SUR LA PENTE GLISSANTE

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SUR LA PENTE GLISSANTE

 

Madame Brunaud et son fils sortaient de l’Hôpital Laennec. Il y avait quelque temps déjà que la toux persistante de David inquiétait sa mère. Aujourd’hui Mme Brunaud en sait le pourquoi. Le spécialiste a déclaré avec fermeté : « Croissance trop rapide ! Ce garçon doit quitter Paris et passer un an à la montagne. Il n’y a encore rien de sérieux mais le terrain est mauvais et la moindre grippe pourrait devenir très grave ».
Mme Brunaud et David s’étaient regardés, consternés. Quitter Paris ! Mais comment ? Avec quels moyens ? La pauvre mère se trouvait devant un problème insoluble.

Si cela s’était produit deux ans auparavant, le cher papa vivait encore ; rien n’aurait été plus facile, car le salaire de M. Brunaud suffisait à tous les besoins de la famille. Mais une grippe infectieuse l’avait enlevé en peu de temps à l’affection des siens. Il avait laissé quelques économies, de quoi acheter un petit fonds de commerce, ce qui permettait tout juste de faire vivre Mme Brunaud et ses quatre enfants. Envoyer David à la montagne ? Comment faire ?…

David, lui, se désolait pour d’autres raisons. Il avait obtenu une bourse au collège Rollin, et aimait l’étude. Le prix d’excellence venait de lui être attribué. L’année prochaine, il passerait son « bac ». Peut-être, plus tard, les portes d’une grande école s’ouvriraient-elles encore pour lui… Il désirait tant devenir professeur. Alors sa mère si dévouée ne travaillerait plus, bien sûr ! Mais maintenant, avec cette stupide interruption dans ses études, que serait son avenir ?

La mère et le fils prirent le métro et regagnèrent les hauteurs de Montmartre où se trouvait leur logement. Trop absorbés dans leurs pensées, ils ne songeaient pas à parler.

La fille aînée, le bras droit de sa mère, s’était occupée pendant ce temps de la boutique et des clientes. Un seul coup d’œil à sa mère lui apprit que les nouvelles n’étaient pas bonnes.
– Alors, maman, qu’a dit le spécialiste ?
– Ma chère Odette, c’est désolant ! Il faut que David parte au plus vite à la montagne. Il n’a rien de grave mais sa croissance rapide l’a affaibli et il serait en danger en s’exposant pendant l’hiver à tous les microbes de Paris. Comment faire ?
– Ne t’inquiète pas, petite maman, dit Odette. Tu sais comment le Seigneur nous a secourus depuis la mort de papa. Ta santé est meilleure qu’en ce temps-là. Dieu a pourvu à nos besoins jour après jour. C’est encore Lui qui permet cette épreuve. Voilà bientôt les vacances ! D’ici novembre, Dieu nous donnera la délivrance. C’est déjà capital de savoir que David n’a rien de sérieux.
– Tu as raison, ma vaillante fille. Ce coup inattendu m’a accablée. Il est vrai que Jésus a promis d’être tous les jours avec nous et de pourvoir à nos besoins selon Ses richesses. Si nous Lui demandions son secours ?…
Dans un coin retiré du magasin, la mère et ses deux aînés se mirent à genoux et exposèrent à Dieu leur situation critique. Ce moment de communion ramena le calme et la confiance dans les cœurs inquiets.

Le chef d’établissement fut avisé dès le lendemain de ce qui arrivait à David. Comme il avait suivi avec intérêt les études du jeune garçon, et admiré le courage de la veuve, il prit à cœur leur situation. Il se trouvait qu’un de ses bons amis était chef d’établissement du collège de Briançon. Qui sait si David ne pourrait pas y entrer ? Sa bourse serait peut-être aussi valable là-bas ?
Une attestation du docteur confirma la demande du Principal et, au grand soulagement de tous, la réponse fut affirmative. David allait donc pouvoir continuer ses études, passer son baccalauréat et en même temps se fortifier. Dieu n’avait-Il pas tenu Ses promesses ?

Odette et sa maman travaillèrent activement à préparer l’équipement de David et marquèrent avec amour chaque vêtement. David avait été une consolation pour sa mère. Tout jeune encore, il avait donné son cœur au Seigneur et n’avait apporté que de la joie à ses parents. Certes, c’était un nouveau dépouillement pour sa maman que de le voir quitter la maison mais qu’avait-il de comparable avec l’autre ?…

Parti de la gare de Lyon, David passa une longue nuit dans le train puis arriva à Briançon. Émerveillé par le cadre de montagnes qui entourent cette station d’altitude, il mit le nez à la fenêtre dès le lever du jour. Un chauffeur l’attendait. Il chargea les bagages et conduisit David à l’imposant collège de la ville.
Le chef d’établissement en personne accueillit le nouvel élève et le présenta aimablement à quelques-uns de ses camarades. A la vue du vaste et beau dortoir, toutes ses craintes se dissipèrent. Ce collège ne ressemblait en rien aux sombres établissements dont il avait lu des descriptions. Dans de si bonnes conditions, il pourrait travailler et recouvrer la santé. David voyait déjà la vie en rose…

Pourtant, il fallut déchanter. David s’aperçut bientôt que beaucoup de ses camarades avaient été élevés sans aucun principe chrétien. Ils trichaient dès qu’ils le pouvaient. Leurs conversations roulaient bien souvent sur des sujets scabreux et David rougissait à la pensée des gravures malsaines qui circulaient de main en main.
Jamais il n’aurait pensé qu’une telle corruption fut possible. Comme externe, il n’avait rien vu de pareil, n’ayant pas eu affaires avec les élèves qui, en queue de classe, perdaient leur temps. Mais là, dans le dortoir, il était impossible d’être aveugle et sourd.

Ah ! Comme David sent en lui toutes les forces du mal se déchaîner ! Pourquoi ne pourrait-il pas faire comme les autres ? Personne ne saurait s’il jette un regard complaisant à ces images, s’il prête l’oreille à ces histoires douteuses qui, tout en le dégoûtant, ont cependant un certain charme…

Il lui avait été difficile, dès le premier jour, de faire sa lecture. Il avait lu son Nouveau Testament à moitié caché sous ses draps mais un loustic l’avait découvert et les moqueries avaient plu. David lisait encore la Parole de Dieu mais en se cachant et il lui arrivait de l’oublier des jours entiers.

David court un plus grand danger que lorsque ses poumons étaient menacés. Va-t-il sauver sa vie et perdre son âme ? Son travail commence à se ressentir de la lutte morale qui le tracasse. Le directeur s’en est aperçu et lui exprime son étonnement qu’un si bon élève à Paris soit si médiocre à Briançon. Que se passe-t-il ? Dort-il bien ? Est-il malade ? Mais non, le bon air vivifiant de la montagne fait merveille. Le docteur est très content de son malade et envoie à Mme Brunaud des rapports excellents. Mais… David ne refuse plus les livres qui circulent en cachette. Il les lit à l’heure du repos ou en promenade. Il ne prie presque jamais.

Sa mère, pourtant, se doute que quelque chose va mal. Dans ses lettres, son fils s’abstient de toute allusion à sa vie spirituelle. Elle fait part à Odette de ses inquiétudes et toutes deux redoublent de prières pour le cher absent.

– Viens-tu demain soir avec nous ? fit un matin un des camarades de David. En arrivant, tu étais trop « sainte-nitouche » pour que nous t’invitions mais tu es devenu un peu plus dégourdi et nous t’avons jugé digne d’entrer dans le « Club des Rigolards ». Le nombre de membres est fixé à sept. C’est un nombre parfait et on s’amuse parfaitement. Leduc est parti, veux-tu le remplacer ? C’est un honneur qu’on te fait, car nous trions nos adhérents sur le volet ! Il ne faut pas qu’il soit « mouchard » ni « embêtant ». Alors, tu es d’accord ? Demain soir, ce sera ton admission. Le répétiteur Cassel est un des sept. Grâce à lui, nous pouvons sortir le soir. Demain, nous irons dans un café « pépère » boire à la santé du nouveau membre des « Rigolards ».
David se laisse séduire. David grossira donc la foule de ceux qui marchent dans le chemin large qui mène à la perdition…

Sur la table du réfectoire, à l’heure du goûter, la correspondance vient d’être apportée. David se précipite, il y a une lettre pour lui ! Elle est d’Odette, sa sœur, sa confidente. Elle raconte que leur mère est au lit, malade, épuisée par le surmenage. Elle aurait besoin de repos, de joie. Au lieu de cela, elle est attristée et même inquiète du dernier bulletin trimestriel de David. Pourquoi ces mauvaises notes ? Ces observations défavorables des professeurs ? David ne fait-il pas de son mieux ? Ne se rend-t-il pas compte du poids qui pèse sur sa mère ? Va-t-il échouer à son baccalauréat ? Alors que faire ? Dans sa lettre, Odette le conjure de se ressaisir par amour pour son Sauveur qu’il avait désiré servir fidèlement.
David lit et relit sa lettre. Il se représente sa mère malade et ne peut pas croire que c’est lui qui augmente sa peine. Cependant que dirait-elle si elle savait qu’il vient d’entrer dans le « Club des Rigolards » ? Que demain il ira dans un lieu qui ferait horreur à cette mère qu’il aime tendrement ?

David voit tout à coup l’abîme vers lequel il se dirige. Il mesure le chemin qu’il a parcouru sur la voie large. Il est saisi d’une réelle angoisse.
Lui, David, a renié son Sauveur. Au lieu de Lui amener quelques-uns de ses camarades, c’est lui qui a été gagné. N’a-t-il pas promis d’entrer dans ce club abominable ?
Mais il n’est pas trop tard pour retourner en arrière. Il se souvient de l’histoire de l’apôtre Pierre, qui par crainte d’une servante, avait juré, avec imprécation, ne pas connaître Jésus. Pourtant, quand il s’était repenti, Jésus lui avait pardonné.
David pleure maintenant sur la lettre d’Odette, larmes bénies de repentance amère.
Il parlera tout de suite à son camarade, il sortira de ce club horrible. Il sait que les persécutions seront terribles mais il les supportera. Il les a méritées. Ce qu’il demande avec ardeur à son Sauveur, c’est de lui permettre, à lui, le misérable David, qui vient d’échapper au piège de Satan, d’amener au pied de la croix au moins un membre du club. Ah ! si par son influence, par son témoignage, ce club pouvait disparaître !

David prie comme il ne l’a jamais fait jusque-là et demande au Seigneur de lui donner la force de vivre pour Lui. Il n’a pas su, comme celui dont il porte le nom, rester fidèle à son Dieu. Mais aujourd’hui, il connaît sa faiblesse et implore la miséricorde de son Seigneur. C’est ce qu’il écrivit à Odette. Savez-vous que cette lettre fit plus d’effets pour guérir la chère maman que tous les remèdes prescrits par le médecin ?

Il faut maintenant parler à Robert Puyoz, celui qui l’a invité à devenir membre du « Club des Rigolards ». Que va dire Robert de sa défection ? Le prendra-t-il pour un traître, un « mouchard » ?

L’heure d’étude surveillée se passe sans que David trouve l’occasion de parler à son camarade. Il lui faut attendre jusqu’à l’heure du coucher.
Il est plus difficile de remonter la pente que de la descendre. Comment aborder le sujet ? David sent que, s’il ne le fait pas tout de suite, il sera peut-être impossible de le faire plus tard. Dieu lui suscite l’occasion. Robert arrive en cet instant lui montrer un journal douteux. David le repousse avec énergie :
– Non, Robert, je ne veux plus regarder de pareilles horreurs…
– Tiens ! Tiens ! Voilà Mlle sainte-nitouche qui reparaît ! Ah ! Tu as eu une lettre de maman et le petit chéri de « mémère » n’ose pas bouger, même à distance, sans permission. Ah ! Non, mon vieux, ce que tu retardes ! Mais alors, et demain soir, ton entrée au club, tu as promis…
– Non, Robert, je n’aurais jamais dû promettre. C’est mal ce que nous faisons là, nous nous souillons l’esprit. A quoi cela peut-il nous mener ? Nous perdons notre temps, nos études s’en ressentent…
– Ah ! Non, ne commence pas à me sermonner. Je ne suis pas un idiot comme toi. Je veux jouir de la vie. Mais nous te ferons payer tes stupides préjugés. Ne va pas nous dénoncer au moins. Moi qui te croyais un copain, tu n’es qu’un traître ! Après tout, c’était peut-être un petit coup monté pour mettre le nez dans nos affaires et te faire bien voir du directeur en nous dénonçant !
La colère monte. Robert est furieux, ses yeux lancent des éclairs, il serre les poings. Il regarde sa montre. Non, ce n’est pas le moment de se battre, la lumière va être éteinte dans les dortoirs…
Dans l’obscurité, David remercie le Seigneur. Son cœur bondit de joie d’être débarrassé de ce lourd fardeau. Il se sent comme l’oiseau qui a échappé au filet de l’oiseleur.

Le lendemain, tout alla bien. Robert ne lui adressa plus la parole mais David se sentit surveillé.
Il dormait profondément quand les membres du club revinrent de leur expédition nocturne. Mais le matin, quand la cloche du lever sonna, David ne parvint pas à ouvrir les yeux. Il tâta ses paupières, une sorte de colle les recouvrait.
Que lui arrivait-il ?
Des éclats de rire étouffés lui firent comprendre qu’on lui avait joué un tour, et ceux qui entouraient son lit riaient de bon cœur en voyant ses efforts. A ce moment, un surveillant arriva. Il conduisit David au lavabo et, avec de l’eau très chaude, réussit à le tirer d’affaires.
Il fut impossible de découvrir celui qui, à l’aide d’un cosmétique pour cheveux, lui avait joué cette farce. Mais David devinait bien qui en était l’auteur. Elle n’était que la première de beaucoup d’autres.
Ses adversaires étaient infatigables, ingénieux mais insaisissables. David ne voulait pas les dénoncer et attendait la délivrance qui vient de Dieu. Par la prière, Odette et sa mère le soutenaient dans cette guerre qui se terminera, il le sait, par la victoire.

David avait l’habitude de recevoir, tous les samedis, une longue lettre de la maison. Il la savourait le dimanche et y répondait longuement. C’était le meilleur moment de la semaine.
Trois samedis après son repentir, David ne trouva aucune lettre pour lui sur la table du réfectoire. Que se passait-il ? Sa mère était-elle si malade ? Serait-ce un des petits frères ?

Ce fut un soulagement pour David de regagner enfin le dortoir et d’être dans son lit. Il ne pouvait dormir. Il s’imaginait tout ce qui avait pu empêcher sa mère ou sa sœur de lui écrire. L’imagination va vite ! David avait supporté vaillamment les mille persécutions mais maintenant ce dernier coup le poussa à bout. Le mal du pays, dans toute son acuité, accable le pauvre garçon. Il donnerait n’importe quoi pour être de retour à Paris. L’angoisse, le chagrin, la douleur de la solitude le submergèrent. David se mit à sangloter, la tête sous ses couvertures pour que personne ne l’entende. N’avait-il pas comme voisin de lit un des membres du Club, un des plus malicieux, celui qui lui a joué bien des tours ?
David sent qu’on tire son drap. C’est Pierre, cet ennemi redouté. Il doit se douter de la détresse de son camarade. Il a peut-être entendu ses sanglots.
– Brunaud ! Qu’as-tu, mon pauvre vieux ?
La voix est compatissante et semble sincère.
– T’as tant le cafard ? Faut pas t’en faire !
– Je m’inquiète de ce qui se passe à la maison, répond David. Je n’ai pas eu ma lettre habituelle et il faut que maman soit très malade pour que ni elle ni Odette ne m’écrivent.
– Elle est si « sympa » que ça, ta maman ?
David, à voix basse, parle de l’amour de sa mère, des sacrifices qu’elle a faits pour qu’il puisse continuer ses études.
– Tu comprends pourquoi je ne pouvais me joindre à votre Club ? Comment faire du chagrin à une mère pareille ?
Pierre se surprend les larmes plein les yeux. Lui aussi, il se souvient de sa mère, morte alors qu’il n’avait que douze ans.
Elle lui avait appris à aimer le Seigneur Jésus. Elle lui avait fait promettre, sur son lit de mort, de lire la Parole de Dieu, de Lui obéir. Que dirait-elle si elle voyait son Pierre ? Depuis quatre ans, quelle dégringolade !
Pierre revoyait sa vie, ce mauvais camarade qui l’avait « dégourdi » et avait causé sa chute. Il n’avait pas de contact avec son père, qui s’était remarié peu après la mort de sa femme, et cela avait révolté Pierre.
Oui, Pierre avait des excuses. Mais que dirait sa mère si elle le voyait ? Cette pensée acheva de lui briser le cœur.
David ne pensait plus à sa lettre et consolait son camarade. Il lui raconta son expérience, l’encouragea à se repentir et à venir à Jésus qui pardonne. Pierre écoutait et désirait ardemment changer de vie. Il avait été plus d’une fois dégoûté de ce Club, aurait même voulu en sortir mais le courage lui avait manqué. Il avait souvent admiré David et aujourd’hui lui demandait pardon pour tous les tours qu’il lui avait joués. Cette lettre… il savait qui l’avait prise.
C’était encore une vengeance du Club. Demain matin, Pierre lui aussi en sortirait et ferait tous ses efforts pour restituer cette lettre à David.
La lettre était donc arrivée ! Le cœur de David dansait de joie. Les bonnes dispositions de Pierre n’étaient-elles pas dues aux prières de toute la famille Brunaud ?

Puyoz ! Donne-moi la lettre de Brunaud, dit le lendemain Pierre à son camarade. Ce n’est pas « sympa », sa mère est veuve, lui est ici pour sa santé. C’est lâche ce que nous faisons là.
– C’est contagieux alors, cette bêtise ? Tu deviens comme Brunaud ! Ah ! Non, je ne te donnerai pas cette lettre.
– Alors je te dénonce au directeur. Voler la correspondance ? Ce sera ton renvoi du Collège.
– Tu n’oserais pas faire une chose pareille.
– Si ! J’en ai assez d’être conduit par toi de désobéissance en désobéissance. Nous perdons notre temps, nous gâchons notre vie. Je suis résolu à changer et je quitte le Club. Que n’en fais-tu autant, Puyoz ? Où vas-tu ? Quel sera ton avenir si tu continues ?…
– Ah ! La ferme ! Tu deviens pire que Brunaud. Tiens, la voilà, ta lettre. Mais surtout ne nous dénonce pas, ou gare à toi ! On m’a toujours dit qu’il n’y avait pas de Dieu, qu’il ne fallait pas croire toutes ces superstitions. Quand on est mort, on est bien mort. Alors ma devise est : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ».

David fut bientôt en possession de sa lettre et en lut une partie à Pierre. Qu’il était consolant d’avoir un ami, de lire ensemble la Parole de Dieu, de s’encourager l’un l’autre. De tout leur cœur, ils se mirent à prier pour Puyoz et pour la dissolution de ce Club qui faisait tant de mal.

Une des choses que David appréciait le plus à Briançon, c’était les promenades. Il y en avait de si belles, surtout en hiver. Jamais le jeune Parisien n’avait vu tant de neige. Quelle merveille que ces sapins chargés de poudreuse ! Le moindre arbrisseau en devenait féérique. David aimait ces étendues blanches où évoluaient les skieurs. Les sports d’hiver l’enchantaient, bien qu’ils lui soient défendus pour cause de santé.

Peu à peu les jours grandissaient et le printemps pointait doucement. Vers la mi-mars, les grands du Collège partirent, sous la surveillance du professeur de sports, pour faire l’ascension d’un premier sommet. De là-haut, la vue sur Briançon et les vallées sauvages était incomparable. Une leçon de géographie s’imposait. Enfin on tira le pique-nique des sacs.
Pierre et David jouissaient particulièrement de la nature. C’était donc là les œuvres de leur Dieu, de ce Dieu qu’ils pouvaient appeler « Père » ! Dans leur muette contemplation, ils ne remarquèrent pas les nuages qui s’amoncelaient à l’ouest, porteurs de neige et de pluie, jusqu’au coup de sifflet du professeur qui annonçait le départ.
Mais où donc étaient Puyoz et Padillac ? Les coups de sifflet redoublèrent, les appels répétés restèrent sans réponse.
Le surveillant commença à s’inquiéter :
– Comment des jeunes gens intelligents peuvent-ils s’exposer au danger des avalanches ? Que feront-ils à l’arrivée du brouillard et de la neige ?
Le professeur divisa les jeunes gens en quatre équipes et leur donna des directives nécessaires.
David et Pierre font partie du même groupe ainsi qu’un membre du Club. Ce dernier prend David à part :
– Écoute, dit-il, je n’ai pas osé le dire mais je sais que Puyoz et Padillac avaient l’intention d’aller sur le glacier. Ils pensaient en avoir le temps.
– Il faut avertir le professeur, s’exclama David, en se mettant à courir. Peut-être sont-ils tombés dans une crevasse ?…
La situation prenait une mauvaise tournure.
Le surveillant décida aussitôt de ne pas augmenter les risques, ni d’exposer tous ses élèves. Il demanda cinq volontaires, munis de cordes et de piolets, qui partirent en direction de la pente glacée.
Aux coups de sifflet répétés, un cri se fit entendre.
Quelqu’un faisait des signaux. Les sauveteurs avançaient avec précaution sur la croûte glacée car la neige de printemps peut recouvrir des failles profondes.
C’était Padillac qui appelait au secours. Puyoz était tombé dans une crevasse, pas bien méchante heureusement, mais il était blessé. De peur de mourir là, seul, perdu dans les neiges, il n’avait pas voulu que son camarade le quitte.
Il fut relativement facile de retirer Puyoz de la crevasse mais il souffrait cruellement d’une fracture de la cheville. Le maître, secondé utilement par David, eut tôt fait de fabriquer un brancard à l’aide de cannes, de cordes et de manteaux. Puis la petite caravane revint lentement à l’endroit où le reste du groupe l’attendait.

La descente jusqu’à Briançon fut longue pour les porteurs – chacun prenant la charge à tour de rôle – et douloureuse pour le blessé qui gémissait. Plus d’une fois, David évita des heurts au pied malade. Sur sa civière de fortune, Puyoz immobile grelottait quand une âme charitable déposa sur lui un chaud manteau.

A l’heure de l’étude, le directeur rassembla les élèves. Son air était si sévère que le silence s’établit aussitôt.
– Messieurs, dit-il, deux d’entre vous ont désobéi gravement. L’accident qui en résulte aurait pu être mortel et entraîner d’autres accidents. Mais cette désobéissance n’est qu’une maille d’une chaîne déjà très longue. Il y a longtemps que Puyoz et Padillac font preuve d’indiscipline, de paresse, et exercent autour d’eux une mauvaise influence. Les rapports de leurs professeurs sur leur compte sont détestables. Cette fois, la mesure est à son comble, je demande à leurs parents de les retirer du Collège. Je tiens à féliciter Brunaud qui a porté secours à son camarade avec un grand dévouement et qui a secondé M. le Surveillant avec courage et sang-froid. Des élèves comme ceux-là font honneur à notre école !
David écoutait, confus. Il ne méritait pas ces éloges. N’avait-il pas été sur le point de suivre les traces de Puyoz ? Pauvre Puyoz, que deviendra-t-il ?

David allait chaque jour voir le malade. Puyoz, en apprenant la sanction qui le frappait, était désespéré. Le renvoi du Collège ? C’était la fin de ses études ! Son père, d’un ton sévère, lui avait déjà dit qu’il le placerait dans une ferme s’il se faisait renvoyer de l’école.
– Tu vois, dit David avec compassion, que ton maître n’est pas meilleur que le mien. Tu ne veux pas de Dieu mais ce n’est pas Lui qui te ferait ainsi gâcher ta vie présente et future !
Le cœur de Puyoz s’ouvrait. Il avoua à David que, sur la glace, blessé, en danger de mourir, il avait eu peur de la mort. Il avait été très touché par la patience et le dévouement de David.
– Jamais, avoua-t-il un jour, je n’aurai supporté, comme tu l’as fait, tous les tours qu’on t’a joués. Au lieu de te réjouir de mon accident ou de me dire que c’était bien fait, tu es venu à ma recherche, tu m’as porté, soigné et même donné ton manteau au risque de prendre froid toi-même. Pourquoi as-tu fait cela ? Tu ne me détestes pas ?
Ce fut l’occasion pour David d’expliquer à son camarade ignorant et incrédule ce que Dieu a fait pour les hommes. Il lui raconta l’histoire de Jésus qui, par amour pour nous, est venu sur la terre afin d’y mourir sur la croix. Cela pour que nous, pécheurs, nous soyons pardonnés, purifiés et pour que nous puissions vivre pour Lui.
– Tu comprends, dit David, c’est pour moi, c’est pour toi que le Seigneur Jésus a tant souffert. Alors s’Il m’aime et s’Il me pardonne, il faut bien que je pardonne et que j’aime à mon tour ceux qui sont méchants avec moi.
Puyoz n’avait jamais rien entendu de pareil. Il commençait à comprendre sa culpabilité. Sa conscience, si longtemps endormie, parlait enfin. Pendant ses longues heures de solitude, il réfléchissait à tout ce que David lui avait dit. Il lisait le Nouveau Testament que son camarade lui avait prêté et peu à peu la lumière de l’amour de Jésus pénétrait dans son âme. Quel beau jour pour David et pour Pierre quand Robert Puyoz accepta Jésus pour son Sauveur et désira vivre pour Lui !

La guérison approchait à grands pas et avec elle le départ du Collège. Nos trois amis priaient pour que cette sanction fût changée.
L’exaucement semblait impossible car le directeur avait déjà renvoyé Padillac chez lui. M. Puyoz, père, était averti que son fils allait lui être rendu.
David prit alors une grande résolution. Pour ne pas désappointer Puyoz en cas d’insuccès, il en parla seulement à Pierre. Il irait chez le directeur solliciter le pardon de Robert. Les deux amis prièrent ensemble, puis David se présenta au bureau. Il expliqua que Robert Puyoz avait changé de conduite, qu’il était devenu croyant et bien résolu à être un bon élève.
– La preuve, Monsieur le directeur, conclut David, c’est qu’autrefois Robert était mon ennemi mais que maintenant nous nous aimons comme des frères, car nous servons le même Seigneur.
Oui, David eut le courage de parler de son Sauveur à M. le directeur lui-même !

Un délai de trois mois fut accordé au coupable, pendant lequel il prouverait qu’il avait changé. Et il le prouva !
Est-il nécessaire d’ajouter que ce fut le coup de mort porté au « Club des Rigolards » ? Satan avait voulu y ajouter un membre de plus mais le Seigneur avait fait entrer deux nouveaux soldats dans son armée.
L’année scolaire de David se finit dans la joie. Il passa avec succès son examen. Il rentra guéri, prêt à continuer ses études. Mais son plus grand bonheur ne fut pas sa réussite, ni sa santé retrouvée, mais d’avoir amené deux âmes au Seigneur Jésus. Et par elles, qui sait combien d’autres ?

Aujourd’hui, les trois amis restent en contact. Ils espèrent passer une partie des vacances ensemble. Robert Puyoz ne désespère pas de convaincre son père que Dieu existe et qu’Il peut changer les cœurs. N’a-t-il pas transformé Robert et fait de lui un fils obéissant et travailleur ?

D’après la Bonne Nouvelle 1988