouveau venu portait sous le bras un énorme gourdin et, dès qu’il se fut mêlé aux auditeurs, on put constater chez eux un certain malaise, tandis que chacun se mettait de côté pour lui faire place.
Carter se douta bien que ce personnage songeait à mal et il adressa au Seigneur une fervente prière pour recevoir un message spécial à l’adresse de son adversaire.
Il s’attendait à quelque parole sévère de jugement, quelque avertissement relatif au châtiment réservé au pécheur inconverti, mais un seul passage se présenta à son esprit.
L’homme s’approchait de plus en plus ; il n’y avait pas un instant à perdre. Alors, regardant l’homme dans le blanc des yeux, Carter articula d’une voix forte le message divin :
« Car Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jean 3. 16)
L’homme hésita ; il semblait mal à l’aise.
Voilà qui est fait, se dit le prédicateur. Je vais le lui répéter. Pour la seconde fois, les paroles divines tombèrent dans l’oreille du ramoneur qui s’éloigna tranquillement.
Le lendemain matin, tandis que Carter se hâtait de déjeuner avant de reprendre le train qui devait le ramener à Londres, on entendit un faible coup à la porte, mais la petite servante ne l’eut pas plutôt ouverte qu’elle la referma en poussant un cri d’effroi.
-Qu’y a-t-il donc, mon enfant ? demanda Carter.
-Oh ! Monsieur, Bill vous demande, mais il ne faut pas qu’il vous voie, Monsieur. Pour sûr, il vous tuera.
-Laisse-le entrer. Peut-être est-il inquiet au sujet de son âme.
-Son âme ! Il n’en a point, j’en suis sûre. Vous ne savez pas quel homme c’est que Bill. Non vous ne devez pas le voir.
-Fais-le entrer, je le veux.
Bien malgré elle, la petite bonne, toujours tremblante, introduisit le visiteur dans la salle à manger.
Quelle ne fut pas la surprise de Carter en voyant devant lui son farouche adversaire de la veille, mais combien il était changé ! C’est lui qui, maintenant, tremblait et pleurait comme un enfant.
Enfin il réussit à faire entendre ces mots entrecoupés :
-Oh ! Monsieur, ce sont ces paroles qui l’ont fait, ces paroles !
-Quelles paroles ? demanda Carter.
-Oh ! Monsieur, ces paroles ! Vous ne savez pas ce que j’ai été, Monsieur. J’allais vous assommer, Monsieur, et ce sont ces paroles qui m’ont assommé. Oh ! Ces paroles !
Enfin Bill se calma et continua son récit :
-J’ai deux enfants, Monsieur, et je les aime. Les gens ici croient qu’il n’y a aucune affection dans un cœur comme le mien, mais je les aime, oui, je les aime, et je ne céderais à personne ni l’un, ni l’autre. Mais ces paroles, Monsieur, que vous avez dites hier, que Dieu avait un Fils et qu’il l’a donné pour un misérable comme moi.
C’est ainsi que Bill, et avec lui bien des milliers d’âmes, fut brisé par le récit de l’amour de Dieu. Toute sa vie changea dès ce moment-là et il devint l’instrument de nombreuses conversions.
Oui, l’amour de Dieu est un marteau qui peut briser le cœur le plus dur, un feu capable de fondre le cœur le plus endurci.
« Car Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jean 3. 16)

D’après Almanach Évangélique 1910