LES DEUX CORDONNIERS

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LES DEUX CORDONNIERS

 

Lorsque j’étais jeune, raconte un chrétien, je travaillais pendant mes vacances chez un cordonnier pour gagner un peu d’argent afin de venir en aide à notre famille pauvre. Mon patron avait suspendu aux murs de son atelier des tableaux : les uns représentaient des scènes bibliques, les autres avaient des versets de la Bible imprimés en gros caractères. Les clients, dès leur entrée, pouvaient lire un message de Dieu et, s’ils devaient attendre, le méditer tout à loisir ; cet artisan, fidèle serviteur de son Maître, prenait soin encore d’ajouter une feuille d’évangélisation à chaque paire de souliers qu’il rendait à son propriétaire, et n’omettait jamais de parler à ses visiteurs du salut de leur âme, dès que l’occasion s’en présentait.
Mon travail dans cet atelier consistait à faire tremper les semelles dans l’eau, puis, avant de les ajuster, à les marteler pour les rendre dures et fermes. L’effort exigé me fatiguait à un tel point que je finis par prier M. M. de bien vouloir me donner autre chose à faire. Je fus alors chargé de courses et de commissions en ville, notamment chez un autre cordonnier, M. B. Mes visites assez fréquentes me permirent d’observer sa façon de travailler : après avoir trempé ses semelles, il les clouait immédiatement sans les taper de sorte que, chaque fois qu’il enfonçait un clou, l’eau jaillissait de tous côtés. Je l’interrogeai un jour : « Pourquoi, lui dis-je, dois-je marteler les semelles, tandis que vous, vous les clouez quand elles sont encore toutes mouillées ? » Il cligna des yeux, puis répondit : « Ah ! vois-tu, mon petit, les gens reviennent plus vite, et je gagne davantage ».
Je crus avoir appris quelque chose, et, en arrivant chez mon patron, je lui déclarai : « Je ne comprends pas, Monsieur, pourquoi vous me faites marteler si longuement les semelles ; M. B. ne le fait pas du tout ; il dit que les clients reviennent chez lui beaucoup plus vite et qu’il gagne davantage ».
Avant de répondre, M. M. prit sa Bible et lut : « Quelque chose que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus ». Puis il ferma le saint Livre et continua : « Henri, je n’ai pas suffisamment pris ta jeunesse en considération ni le fait que tu n’as pas encore beaucoup de force ; désormais je ferai moi-même une partie du martelage et te confierai un autre travail. Je veux attirer ton attention sur une chose : je ne consentirai pas à ce que quoi que ce soit quitte mon atelier sans avoir été fait très exactement et très bien. M. B. n’est pas un chrétien et ne connaît pas le Seigneur ; moi-même je serais volontiers devenu évangéliste, mais Dieu m’a donné un talent que je ne dois pas négliger. Il m’a appris à réparer les souliers et m’a placé ici afin de Lui rendre témoignage. Tu sais, n’est-ce pas ? que le Seigneur viendra nous chercher pour nous emmener avec Lui dans la gloire ; Il nous fera comparaître devant son tribunal, et je m’attends à voir entassés à ce moment-là tous les souliers que j’aurai ressemelés ; il faudra donc, après les avoir examinés, qu’Il puisse me dire : « Bien, bon et fidèle esclave ! »

D’après Almanach Évangélique 1961